Réf. : Cass. com., 11 juillet 2006, n° 05-18.337, Autorité des marchés financiers, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4628DQH), Cass. com., 11 juillet 2006, n° 05-18.528, M. Denis Emonard, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A5047DQY)
Lecture: 15 min
N4457ALN
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
le 07 Octobre 2010
Une notification de griefs fût, alors, adressée par l'Autorité des marchés financiers (AMF) au dirigeant de la société C2D ainsi qu'à ses commissaires aux comptes, M. D., représentant la société CEAF, titulaire du mandat de commissaire aux comptes, et M. E., personne physique commissaire aux comptes qui avaient certifié les comptes de la société C2D pourtant inexacts.
Le 18 novembre 2004, la Commission des sanctions de l'AMF prononça une sanction pécuniaire à l'encontre du dirigeant de la société C2D ainsi qu'à l'encontre de messieurs D. et E. sur le fondement d'une violation des articles 2 et 3 du règlement COB n° 98-02 (N° Lexbase : L5552BH4), en vigueur à l'époque des faits, en énonçant que ces derniers avaient "à l'occasion de la publication et de la certification du bilan consolidé de C2D pour l'exercice 2000, trompé le public, surpris la confiance du marché et porté préjudice aux actionnaires" (6).
Les commissaires aux comptes formèrent alors un recours contre la décision de sanction devant la cour d'appel de Paris (7). Au soutien de leur recours, les commissaires aux comptes arguaient, en particulier, que la procédure de sanction devant l'AMF n'était pas applicable à leur encontre dans la mesure où les commissaires aux comptes ne sont pas des professionnels de marché visés aux a) et b) de l'article L. 621-15 II du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L6102HHH) qui détermine les personnes susceptibles d'être sanctionnées par l'AMF. M. D. contestait, en outre, la possibilité pour l'AMF de le sanctionner à titre personnel dès lors qu'il avait agi au nom de la société de commissaires aux comptes CEAF, seule titulaire du mandat.
La cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 28 juin 2005, a annulé partiellement la décision de sanction rendue par l'AMF. Les juges ont, tout d'abord, rejeté le recours de M. E. en estimant que, contrairement à ce que prétendait le requérant, les commissaires aux comptes n'échappaient pas à la compétence de l'AMF en matière de procédure de sanction. La cour d'appel a, en revanche, fait droit à l'argumentation développée par M. D. en énonçant "qu'aucune sanction pécuniaire ne pouvait être, à titre personnel, prononcée à son encontre puisque le sujet de droit de la réglementation boursière, susceptible d'être concerné, ne pouvait être que le commissaire aux comptes, titulaire du mandat, soit la société CEAF, dont il est le préposé [....]", et a annulé, en conséquence, la sanction pécuniaire prononcée à l'encontre de M. D. (8).
Deux pourvois furent formés à l'encontre de cette décision, le premier (Cass. com., 11juillet 2006, n° 05-18.528) par M. E. sur le fondement d'une argumentation identique à celle qu'il avait développée en appel (à savoir, l'absence de pouvoir de sanction de l'AMF à l'égard des commissaires aux comptes) et le second (Cass. com., 11 juillet 2006, n° 05-18.337) par l'autorité de marché qui contestait l'impossibilité de prononcer une sanction à titre personnel à l'encontre de M. D., représentant de la société de commissaires aux comptes titulaire du mandat.
Le premier arrêt commenté rejette le pourvoi formé par M. E. et confirme la compétence de la commission des sanctions de l'AMF en cas de manquement à la bonne information du public commis par un commissaire aux comptes (I). Le second, en revanche, prononce la cassation partielle de la décision de la cour d'appel de Paris qui avait écarté la responsabilité personnelle de la personne physique agissant en qualité de représentant de la société de commissaires aux comptes titulaire du mandat, en affirmant un principe de cumul de responsabilités (II).
I - La confirmation de la compétence de la commission des sanctions de l'AMF en cas de manquement à la bonne information du public commis par un commissaire aux comptes
Pour la première fois, la compétence de la Commission des sanctions de l'AMF à l'encontre des commissaires aux comptes d'un émetteur en cas de manquement à la bonne information du public est affirmée par la Cour de cassation. Dans le premier de ces deux arrêts, la Cour énonce, en effet, qu'"il résulte de la combinaison des articles L. 621-14 (N° Lexbase : L8009HBA) et L. 621-15 du Code monétaire et financier et des articles 1er et 3 du règlement n° 98-07 de la commission des opérations de bourse, alors applicable, qu'une sanction pécuniaire peut être prononcée à l'encontre de toute personne ayant portée atteinte à la bonne information du public par la communication d'une information inexacte imprécise ou trompeuse ; que dès lors, c'est à bon droit que la Cour d'appel a retenue que M. X. n'était pas fondé à prétendre qu'il ne saurait en sa qualité de commissaire aux comptes, être poursuivi sur le fondement de ces textes [...]".
