Réf. : Loi n° 2006-387, 31 mars 2006, relative aux offres publiques d'acquisition (N° Lexbase : L9533HHK)
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le 07 Octobre 2010
I - Une sécurité accrue pour les acteurs de l'opération (les conséquences externes de l'offre)
La rénovation du droit des offres se traduit, en premier lieu, par le souci de clarifier certains points de droit interne, et, notamment, ceux qui sont relatifs à l'étendue de l'application des notions d'action de concert et de retrait obligatoire (A), ainsi que de l'établissement de nouvelles modalités de fixation du prix. Elle se traduit, en second lieu, par l'accroissement de l'information des actionnaires et des salariés (B).
A - Davantage de lisibilité pour l'action de concert et le retrait obligatoire
Présenté par M. le sénateur Marini dans son rapport au Sénat comme une oeuvre de clarification de la terminologie, sans modification véritable du droit des offres, les précisions apportées quant à l'application de la notion d'action de concert semblent, toutefois, même si elles s'inscrivent dans une continuité textuelle, constituer un élargissement conceptuel assez sensible.
En effet, on se souvient que la notion de concert a été introduite par la loi du 2 août 1989 (loi n° 89-531, 2 août 1989, relative à la sécurité et à la transparence du marché financier N° Lexbase : L0886BD8) pour rendre compte de la nécessité de prendre en considération l'action collective de personnes physiques ou morales. Le législateur avait, à l'époque, considéré que la réunion de ces personnes traduisait, dans les faits, l'existence d'un objectif commun qui créait des liens d'une intensité telle que les concertistes pouvaient être considérés comme constituant une seule et même personne pour le calcul des seuils déclaratifs et, notamment, le franchissement de celui qui débouche sur le lancement obligatoire d'une offre.
Les concertistes, en quelque sorte, sont ainsi considérés -toute proportion gardée- de la même façon que des personnes qui auraient mis en place un groupement informel de nature contractuelle, ainsi qu'en atteste la nécessité de l'existence d'une rencontre de leurs volontés avant la mise en place de l'action. Pour la doctrine, en tout cas, l'action de concert est, à l'origine, essentiellement un "accord en vue d'une action commune" (1), sachant que, derrière cette définition, d'éminents auteurs n'avaient pas manqué, à l'époque, de souligner, à propos des termes retenus dans la loi du 2 août 1989, que l'article L. 356-1-3 du Code monétaire et financier était "pour le moins peu clair" (2). Sur ce point, les textes ont été réformés par trois fois pour aboutir à reconsidérer la notion à travers l'action de certaines personnes qui sont, aux termes -maintenant- de l'article L. 233-10 du Code de commerce (N° Lexbase : L6313AIN) "considérées comme agissant de concert" lorsqu'elles ont "conclu un accord en vue d'acquérir ou de céder des droits de vote ou en vue d'exercer les droits de vote, pour mettre en oeuvre une politique vis-à-vis de la société".
A cette définition, plus précise que celle qui était proposée originellement, viennent désormais s'ajouter deux hypothèses d'action de concert, issues du nouvel article L. 233-10-1 (N° Lexbase : L1396HIK), en transposition fidèle de la Directive (on regrettera, à ce titre, la proximité des nomenclatures avec le texte précédent). Cet article dispose qu'il existe deux nouvelles catégories de concertistes : d'une part, "les personnes qui ont conclu un accord avec l'auteur d'une offre publique visant à obtenir le contrôle de la société qui fait l'objet de l'offre" et, d'autre part, "les personnes qui ont conclu un accord avec la société qui fait l'objet de l'offre afin de faire échouer cette offre".
S'il convient de voir un élargissement de la notion de concert dans la première partie de cet article, élargissement qui traduit un mouvement constant du droit des sociétés consistant à prendre en considération l'ensemble des acteurs liés à une opération ; la véritable innovation vient de la deuxième partie du texte qui conduit à assimiler à un concert, "toute action susceptible de faire échouer l'offre".
En effet, la réforme des OPA introduit une nouvelle approche du concert qui nous semble aller au-delà de la notion originelle, car le concert avait été présenté, à l'époque de son introduction dans la loi de 1989, comme destiné à empêcher les prises de contrôle rampantes, le plus souvent réalisées par la technique de ramassage des titres sur le marché. La loi visait, donc, les initiateurs de l'opération, concertistes vis-à-vis d'une société-cible. Or, la réforme de 2006 qualifie, également, paradoxalement en apparence, les personnes qui défendent la société-cible de concertistes et les soumet, de la sorte, aux mêmes contraintes que celles auxquelles les initiateurs de l'offre sont assujettis. Ainsi, indirectement, et bien que cette conclusion demeure toute théorique pour l'instant, la société-cible se défendant devrait, en tant que concertiste, appliquer au surplus les règles du droit des sociétés -stricto sensu-, qui prennent en considération l'existence d'un concert. Elle entraîne nécessairement la mise en oeuvre de l'article L. 233-3 III du Code de commerce (N° Lexbase : L4050HBM) pour l'appréciation du contrôle conjoint. On soulignera, donc, et le constat prend l'allure d'une antienne, que le droit boursier vient, une nouvelle fois, perturber l'ordonnancement du droit des sociétés.
