La lettre juridique n°234 du 1 novembre 2006 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] A propos des discriminations syndicales : égalité des droits ne signifie pas identité des droits

Réf. : Cass. soc., 17 octobre 2006, n° 05-40.393, M. Olivier Leleu c/ Société France Télécom, F-P+B (N° Lexbase : A9701DRQ)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 07 Octobre 2010

Il ne se passe pas une quinzaine sans que la Cour de cassation ne nous livre une dernière décision concernant l'égalité entre les salariés. C'est, cette fois-ci, en matière de non-discrimination syndicale qu'un arrêt rendu par la Chambre sociale, le 17 octobre 2006, illustre les difficultés d'application du principe contenu à l'article L. 412-2 du Code du travail (N° Lexbase : L6327ACC). L'implication syndicale d'un salarié peut, en effet, le rendre moins performant que l'un de ses camarades non syndiqué ; c'est alors sur le constat objectif de cette seule considération que le salarié syndiqué pourra valablement ne pas être promu (I). Mais si l'employeur s'avise de sous-entendre que ce sont les activités syndicales du salarié qui expliquent ses moindres performances, alors il sera sanctionné (II).
Résumé

Constitue des éléments objectifs de nature à justifier une différence de classification et de rémunération la procédure de promotions internes soumise à une procédure conventionnelle de reconnaissance des compétences par un jury indépendant.

Constitue une discrimination syndicale le fait de prendre en considération les activités syndicales d'un salarié lors d'une évaluation professionnelle.


Décision

Cass. soc., 17 octobre 2006, n° 05-40.393, M. Olivier Leleu c/ Société France Télécom, F-P+B (N° Lexbase : A9701DRQ)

Cassation partielle (cour d'appel de Grenoble, 17 novembre 2004)

Textes concernés et visés : principe à travail égal salaire égal ; C. trav., art. L. 412-2 (N° Lexbase : L6327ACC)

Mots-clés : principe "à travail égal, salaire égal" ; différence de rémunération ; justification ; procédure de promotion interne ; principe de non-discrimination syndicale ; éléments constitutifs ; prise en compte directe des activités syndicales lors des évaluations professionnelles.

Lien base :


Faits

1. M. Leleu a été engagé par la société France Télécom, le 14 mai 1998, en qualité d'opérateur technique, niveau II-I de la classification interne de l'entreprise.

S'estimant l'objet de discrimination, il a saisi la juridiction prud'homale.

Les juges du fond l'ont débouté de sa demande de rappels de salaires fondée sur une violation du principe "à travail égal, salaire égal".

2. Pour débouter le salarié de sa demande de dommages-intérêts pour discrimination syndicale, la cour d'appel constate que "son supérieur hiérarchique a mentionné lors de son entretien professionnel annuel, le 31 mars 2004 : 'M. Leleu n'est pas motivé pour la vente de par ses nombreuses activités syndicales. Sa présence irrégulière ne permet pas un management correct et une implication satisfaisante de sa part'". La cour d'appel retient qu'il s'agit d'une recherche d'explication objective des performances insuffisantes de l'intéressé et que ce dernier ne justifie pas qu'il ait été entravé dans l'exercice de ses fonctions syndicales, ni qu'il ait subi du fait de son engagement des mesures discriminatoires en matière de rémunération ou de promotion.


Solution

1. La cour d'appel, qui a constaté que les promotions internes étaient, en application d'un accord d'entreprise, soumises à une procédure de reconnaissance des compétences par un jury indépendant et que le salarié, qui n'avait pas été admis par le jury en 2000, n'avait, ensuite, plus fait acte de candidature, a caractérisé l'existence d'éléments objectifs de nature à justifier la différence de classification et de rémunération constatée pour la période antérieure à 2002.

Pour la période postérieure elle a relevé, sans inverser la charge de la preuve, que le salarié ne produisait aucun élément susceptible d'établir une inégalité de rémunération.

Rejet du premier moyen.