Cet arrêt s'inscrit dans le fil de la décision rendue en 1999 par la cour d'appel de Paris dans l'affaire "KPMG" qui avait rejeté le recours formé par une société de commissaires aux comptes qui soutenait que la COB n'était pas compétente pour prononcer une sanction pécuniaire à son encontre au titre d'un manquement à la bonne information du public. Dans cette affaire, la cour d'appel de Paris avait en effet indiqué que la COB n'avait pas excédé ses pouvoirs en sanctionnant une société de commissaires aux comptes au titre d'un manquement à la bonne information du public (9).
Cette solution, affirmée désormais au niveau de la Cour de cassation, si elle mérite d'être approuvée, n'était peut-être pas aussi évidente qu'il y parait à première vue. En effet, dans la mesure où le commissariat aux comptes est une profession réglementée, régie par des règles professionnelles qui lui sont propres (10) et soumise à ses propres instances disciplinaires (11), il pouvait être soutenu (et c'était bien l'argument des commissaires aux comptes poursuivis) que les commissaires aux comptes échappent, à ce titre, au pouvoir de sanction de l'autorité de marché.
Une telle argumentation repose, en réalité, sur une confusion entre le pouvoir de sanction disciplinaire et le pouvoir de sanction administrative (dont relève la communication ou la diffusion d'une fausse information) réunis au sein de l'AMF depuis la fusion entre le CMF et la COB en une autorité unique. En effet, s'il est vrai que le pouvoir de sanction disciplinaire de l'AMF prévu aux paragraphes a) et b) de l'article L. 621-15 II du Code monétaire et financier ne s'exerce qu'à l'encontre des professionnels de marché et des personnes physiques placées sous leur autorité et qu'il ne saurait être question d'étendre la compétence de l'AMF en matière de sanction disciplinaire à d'autres personnes, en revanche, le champ du pouvoir de sanction administrative de l'AMF est défini rationae materiae et non rationae personae. Ainsi, aux termes de l'article L. 621-15 II c), l'AMF est compétente pour sanctionner, au titre de son pouvoir de sanction administrative, "toute personne qui [...] s'est livrée ou a tenté de se livrer à une opération d'initié ou s'est livrée à une manipulation de cours, à la diffusion d'une fausse information, ou à tout autre manquement mentionné au premier alinéa du I de l'article L. 621-14 [...]" (souligné par nos soins).
S'agissant, en particulier, du manquement constitué par la communication d'une information inexacte, imprécise ou trompeuse, cette analyse est confirmée par l'article 3 du règlement COB n° 98-07 relatif à l'obligation d'information du public, applicable à l'époque des faits et aujourd'hui abrogé, également visé par la Cour de cassation dans les arrêts commentés, qui énonce que "constitue, pour toute personne, une atteinte à la bonne information du public la communication d'une information inexacte, imprécise ou trompeuse. Constitue également une atteinte à la bonne information du public sa diffusion faite sciemment", l'article 1er du règlement indiquant que "le terme personne' désigne une personne physique ou une personne morale".
Il convient de noter, à cet égard, que le principe affirmé par la Cour de cassation dans cette décision devrait s'appliquer à l'avenir malgré l'abrogation du règlement COB n° 98-07, dans la mesure où l'article 632-1 du règlement général de l'AMF , aujourd'hui applicable en matière de manquement à la bonne information du public, vise également "toute personne".
Ainsi, l'AMF était bien compétente pour prononcer une sanction pécuniaire, sur le fondement de son pouvoir de sanction administrative, à l'encontre des commissaires aux comptes de la société C2D qui avaient certifié des comptes inexacts dès lors qu'un manquement à l'obligation de communiquer une information exacte, précise et sincère était caractérisé, peu important par ailleurs que lesdits commissaires aux comptes échappent à son pouvoir de sanction disciplinaire.
II - L'affirmation du principe de cumul de la responsabilité de la société de commissaires aux comptes titulaire du mandat et de celle du commissaire aux comptes personne physique
L'intérêt du second arrêt commenté est d'affirmer nettement, en matière de manquement à la bonne information du public, le principe du cumul de la responsabilité de la société de commissaires aux comptes titulaire du mandat et de celle du commissaire aux comptes personne physique ayant agi en son nom.
La cour d'appel de Paris avait, en effet, annulé la sanction prononcée à titre personnel à l'encontre de M. D. en indiquant que "dans le cas où un mandat de commissaire aux comptes est confié à une société exerçant cette activité, chaque acte accompli par l'un des associés, actionnaires ou dirigeants, salariés ayant la qualité de commissaire aux comptes, l'est au nom et pour le compte de la société, seule titulaire du mandat, de sorte que les griefs articulés à l'encontre du requérant auraient dû l'être à l'égard de la société CEAF, en sa qualité de commissaire aux comptes de la société C2D [...]".
La responsabilité personnelle de M. D. devait-elle être écartée au seul motif qu'il avait agi pour le compte d'une société de commissaires aux comptes ?
