La lettre juridique n°208 du 30 mars 2006 : Droit financier

[Le point sur...] L'obligation d'information permanente du public par les émetteurs (2ème partie)

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[Le point sur...] L'obligation d'information permanente du public par les émetteurs (2ème partie). Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3208209-le-point-sur-lobligation-dinformation-permanente-du-public-par-les-emetteurs-2eme-partie
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le 07 Octobre 2010

L'information relative aux émetteurs joue un rôle clef dans le fonctionnement de nos marchés financiers et dans la formation des cours de bourse. Pour les économistes, un marché financier efficient est celui dans lequel le cours de bourse reflète, à tout moment, l'intégralité de l'information pertinente disponible (1). Si le marché efficient reste un modèle théorique, il n'en demeure pas moins, qu'en pratique, chacun peut constater que les cours de bourse réagiront à la hausse ou à la baisse à l'annonce d'une information sensible relative à un émetteur (par exemple, l'annonce d'une acquisition, d'un dividende extraordinaire, etc.). Il existe, ainsi, une relation étroite entre le cours de bourse et les informations relatives à un émetteur disponibles à un moment donné sur le marché. Plus l'information relative à un émetteur sera fiable et complète, plus, en théorie, le cours de bourse devrait s'approcher de la valeur intrinsèque de l'émetteur (2). La transparence des informations relatives aux émetteurs est, enfin, une condition essentielle de la confiance des investisseurs dans le marché. La Directive communautaire, du 28 janvier 2003, sur les opérations d'initiés et les manipulations de marché (la Directive "abus de marché") (3), énonce ainsi, dans son 24ème considérant, qu''[une] communication rapide et équitable des informations au public renforce l'intégrité du marché, alors qu'une communication sélective par les émetteurs peut induire une perte de confiance des investisseurs dans l'intégrité des marchés financiers" (cf. L'obligation d'information permanente du public par les émetteurs (1ère partie) N° Lexbase : N6388AKS). III - Le moment de la communication de l'information
  • La communication de l'information privilégiée doit intervenir dès que possible

Aux termes de l'article 222-3 du règlement général de l'AMF, l'information privilégiée doit, en principe, être communiquée au marché dès que possible par l'émetteur. L'article 2.1 de la Directive 2003/124/CE précise que les émetteurs sont réputés avoir respecté leur obligation d'information permanente "[...] si, lorsqu'un ensemble de circonstances s'est créé ou qu'un évènement s'est produit, bien que non encore formalisé, ils en ont informé rapidement le public". Il en résulte que l'émetteur doit, en principe, communiquer rapidement, dès qu'il a connaissance de l'évènement ou des circonstances susceptibles de constituer une information privilégiée. Selon la jurisprudence, la communication doit intervenir quand bien même le fait susceptible d'avoir une influence sur le cours de bourse n'a pas encore été constaté en comptabilité (4).

Par ailleurs, en application de l'article 222-6 du règlement général de l'AMF, l'émetteur est tenu de communiquer rapidement au marché toute modification concernant une information privilégiée qu'il a déjà rendue publique.

La diffusion tardive d'une information privilégiée, comme son absence de diffusion, est ainsi susceptible de constituer un manquement à la bonne information du public par l'émetteur (5). A cet égard, il convient de noter que le respect par l'émetteur de ses obligations de publication au titre de l'information périodique ne le dispense pas de communiquer immédiatement une information privilégiée (6).

L'appréciation du moment auquel l'information doit être communiquée au marché peut s'avérer complexe pour les émetteurs, en particulier lorsque l'évènement en cause ne présente pas un caractère ponctuel et instantané, mais constitue un processus qui s'inscrit dans la durée. A quel moment, par exemple, des discussions engagées par l'émetteur et relatives à une opération qui est seulement envisagée seront suffisamment avancées pour constituer une information privilégiée devant, en principe, être communiquée au marché ?

  • L'émetteur peut toutefois différer la communication de l'information privilégiée lorsqu'il existe un intérêt légitime

Il existe pourtant des situations où il est dans l'intérêt de l'émetteur, pour des raisons commerciales, stratégiques ou autres, de ne pas communiquer immédiatement au public une information privilégiée qui le concerne. Aussi, l'article 222-3 du règlement général de l'AMF prévoit une exception à la communication immédiate de l'information lorsqu'il existe un intérêt légitime de l'émetteur à différer la communication de l'information.

Dès 1990, dans un commentaire relatif au règlement COB 90-02, la COB a été amenée à préciser la notion d'intérêt légitime. Elle avait indiqué que, "pour apprécier ces intérêts légitimes, la COB se fondera en particulier sur :

- les contraintes de confidentialité liées à la concurrence ;

- la nécessité de coordonner la diffusion des informations sur le marché national avec la diffusion sur les marchés étrangers ;

- le risque qu'une diffusion prématurée ferait courir aux négociations en cours" (7).

Les dispositions de la Directive 2003/124/CE, transposées dans le règlement général de l'AMF, sont plus précises et fournissent une liste non exhaustive d'intérêts qui peuvent être considérés comme des intérêts légitimes justifiant que la communication d'une information privilégiée soit différée. Ainsi aux termes de l'article 222-3 III du règlement général de l'AMF, l'existence d'un intérêt légitime concerne notamment les situations suivantes :

"1° Négociations en cours, ou éléments connexes, lorsque le fait de les rendre publics risquerait d'affecter l'issue ou le cours normal de ces négociations. En particulier, en cas de danger grave et imminent menaçant la viabilité financière de l'émetteur, mais n'entrant pas dans le champ des dispositions mentionnées au livre VI du code de commerce relatif aux difficultés des entreprises, la divulgation d'informations au public peut être différée pendant une période limitée si elle risque de nuire gravement aux intérêts des actionnaires existants ou potentiels en compromettant la conclusion de négociations particulières visant à assurer le redressement financier à long terme de l'émetteur ;

2° Décisions prises ou contrats passés par l'organe de direction d'un émetteur, qui nécessitent l'approbation d'un autre organe de l'émetteur pour devenir effectifs, lorsque la structure dudit émetteur requiert une séparation entre les deux organes, si la publication de ces informations avant leur approbation, combinée à l'annonce simultanée que cette approbation doit encore être donnée, est de nature à fausser leur correcte appréciation par le public".

Dans la continuité des commentaires de la COB de 1990, l'existence de négociations en cours constitue un intérêt légitime permettant de différer la publication de l'information, en particulier lorsque cette négociation concerne le redressement financier d'un émetteur confronté à une situation financière difficile. Soulignons que la communication financière d'un émetteur en présence d'un risque de faillite est un exercice délicat. S'il existe un intérêt légitime pour l'émetteur à limiter la communication faite au marché afin d'éviter d'obérer ses chances de parvenir à rétablir sa situation financière, lorsque les négociations échouent, il pourra lui être reproché de ne pas avoir averti le marché suffisamment tôt des difficultés rencontrées. La nécessaire confidentialité qui entoure la renégociation de la dette d'un émetteur doit ainsi être conciliée avec les exigences de transparence du marché.

Un arrêt rendu par la cour d'appel de Paris, dans une affaire récente sur le recours formé à l'encontre d'une décision de sanction de l'AMF, apporte un éclairage intéressant sur cette difficulté. En l'espèce, la cour d'appel de Paris a, en effet, jugé que la désignation d'un mandataire ad hoc par le Président du tribunal de commerce n'exonérait pas la société et ses dirigeants de leurs obligations au titre de l'information permanente, mais qu'il pouvait être tenu compte de la confidentialité de la mission du mandataire ad hoc pour l'application des dispositions permettant à un émetteur de différer la communication d'une information privilégiée lorsqu'il est en mesure d'en assurer la confidentialité. La cour d'appel de Paris a, par ailleurs, considéré que le caractère confidentiel du protocole d'accord conclu dans le cadre de la mission du mandataire ad hoc ne permettait pas à la société de différer la communication au public de l'accroissement du niveau de sa dette à court terme dans la mesure où cette communication n'impliquait pas qu'il soit fait référence au protocole d'accord confidentiel. Toutefois, si la cour d'appel de Paris a confirmé le prononcé d'une sanction à l'égard de la société et de son dirigeant, elle est venue réformer la décision de l'AMF afin d'adoucir les peines qui avaient été prononcées par la commission des sanctions en relevant "[...] la difficulté de la gestion de la communication sur la situation financière de la société [...], au cours du second semestre de l'année 2002 et au début de l'année 2003, tenant notamment à la mise en oeuvre d'une procédure de mandat ad hoc, au contenu du protocole du 30 septembre 2002, qui comportait des aspects positifs pour la société [...], et au risque qui s'est réalisé en octobre 2003, de cessation des paiements" (8).

La seconde hypothèse d'intérêt légitime, visée au 2° du 222-3 III, n'était, en revanche, pas envisagée dans les commentaires de la COB de 1990. Il s'agit principalement de l'hypothèse où, dans une société anonyme à directoire et conseil de surveillance, une décision du directoire doit être approuvée par le conseil de surveillance pour devenir effective.

La liste fournie par le règlement général de l'AMF n'est pas exhaustive. Aussi, l'appréciation de l'existence d'un intérêt légitime doit être effectuée au cas par cas par l'émetteur sous sa propre responsabilité.

Il convient de noter, toutefois, que l'existence d'un intérêt légitime ne permet pas à l'émetteur de s'affranchir de toute obligation de communication. L'émetteur devra concilier la protection de ses intérêts légitimes avec ses obligations au titre de l'information permanente et apprécier précisément quelles sont les informations dont la communication est susceptible de porter atteinte à l'intérêt légitime invoqué. Ainsi, par exemple, la COB a estimé, s'agissant des engagements pris par un émetteur de racheter des titres de sociétés, que "s'il est concevable que l'argument tiré du secret des affaires puisse être invoqué s'agissant du nom des sociétés sur lesquelles portaient les engagements de rachat de titres, il ne peut l'être en ce qui concerne l'existence d'engagements dont le montant est [...] susceptible d'influer sur le jugement que les destinataires de l'information peuvent porter sur la situation financière et les résultats de l'entreprise" (9). La protection du secret des affaires ne faisait pas obstacle à la communication du montant des engagements pris, dès lors que le nom des sociétés concernées n'était pas divulgué. De la même manière, dans l'affaire évoquée plus haut, la cour d'appel de Paris a jugé que le caractère confidentiel d'un protocole d'accord conclu dans le cadre de la mission d'un mandataire ad hoc ne permettait pas à la société de différer la communication au public de l'accroissement du niveau de sa dette à court terme dans la mesure où cette communication n'impliquait pas qu'il soit fait référence au protocole d'accord confidentiel (10).

L'émetteur doit, en outre, apprécier à quel moment il n'est plus possible de différer la communication de l'information malgré l'existence d'un intérêt légitime. Ainsi dans l'affaire "Cibox Interactive", les défendeurs avaient tenté de se prévaloir de l'existence d' "un risque d'effet commercial négatif" pour justifier le fait d'avoir différé la communication au public de l'échec d'une opération commerciale. Sans prendre parti sur l'existence d'un intérêt légitime, la COB a estimé que rien "ne saurait justifier qu'il ait fallu attendre près de quatre mois [...] pour que cette information soit communiquée au public" (11).

Par ailleurs, conformément à l'article 222-3 du règlement général de l'AMF, la possibilité de différer la communication d'une information privilégiée est soumise à certaines conditions et à certaines limites : l'émetteur doit être en mesure de préserver la confidentialité de l'information et le fait de différer la communication de l'information ne doit pas être de nature à induire le marché en erreur.

En revanche, la possibilité ouverte aux Etats membres par l'article 6.2 de la Directive "abus de marché" d'exiger des émetteurs la communication immédiate à l'autorité de marché de l'information dont la publication est différée n'a pas été reprise dans le règlement général de l'AMF.

  • L'émetteur ne peut différer la communication d'une information privilégiée que s'il est en mesure d'en assurer la confidentialité

Afin de préserver la confidentialité de l'information, l'émetteur devra contrôler l'accès à cette information privilégiée afin que la divulgation de l'information soit limitée aux personnes qui en ont besoin pour exercer leurs fonctions au sein de l'émetteur. L'émetteur devra, en outre, informer les personnes ayant accès à cette information de la nécessité de maintenir cette information confidentielle et des sanctions qu'elles encourent en cas de divulgation ou d'utilisation de cette information (12). En cas de fuites, l'émetteur devra communiquer immédiatement l'information au marché.

  • L'émetteur ne peut différer la communication d'une information privilégiée si l'absence de communication est de nature à induire le marché en erreur

Quand bien même il existe un intérêt légitime pour l'émetteur, la communication de l'information au marché ne peut être différée si l'absence de communication de l'information est de nature à induire le marché en erreur. Cette limite doit, selon nous, s'apprécier par rapport aux attentes du marché. S'il existe un décalage important entre les attentes du marché, exprimées en particulier par le cours de bourse et par le consensus des analystes, et l'information privilégiée concernée, l'absence de communication de l'information entretiendra la divergence existant entre la perception du marché et la réalité, ce qui est le propre de l'erreur.

La question de savoir si l'absence de communication est susceptible d'induire le public en erreur est délicate. Plus l'information est significative et inattendue pour le marché, plus le risque sera grand qu'il soit reproché à l'émetteur d'en avoir différé la communication.

Bernard-Olivier Becker
Avocat à la Cour
Bredin Prat


(1) P. Vernimmen, Finance d'Entreprise, 6ème édition, P. Quiry et Y. Le Fur, p. 351.
(2) M. Nussenbaum, La formation des cours boursiers, RJ Com. 1993, p. 83.
(3) Directive (CE) 2003/6 du Parlement européen et du Conseil, du 28 janvier 2003, sur les opérations d'initiés et les manipulations de marché ("abus de marché") (N° Lexbase : L8022BBQ).
(4) Cass. com., 23 juin 2004, n° 02-17.936, Commission des opérations de bourse c/ Société Olitec, F-D (N° Lexbase : A8940DC4), RJDA 2004, n° 134.
(5) V. par ex., décision COB du 1er juin 1995, Welcom International, Bull. COB n° 292, juin 1995 (dans cette affaire, il était, notamment, reproché à la société Welcom International d'avoir annoncé avec retard une dégradation de son chiffre d'affaires) ; CA Paris, 25ème ch., sect. B, 26 septembre 2003, n° 2001/21885, Monsieur SoulierR Roger c/ SA Flammarion (N° Lexbase : A8748C9U), Bull. Joly Sociétés, janvier 2004, p. 85 (dans cette affaire il était reproché à la société Flammarion d'avoir tardé à diffuser un communiqué sur la cession de contrôle de la société qui était en préparation).
(6) Cass. com., 22 novembre 2005, n° 03-20.600, Société Eurodirect marketing c/ M. Michel Pfeiffer, F-D (N° Lexbase : A7448DLG).
(7) Bull. COB n° 237, juin 1990, p. 8.
(8) CA Paris, 1ère ch., sect. H, 13 décembre 2005, n° 2005/13646, M. Russ Robinson et Metaleurop c/ AMF (N° Lexbase : A2381DNI), réformant la décision de sanction de l'AMF du 14 avril 2005 (décision AMF, 14 avril 2005, à l'égard de Metaleurop S.A., de M. Russ Robinson et de M. Christian Castel N° Lexbase : L4926G8X).
(9) Décision de sanction COB du 6 juillet 1999, "Marie Brizard", Bull. COB, n°337, juillet août 1999.
(10) Cour d'appel de Paris, 1ère ch., sect. H, 13 décembre 2005, Metaleurop, préc..
(11) Décision de sanction COB du 7 janvier 2003, "Cibox Interactive", Banque & Droit n° 92, novembre décembre 2003, p. 32.
(12) Les personnes qui ont accès à l'information privilégiée constituent des initiés qui devront figurer sur la liste d'initiés que tout émetteur dont les titres sont admis à la négociation sur un marché réglementé est tenu d'établir en application de l'article L. 621-18-4 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L3713HGM).

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