La lettre juridique n°229 du 28 septembre 2006 : Social général

[Textes] Repos hebdomadaire le dimanche : et si ses jours étaient comptés ?

Réf. : Proposition de loi du 6 juillet 2006, visant à autoriser le repos hebdomadaire par roulement pour les établissements de commerce de détail

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N3206ALC

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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

Interrogés sur le point de savoir si un centre commercial pouvait ouvrir ses portes le dimanche, les juges du second degré sont, récemment, venus donner une réponse si peu ordinaire qu'elle ne pouvait que susciter la réaction du législateur (CA Versailles, 14ème ch., 14 juin 2006, n° 05/06501, Fédération nationale des détaillants en Chaussures en France et autres c/ Syndicats Fédération des syndicats CFDT Commerces, Services et Force de vente N° Lexbase : A9560DPR). Au lieu de simplement appliquer la loi et d'imposer la fermeture des magasins le jour du repos dominical, les juges du second degré étaient venus affirmer qu'il ne leur appartenait pas de légiférer en adaptant leur jurisprudence à l'évolution inexorable qui serait apparue en matière commerciale en ce qui concerne le repos dominical et partant condamner les contrevenants. Il fallait donc comprendre que bien qu'ils trouvent cette interdiction complètement obsolète, ils ne pouvaient rien faire, à bon entendeur... Il faut dire que le texte en question ne leur laissait aucune marge de manoeuvre. Comment adapter les dispositions de l'article L. 221-5 du Code du travail (N° Lexbase : L5878ACP) qui dispose que le repos hebdomadaire doit être donné le dimanche ? S'il existe des dérogations à ce principe, celles-ci restent d'acception limitative ce qui empêche les magasins ne remplissant pas les conditions posées par le législateur de donner à leurs salariés leur jour de repos un autre jour que le dimanche. Les juges ne pouvaient donc qu'initier la réforme en piquant le législateur. L'appel a été entendu puisque le législateur a décidé de venir modifier la loi en élargissant la possibilité pour les magasins de commerce de détail de donner le repos hebdomadaire un autre jour que le dimanche, en fonction de leur taille. Plus le commerce est petit, plus il pourra ouvrir en théorie. La proposition de loi, puisqu'il ne s'agit pour l'instant que d'une proposition, n'a toutefois pas l'ampleur qui aurait pu/dû être la sienne. On regrettera, en effet, le manque de souplesse du législateur et plus gravement les lacunes de cette proposition qui la rendent inégalitaire.

I. Objet de la proposition

Le principe ne change pas, il reste et demeure celui du repos dominical. La proposition ne fait qu'ajouter de nouvelles dérogations à celles déjà applicables aux commerces de détails. Trois dérogations existent, en effet, déjà dans ce domaine.

La première est celle liée aux zones touristiques d'affluence exceptionnelle ou d'animation culturelle permanente (C. trav., art. L. 221-8-1N° Lexbase : L5881ACS). La seconde concerne les prestations qui doivent pouvoir être accessibles le dimanche, comme les matières périssables, la culture, les services publics (C. trav., art. L. 221-9 N° Lexbase : L5884ACW). La troisième enfin, permet au maire ou au préfet d'autoriser l'ouverture des magasins le dimanche au maximum cinq dimanches par an (C. trav., art. L. 221-19 N° Lexbase : L5894ACB).

L'objet de cette proposition de loi est d'élargir l'ouverture le dimanche en procédant à une distinction nouvelle entre les commerces de détails selon leur taille.

A. Les plus petits

La première dérogation concerne exclusivement les commerces de détail dont la surface de vente est inférieure à 1 000 m2 ou 300 m2 lorsque l'activité est à prédominance alimentaire.

La proposition vient ajouter au Code du travail un nouvel article L. 221-10-1. Ce texte subordonne, pour ces petits commerces, l'ouverture dominicale à deux conditions.

En premier lieu, le maire doit prendre un arrêté autorisant l'ouverture le dimanche pour des raisons économiques ou de service public, pris après avis des organisations d'employeurs et de salariés intéressés, qui autorise les magasins de détails à donner le repos hebdomadaire par roulement sur la semaine.

