Réf. : CE 2° et 7° s-s-r., 9 août 2006, n° 284577, Société Hairis SAS (N° Lexbase : A8767DQR)
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N2860ALI
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par Chrystel Farnoux, conseiller juridique à la Chambre de Commerce et d'Industrie de l'Essonne
le 07 Octobre 2010
Plusieurs problématiques juridiques sont soulevées par le Conseil d'Etat, à savoir :
- l'obligation posée par l'article 77 du Code des marchés publics 2004 (N° Lexbase : L6448DYH) (article 83 du nouveau code (N° Lexbase : L2743HPB) concernant la communication des motifs de rejet ;
- le caractère obligatoire de la pondération des critères de jugement des offres ;
- le respect, par la personne publique, des règles que cette dernière a inscrites dans l'avis d'appel public à la concurrence ou dans toute autre pièce du dossier de consultation.
Il est précisé que les règles posées par le Conseil d'Etat ici analysées sont pleinement applicables sous l'égide de la nouvelle réglementation issue du décret du 1er août 2006 portant Code des marchés publics (n° 2006-975 N° Lexbase : L4612HKZ). Seules certaines modifications de détail ou précisions ont été apportées par le nouveau code, modifications sur lesquelles, nous nous arrêterons au fur et à mesure de cette étude.
I. La communication des motifs de rejet
L'article 77 du Code des marchés publics 2004 (article 83 du nouveau code) prescrit à la personne publique l'obligation de communiquer à toute entreprise en faisant la demande, les motifs de rejet de sa candidature ou de son offre. Ces mêmes dispositions précisent qu'alors même que l'entreprise demanderesse n'en ferait pas expressément la demande, il convient, sauf à ce que son offre ait été jugée non conforme (désormais inappropriée, irrégulière ou inacceptable), de lui communiquer :
- les caractéristiques et les avantages relatifs à l'offre retenue ;
- le nom de l'attributaire ;
- le montant du marché.
Arrêtons-nous quelques instants sur les modifications apportées par les nouvelles dispositions issues du décret du 1er août 2006. Ces modifications sont relatives au terme d'"offres non conformes" aujourd'hui remplacé par celui "d'offres inappropriées, irrégulières ou inacceptables". La recherche de ces différents termes dans le dictionnaire et, notamment, celle de synonymes, nous permet de considérer que plus qu'une modification, le nouveau code est venu apporter une précision au terme de non-conformité jusqu'alors utilisé. Cette précision, nous paraît importante dans la mesure où le terme de "non-conformité" était relativement vague et donnait lieu, de ce fait, à des interprétations souvent divergentes.
En tout état de cause, les dispositions précitées relatives à la communication des motifs de rejet, ont pour objectif, comme le rappelle la Haute juridiction, de permettre à l'intéressé de contester le rejet, notamment par la voie du référé précontractuel. Ainsi, la non-communication, par la personne publique, de ces motifs constitue pleinement une atteinte aux obligations de mise en concurrence auxquelles cette dernière est astreinte. Contrairement à la décision prise par le juge des référés, le non-respect de l'article 77 (83 du nouveau code) entre pleinement dans le cadre des manquements dont peut se prévaloir l'entreprise évincée pour demander, au titre de l'article L. 551-1 précité, l'annulation de la procédure. Le Conseil d'Etat conclue donc que le juge des référés a commis une erreur de droit en rejetant la demande de la société requérante, sur ce seul motif.
II. La pondération des critères, une obligation pour la personne publique
Après avoir rappelé le principe selon lequel le marché est attribué à l'offre économiquement la plus avantageuse dans son article 53-I (N° Lexbase : L8486G7G), le Code des marchés publics 2004 posait le principe de la pondération ou à défaut, de la hiérarchisation des critères de jugement des offres. Ces dispositions ont connu une application difficile, un grand nombre d'acheteurs publics ayant considéré avoir le choix entre ces deux systèmes (pondération ou hiérarchisation). Ainsi, la jurisprudence est venue, à plusieurs reprises, rappeler que la personne publique ne pouvait échapper à la pondération des critères que si elle était en mesure de justifier de l'impossibilité de la mettre en oeuvre. Ce n'est donc que dans cette stricte hypothèse, que la personne publique pouvait se contenter de hiérarchiser les critères de jugement. La pondération était donc le principe, la hiérarchisation, l'exception.