Il convient, cependant, aux fins de justification, de s'interroger sur ce curieux retournement de la notion, qui fait de la société, que le droit était initialement destiné à protéger contre un attaquant potentiel, un concertiste comme un autre, c'est-à-dire soumis à des dispositions visant à encadrer un comportement que l'on considère comme étant incompatible avec un fonctionnement normal du marché.
Dans ce sens, un premier argument peut être invoqué, qui tient à l'existence des mécanismes de défense et qui n'a donc pas lieu d'être détaillé ici (nous renverrons à l'article précité de M. Pietrancosta) : la défense de la société-cible peut se concrétiser par une contre OPA qui, dès lors, doit se trouver soumise, par un parallélisme des procédures boursières, aux règles applicables à toute offre. En tout état de cause, la société-cible n'a pas à être traitée comme une victime mais comme un acteur du jeu concurrentiel sur un marché.
Un second argument existe, dont les linéaments se retrouvent, d'ailleurs, dans l'ensemble des textes de la Directive et qui tient à la nécessité d'introduire un facteur de réciprocité dans le traitement interne et externe de l'offre. En effet, la volonté du législateur d'ouvrir largement la possibilité de lancer une offre ne peut se trouver mise en oeuvre qu'à la condition que l'initiateur de celle-ci se trouve à armes égales avec la société cible dans la compétition boursière. Dès lors, il convient d'appliquer les mêmes règles aux deux protagonistes (ainsi qu'aux deux groupes éventuels de concertistes) aussi bien sur le plan externe -c'est-à-dire quant à la procédure applicable sur le marché- qu'au plan interne, c'est-à-dire quant aux conventions ou aux stipulations statutaires visant à paralyser l'auteur de l'offre. La sécurité des opérations passe, ainsi, par un traitement égalitaire dans la compétition, sur lequel nous aurons l'occasion de revenir ultérieurement, s'agissant des aspects de la loi sur les offres qui ont des conséquences sur les rapports internes à la société (seconde partie de cette étude, à paraître).
Par ailleurs, la loi sécurise les initiateurs de l'offre, lorsqu'elle est réalisée, car certaines dispositions statutaires ou conventionnelles étaient, auparavant, susceptibles d'interdire d'exercer le pouvoir politique régulièrement acquis dans le cadre de l'assemblée générale postérieure à l'acquisition. L'offre, en effet, risque de ne pas emporter les suites escomptées par son initiateur, qui peut se trouver dans la situation d'avoir payé des actions à un prix plus élevé que le marché, alors que ces dernières ne permettent pas de prétendre à exercer un pouvoir politique plein et entier. C'est ainsi que la loi prévoit désormais à l'article L. 225-125 du Code de commerce (N° Lexbase : L1417HIC), auquel un alinéa a été ajouté (3), que les limitations du nombre de voix dont dispose chaque actionnaire dans une assemblée, limitations légales en vertu du premier alinéa de l'article précité, sont suspendues lors de la première assemblée qui suit la clôture de l'offre, lorsque l'auteur de l'offre détient une fraction de capital ou de droit de vote supérieur à une quotité fixée par l'AMF.
Reste, enfin, que les parties à l'opération qui sont intéressées au premier chef par le prix, c'est-à-dire les actionnaires, se voient offrir une sécurité accrue puisque la loi modifie l'article L. 433-3 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L3303HI8) et impose que le prix proposé soit au moins équivalent au prix le plus élevé payé par l'auteur de l'offre, sur une période de douze mois précédant son dépôt. L'Autorité des marchés financiers peut, cependant, demander ou autoriser la modification du prix proposé dans les circonstances et selon les critères fixés dans son règlement général (4).
Cet accroissement de la sécurité passe, de la sorte, par un certain nombre d'aménagements statutaires qui s'inscrivent, certes, dans le cadre des opérations boursières, et dont le caractère temporaire et limité à la période de l'offre se doit d'être souligné, mais qui viennent contredire le mouvement d'assouplissement du cadre statutaire dont l'introduction de la SAS "pour tous" (5) avait constitué, en 1999, le signe majeur. Ce que, d'un côté, le droit des sociétés assouplit -en contrepartie d'un accroissement du contrôle et, de façon plus générale, de la gouvernance s'agissant des sociétés cotées- le droit boursier semble le restreindre régulièrement pour substituer la logique des marchés financiers à la logique des affaires.
