La lettre juridique n°200 du 2 février 2006 : Droit financier

[Le point sur...] L'indépendance de l'analyse financière (2ème partie)

Lecture: 7 min

N6224AKQ

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Le point sur...] L'indépendance de l'analyse financière (2ème partie). Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3208074-le-point-sur-lindependance-de-lanalyse-financiere-2eme-partie
Copier

le 07 Octobre 2010

L'analyse financière est aujourd'hui définie à l'article L. 544-1 du Code monétaire et financier, aux termes duquel "exerce une activité d'analyse financière toute personne qui, à titre de profession habituelle, produit et diffuse des études sur les personnes morales faisant appel public à l'épargne, en vue de formuler et de diffuser une opinion sur l'évolution prévisible desdites personnes morales et, le cas échéant, sur l'évolution prévisible du prix des instruments financiers qu'elles émettent". L'analyste financier constitue ainsi "un intermédiaire entre les sociétés cotés en bourse et des investisseurs susceptibles de s'y intéresser" (1) dont le rôle est d'apprécier la valeur d'une entreprise et les perspectives d'évolution de ses titres afin de formuler une recommandation d'investissement destinée à éclairer les décisions prises par les investisseurs. Ainsi, "les travaux des analystes comportent généralement deux éléments essentiels : d'une part la présentation des faits et leur interprétation raisonnée, rendue nécessaire par la complexité des constructions comptables, d'autre part, les recommandations conduisant à classer les sociétés analysées dans des catégories déterminées (achat, vente, conserver), en fonction des performances attendues" (2) (cf. L'indépendance de l'analyse financière (1ère partie) N° Lexbase : N3962AKX).
III - La promotion d'une analyse financière indépendante : les propositions du rapport Demandolx

La solution la plus radicale qui peut être imaginée pour prévenir les conflits d'intérêts est d'isoler l'analyse financière dans une structure juridique autonome en consacrant son indépendance structurelle par rapport à la fourniture de services d'investissement et de services connexes (34). Dès lors, on peut s'interroger sur le point de savoir si la promotion d'une analyse financière structurellement indépendante souhaitée par le Rapport Demandolx ne constitue pas une réponse appropriée à la question de l'indépendance de l'analyse financière de nature à prévenir les risques de conflits d'intérêts.

Partant du constat que les structures d'analystes indépendants sont peu nombreuses dans le paysage financier français et qu'il n'existe pas aujourd'hui de cadre réglementaire et de moyens financiers appropriés permettant le développement de l'analyse financière "indépendante", le Rapport Demandolx formule huit recommandations.

En particulier, le groupe de travail recommande l'établissement par l'AMF d'une définition réglementaire de l'analyse financière "indépendante" permettant de la distinguer de l'analyse financière "sell-side" et "buy-side" en fonction de critères précis. La qualification d'analyse financière "indépendante" supposerait, ainsi, une indépendance capitalistique par rapport aux banques d'affaires et aux sociétés de bourses, ainsi qu'une indépendance commerciale et financière par rapport aux sociétés cotées. Les analystes financiers "indépendants" devraient, en outre, bénéficier d'une certaine indépendance économique, c'est-à-dire ne pas dépendre d'un nombre trop faible de clients et assurer une couverture du marché suffisamment large pour ne pas être influencés par les émetteurs couverts. Enfin, l'indépendance de jugement de l'analyste financier "indépendant" par rapport aux clients et au marché devrait être assurée par son statut. Les analystes financiers "indépendants" seraient enregistrés auprès de l'AMF, par exemple, à travers l'adhésion à une association professionnelle.

Le Rapport Demandolx recommande, par ailleurs, de rendre obligatoire la production d'une analyse financière indépendante en parallèle à celle fournie par les syndicats bancaires impliqués, lors des introductions en bourse ou lors d'une émission significative de titres de capital ou de titres donnant accès au capital (35).