Cette règle a été rappelée à maintes reprises par la Haute juridiction. Il conviendra, notamment, de se reporter aux arrêts suivants : Conseil d'Etat n° 288441 du 5 avril 2006, Ministre de la Défense (N° Lexbase : A9563DNI) ; Conseil d'Etat n° 276867 du 7 octobre 2005, Société Communauté urbaine Marseille-Provence-Métropole (N° Lexbase : A6992DK8) ; Conseil d'Etat n° 267992 du 29 juin 2005, Commune de la Seyne-sur-Mer (N° Lexbase : A8669DIW) ; sur ces arrêts, lire M-H. Sanson, Le Conseil d'Etat rend obligatoire la pondération des critères de jugement des offres, Revue Lexbase de Droit Public n° 2, du 16 novembre 2005 (N° Lexbase : N0817AKH).
Mais qu'en est-il au regard des dispositions du code 2006 ? Celui-ci précise, dans son article 53-II (N° Lexbase : L2713HP8), alinéa 4, "les critères ainsi que leur pondération ou leur hiérarchisation sont indiqués dans l'avis d'appel public à la concurrence ou dans les documents de la consultation". Nous pouvons constater la disparition de la mention "à défaut". A première lecture, nous pourrions donc penser que le choix est désormais totalement libre pour la personne publique. En effet, le terme "à défaut" donnait la priorité d'un système (celui de la pondération) sur un autre (celui de la hiérarchisation). Aujourd'hui, à la seule lecture de l'article 53-II précité, les deux méthodes semblent être mises sur un pied d'égalité.
Cependant, était-ce bien la volonté des rédacteurs du code 2006 que de revenir sur la nature des obligations précédentes, dont la rédaction avait, comme nous l'avons vu, nécessité l'intervention des juridictions administratives aux fins d'éclaircissement ?
La réponse à cette question est négative. Elle nous est apportée, par la circulaire du 3 août 2006, prise pour l'application du nouveau code et plus précisément par son chapitre 12 (circulaire portant manuel d'application du Code des marchés publics N° Lexbase : L4613HK3). En effet, les rédacteurs de ladite circulaire, après avoir rappelé que les critères de choix étaient librement pondérés (sans aucune allusion à la hiérarchisation éventuelle desdits critères), confirme, quelques lignes plus loin, le principe posé antérieurement par le code 2004 et précisé, comme rappelé ci-dessus, par la jurisprudence : l'obligation de pondération des critères de jugement des offres ou en cas d'impossibilité, la hiérarchisation, de ces derniers. Celle-ci indique, en effet : "c'est seulement lorsque le pouvoir adjudicateur estime pouvoir démontrer que la pondération n'est pas possible, notamment du fait de la complexité du marché, qu'il indique les critères par ordre décroissant d'importance".
Enfin, pour terminer sur la règle de la pondération, nous pouvons constater que la circulaire du 3 août 2006 précitée, vient justifier l'obligation posée par la réglementation en rappelant l'intérêt d'un tel système. En effet, celle-ci précise que "contrairement à la hiérarchisation où les différents critères sont analysés indépendamment les uns des autres, la pondération permet une meilleure prise en compte de l'ensemble des critères choisis, mis en balance les uns par rapport aux autres". L'analyse des offres est donc affinée. Ainsi, la pondération au-delà de son caractère obligatoire, permet d'optimiser la procédure d'achat mise en oeuvre.
Le principe à retenir est donc, encore aujourd'hui, celui-ci : sauf à pouvoir justifier de l'impossibilité de pondérer les critères de jugement des offres (le cas échéant, dans l'avis d'appel public à la concurrence ou dans les documents de la consultation), la personne publique est dans l'obligation de pondérer, dans les documents précités, lesdits critères. Cependant, si cette dernière peut justifier ne pas y avoir recours, elle devra, a minima, les hiérarchiser.
III. L'impossibilité, pour la personne publique, de déroger à ses propres règles
La Haute juridiction, rappelle que si la pondération n'est pas indiquée (ce qui ne devrait, encore une fois, être le cas que si cela peut être justifié), la personne publique ne pourra, bien entendu, en faire usage lors de l'analyse des offres. En effet, dans notre cas d'espèce, alors même que la pondération n'avait pas été affichée, la commune de Boulogne-sur-Mer avait procédé à une telle pondération lors de l'analyse. Précisons d'ailleurs qu'il paraît difficilement soutenable d'arguer de l'impossibilité de pondérer les critères et donc d'afficher la pondération dans l'avis d'appel public à la concurrence (ou dans les documents de consultation) et, parallèlement, d'utiliser un tel système, lors de l'analyse.
Plus généralement, nous profitons du principe ainsi posé par le Conseil d'Etat pour rappeler que la personne publique est tenue de respecter les règles (ou l'absence de règles) qu'elle a elle-même inscrites dans les éléments portés à la connaissance des entreprises. Ainsi, elle ne pourra, sans méconnaître ses obligations, changer les règles du jeu en cours de procédure.
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