Réf. : Cass. soc., 18 octobre 2006, n° 04-48.612, M. Joseph Mimoun c/ Société Axa conseil, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A9633DR9)
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le 07 Octobre 2010
Résumé
Investi par la loi du pouvoir de direction et de contrôle des salariés placés sous sa subordination juridique, l'employeur est tenu de garantir ceux-ci à raison des actes ou faits qu'ils passent ou accomplissent en exécution du contrat de travail. Il en résulte que l'employeur doit rembourser les frais engagés par un salarié poursuivi pénalement par un client pour assurer sa défense. |
Décision
Cass. soc., 18 octobre 2006, n° 04-48.612, M. Joseph Mimoun c/ Société Axa conseil, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A9633DR9) Cassation partielle sans renvoi (cour d'appel de Paris, 21ème ch., sect. A, 20 octobre 2004, n° 02/33639 N° Lexbase : A5997DET) Textes visés : C. civ., art. 1135 (N° Lexbase : L1235ABD) ; C. trav., art. L. 121-1 (N° Lexbase : L5443ACL) Mots-clés : contrat de travail ; obligation de l'employeur ; équité ; frais professionnels ; frais de défense lors d'un procès pénal. Liens base : ; |
Faits
M. Mimoun, exerçant les fonctions d'agent producteur salarié pour la compagnie d'assurances Axa, a fait l'objet d'une plainte en faux en écriture déposée par un client auquel la compagnie avait refusé la prise en charge d'un sinistre. Mis en examen, le salarié a bénéficié au final d'une décision de non-lieu. Son employeur ayant refusé de l'assister et de prendre en charge les frais exposés pour sa défense dans cette procédure pénale, il a saisi le conseil de prud'hommes qui lui a alloué une certaine somme à titre de dommages-intérêts comprenant le remboursement des frais qu'il avait engagés pour la procédure pénale. Pour débouter M. Mimoun de ses demandes, l'arrêt infirmatif attaqué a énoncé que la responsabilité pénale est une responsabilité personnelle, que la société Axa conseil s'est tenue informée du déroulement de la procédure dont elle ne pouvait aucunement avoir la maîtrise et a soutenu moralement son salarié, l'assurant, par ailleurs, de sa confiance en le maintenant dans ses fonctions. En outre, les juges d'appel ont relevé qu'il n'est justifié d'aucune obligation légale ou découlant du contrat de travail à la charge de l'employeur de fournir aide et assistance à son salarié, en cas de poursuites pénales exercées à son encontre, même pour des faits commis dans le cadre de ses fonctions et, par conséquent, d'un manquement de la société Axa conseil à ses devoirs de loyauté et de coopération associés à l'exigence de bonne foi. |
Solution
"Vu les articles 1135 du Code civil et L. 121-1 du Code du travail" "Attendu que selon le premier de ces textes, les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l'équité, l'usage ou la loi donnent à l'obligation d'après sa nature" "Qu'en statuant ainsi alors qu'investi par la loi du pouvoir de direction et de contrôle des salariés placés sous sa subordination juridique, l'employeur est tenu de garantir ceux-ci à raison des actes ou faits qu'ils passent ou accomplissent en exécution du contrat de travail et qu'il résultait de ses constatations que le salarié avait dû assurer sa défense à un contentieux pénal dont l'objet était lié à l'exercice de ses fonctions, la cour d'appel a violé les textes susvisés". |
Commentaire I - L'obligation pour l'employeur d'assurer la protection juridique de ses salariés 1. Une manifestation de l'interprétation créatrice du juge Alors même que le juge ne se reconnaît pas le pouvoir de réécrire le contrat au nom de l'équité, il n'est plus aujourd'hui à démontrer qu'il puise de plus en plus dans celle-ci le pouvoir d'adjoindre au contrat des conséquences que les parties n'avaient pas voulues ou, à tout le moins, pas envisagées (v., en ce sens, F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, Dalloz, 9e éd., 2005, § 442 ). Loin de violer la loi, le juge ne fait ainsi que se conformer aux textes et, plus précisément, à l'article 1135 du Code civil qui dispose que les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l'équité, les usages ou la loi donnent à l'obligation d'après sa nature (v., sur cet article, l'important ouvrage de Ph. Jacques, Regards sur l'article 1135 du Code civil, thèse Paris XII, 2003). Dans cette perspective, l'équité ne doit plus être comprise comme un simple rappel de l'exigence de bonne foi. Ainsi que l'indiquent, à très juste titre, les auteurs précités, "alors que la bonne foi agit en quelque sorte de l'intérieur en veillant à une exécution loyale de la part de chaque contractant, l'équité le fait de l'extérieur en se plaçant à un point de vue plus élevé, celui de la justice et en concourant à définir ce qui est dû" (F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, op. et loc. cit.). On l'aura donc compris, les juges ne sauraient se borner à relever que le contrat est silencieux sur la question qui est