Réf. : Cass. soc., 10 mai 2006, n° 05-43.110, Mme Pierrette Le Saux-Le Martelot c/ Société LVT, FS-P+B (N° Lexbase : A3666DPH)
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le 07 Octobre 2010
Solution inédite
L'éviction et le remplacement d'une salariée protégée s'analyse en un licenciement lorsque l'inspecteur du travail refuse d'accorder l'autorisation de licencier. |
Décision
Cass. soc., 10 mai 2006, n° 05-43.110, Mme Pierrette Le Saux-Le Martelot c/ Société LVT, FS-P+B (N° Lexbase : A3666DPH) Cassation sans renvoi (CA Angers, audience solennelle, 15 avril 2005) Textes visés : loi des 16 et 24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III ; principe de la séparation des pouvoirs. Mots-clefs : salarié protégé ; refus d'autorisation de licenciement ; mise à pied conservatoire ; évincement du salarié ; principe de séparation des pouvoirs. Liens bases : ; ; . |
Faits
Une salariée de la société LVT, conseillère prud'homme, est successivement mise en congé, remplacée puis mise à pied le 30 novembre 1998 par son employeur. Celui-ci effectue une demande d'autorisation de licenciement auprès de l'administration du travail, laquelle lui est refusée le 8 février 1999. L'employeur refuse la réintégration de la salariée le 10 février 1999, avant de se raviser le 11 février. La salariée saisit le juge prud'homal afin de voir reconnaître la rupture du contrat de travail à la date du 12 octobre 1998. S'ensuit une procédure complexe puisque, statuant sur le pourvoi contre un arrêt du 17 avril 2001 de la cour d'appel de Rennes, la Chambre sociale de la Cour de cassation intervient, une première fois, le 7 juillet 2004 (Cass. soc., 7 juillet 2004, n° 01-43.588, F-D N° Lexbase : A0173DDR) en sanctionnant la juridiction du fond, estimant que le recours contre une décision de l'inspecteur du travail n'ayant pas un caractère suspensif, il n'était pas nécessaire pour la cour d'appel de surseoir à statuer dans l'attente d'une telle décision. La cour d'appel d'Angers, saisie comme juridiction de renvoi, refuse la qualification de licenciement à l'éviction de la salariée par son remplacement par une autre salariée, refus porté à l'appréciation de la Cour de cassation. |
Solution
"Qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de la décision de refus d'autorisation de l'inspecteur du travail, qui s'impose au juge judiciaire, que la salariée avait été évincée de l'entreprise le 12 octobre 1998 et que, dès lors, cette éviction s'analysait en un licenciement prononcé en violation de son statut protecteur, la cour d'appel a méconnu le principe et les textes susvisés". |
Commentaire
1. Les conséquences du refus d'autorisation de licencier de l'inspecteur du travail
Comme pour l'ensemble de la catégorie des salariés dits "protégés", les conseillers prud'hommes bénéficient d'un statut particulier en ce qui concerne leur licenciement. Ainsi, l'article L. 514-2 du Code du travail (N° Lexbase : L9624GQI), renvoyant à l'article L. 412-8 du même code (N° Lexbase : L0040HDT), prévoit que le licenciement du salarié élu est soumis à l'autorisation de l'inspecteur du travail. Le licenciement prononcé en l'absence d'autorisation ou à l'encontre d'un refus prononcé par l'administration du travail a des conséquences tout à fait traditionnelles : le licenciement est nul et permet d'obtenir, depuis l'arrêt "Revêt sol" (Cass. soc., 14 juin 1972, n° 71-12.508, A. Comptoir des revêtements Revet Sol cdr c/ Dal Poz, publié N° Lexbase : A4360CHX), la réintégration du salarié, à laquelle s'adjoint un certain nombre de conséquences pécuniaires de moins en moins négligeables (Cass. soc., 27 octobre 2004, n° 01-45.902, F-P+B N° Lexbase : A6643DDE, lire les obs. de S. Martin-Cuenot, Quelles sanctions contre l'employeur ayant licencié un salarié protégé sans autorisation administrative ?, Lexbase Hebdo n° 142 du 11 novembre 2004 - édition sociale N° Lexbase : N3475ABC). Le juge judiciaire ne peut, en aucun cas, s'opposer à la décision de l'administration du travail sans violer le principe de la séparation des pouvoirs induit par les textes révolutionnaires que sont la loi des 16 et 24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III. Comme cela avait, d'ailleurs, déjà été précisé lors du premier pourvoi, le recours de l'employeur contre la décision de refus d'autorisation n'est pas suspensif, si bien que le juge judiciaire ne peut surseoir à statuer en attendant la décision d'appel (Cass. soc., 18 juin 1997, n° 95-43.723, Société Alain Buffa c/ M. Rodeschini, publié N° Lexbase : A2133ACY), ni statuer dans un sens qui nierait ledit refus de l'inspecteur du travail. C'est ce cas de figure que la Chambre sociale de la Cour de cassation semble sanctionner en cassant l'arrêt de la cour d'appel d'Angers.