Le texte impose, en second lieu, qu'il existe une convention ou un accord collectif étendu ou un accord d'entreprise qui prévoit le travail continu et précise ses compensations. La proposition laisse, en effet, aux partenaires sociaux le soin de décider du repos compensateur et de la majoration de salaire dont devront bénéficier les salariés. Le législateur se contente de mettre un plancher en matière salariale, le salarié qui travaillera le dimanche ne pourra se voir allouer moins d'un trentième de salaire s'il est payé au mois ou moins de la valeur d'une journée s'il est payé à la journée.

Il faut donc comprendre que s'il n'y a pas d'accord, il n'y aura pas de dérogation. Il convient, en outre, de souligner la latitude laissée aux partenaires sociaux, non seulement dans la décision prise de recourir au travail continu, mais encore s'agissant de sa compensation. Des disparités risquent d'exister entre les commerces autorisés à ouvrir...

Ne vaudrait-il pas mieux, que le législateur, au lieu de poser un minimum de compensation pécuniaire, s'exprime plus clairement et impose à tous les employeurs la même compensation ?

B. Les moyens

Ceux-ci font l'objet d'un nouvel article L. 221-19, alinéa 1er, du Code du travail. Par ce texte, les établissements de commerce de détail et les magasins collectifs de commerçants indépendants dont la surface de vente est supérieure à 1 000 m2 ou 300 m2 lorsque l'activité est à prédominance alimentaire et inférieure à 5 000 m2, se voient autorisés à ouvrir 10 dimanches par an au lieu des 5 traditionnels (C. trav., art. L. 221-19).

L'alinéa prévoit, en effet, pour ces surfaces moyennes, la possibilité pour le maire, par arrêté après avis des organisations d'employeurs et de travailleurs intéressés, de désigner, dans la limite de 10 par an, certains dimanches d'ouverture.

C. Les plus gros

Un nouvel article L. 221-19-1 du Code du travail leur serait entièrement consacré. Ce texte permettrait aux établissements de détails et magasins collectifs de commerçants indépendants dont la surface de vente est supérieure à 5 000 m2, d'ouvrir cinq dimanches par an.

Cette ouverture serait, toutefois, subordonnée à un arrêté du préfet après avis du conseil municipal de la chambre de commerce et d'industrie, de la chambre des métiers et de l'artisanat et des organisations d'employeurs et de salariés intéressés. Pour eux donc, peu de changement, puisque sur le principe, l'ouverture 5 dimanches par an est déjà rendue possible par l'article L. 221-19 du Code du travail. Seul l'ordonnateur de cette ouverture change. Ce n'est, en effet, plus le maire mais le préfet qui rend l'arrêté.

La proposition précise encore que les salariés "candidats" au travail le dimanche bénéficieront de compensations qui seront prévues par l'arrêté préfectoral. Comme pour les petits commerces, le législateur impose une compensation pécuniaire minimale. Les salariés travaillant le dimanche ne pourront se voir payer moins du double de leur rémunération habituelle (un trentième de mois pour les salariés payés au mois, ou la valeur d'une journée de travail pour les salariés payés à la journée).

Ici, contrairement aux commerces de détails des petits et moyens commerces, le législateur vient partiellement régir le repos hebdomadaire ; la proposition prévoit en effet que le repos compensateur ne peut intervenir plus de 15 jours avant ou après que le salarié ait travaillé le dimanche.

Il est encore précisé que, lorsque le repos du dimanche est supprimé la veille d'une fête légale, le repos doit avoir lieu le jour de cette fête.

Malgré la pertinence de leur objet, toutes ces nouvelles dispositions ne sont à notre sens pas satisfaisantes pour plusieurs raisons.

II. Une proposition lacunaire

Plusieurs défaillances sont ici à souligner.

Pour justifier le choix, fondé sur la taille des commerces, la proposition vient, dans ses motifs, souligner que son adoption ne ferait qu'aligner la France sur le modèle européen. Si l'on en croit la proposition, l'expérience de nos voisins, semble suffisante à expliquer et justifier la distinction proposée. Une question se pose alors : peut-on importer telles quelles des règles venues de pays où l'accent n'est pas forcément mis sur les mêmes valeurs ? Cette distinction selon la taille tient-elle compte des réalités du commerce de détail sur notre territoire? Plus loin, la distinction a-t-elle un intérêt en France ?

Certes, elle permet aux commerçants des centres villes ou des villages d'ouvrir si cela leur parait opportun financièrement, sans risquer de voir leur clientèle partir vers les centres commerciaux. Mais quid des indépendants, des "traditionnels" comme les qualifie la proposition, qui, pour des raisons financières, se sont placés dans une zone commerciale ? Ils n'auront pas le droit d'ouvrir le dimanche...que faut-il en penser ? Si effectivement cette hypothèse reste négligeable, le fait qu'elle existe montre la première limite de cette proposition de loi. Il semble à notre sens difficile de fonder une distinction exclusivement sur la superficie. L'artisanat s'étend de plus en plus aux centres commerciaux parce que c'est là que se trouve le marché. N'y a-t-il pas alors une rupture d'égalité entre ceux que le législateur entend pourtant protèger ?

Que dire, en deuxième lieu, de ce maire tout puissant, sur qui pèse désormais l'entière responsabilité de l'ouverture dominicale des magasins de sa ville ou de son village ? Plus particulièrement que va-t-il advenir des maires qui refuseront, soit parce qu'ils ne jugent pas l'ouverture économiquement justifiée, soit parce que les partenaires sociaux les auront dissuadés, ou soit tout simplement pour des raisons de croyances religieuses, aux commerçants de travailler de dimanche ?

Leur décision est sans appel. Aucun contre pouvoir n'est, en effet, prévu. Les commerçants qui ne pourront pas ouvrir le dimanche parce que l'élu en aura décidé ainsi ne pourront donc en déférer à personne. L'ouverture, pour les petites et moyennes structures, dépend de l'existence d'un arrêté municipal pris après avis des organisations employeurs et salariés intéressés. Le maire aura donc seul le dernier mot. Si le maire ne veut pas, les commerçants ne travailleront pas, et ce même si dans la ville à coté, ils y seront autorisés.

Dans la mesure où, il n'existe aucune règle ni aucun critère pertinent et objectif permettant de déterminer si l'ouverture est ou non opportune, mais qu'elle dépend d'une appréciation de l'opportunité économique d'une telle ouverture, il serait peut-être nécessaire qu'une autorité supérieure vienne réduire le risque d'inégalités. Ne devrait-on pas faire du préfet un arbitre à ces situations délicates ?

En troisième lieu, les droits des salariés sont loin d'être préservés. Ils sont, d'une part, expressément différents selon la taille de l'entreprise. La source de ces droits n'est, en outre, pas la même. Pour les petites surfaces, ce sont les partenaires sociaux qui organisent le repos et décident d'augmenter ou de ne pas augmenter la compensation financière minimale. Pour les plus grosses, c'est l'arrêté (qui peut encore être municipal ou préfectoral) qui autorise l'ouverture du dimanche et organise sa compensation.

Il nous semble, d'autre part, que le premier droit du salarié devrait être celui de pouvoir choisir si, oui ou non, il souhaite travailler le dimanche. Cette faculté de choix qui apparaît dans les motifs de la proposition, a été oubliée en chemin. Elle n'est à aucun moment reprise par le législateur. Pourquoi ce dernier ne pose-t-il pas le principe du libre choix par le salarié du jour de son repos ? Ce principe pourrait, d'ailleurs, être un critère d'ouverture des magasins le dimanche.

Tous les salariés ne sont, en effet, pas prêts à abandonner leur repos du dimanche, même contre une compensation financière. Le repos est peut-être attractif mais pour un père ou une mère de famille, quel intérêt de ne pas travailler le lundi alors que ses enfants sont à l'école et son compagnon est au travail ?

Cette proposition n'est, enfin, qu'une avancée minuscule par rapport à ce que sous entendaient les juges du fonds dans la décision "initiatrice" (CA Versailles, 14ème ch., 14 juin 2006, n° 05/06501, Fédération nationale des détaillants en Chaussures en France et autres c/ Syndicats Fédération des syndicats CFDT Commerces, Services, et force de vente). Dans l'arrêt en question, les contrevenants étaient les commerçants d'un centre commercial, or ce n'est pas à eux que la proposition de loi s'adresse, loin s'en faut. Ce sont donc d'eux que vient la réforme, mais ils n'en profiteront pas...quel paradoxe !

Tout ceci prouve que contrairement à ce que pouvait sous-entendre cette proposition, la France n'est pas prête à céder son repos dominical. Mais pourquoi ce blocage du législateur ? Une loi de 1906, dit le rapport, prise principalement en considération de motifs religieux. Le repos dominical est-il commun à toutes les religions ? Il ne nous le semble pas. Nombre de salariés, mais également de chefs d'entreprises, pourraient, pour des considérations religieuses, souhaiter prendre leur repos un autre jour de la semaine.

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