l'objet du litige. Usant des préceptes dictés par l'article 1135 du Code civil, ils se doivent, au moyen d'une interprétation créatrice du contrat, de combler les lacunes du contrat en prenant précisément appui sur les suites que lui attachent "l'équité, l'usage ou la loi". Pour revenir à l'espèce considérée, on admettra, avec les juges du fond, que ni la loi, ni le contrat de travail du salarié, ne mettent à la charge de l'employeur l'obligation de fournir aide et assistance à son salarié en cas de poursuites pénales exercées à son encontre pour des faits commis dans le cadre de ses fonctions. Les juges ne pouvaient, cependant, s'arrêter là et il leur appartenait, encore, de se demander, en prenant appui sur l'équité, si une telle obligation ne pouvait être mise à la charge de l'employeur. 2. Une conséquence du pouvoir de direction de l'employeur S'inspirant du sentiment de justice et prenant appui sur l'équité, la jurisprudence a su attacher à de nombreux contrats des suites diverses, que les parties n'avaient pas envisagées. Il convient, évidemment, de faire mention, ici, des obligations de sécurité et d'information dont on connaît le succès en jurisprudence. Le droit du travail n'a pas échappé à cette évolution et la "découverte" de l'obligation contractuelle de sécurité de l'employeur par la Cour de cassation, dans les fameux arrêts du 28 février 2002, en constitue la meilleure illustration (v., par exemple, Cass. soc., 28 février 2002, n° 99-21.255, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A0773AYB, Dr. soc. 2002, p. 445, obs. A. Lyon-Caen ; sur cette obligation, v. en dernier lieu, Ch. Radé, Harcèlement moral et responsabilités au sein de l'entreprise : l'obscur éclaircissement, Dr. soc. 2006, p. 826 (1)). L'arrêt du 18 octobre 2006 marque l'avènement d'une nouvelle obligation à la charge de l'employeur : celle d'assurer la protection juridique de ses salariés lorsqu'ils sont poursuivis au pénal pour des faits commis dans l'exercice de leurs fonctions (2). Expressément fondée sur l'article 1135 du Code civil, cette obligation est exprimée par la Cour de cassation dans les termes suivants : "investi par la loi du pouvoir de direction et de contrôle des salariés placés sous sa subordination juridique, l'employeur est tenu de garantir ceux-ci à raison des actes ou faits qu'ils passent ou accomplissent en exécution du contrat de travail". La Chambre sociale signifie, ainsi, que la garantie à laquelle est tenu l'employeur est, au fond, la contrepartie du pouvoir de direction et de contrôle que l'employeur exerce sur ses salariés en vertu du lien de subordination juridique. C'est donc bien l'équité ou, pour le dire autrement, le sentiment de justice, qui motive la solution retenue. Tenus d'exécuter les directives l'employeur et soumis à son pouvoir de contrôle, les salariés sont en droit d'obtenir la prise en charge, par celui-ci, des frais générés par la défense à un contentieux pénal dont l'objet est lié à l'exercice de leurs fonctions. On peut, également, avancer que c'est parce que le salarié agit pour le compte et dans l'intérêt de l'employeur, qu'il est équitable que ce dernier vienne garantir les actes qu'il passe ou accomplit en exécution du contrat de travail. Cette considération permet, ici, d'expliquer que l'employeur soit tenu de rembourser les frais engagés par le salarié pour sa défense à un contentieux pénal dont l'objet est lié à l'exercice de ses fonctions. Relevons qu'elle est, également, de nature à justifier que les salariés bénéficient d'une certaine immunité civile, ainsi que le juge avec constance la Cour de cassation depuis le fameux arrêt "Costedoat" (Ass. plén, 25 février 2000, n ° 97-17.378, M. Costedoat c/ M. Girard et autres N° Lexbase : A8154AG4, D. 2000, p. 673, note Ph. Brun, RTD civ. 2000, p. 582, note P. Jourdain). II - Les limites de l'obligation mise à la charge de l'employeur 1. Les faits et actes couverts par la garantie de l'employeur Ainsi que l'affirme la Cour de cassation dans l'arrêt commenté, l'employeur est tenu de garantir ses salariés à raison des actes ou faits qu'ils passent ou accomplissent en exécution du contrat de travail. Elle en déduit que l'employeur doit rembourser au salarié les frais qu'il a engagés pour assurer sa défense à un contentieux pénal dont l'objet est lié à l'exercice de ses fonctions. Si cette solution doit être approuvée dans son principe et quant à sa mise en oeuvre dans le litige considéré, on doit encore s'interroger sur sa portée. Il va, tout d'abord, de soi que cette garantie est due lorsque l'acte ou le fait du salarié relève de l'accomplissement même de ses fonctions. En revanche, et de manière tout aussi évidente, le salarié ne saurait prétendre à aucune garantie de son employeur pour les actes ou faits qui n'ont aucun rapport avec à ses fonctions. Bien plus, on peut penser qu'il en ira, également, ainsi, dans toutes les hypothèses où le salarié n'a pas agi en vue de remplir ses fonctions, alors même que son acte ne leur est pas totalement étranger. En d'autres termes, et pour reprendre une notion bien connue de la responsabilité civile, les cas d'abus de fonctions excluent toute garantie de l'employeur (sur cette notion, complexe dans sa mise en oeuvre, v. par ex., J. Flour, J.