En l'espèce, la salariée soutenait que son contrat de travail avait été rompu avant la demande d'autorisation de licenciement, par le fait que l'employeur l'ait évincé de son poste, procédant à son remplacement par une autre salariée. Deux positions étaient alors envisageables. La première correspond à la démarche suivie par les juges de la cour d'appel. Ceux-ci se sont contentés d'apprécier si la simple éviction de la salariée et son remplacement pouvaient être, ou non, constitutifs d'un licenciement. La question n'est pas sans rappeler celle du licenciement du salarié dont la durée de la maladie perturbe l'entreprise au point de nécessiter son remplacement définitif (Cass. soc., 10 novembre 2004, n° 02-45.187, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8472DD7, lire les obs. de Ch. Radé, Licenciement du salarié malade et motivation de la lettre de licenciement : une hirondelle fera-t-elle le printemps ?, Lexbase Hebdo n° 143 du 18 novembre 2004 - édition sociale N° Lexbase : N3533ABH ; Cass. soc., 10 novembre 2004, n° 02-45.156, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8471DD4, lire les obs. de Nicolas Mingant, Le licenciement du salarié malade et la "nécessité d'un remplacement définitif", Lexbase Hebdo n° 144 du 25 novembre 2004 - édition sociale N° Lexbase : N3636ABB). Pour autant, il faut bien admettre que s'il est une chose de considérer que le licenciement peut être motivé par la nécessité de remplacer un salarié, ç'en est une autre de dire que le remplacement de ce salarié constitue un licenciement. Excluant une telle analyse, la cour d'appel avait donc refusé de considérer le 12 octobre, date de l'évincement de la salariée, comme la date du licenciement. La seconde approche envisageable, dans cette situation, attache plus d'importance à la décision de l'administration du travail. En effet, on sait déjà, de par l'effet de l'article L. 412-18 du Code du travail (N° Lexbase : L0040HDT), que la mise à pied, prononcée avant la demande d'autorisation, est annulée par l'effet du refus de l'inspecteur du travail. Dans cette hypothèse, la Cour de cassation a déjà eu l'occasion de considérer qu'en l'absence de réintégration, cette décision de mise à pied pouvait s'analyser en un licenciement (Cass. soc., 4 février 2004, n° 01-44.962, FS-P+B N° Lexbase : A2310DB8 et les obs. de S. Koleck-Desautel, Mise à pied du salarié protégé et refus de l'autorisation administrative de licenciement, Lexbase Hebdo n° 108 du 19 février 2004 - édition sociale N° Lexbase : N0544ABR). Il était envisageable d'étendre cette solution à toute décision ayant pour effet, comme la mise à pied à titre conservatoire, d'écarter la salariée de son poste de travail, caractère que semblait revêtir la prolongation de congés demandée à la salariée. Allant encore plus loin, la Cour de cassation ne se contente pas d'assimiler les congés imposés par l'employeur à la mise à pied préalable à une procédure de licenciement du salarié protégé. Elle estime, en effet, par sa solution, que l'éviction de la salariée, caractérisée par son remplacement par une salariée aux compétences similaires, constitue une mesure l'ayant mise à l'écart de son emploi, au même titre que l'auraient été les congés "forcés" ou la mise à pied à titre conservatoire. 2. L'extension de la notion de licenciement par l'effet du principe de séparation des pouvoirs
L'arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation vise les très emblématiques loi du 16 et 24 août 1790 et décret du 16 fructidor an III, textes ayant assis le principe de séparation entre le pouvoir exécutif et l'autorité judiciaire au sortir de la Révolution. Ainsi, par l'effet de ces textes, le juge judiciaire doit s'abstenir d'interférer dans les décisions de l'administration. Etait-ce bien le cas en l'espèce ? On peut rester relativement circonspect quant à cette appréciation, de par le caractère très largement extensif donné par la Cour à l'effet de la décision de l'administration du travail. Les Hauts magistrats font, en effet, remonter la date de la rupture bien au-delà de celle de la mise à pied de la salariée (1). C'est donc, selon eux, la simple mise à l'écart de la salariée, même non disciplinaire, qui doit, en quelque sorte, être annulée. Fidèle à l'esprit du texte, cela n'en reste pas moins une interprétation sensiblement amplifiante de l'article L. 412-18 du Code du travail... Il y a donc là, à notre sens, une trop grande déférence de la part du juge judiciaire à l'égard du principe de séparation des pouvoirs. La décision de l'administration n'aurait dû avoir d'effet que sur la décision de mise à pied du 30 novembre 1998, que le juge aurait pu qualifier de licenciement. Et même si le juge judiciaire avait souhaité analyser l'éviction de la salariée par le biais de son remplacement en un licenciement, la théorie -désormais bien assise- de la prise d'acte de la rupture paraissait pouvoir convenir à une telle manoeuvre.