2. Vu l'article L. 412-2 du Code du travail, il est interdit à l'employeur de prendre en considération l'exercice d'une activité syndicale dans l'évaluation du salarié. Toute mesure contraire est abusive et donne lieu à dommages-intérêts.

Pour débouter le salarié de sa demande de dommages-intérêts, la cour d'appel, "après avoir constaté que son supérieur hiérarchique a mentionné lors de son entretien professionnel annuel le 31 mars 2004 : 'M. Leleu n'est pas motivé pour la vente de par ses nombreuses activités syndicales. Sa présence irrégulière ne permet pas un management correct et une implication satisfaisante de sa part', retient qu'il s'agit d'une recherche d'explication objective des performances insuffisantes de l'intéressé et que ce dernier ne justifie pas qu'il ait été entravé dans l'exercice de ses fonctions syndicales ni qu'il ait subi du fait de son engagement des mesures discriminatoires en matière de rémunération ou de promotion".

En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.


Commentaire

I - Nouvelle illustration d'une différence de rémunération justifiée

1. La gestion des carrières dans l'entreprise

Depuis quelques mois, la Cour de cassation a consacré une grande partie de ses efforts à préciser à quelles conditions deux salariés réalisant un même travail pouvaient valablement percevoir une rémunération différente.

La Cour de cassation a marqué son attachement à ce que les règles mises en place soient connues des salariés et soient de nature à assurer le respect du principe d'égalité (ainsi, pour un concours destiné à récompenser les meilleurs vendeurs : Cass. soc., 18 janvier 2000, n° 98-44.745, Société Renault France automobiles c/ M. Fleury et a. N° Lexbase : A4952AGI ; pour les dispositions d'un plan social : Cass. soc., 10 juillet 2001, n° 99-40.987, Mme Vieillard c/ Association Irmep l'Essor et a., publié N° Lexbase : A1731AUN).

Ces règles doivent, par ailleurs, être pertinentes, eu égard aux objectifs poursuivis. La Cour de cassation a, ainsi, admis la prise en compte de "parcours professionnels spécifiques" (Cass. soc., 3 mai 2006, n° 03-42.920, Caisse régionale d'assurance maladie d'Ile-de-France (CRAMIF) c/ Mme Catherine Lefebvre, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A2459DPR, et nos obs., L'égalité salariale n'est pas l'identité salariale, Lexbase Hebdo n° 214 du 10 mai 2006 - édition sociale N° Lexbase : N8019AK9 ; Cass. soc., 21 juin 2006, n° 05-41.774, Caisse régionale d'assurance maladie d'Ile-de-France (CRAMIF), F-D N° Lexbase : A0047DQS ; Cass. soc., 12 juillet 2006, n° 05-44.404, inédit [LXB=A4681DQG ] ; Cass. soc., 26 septembre 2006, n° 05-43.565, Caisse d'allocations familiales des Hauts-de-Seine (CAF), F-D N° Lexbase : A3607DRZ).

Cette prise en compte des "carrières" par les conventions collectives s'inscrit, d'ailleurs, parfaitement dans la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes qui a admis, dernièrement, comme suffisants les arguments tirés de l'ancienneté du salarié et de ses mérites individuels, sans qu'il soit nécessaire de devoir se justifier de manière plus fine sur la pertinence même de ses critères lorsqu'ils conduisent, pourtant, statistiquement, les hommes à percevoir des rémunérations supérieures à celles des femmes (CJCE, 3 octobre 2006, aff. C-17/05, B. F. Cadman c/ Health & Safety Executive N° Lexbase : A3687DRY ; lire notre chron., L'ancienneté et la performance individuelle comme justifications valables d'une inégalité salariale, Lexbase Hebdo n° 232 du 19 octobre 2006 - édition sociale N° Lexbase : N4111ALT).

2. Validation du système d'évaluation des salariés en l'espèce

Dans cette affaire, un salarié contestait un écart de rémunération consécutif à sa non-promotion au sein de l'entreprise. La cour d'appel lui avait opposé l'existence d'une procédure conventionnelle confiant à un jury indépendant le soin de statuer sur les mérites individuels des candidats, ainsi que le fait que le salarié, non promu une première fois, n'avait pas ultérieurement représenté sa candidature. Par ailleurs, le salarié ne rapportait pas la preuve de faits laissant supposer qu'il avait été victime d'un traitement inégalitaire en matière salariale.