-L. Aubert, E. Savaux, Droit civil, Les obligations, 2. Le fait juridique, A. Colin, 11e éd., 2005, §§ 216 et s.). Parce que le salarié n'agit plus dans ces hypothèses pour le compte et dans l'intérêt de son employeur, il ne saurait être admis que, sous couvert de l'équité, on mette à la charge de l'employeur la garantie de ses actes ou faits. La conclusion est la même si l'on retient, dans le droit fil de l'arrêt commenté, que le salarié qui commet un abus de fonctions, échappe par définition au pouvoir de direction et de contrôle de son employeur. Au-delà de ces hypothèses, on peut encore se demander si l'obligation pour l'employeur d'assurer la protection juridique de ses salariés subsiste lorsque, dans l'accomplissement même de leurs fonctions, les salariés commettent une faute d'une gravité exceptionnelle. Notons que la Cour de cassation n'invite, dans l'arrêt du 18 octobre 2006, à aucune distinction de cette sorte, celle-ci se bornant à limiter la garantie de l'employeur aux actes ou faits accomplis par les salariés dans le cadre de leurs fonctions. Ne peut-on, néanmoins, considérer qu'il serait inéquitable de faire peser sur l'employeur l'obligation précitée lorsque le préposé se rend coupable, dans le cadre de ses fonctions, d'une infraction intentionnelle (3) ? Et de façon plus générale, ne faut-il pas avancer que la garantie de l'employeur doit être exclue chaque fois que le salarié se rend coupable d'une faute intentionnelle, que celle-ci donne lieu à des poursuites pénales ou civiles (4). On nous rétorquera qu'était en cause, en l'espèce, l'infraction de faux dont on sait qu'elle est intentionnelle, ce qui n'a nullement empêché la Cour de cassation d'obliger l'employeur à garantir les frais de défense du salarié poursuivi. Il convient, cependant, de relever que le juge d'instruction avait, en l'espèce, rendu une ordonnance de non-lieu. La question de savoir si la garantie mise à la charge de l'employeur doit s'appliquer lorsque le salarié se rend coupable d'une faute intentionnelle reste donc posée. 2. Les frais mis à la charge de l'employeur Il se déduit de l'arrêt considéré que l'employeur doit rembourser au salarié les frais que celui-ci a engagés pour assurer sa défense lors d'un contentieux pénal dont l'objet est lié à l'exercice de ses fonctions (5). Bien que la Cour de cassation ne se prononce pas sur cette question, on peut légitimement considérer que la solution retenue devrait, également, valoir dans les mêmes conditions, pour les frais de défense engagés par un salarié lors d'un procès civil. De ce point de vue, l'arrêt commenté peut être rapproché d'une précédente décision en date du 10 novembre 2004, dans laquelle la Cour de cassation a décidé, également au visa de l'article 1135 du Code civil, que l'employeur doit rembourser au salarié les frais professionnels sans qu'ils puissent être imputés sur sa rémunération (6). Partant, peut-on considérer que les frais de défense du salarié poursuivi pénalement pour des faits relatifs à l'exercice de ses fonctions doivent être qualifiés de frais professionnels ? Ainsi que l'a rappelé la Cour de cassation dans l'arrêt précité, relèvent de cette qualification les frais qu'un salarié justifie avoir exposés pour les besoins de son activité professionnelle et dans l'intérêt de l'employeur. Encore que la déduction ne soit pas dénuée de tout caractère audacieux, on peut avancer que les frais de défense du salarié sont bien des frais professionnels (7). On relèvera, à ce propos, que dans un arrêt rendu le même jour que celui présentement commenté, la Cour de cassation a approuvé une cour d'appel qui, après avoir constaté qu'un salarié avait à sa disposition un téléphone portable pour les besoins de son travail dont l'abonnement était payé par l'employeur, a décidé qu'il appartenait à ce dernier de prendre en charge les frais afférents au délai de résiliation prévus par l'opérateur (Cass. soc., 18 octobre 2006, n° 03-48.370, FS-P+B N° Lexbase : A9583DRD). Conforme à une conception moderne et modérée de l'équité, l'arrêt sous examen doit être approuvé. Il n'en demeure pas moins que, ainsi que nous l'avons vu, il laisse en suspens un certain nombre de questions que la Cour de cassation sera, sans aucun doute, amenée à trancher si l'on considère qu'en retenant cette solution, et non sans quelque exagération, celle-ci a peut-être ouvert la boîte de Pandore...
Gilles Auzero
(1) Bien que les arrêts de 2002 ne comportent pas de référence textuelle précise, il nous semble que l'article 1135 du Code civil n'est pas étranger à l'avènement de cette obligation. |
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