Il est tout à fait possible d'estimer que, par cette décision, la Cour de cassation élargit encore le domaine de la notion juridique de licenciement. En effet, le respect du principe de séparation des pouvoirs la pousse à juger que l'éviction d'une salariée de l'entreprise, caractérisée par son remplacement par une autre salariée, est constitutive d'un licenciement, ce qui ne correspond certes pas à la définition classique du licenciement. Pour autant, il nous semble qu'un résultat similaire aurait pu être obtenu par la Chambre sociale sans donner une portée si équivoque au principe de séparation des pouvoirs. On le sait, la Cour de cassation accepte, depuis 1990 (Cass. soc., 29 novembre 1990, n° 88-44.308, M. Rogie c/ Société Sermaize Distribution, publié N° Lexbase : A9329AAR, D. 1991, p. 99, note J. Savatier), de mettre en oeuvre la procédure que l'on a progressivement qualifiée d'"autolicenciement", puis de prise d'acte de la rupture par le salarié. Le régime de ce mécanisme a été stabilisé par les importants arrêts du 25 juin 2003 (Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-42.679 N° Lexbase : A8977C8Y ; n° 01-42.335 N° Lexbase : A8976C8X ; n° 01-43.578 N° Lexbase : A8978C8Z ; n° 01-41.150 N° Lexbase : A8975C8W ; n° 01-40.235 N° Lexbase : A8974C8U, lire les obs. de Ch. Radé, "Autolicenciement" : enfin le retour à la raison !, Lexbase Hebdo n° 78 du 3 juillet 2003 - édition sociale N° Lexbase : N8027AAK). Le principe de la prise d'acte de la rupture est simple : si l'employeur n'exécute pas convenablement ses obligations contractuelles, le salarié peut prendre l'initiative de rompre le contrat de travail et saisir le juge prud'homal afin que soit reconnu que l'imputabilité de la rupture ne lui incombe pas, mais pèse sur les épaules de l'employeur. Si, en l'espèce, le simple remplacement de la salariée ne suffit pas, à lui seul, à constituer une faute de l'employeur justifiant la prise d'acte, il en va tout à fait autrement si l'on constate que l'employeur avait imposé à la salariée de prendre des congés, de les prolonger, avant d'entamer une procédure de mise à pied conservatoire, la procédure se soldant, par ailleurs, par un refus d'autorisation de l'inspection du travail. L'employeur n'exécutait pas convenablement, dans cette affaire, son obligation de fournir du travail à sa salariée. Ce raisonnement aurait eu le mérite de ne pas exagérer l'interprétation des pouvoirs de l'inspecteur du travail, tout en parvenant à un résultat similaire, obtenu par le biais de notions élaborées par le droit du travail. Malgré tout, on sait que le mécanisme de la prise d'acte de la rupture pour le salarié protégé ne va pas sans poser un certain nombre de difficultés (Cass. soc., 21 janvier 2003, n° 00-44.502, FS-P+B+R N° Lexbase : A7345A4S, lire les obs. de G. Auzero, "Autolicenciement" d'un salarié protégé : réflexions autour de la rupture du contrat de travail à l'initiative du salarié, Lexbase Hebdo n° 57 du 6 février 2003 - édition sociale N° Lexbase : N5763AAP). Il faut, notamment, s'interroger, dans une telle hypothèse, sur l'impossibilité de l'employeur d'anticiper l'initiative de la prise d'acte ayant pour conséquence directe le non-respect de la procédure spécifique réservée aux salariés protégés. Si l'on force le trait en imaginant la faculté de réintégration dont bénéficie le salarié lorsque le licenciement est nul pour défaut de consultation de l'inspection du travail, on saisit bien quel imbroglio juridique se cache derrière la prise d'acte du salarié protégé. C'est peut-être pour cette raison qu'il faut, malgré l'ampleur exagérée donnée par la Cour au principe de séparation des pouvoirs, considérer qu'il s'agit là d'un mal pour un bien, permettant de ne pas entrer sur le terrain de l'autolicenciement du salarié protégé... même si nul doute que ces questions finiront bien par se poser devant la Chambre sociale !
Sébastien Tournaux (1) Il faut, néanmoins, noter, sur ce point, qu'il existe une divergence de date entre le premier arrêt de la Cour en 2004, estimant que la mise à pied datait du 24 novembre 1998, et l'espèce commentée, estimant que la mise à pied est intervenue le 30 novembre de la même année. Cette différence n'est pas faite pour éclairer des débats dont la chronologie est déjà relativement complexe. |
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