Telle n'a pas été la solution retenue par la Cour de cassation qui casse la décision de la cour d'appel de Paris sur ce point pour violation de la loi en énonçant, dans un attendu de principe, au visa des articles L. 621-14 et L. 621-15 du Code monétaire et financier et des articles 1 et 3 du règlement COB n° 98-07 (N° Lexbase : L1720ASI), "[...] qu'il résulte de la combinaison de ces textes qu'une sanction pécuniaire peut être prononcée à l'encontre de toute personne physique ayant portée atteinte à la bonne information du public par la communication d'une information inexacte, imprécise ou trompeuse ; qu'il importe peu à cet égard que puisse également être sanctionnée à ce titre la personne morale au nom et pour le compte de laquelle cette personne physique a agi". Ainsi, le commissaire aux comptes personne physique peut voir sa responsabilité engagée devant la Commission des sanctions de l'AMF cumulativement ou alternativement avec la responsabilité de la société de commissaires aux comptes pour le compte de laquelle il a agi.
La solution adoptée par la Chambre commerciale de la Cour de cassation n'est pas surprenante. Elle présente une véritable cohérence par rapport aux solutions jurisprudentielles existantes. En effet, le principe de cumul de responsabilité en matière de sanction administrative devant le régulateur boursier avait déjà été affirmé s'agissant des dirigeants des émetteurs (12), la Cour de cassation étant, en outre, venue préciser que "le prononcé de sanctions pécuniaires [par l'autorité de marché] à l'encontre du dirigeant d'une personne morale n'est pas subordonné à la démonstration d'une faute séparable de ses fonctions dès lors que la Commission n'est pas saisie d'une action en responsabilité civile mais décide du bien-fondé d'une accusation en matière pénale au sens des dispositions de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L7558AIR)" (13).
La logique voulait que ces principes, dégagés à propos des dirigeants des émetteurs, soient transposés à la situation du commissaire aux comptes personne physique ayant agi pour le compte de la société de commissaires aux comptes. Les textes applicables prévoyant expressément que le manquement peut être caractérisé à l'encontre de toute personne, il était naturel de faire application du principe de cumul de responsabilité. Contrairement à ce que paraît penser un auteur (14), la jurisprudence, subordonnant à la démonstration d'une faute séparable le succès de l'action en responsabilité civile exercée à l'encontre du commissaire aux comptes personne physique qui a agi au nom et pour le compte de la personne morale titulaire du mandat de commissariat aux comptes (15), ne pouvait s'appliquer, en l'espèce, puisque précisément la procédure de sanction devant l'AMF ne constitue pas une action en responsabilité civile.
Tout au contraire, la procédure de sanction administrative devant l'AMF s'apparente, par son caractère répressif, à une accusation en matière pénale au sens des dispositions de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme (16), ce qui justifie que lui soient applicables des principes similaires à ceux qui régissent la matière pénale. Or, il existe bien un principe de cumul de la responsabilité pénale des personnes morales et des personnes physiques, énoncé à l'article 121-2 du Code pénal qui dispose que "la responsabilité pénale des personnes morales n'exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits [...]". La justification du cumul en matière de sanctions administratives prononcées par l'AMF est principalement la même que celle qui existe en matière pénale : afin d'assurer une répression efficace des infractions et des manquements, il convient d'éviter que la responsabilité de la personne morale ne constitue un écran permettant de masquer les responsabilités personnelles (17).
L'on peut, toutefois, s'interroger sur la portée exacte de cette décision. La Cour de cassation a-t-elle entendu affirmer un principe général de cumul de la responsabilité de la personne morale et de celle de la personne physique ayant agi pour son compte en matière de sanction administrative prononcée par l'AMF ou, à l'inverse, la solution ne vaut-elle que pour le cas particulier de la certification des comptes par une société de commissaires aux comptes ?
En effet, dans cet arrêt, la Cour de cassation censure une seconde fois la décision de la cour d'appel sur le fondement d'une violation des articles L. 225-218 (N° Lexbase : L6089AID) et L. 822-9 (N° Lexbase : L2655DHS) du Code de commerce applicables aux commissaires aux comptes en énonçant "[...] qu'en statuant ainsi, alors que le commissaire aux comptes certifiant les comptes au nom de la société de commissaires aux comptes dont il est membre agit en qualité d'associé, d'actionnaire ou de dirigeant de cette société et non en qualité de salarié de celle-ci, peu important qu'il soit lié à la société de commissaires aux comptes par un contrat de travail, la Cour d'appel a violé le texte susvisé" (souligné par nos soins).
Faut-il en déduire a contrario, hors le cas particulier des sociétés de commissaires aux comptes, pour lesquelles l'article L. 822-9 du Code de commerce prévoit expressément que "[...] les fonctions de commissaires aux comptes sont exercées, au nom de la société, par des commissaires aux comptes personnes physiques associés, actionnaires ou dirigeants de cette société", que le salarié qui aurait agi pour le compte de la personne morale employeur ne peut voir sa responsabilité engagée dans le cadre d'une procédure de sanction administrative devant l'AMF (18) ?
Bernard-Olivier Becker
Avocat à la Cour
Bredin Prat
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:94457