La lettre juridique n°200 du 2 février 2006 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Les clauses de non-concurrence sont d'interprétation stricte !

Réf. : Cass. soc., 17 janvier 2006, n° 04-41.038, Société Groupe Aline c/ M. Stéphan Wagner, F-P+B (N° Lexbase : A4090DMG)

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le 07 Octobre 2010

Non sans une certaine exagération, on peut se demander s'il se passe une semaine sans que la Cour de cassation ait à connaître d'un litige relatif aux clauses de non-concurrence. On se souvient, en effet, que dans un arrêt rendu le 11 janvier 2006, celle-ci a affirmé que le respect par un salarié d'une clause de non-concurrence illicite lui cause nécessairement un préjudice (Cass. soc., 11 janvier 2006, n° 03-46.933, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A3385DMC et notre chronique éponyme, Le respect par un salarié d'une clause de non-concurrence illicite lui cause nécessairement un préjudice, Lexbase Hebdo n° 199 du 26 janvier 2006 - édition sociale N° Lexbase : N3518AKI). La décision ici commentée, en date du 17 janvier 2006 et qui sera également publiée, donne à la Cour de cassation l'occasion de rappeler que les clauses de non-concurrence sont d'interprétation stricte et que ce principe d'interprétation ne saurait être remis en cause en raison de la perception par le salarié d'une indemnité.
Décision

Cass. soc., 17 janvier 2006, n° 04-41.038, Société Groupe Aline c/ M. Stéphan Wagner, F-P+B (N° Lexbase : A4090DMG)

Rejet (CA Nouméa, Chambre sociale, 5 novembre 2003)

Textes concernés : principe fondamental de libre exercice d'une activité professionnelle et de la liberté d'entreprendre.

Mots-clefs : clause de non-concurrence ; portée ; interprétation stricte ; indemnité ; absence d'effet sur ce principe d'interprétation.

Lien bases :

Apport de l'arrêt

Une clause de non-concurrence doit être interprétée strictement et ne peut être étendue au-delà de ses prévisions. La perception par le salarié concerné d'indemnités à l'expiration de son contrat de travail ne fait pas obstacle à ce principe d'interprétation.

Faits

La société Groupe Aline, qui avait engagé M. Wagner en qualité de directeur général a, estimant que celui-ci avait violé la clause de non-concurrence lui interdisant d'entrer au service d'une entreprise vendant des produits pouvant concurrencer directement ou indirectement ceux de l'employeur et de s'intéresser, directement ou indirectement, sous quelque forme que ce soit, à une entreprise de cet ordre, demandé condamnation du salarié à lui payer une somme à tire de dommages-intérêts.

L'arrêt attaqué ayant débouté l'employeur de sa demande, ce dernier a formé un pourvoi en cassation dans lequel il avançait que constitue une violation de la clause de non-concurrence le fait pour un salarié, avant l'expiration du délai de non-concurrence, d'organiser une future activité concurrentielle, notamment par la prise de contact avec les fournisseurs. Ainsi, après avoir perçu, en exécution d'une transaction, des indemnités substantielles réparant le préjudice que lui causait son éviction du secteur d'activité de la société Cida IC, le salarié avait, par l'entremise de son épouse, signé une promesse synallagmatique de vente sous condition suspensive de l'entreprise Commercial Office concurrente de son ancien employeur et était entré en contact avec divers fournisseurs, le plus souvent au nom de Commercial office.

Solution

1. Rejet

2. "Mais attendu, d'une part, qu'une clause de non-concurrence qui apporte une restriction aux principes de la liberté fondamentale d'exercer une activité professionnelle et de la liberté d'entreprendre étant d'interprétation stricte et ne pouvant être étendue au-delà de ses prévisions, la cour d'appel a exactement retenu que la perception par M. Wagner d'indemnités à l'expiration de son contrat de travail ne faisait pas obstacle à ce principe d'interprétation".

