La lettre juridique n°239 du 7 décembre 2006 : Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Changement des conditions de travail du salarié protégé et résiliation judiciaire de son contrat de travail

Réf. : Cass. soc., 21 novembre 2006, n° 04-47.068, Mme Marie-Luce Ratier, FS-P+B (N° Lexbase : A5221DS8)

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le 07 Octobre 2010

A s'en tenir à son seul motif de principe, l'arrêt rendu le 21 novembre 2006 pourrait apparaître d'un intérêt bien relatif. En effet, en affirmant "qu'aucun changement de ses conditions de travail ne peut être imposé à un salarié protégé et qu'en cas de refus par celui-ci de ce changement, l'employeur doit poursuivre le contrat de travail aux conditions antérieures ou engager la procédure de licenciement en saisissant l'autorité administrative d'une demande d'autorisation de licenciement", la Chambre sociale ne fait que confirmer une solution solidement ancrée dans notre droit positif. La décision en cause revêt, en réalité, une importance certaine dès lors que l'on s'intéresse à l'ensemble de l'affaire. En effet, visant les articles L. 425-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0054HDD) et 1184 du Code civil (N° Lexbase : L1286ABA), la Cour de cassation censure une cour d'appel qui, pour rejeter la demande en résiliation judiciaire introduite par une salariée protégée, postérieurement licenciée pour faute grave, avait retenu que l'employeur n'avait en aucune façon modifié le contrat de travail de cette dernière. Par suite, l'arrêt commenté conduit non seulement à revenir sur la faculté pour un salarié protégé de refuser un changement de ses conditions de travail, mais aussi sur la possibilité qui est la sienne, consécutivement au maintien de ce changement par l'employeur, de saisir le juge d'une demande en résiliation judiciaire.
Résumé

Aucun changement de ses conditions de travail ne peut être imposé à un salarié protégé. En cas de refus par celui-ci de ce changement, l'employeur doit poursuivre le contrat de travail aux conditions antérieures ou engager la procédure de licenciement en saisissant l'autorité administrative d'une demande d'autorisation de licenciement. Par suite, une cour d'appel ne peut rejeter la demande en résiliation judiciaire de son contrat de travail introduite par une salariée, après avoir constaté que l'employeur avait seulement changé ses conditions de travail.

Décision

Cass. soc., 21 novembre 2006, n° 04-47.068, Mme Marie-Luce Ratier, FS-P+B (N° Lexbase : A5221DS8)

Cassation (CA Toulouse, 4ème ch. soc., section 2, 3 septembre 2004)

Textes visés : C. trav., art. L. 425-1 (N° Lexbase : L0054HDD) ; C. civ., art. 1184 (N° Lexbase : L1286ABA).

Mots-clés : salarié protégé ; changement de ses conditions de travail ; refus ; conséquence ; résiliation judiciaire.

Lien bases :

Faits

Mme Ratier a été engagée le 10 mai 1982 par la société Sodemag, exploitant un supermarché, en qualité de vendeuse de légumes. Son contrat de travail a été, par la suite, transféré à la société Soram puis, en 1998, alors qu'elle était délégué du personnel, à la société Disram. Cette dernière a mis en oeuvre une réorganisation du magasin, entraînant un changement de ses conditions de travail auquel elle s'est opposée. La salariée a saisi, le 16 novembre 2000, la juridiction prud'homale d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail. Elle a finalement été licenciée pour faute grave le 26 octobre 2002, pour n'avoir pas repris son poste de travail à l'issue de son dernier arrêt maladie, le 16 janvier 2002, et n'avoir donné aucune justification d'absence.

Pour débouter la salariée de sa demande de résiliation judiciaire, la cour d'appel, après avoir constaté que la période de protection avait pris fin le 1er juin 1999, a retenu que le changement des conditions de travail, qui concerne la seule exécution du contrat de travail, relève du pouvoir de direction et d'organisation de l'employeur. Or, aucune modification de contrat de travail de l'intéressée n'est intervenue, l'employeur s'étant borné, pendant sa période de travail effectif, à lui attribuer des tâches différentes de celles exécutées antérieurement (rayon poissonnerie au lieu du rayon alimentaire), une simple participation lui ayant, en outre, été demandée à tour de rôle, comme aux autres employées libre service, au nettoyage du magasin et du parking.

Solution

Cassation au visa des articles L. 425-1 du Code du travail et 1184 du Code civil.

"Attendu, cependant, qu'aucun changement de ses conditions de travail ne peut être imposé à un salarié protégé et qu'en cas de refus par celui-ci de ce changement, l'employeur doit poursuivre le contrat de travail aux conditions antérieures ou engager la procédure de licenciement en saisissant l'autorité administrative d'une demande d'autorisation de licenciement".

"Qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé les textes susvisés".

Observations

1. Le changement des conditions de travail du salarié protégé

  • Le droit de refuser le changement

Comme tout salarié, le salarié investi de fonctions représentatives ne peut se voir imposer une modification de son contrat de travail par son employeur. Si le principe de la force obligatoire du contrat est évidemment en cause ici, il n'explique pas, à lui seul, la solution. En effet, le caractère impératif du statut protecteur légal est, également, à prendre en considération. En revanche, dès lors que l'on s'attache au changement des conditions de travail du salarié protégé, ce statut protecteur légal devient décisif. Il exige qu'un tel changement ne puisse lui être imposé par l'employeur.

Aussi ne faut-il pas s'étonner que, dès 1997, la Cour de cassation ait fermement affirmé qu'"aucune modification de son contrat de travail et aucun changement de ses conditions de travail ne peuvent être imposés à un salarié protégé ; il appartient donc à l'employeur, en cas de refus du salarié, soit de le maintenir dans ses fonctions, soit d'engager une procédure de licenciement, sauf manifestation de volonté non équivoque de l'intéressé de démissionner" (Cass. soc., 30 avril 1997, n° 95-40.573, M. Grelot c/ Caisse d'épargne Aquitaine-Nord, publié N° Lexbase : A9637AA8) (1).

C'est cette solution de principe que la Chambre sociale vient reprendre en l'espèce, en rappelant aux juges du fond "qu'aucun changement de ses conditions de travail ne peut être imposé à un salarié protégé et qu'en cas de refus par celui-ci de ce changement, l'employeur doit poursuivre le contrat de travail aux conditions antérieures ou engager la procédure de licenciement en saisissant l'autorité administrative d'une demande d'autorisation de licenciement".

On l'aura donc compris, un salarié protégé ne saurait se voir imposer ni une modification de son contrat de travail, ni un changement de ses conditions de travail. Dans les deux cas, son accord est nécessaire (2). Relevons qu'en l'espèce, la salariée s'était opposée à un changement de ses conditions de travail mis en oeuvre par l'employeur, alors qu'elle bénéficiait encore, semble-t-il, de la protection légale contre le licenciement.

  • Les conséquences du refus

Ainsi que le rappelle très clairement la Cour de cassation dans l'arrêt sous examen, lorsque le salarié protégé s'oppose à un changement de ses conditions de travail, l'employeur doit poursuivre le contrat de travail aux conditions antérieures ou engager la procédure de licenciement en saisissant l'autorité administrative d'une demande d'autorisation de licenciement (3). En d'autres termes, si l'employeur ne souhaite pas renoncer à la mesure qu'il a décidée, il ne peut qu'engager la procédure spéciale de licenciement.

Il convient, à ce propos, de souligner que, pour le Conseil d'Etat, le refus d'un simple changement des conditions de travail décidé par l'employeur dans l'exercice de son pouvoir de direction peut constituer une faute justifiant le licenciement du salarié (CE, 10 mars 1997, n° 170114, M. Vincent N° Lexbase : A9062ADY) (4), sauf si ce changement interdit l'exercice normal des fonctions représentatives (CE, 29 décembre 2000, n° 207613, M. Lautier N° Lexbase : A2115AI8).

On l'aura donc compris, l'employeur n'est pas en mesure d'imposer au salarié un changement de ses conditions de travail. Outre qu'une telle attitude l'expose à une condamnation pour délit d'entrave, elle peut, également, entraîner une réaction du salarié protégé qui, confronté à l'attitude de son employeur, peut prendre l'initiative de rompre son contrat de travail. C'est d'ailleurs ce qui s'était passé dans l'espèce commentée, le salarié ayant saisi la juridiction prud'homale d'une demande en résiliation judiciaire de son contrat de travail.

2. La résiliation judiciaire à l'initiative du salarié protégé

  • Le droit pour le salarié protégé de demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail

On se souvient que, dans un important arrêt rendu le 16 mars 2005, la Cour de cassation a affirmé que "si la procédure de licenciement du salarié représentant du personnel est d'ordre public, ce salarié ne peut être privé de la possibilité de poursuivre la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur en cas de manquement, par ce dernier, à ses obligations" (Cass. soc., 16 mars 2005, n° 03-40.251, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A2739DHW ; D. 2005, p. 1613, note J. Mouly ; lire Ch. Radé, Le représentant du personnel peut demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail, Lexbase Hebdo n° 160 du 24 mars 2005 - édition sociale N° Lexbase : N2298AIX).

Au même titre qu'un salarié ordinaire, un salarié protégé peut donc, aujourd'hui, introduire en justice une demande en résiliation judiciaire de son contrat de travail. Notons qu'en l'espèce, la cour d'appel, alors même qu'elle s'était prononcée antérieurement à l'arrêt du 16 mars 2005, avait admis la demande en résiliation judiciaire formée par la salariée protégée. Si elle a finalement débouté celle-ci de sa demande, c'est uniquement en raison du fait que l'employeur n'avait nullement modifié le contrat de travail du salarié. On peut, ce faisant, considérer que les juges d'appel avaient fait une application très stricte de l'article 1184 du Code civil. En effet, il n'est guère besoin de s'étendre sur le fait que cette disposition soumet le prononcé de la résiliation judiciaire à la constatation de l'inexécution de ses obligations par le débiteur. Or, en imposant un changement de ses conditions de travail à un salarié, quand bien même il serait protégé, l'employeur ne viole pas, à proprement parler, ses engagements contractuels. Sans doute manque-t-il aux impératifs du statut protecteur dont bénéficie le salarié représentant du personnel. Mais, celui-ci est défini par la loi, non par le contrat.

Encore qu'elle ne se prononce pas expressément sur la question de la résiliation judiciaire, en censurant la décision des juges du fond au visa de l'article 1184 du Code civil, la Cour de cassation montre qu'elle n'est point sensible à une telle distinction. En d'autres termes, il semble bien que, pour la Chambre sociale, en imposant un changement de ses conditions de travail au salarié protégé, l'employeur manque à ses obligations contractuelles et autorise, par suite, le salarié à demander en justice la résiliation de son contrat de travail.

Il reste, encore, à se demander quelles seront les conséquences d'une telle résiliation judiciaire. On sait que lorsque les juges du fond prononcent la résiliation aux torts de l'employeur, celle-ci produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 20 janvier 1998, n° 95-43.350, M. Leudière c/ Société Trouillard, publié N° Lexbase : A4150AAX). Cela étant, il y a de grandes chances que la Cour de cassation aille plus loin, s'agissant de la résiliation judiciaire demandée par un salarié protégé, en décidant que, dès lors qu'elle est prononcée aux torts de l'employeur, elle doit produire les effets d'un licenciement nul pour violation du statut protecteur. Le fait qu'elle ait récemment adopté une telle solution lorsqu'un salarié protégé prend acte de la rupture de son contrat de travail milite en ce sens (Cass. soc., 5 juillet 2006, n° 04-46.009, FS-P+B N° Lexbase : A3701DQ7) (5).

  • Résiliation judiciaire à la demande du salarié et licenciement

L'arrêt rendu le 21 novembre 2006, décidément très riche, invite à se poser une dernière question. En effet, il apparaît que la salariée, qui avait saisi la juridiction prud'homale d'une demande en résiliation judiciaire le 16 novembre 2000, avait été, ensuite, licenciée par son employeur pour faute grave le 26 octobre 2002, soit pratiquement 2 ans avant que la cour d'appel ne se prononce sur la demande en résiliation judiciaire.

Cette chronologie conduit à s'interroger sur le télescopage entre résiliation judiciaire à la demande du salarié et licenciement. La Cour de cassation a, certes, décidé que, lorsqu'un salarié demande la résiliation judiciaire du contrat de travail en raison des faits qu'il reproche à son employeur, tout en continuant à travailler à son service, et que ce dernier le licencie ultérieurement pour d'autres faits survenus au cours de la poursuite du contrat de travail, le juge doit d'abord rechercher si la demande de résiliation est justifiée (Cass. soc., 22 mars 2006, n° 04-43.933, Société Axa France Iard, publié N° Lexbase : A8118DNY ; Cass. soc., 16 février 2005, n° 02-46.649, Mme Linka c/ Mme Geiger, publié N° Lexbase : A7356DGK).

Des décisions plus récentes ont, cependant, pu faire douter de la pérennité de cette jurisprudence. En effet, par trois arrêts en date du 31 octobre 2006, commentés dans ces mêmes colonnes, la Cour de cassation a affirmé que la prise d'acte par le salarié de son contrat de travail rend sans objet la demande en résiliation judiciaire introduite auparavant par ce dernier, pour la bonne et simple raison que la prise d'acte rompt immédiatement le contrat de travail (Cass. soc., 31 octobre 2006, n° 05-42.158, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0483DSP ; Cass. soc., 31 octobre 2006, n° 04-46.280, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0481DSM ; Cass. soc., 31 octobre 2006, n° 04-48.234, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0482DSN ; lire nos obs., La prise d'acte de la rupture par le salarié rend sans objet la demande de résiliation judiciaire introduite auparavant, Lexbase Hebdo n° 236 du 16 novembre 2006 - édition sociale N° Lexbase : N5061ALZ).

Or, si l'on considère que la résiliation judiciaire ne met pas un terme au contrat de travail, l'employeur, comme le salarié, devraient être à même de pouvoir mettre unilatéralement un terme à la relation de travail. Rupture qui devrait, alors, être seule examinée par le juge.

Sans doute, la Cour de cassation n'était-elle pas appelée à se prononcer sur cette question dans l'arrêt sous examen. Cela étant, on peut supputer, à la lecture de celui-ci, qu'elle n'abandonnera pas la jurisprudence précitée, sans doute par souci de protection du salarié.

Gilles Auzero
Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV


(1) Pour être tout à fait précis, il convient de souligner que la jurisprudence était en ce sens depuis un arrêt du 12 décembre 1990 (Cass. soc., 12 décembre 1990, n° 87-43.988, Société Fermière des Etablissements Tilly c/ M Héliés, publié N° Lexbase : A2088ABX). L'arrêt du 30 avril 1997 ne faisait donc que reprendre cette solution, mais en mettant en oeuvre la distinction établie par la Chambre sociale en 1996 entre modification du contrat de travail et changement des conditions de travail.
(2) Il importe, à ce propos, de rappeler que "l'acceptation par un salarié protégé d'une modification du contrat de travail ou d'un changement de ses conditions de travail ne peut résulter ni de l'absence de protestation de celui-ci, ni de la poursuite par l'intéressé de son contrat de travail" (Cass. soc., 13 janvier 1999, n° 97-41.519, M. Robert Vallar c/ Société Cophoc, société anonyme, inédit N° Lexbase : A3096AGR)
(3) Il en va a fortiori de même dans l'hypothèse d'une modification du contrat de travail.
(4) A l'opposé, le refus d'une modification de son contrat de travail par le salarié n'est pas fautif (CE, 27 juin 1997, n° 163522, M. Valadou N° Lexbase : A0308AE7). V., toutefois, dans l'hypothèse où la modification du contrat réside dans une sanction disciplinaire justifiée : CE, 6 mai 1996, n° 147250, M. Perrotey (N° Lexbase : A9040AN7).
(5) "Attendu cependant que lorsqu'un salarié titulaire d'un mandat électif ou de représentation prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit soit les effets d'un licenciement nul pour violation du statut protecteur lorsque les faits invoqués par le salarié la justifiaient, soit, dans le cas contraire, les effets d'une démission".

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