Cette motivation, qui a conduit au rejet des prétentions du salarié sur ce point, a convaincu la Cour de cassation qui donne, également, tort au salarié.

Cette solution nous semble parfaitement justifiée. L'accord d'entreprise avait, en effet, mis en place une procédure de gestion des carrières présentant toutes les garanties d'objectivité et d'impartialité nécessaires, de telle sorte que les salariés se trouvaient effectivement placés dans une véritable situation d'égalité. Le jury avait, ensuite, tenu compte des mérites individuels des salariés pour en promouvoir certains, et pas d'autres, et il n'y a rien à redire à tout cela car il est sain, dans l'entreprise, comme ailleurs, que les talents soient récompensés, dès lors que ces récompenses sont justifiées et accordées dans des conditions de transparence suffisantes.

II - Nouvelle illustration d'un comportement antisyndical bien naïf

1. Le principe de non-discrimination syndicale

L'article L. 412-2 du Code du travail dispose, dans son alinéa premier, qu'"il est interdit à tout employeur de prendre en considération l'appartenance à un syndicat ou l'exercice d'une activité syndicale pour arrêter ses décisions en ce qui concerne notamment l'embauchage, la conduite et la répartition du travail, la formation professionnelle, l'avancement, la rémunération et l'octroi d'avantages sociaux, les mesures de discipline et de congédiement".

L'application de ces dispositions fait, tout d'abord, difficulté, sur le plan probatoire. Interprétant son droit national à la lumière de la Directive du Conseil, du 15 décembre 1997, relative à la charge de la preuve dans les cas de discrimination fondée sur le sexe (Directive 97/80/CE N° Lexbase : L8292AUN), la Cour de cassation a soulagé le travail probatoire de la victime et considéré "qu'il appartient au salarié syndicaliste qui se prétend lésé par une mesure discriminatoire de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une atteinte au principe d'égalité de traitement et qu'il incombe à l'employeur, s'il conteste le caractère discriminatoire du traitement réservé au syndicaliste, d'établir que la disparité de situation constatée est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à toute discrimination fondée sur l'appartenance à un syndicat" (Cass. soc., 28 mars 2000, n° 97-45.258, M Fluchère et autres c/ Société nationale des chemins de fer français (SNCF), publié N° Lexbase : A6368AGX). La liste des comportements tombant sous la qualificiation de discriminations syndicales est longue, et cet arrêt en fournit une nouvelle illustration.

2. Une discrimination risquée

Dans cette affaire, le chef de service du salarié avait eu l'imprudence de justifier une évaluation professionnelle en expliquant le manque de motivation du salarié "par ses nombreuses activités syndicales [...] sa présence irrégulière [qui ne permettait] pas un management correct et une implication satisfaisante de sa part".

On demeurera saisi, à la lecture de cet arrêt, par la naïveté de cet employeur qui avait laissé traîner dans le dossier du salarié pareille provocation. S'il est, en effet, loisible à l'employeur de penser qu'un salarié ferait mieux de passer plus de temps à travailler et moins de temps avec les autres membres de la section syndicale, il lui est totalement interdit de l'écrire, ou même simplement de le dire. Seuls comptent, en effet, la piètre qualité du travail fourni ou l'insuffisance des résultats, quelle qu'en soit la cause. Que le manque d'investissement du salarié résulte de son engagement syndical constitue, alors, une explication, mais ne doit jamais apparaître comme la justification de la mesure. Certes, d'aucun trouvera sans doute le distinguo bien artificiel, mais il faudra s'en convaincre. Dans de nombreuses hypothèses, on sait, en effet, que l'effort d'objectivation de certaines décisions "litigieuses" relève parfois d'un pur exercice rhétorique, destiné à soustraire l'employeur à l'ire du juge.

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