Commentaire

1. Pourquoi interpréter une clause de non-concurrence ?

  • Déterminer la portée de l'obligation de non-concurrence

Dès lors qu'elle remplit toutes les conditions de validité exigées par la Cour de cassation, une clause de non-concurrence doit recevoir application. Sa mise en oeuvre suppose cependant, dans un tout premier temps, que l'on en détermine la portée exacte. Il n'est guère besoin de souligner, et l'arrêt commenté en témoigne, qu'une telle opération s'effectuera le plus fréquemment en aval, lorsque l'employeur estimera que le salarié a violé son obligation de non-concurrence.

La portée de cette dernière va évidemment découler des précisions données par la clause elle-même, que celle-ci figure dans le contrat de travail ou dans une convention collective. Tout va dès lors dépendre, on l'aura compris, de la rédaction de la clause et de son degré de précision. Ainsi, s'il est stipulé que la clause de non-concurrence s'appliquera uniquement en cas de licenciement pour motif personnel, le salarié ne sera pas lié par une telle obligation en cas de licenciement pour motif économique ou de démission (1). Dans une telle hypothèse, il n'y a guère de place pour l'interprétation, compte tenu du caractère clair et précis des termes employés.

A rebours, la clause de non-concurrence peut être rédigée en termes généraux et prévoir qu'elle s'appliquera lors de la rupture du contrat de travail, sans plus de précisions. Dans ce cas, elle doit recevoir application quels que soient les circonstances et l'auteur de la rupture du contrat de travail. Les juges décident notamment que la clause doit être mise en oeuvre alors même que le licenciement est déclaré sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 25 octobre 1995, n° 93-45.442, Mme Maryse Audoin c/ Société des établissements Cosset, inédit N° Lexbase : A2095AAT ; Cass. soc., 22 octobre 1997, n° 94-45.186, M. Dias c/ Société Sofeb, publié N° Lexbase : A1670ACT). Si cette solution s'avère pour le moins critiquable (2), on ne saurait véritablement dire qu'elle est le fruit d'une interprétation extensive de la clause, compte tenu, là encore, du caractère clair et précis des termes employés.

  • L'exigence d'interprétation

Compte tenu de ce qui vient d'être dit, l'interprétation de la clause de non-concurrence va s'avérer nécessaire lorsque ses rédacteurs auront manqué de précision et de clarté. Or, il nous semble qu'il en ira, sinon exclusivement, du moins fréquemment ainsi à propos de la détermination des activités concurrentielles (3). En effet, s'agissant des limitations dans le temps et dans l'espace, elles devront nécessairement être précisées, dans la mesure où elles constituent une condition de validité de la clause elle-même.

Dans l'espèce commentée, la clause de non-concurrence faisait interdiction au salarié "d'entrer au service d'une entreprise vendant des produits pouvant concurrencer directement ou indirectement ceux de l'employeur et de s'intéresser, directement ou indirectement, sous quelque forme que ce soit à une entreprise de cet ordre". L'employeur estimait, par suite, que le salarié avait violé son obligation de non-concurrence en organisant une future activité concurrentielle, notamment par la prise de contact avec les fournisseurs et par divers autres actes préparatoires à cette activité, sans engagement définitif. L'employeur n'a toutefois pas été suivi par les juges d'appel qui, approuvés par la Cour de cassation, ont considéré, au contraire, que le salarié n'avait pas violé l'obligation de non-concurrence à laquelle il était tenu en vertu de la clause précitée. Ce faisant, les juges ont procédé à une interprétation stricte de la clause.

2. Comment interpréter une clause de non-concurrence ?

  • L'exigence d'une interprétation stricte

Dans leur travail d'interprétation du contrat, les juges du fond peuvent recourir à deux méthodes : la méthode subjective, qui fait une large place à la commune intention des parties, et la méthode objective, qui conduit en substance à rechercher ce qui est juste et habituellement pratiqué. Sans entrer dans le détail d'une question bien connue, on sait que le droit positif combine ces deux méthodes qui sont ainsi complémentaires (v., sur la question, F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, Précis Dalloz, 9ème éd., spéc. pp. 451 et s.).

Le Code civil offre à ce titre des directives d'interprétation qui, si elles se rattachent essentiellement à la méthode d'inspiration subjective, ont aussi à voir avec une approche plus objective. Il en va ainsi de l'article 1162 (N° Lexbase : L1264ABG) qui précise que "dans le doute, la convention s'interprète contre celui qui a stipulé et en faveur de celui qui a contracté l'obligation".

En outre, et ainsi que le relèvent les auteurs précités, "d'autres procédés d'interprétation objective non visés par le Code civil peuvent, au demeurant, être utilisés. Ainsi, lorsque certaines clauses portent atteinte à des droits fondamentaux tels que le droit de gérer librement son patrimoine, d'agir en justice, la liberté de contracter, d'entreprendre, de commercer, de travailler...". Et ces mêmes auteurs de préciser que sont ainsi interprétées restrictivement les clauses d'exclusivité, les clauses résolutoires, les clauses de domiciliation et, bien-sûr, les clauses de non-concurrence (4).

L'arrêt commenté donne à la Cour de cassation l'occasion de rappeler cette solution de principe qui avait été, au demeurant, déjà énoncée dans des décisions antérieures (v., notamment, Cass. soc., 29 juin 1999, n° 97-40.082, SA Lepetit-Niquevert c/ Brignoli et autres, publié N° Lexbase : A6339AGU ; Cass. soc., 13 décembre 2000, Ric c/ Société MI-Gso, n° 98-45.043, inédit N° Lexbase : A9800AT7 ; Cass. soc., 16 novembre 2005, n° 03-43.312, Société Spat c/ M. Jean-Pierre Lauretou, inédit N° Lexbase : A5502DLD).

On ne peut qu'approuver l'exigence d'une interprétation stricte des clauses de non-concurrence, compte tenu de l'atteinte qu'elles portent à la liberté d'exercer une activité professionnelle ou à la liberté d'entreprendre, qui sont autant de droits fondamentaux. On saura, en outre, gré à la Cour de cassation de venir préciser, dans l'arrêt commenté, que la perception par le salarié d'une indemnité ne saurait faire exception à ce principe d'interprétation.

  • Le caractère indifférent de la perception d'une indemnité par le salarié

Ainsi que le souligne expressément la Chambre sociale dans le motif de principe de sa décision, la perception par le salarié d'indemnités à l'expiration de son contrat de travail ne fait pas obstacle au principe d'interprétation stricte des clauses de non-concurrence. A dire vrai, on ne voit pas pourquoi il en aurait été autrement. En effet, le fait que le salarié lié par une clause de non-concurrence perçoive une indemnité lors de la rupture de son contrat ne change rien au fait que l'obligation qui s'impose à lui porte atteinte aux libertés fondamentales précédemment évoquées. Il en va d'ailleurs ainsi qu'il s'agisse, comme en l'espèce, d'une indemnité transactionnelle ou, plus spécifiquement, de la contrepartie pécuniaire désormais érigée en condition de validité de la clause de non-concurrence (5).

Peut-être la Cour de cassation a-t-elle souhaité prévenir la tentation de certains juges du fond de se départir, compte tenu du versement d'une indemnité quelle qu'elle soit, de l'exigence d'une interprétation stricte. En tout état de cause, au terme de ce bref commentaire, on ne saurait trop recommander aux rédacteurs des clauses de non-concurrence de faire preuve de vigilance lors de la rédaction de celles-ci, si tant est qu'ils l'avaient oublié.

Gilles Auzero
Professeur à l'Université Montesquieu Bordeaux IV


(1) Les parties peuvent également convenir que l'obligation de non-concurrence recevra application quelle que soit la cause de cessation du contrat de travail, en prévoyant cependant des exceptions limitativement énumérées (par exemple, licenciement pour motif économique).
(2) V., en ce sens, J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud (Droit du travail, Précis Dalloz, 22ème éd., 2004, § 268), qui soulignent que "curieusement l'employeur qui prive à tort le salarié de son emploi peut encore lui interdire de travailler pour le compte d'un concurrent".
(3) V., infra, les exemples jurisprudentiels cités.
(4) F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, ouvrage préc., § 451, in fine et la jsp. citée.
(5) Contrepartie pécuniaire qui permet d'avancer que l'article 1162 du Code civil (N° Lexbase : L1264ABG), qui aurait également pu servir de fondement à l'interprétation stricte des clauses de non-concurrence, soit laissé de côté.

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