La principale difficulté posée par l'analyse financière indépendante est la question de son financement. En effet, aujourd'hui, l'analyse financière "sell-side" est rémunérée sur les frais de courtage facturé à ses clients par la société de bourse et l'analyse financière "buy-side" est rémunérée sur les frais de gestion facturés par le gestionnaire, étant précisé que, généralement, les sociétés de bourse ne distinguent pas entre la partie du courtage rémunérant le service d'exécution d'ordres et la partie rémunérant l'analyse financière.

Deux solutions complémentaires sont proposées par le Rapport Demandolx pour financer l'analyse financière "indépendante". La première consisterait en la mise en place d'un système mutualisé de financement de la recherche par les sociétés cotées qui souhaiteraient y participer sur une base volontaire. La seconde consisterait à imposer aux intermédiaires financiers de distinguer la rémunération du service d'exécution de celle de l'analyse financière et de permettre de reverser cette dernière, à la demande du donneur d'ordre et dans des proportions définies par celui-ci, à un bureau d'analystes financiers indépendants.

Le Rapport Demandolx a fait l'objet d'une consultation publique du 13 juillet au 30 septembre 2005. Dans ce cadre, les recommandations formulées ont fait l'objet de certaines critiques de la part des professionnels concernés.

L'on peut peut-être se demander si la promotion de l'analyse financière "indépendante" est vraiment nécessaire dès lors que les analystes financiers, et en particulier les analystes "sell-side", sont, aujourd'hui, soumis à des règles contraignantes ayant notamment vocation à prévenir et à gérer les conflits d'intérêts. Ces règles peuvent paraître suffisantes pour garantir l'indépendance des analystes financiers et ce, malgré l'absence de séparation structurelle avec les autres services fournis par le prestataire habilité. Plus grave, il n'est pas certain que le système de financement de l'analyse indépendante proposé soit économiquement viable. Enfin, quelle que soit la volonté politique de développer l'analyse financière indépendante, les banques d'affaires prestigieuses et leurs analystes vedettes jouissent aujourd'hui d'un crédit et d'une réputation que les recommandations d'investissement des bureaux d'analystes indépendants mettront du temps à acquérir.