B - Un accroissement de l'information des actionnaires et des salariés
Plus conforme aux axes retenus depuis quelques années, en revanche, l'accroissement de l'information est la marque de la continuité dans l'introduction de la gouvernance en droit des sociétés, notamment, avec les lois NRE en 2001 (loi n° 2001-420, 15 mai 2001, relative aux nouvelles régulations économiques N° Lexbase : L8295ASZ) et de sécurité financière en 2003 (loi n° 2003-706, 1er août 2003, de sécurité financière N° Lexbase : L3556BLB). Le deuxième chapitre du projet de loi concerne, en effet, l'amélioration de l'information des actionnaires et des salariés qui avait pris corps en 2001, et que le législateur avait, depuis, aménagé pour tenir compte de la pesanteur de certaines procédures internes.
C'est ainsi que l'article 6 de la loi impose aux sociétés de remplir des obligations déclaratives visant à augmenter la transparence quant à la structure et l'organisation de leur actionnariat, à propos d'éléments qui seraient susceptibles d'avoir une influence sur le cours de l'offre. Ces obligations doivent faire l'objet d'une publication dans le rapport de gestion annuel, permettant, ainsi, aux actionnaires de bénéficier d'une meilleure information (6) et surtout de les éclairer, à la fois sur l'attitude à adopter dans l'hypothèse d'une offre, et sur les dispositifs de défense envisagés en cas d'OPA. Sans rentrer dans les détails des dispositions qui sont déclinées en dix points, mentionnons, quand même, les nouvelles informations destinées à figurer dans le rapport de l'article L. 225-100 du Code de commerce , et destiné aux seules sociétés dont les titres sont admis à la négociation sur un marché réglementé.
Le nouvel article L. 225-100-3 du Code de commerce (N° Lexbase : L1416HIB) dispose, ainsi, en substance, que le rapport de gestion comporte les éléments suivants, "lorsqu'ils sont susceptibles d'avoir une incidence en cas d'offre publique" : d'abord, la structure du capital de la société, les restrictions statutaires à l'exercice du droit de vote et aux transferts d'actions ou les clauses des conventions prévoyant des conditions préférentielles de cession ou d'acquisition d'actions. Il précise, ensuite, les participations directes ou indirectes "dans le capital de la société dont elle a connaissance", la liste des détenteurs de tout titre comportant des droits de contrôle spéciaux, les mécanismes de contrôle en cas d'actionnariat salarié, et les accords entre associés dont la société a connaissance et qui peuvent entraîner des restrictions au transfert d'action et à l'exercice des droits de vote. Enfin, le rapport doit indiquer les règles applicables à la nomination et au remplacement des dirigeants, ainsi qu'à la modification des statuts de la société, les pouvoirs des organes dirigeants, notamment, en matière d'émission ou de rachat d'action, les accords susceptibles d'être modifiés en cas de changement de contrôle de la société et certains accords prévoyant des indemnités pour les dirigeants.
On donne, ainsi, à une société-cible éventuelle les informations lui permettant de mesurer, au plan juridique tout du moins, la vulnérabilité, ou au contraire l'état des défenses anti-OPA. Toutefois, la rédaction de l'article, dans le cadre d'une lecture rigoureuse, ne peut permettre, à notre sens, de se soustraire à ces obligations déclaratives lorsqu'une société, insusceptible financièrement de faire l'objet d'une offre pourrait, au cas où elle lancerait une OPA, faire l'objet d'une contre-offre de la part de sa cible. Il ne s'agit donc pas de raisonner en terme de vulnérabilité financière mais, uniquement, en termes juridiques ce qui peut conduire à dévoiler des informations qui, autrement n'auraient pas été divulguées dans le rapport de gestion. Une nouvelle fois, apparaît le risque d'être confronté à des incertitudes concernant ce rapport de gestion qui, décidément, aura fait couler de l'encre depuis son introduction. En effet, il apparaît que la notion d'"incidence en cas d'offre publique" emporte une connotation subjective qu'il appartient aux responsables de la production et du contrôle du rapport de gestion d'apprécier. On ajoutera que le contenu du rapport n'a qu'un effet limité, d'une part, aux informations susceptibles d'être connues et, d'autre part, à celles qui sont connues au moment du rapport, ce qui ne préjuge pas de modifications ultérieures qui ne pourraient pas être produites, en temps utile, à l'assemblée générale.
Enfin, dernier volet concernant la sécurité des acteurs, les salariés sont, eux aussi, visés par la loi qui modifie l'article L. 432-1 du Code du travail (N° Lexbase : L3116HIA) en prévoyant que l'auteur de l'offre doit adresser la note d'information, non seulement au comité d'entreprise de la société visée, mais aussi à son propre comité d'entreprise. Par ailleurs, l'article prévoit une information pour les entreprises dépourvues de représentation du personnel. On retrouve, ici, le principe évoqué précédemment de réciprocité des procédures, mais, également, le souci de porter à la connaissance des salariés de la société initiatrice des faits pouvant avoir des conséquences, notamment, en termes de suppression d'emploi, sur leur situation en cas de réussite de l'offre.
Jean-Baptiste Lehnof
Maître de conférences à l'ENS - Cachan Antenne de Bretagne
Membre du centre de droit financier de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)
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