Bernard-Olivier Becker
Avocat à la CourBredin Prat


(1) J.-P. Pierret, La profession d'analyste financier, Revue Lamy Droit des Affaires, septembre 2003, n° 63.
(2) Rapport de l'AMF en date du 13 juillet 2005, élaboré par le groupe de travail présidé par Jean de Demandolx intitulé : "Pour un nouvel essor de l'analyse financière indépendante".
(3) Communiqué de presse conjoint (SEC, Procureur général de l'Etat de New-york, NASD, NYSE et NASAA) du 28 avril 2003 disponible sur le site de la SEC.
(4) T. com. Paris, 1ère ch. supplémentaire du 12 janvier 2004, SA LVMH c/ Société Morgan Stanley & Co International Limited (N° Lexbase : A7001DAK), Bull. Joly Bourse, mars-avril 2004, p. 185, note D. Schmidt ; A. Pietrancosta, L'affaire Morgan Stanley/LVMH, Banque d'investissement et analyse financière, RD bancaire et financier 2004, n° 2, p. 131 ; F.-L. Simon, Des conditions de mise en oeuvre de la responsabilité civile des analystes financiers, Revue des sociétés, 2004, n° 2, p. 297 ; J.-J Daigre, LVMH c/ Morgan Stanley, le sens d'une histoire, JCP éd. G. 2004, p. 219 ; F. Leplat, La responsabilité des analystes financiers, Lexbase Hebdo n° 105 du Jeudi 29 Janvier 2004 - édition affaires (N° Lexbase : N0309AB3) ; A. Couret, Banques d'affaires, analystes financiers et conflits d'intérêts, D. 2004, p. 335.
(5) IOSCO -OICV, Statement of Principles for adressing sell-side securities anayst conflicts of interest ; voir : Analyse financière et agence de notation, propositions de l'OICV, JCP éd. E, 2004, n° 27, p. 1099.
(6) Ces textes sont aujourd'hui abrogés et les dispositions correspondantes concernant la réglementation de l'analyse financière ont été reprises dans le Règlement général de l'AMF.
(7) C. com., art. L. 544-1, précité.
(8) Désormais, l'article L. 621-7, VIII, du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L3976HBU) énonce que le règlement général de l'AMF détermine, "concernant les personnes autres que celles mentionnées aux 1° et 7° du II de l'article L. 621-9 (N° Lexbase : L3978HBX) [i.e. les personnes autres que les prestataires de service d'investissement, les organismes de placement collectif ou leur société de gestion], qui produisent et diffusent des analyses financières : 1° les conditions d'exercice de l'activité des personnes visées à l'article L. 544-1 ;2° Les règles de bonne conduite s'appliquant aux personnes physiques placées sous l'autorité ou agissant pour le compte des personnes qui produisent et diffusent des analyses financière à titre de profession habituelle, et les dispositions propres à assurer leur indépendance d'appréciation et la prévention des conflits d'intérêts".
(9) B. Le Bars, Adoption d'un statut des services d'analyse financière et des agences de notation, PA 14 novembre 2003, n° 228, p. 63.
(10) Ibidem.
(11) Bulletin COB 2003, n° 382, p.183.
(12) En pratique, il s'agirait principalement des recommandations diffusées par les journalistes, divers réseaux de diffusion d'informations ou de lettres périodiques (voir, le Rapport n° 2342 du Député Gilles Carrez présenté à l'Assemblée Nationale le 30 mai 2005 dans le cadre de l'adoption de la loi pour la confiance et la modernisation de l'économie).
(13) Article L. 621-7 IX du Code monétaire et financier introduit par la loi pour la confiance et la modernisation de l'économie.
(14) Article L. 621-17-1du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L8011HBC) introduit par la loi pour la confiance et la modernisation de l'économie.
(15) Pour un commentaire des dispositions contenues dans le projet de décret d'application de la loi pour la confiance et la modernisation de l'économie, voir ANSA, n° 05-052, novembre 2005.
(16) Articles L. 621-31 à L. 621-35 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L7986HBE) introduit par la loi pour la confiance et la modernisation de l'économie.
(17) B. Le Bars, Adoption d'un statut des services d'analyse financière et des agences de notation, PA, 14 novembre 2003, n° 228, p. 63.
(18) J.-J. Daigre, L'analyse financière, une nouvelle activité réglementé, études J. Béguin, Litec, 2005, p. 231.
(19) Le déontologue est la personne physique dont la fonction est de s'assurer du respect des règles de bonnes conduites en matière de service d'investissement et de services connexes par le prestataire habilité, ses mandataires et ses collaborateurs (Article 321-26 du Règlement général de l'AMF).
(20) Règlement général AMF, art. 321-29 (N° Lexbase : L5526G88).
(21) Règlement général AMF, art. 321-128, II (N° Lexbase : L5494G8Y).
(22) Règlement général AMF, art. 321-123 (N° Lexbase : L5489G8S).
(23) Règlement général AMF, art. 321-128.
(24) Règlement général AMF, art. 321-133 (N° Lexbase : L5500G89).
(25) Ibidem.
(26) J.-J. Daigre, précité.
(27) Règlement général AMF, art. 321-40 (N° Lexbase : L5539G8N).
(28) Règlement général AMF, art. 321-36 (N° Lexbase : L5534G8H).
(29) Règlement général AMF, art. 321-37 (N° Lexbase : L5535G8I).
(30) Règlement général AMF, art. 321-37 et 322-80 (N° Lexbase : L5682G8X).
(31) op. cit.
(32) Règlement général AMF, art. 321-39 (N° Lexbase : L5537G8L).
(33) Règlement général AMF, art. 321-38 (N° Lexbase : L5536G8K).
(34) J.-P. Zimmermann, Les analystes financiers, Revue des sociétés, octobre-décembre 2003, p. 741 ; Ph. Bissara, Analystes financiers et agences de notation, Bull. Joly Bourse, janvier-février 2004, p. 11.
(35) Synthèse de la consultation publique sur le rapport du groupe de travail sur l'analyse financière indépendante, disponible sur le site internet de l'AMF.

newsid:86224

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus