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par Compte-rendu réalisé par Aurélie Serrano, SGR - Droit social
le 07 Octobre 2010
Le droit d'alerte et de retrait est défini aux articles L. 231-8 (N° Lexbase : L5969AC3) et L. 231-8-1 (N° Lexbase : L5971AC7) du Code du travail. Aux termes du premier de ces articles, le salarié doit signaler "immédiatement à l'employeur ou à son représentant toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que toute défectuosité qu'il constate dans les systèmes de protection". Lorsque ce danger persiste, l'employeur ne pourra exiger du salarié une reprise de son activité. Aux termes du second texte, "aucune sanction, aucune retenue de salaire ne peut être prise à l'encontre d'un salarié ou d'un groupe de salariés qui se sont retirés d'une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu'elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou pour la santé de chacun d'eux".
A la lumière de l'obligation de sécurité de résultat qui pèse désormais sur l'employeur, la notion de "danger grave et imminent", telle qu'employée dans ces articles du Code du travail, prend un nouvel éclairage. En effet, lorsqu'un tel danger est invoqué par un salarié, si l'employeur impose la continuation du travail, il y aura présomption irréfragable de faute inexcusable de l'employeur dans le cas où le salarié serait, par la suite, victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle (C. trav. art., L. 231-8-1).
Le danger grave peut se définir comme le risque grave d'atteinte à la santé physique, mais aussi mentale du salarié.
En revanche, le danger imminent est plus difficile à caractériser, notamment dans des situations telles que le harcèlement moral ou les ambiances tabagiques.
Enfin, la notion de "motif raisonnable", appréciée subjectivement par les juges, est assez favorable au salarié qui bénéficie d'une marge d'erreur. En effet, peu importe que le danger grave et imminent existe objectivement. Il suffit qu'un certain nombre d'indices raisonnables puisse laisser penser que ce danger grave et imminent existe. C'est ce qu'illustre un arrêt rendu par la Cour de cassation le 23 mars 2005 (Cass. soc., 23 mars 2005, n° 03-42.412, F-D N° Lexbase : A4237DHE). Dans cette affaire, un salarié technicien chimiste avait refusé d'exécuter les tâches qui lui étaient confiées en invoquant son droit de retrait d'un atelier pilote dans lequel il avait été affecté. Son employeur l'a licencié pour faute grave. La cour d'appel déboute le salarié de sa demande en dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Les juges du fond fondent leur analyse sur une note adressée au salarié par l'inspecteur du travail observant notamment qu'un rapport de visite ne révèle aucun danger grave et imminent. La Cour de cassation censure cet arrêt au motif que la cour d'appel aurait dû rechercher "si le salarié justifiait d'un motif raisonnable de penser que la situation de travail présentait un danger grave et imminent pour sa vie et sa santé".
En cas d'exposition au tabac, la question de l'existence d'un droit de retrait au profit du salarié reste ouverte. En effet, si l'existence d'un danger est évidente, l'imminence de ce danger est, quant à elle, plus difficile à rapporter.
De même, la maladie dont il est démontré qu'elle est la conséquence d'une exposition au tabac au temps et au lieu de travail pourrait être qualifiée de maladie professionnelle. La faute inexcusable de l'employeur pourrait même être reconnue s'il était démontré que celui-ci avait connaissance du danger et n'a pas pris les dispositions nécessaires pour protéger les salariés.
Dans un arrêt du 29 juin 2005, la Cour de cassation a considéré que "l'employeur est tenu d'une obligation de sécurité de résultat vis-à-vis de ses salariés en ce qui concerne leur protection contre le tabagisme dans l'entreprise" (Cass. soc., 29 juin 2005, n° 03-44.412, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8545DIC, sur ce sujet, lire Nicolas Mingant, La prise d'acte de la rupture pour non-respect par l'employeur de la législation anti-tabac, Lexbase Hebdo n° 176 du 13 juillet 2005 - édition sociale N° Lexbase : N6574AIC). Et la Cour d'ajouter que le non-respect de cette obligation est constitutif d'une faute justifiant la prise d'acte de la rupture du contrat par le salarié.
Selon Paul-Henri Antonmattéi, si la Cour de cassation poursuit un objectif louable en voulant imposer dans l'entreprise le respect de la législation anti-tabac, pour autant, les moyens employés pour y parvenir sont dangereux. En effet, selon le Professeur Antonmattéi, l'utilisation de la notion d'obligation de sécurité de résultat ne trouve pas à s'appliquer dans un tel contentieux. La Cour de cassation a confondu cette obligation avec celle de respecter la réglementation. Or, cette extension du périmètre de l'obligation de sécurité de résultat est non seulement difficile à justifier sur un plan juridique mais elle est également difficile à mettre en oeuvre. En autorisant la prise d'acte aux torts de l'employeur de façon quasi-automatique dès que les règles anti-tabac ne sont pas appliquées parfaitement dans l'entreprise, la Cour de cassation nous ramène directement, selon Paul-Henri Antonmattéi, au spectre de la jurisprudence sur l'autolicenciement antérieure au 25 juin 2003 (Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-42.679, FP+P+B+R+I N° Lexbase : A8977C8Y, sur ce sujet, lire Christophe Radé, "Autolicenciement" : enfin le retour à la raison !, Lexbase Hebdo n° 78 du 3 juillet 2003 - édition sociale N° Lexbase : N8027AAK).
Le Code du travail prévoit que la présence d'alcool est interdite dans l'entreprise (C. trav., art. L. 232-2 N° Lexbase : L5976ACC). Les contrôles d'alcoolémie sont autorisés lorsque les salariés utilisent des machines dangereuses ou conduisent des véhicules. Le salarié conserve le droit de refuser un tel contrôle mais ce refus pourrait être constitutif de faute grave. En outre, le salarié a la possibilité de demander un contre-test et peut, également, demander l'assistance d'un témoin lors du contrôle.
D'une manière générale, il est intéressant de rappeler que l'article L. 230-3 du Code du travail (N° Lexbase : L5947ACA) impose au salarié "de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa sécurité et de sa santé ainsi que de celles des autres personnes concernées du fait de ses actes ou de ses omissions au travail". Le non-respect de cette obligation pourra caractériser une faute grave (Cass. soc., 23 mars 2005, n° 03-42.404, F-P+B N° Lexbase : A4236DHD).
La notion de délégation de pouvoir s'utilise essentiellement dans le domaine de l'hygiène et de la sécurité. En effet, une telle délégation a pour conséquence d'exonérer l'employeur de sa responsabilité civile et pénale en ce domaine.
Pour que la délégation de pouvoir soit valable, le délégataire doit être subordonné, avoir les moyens d'agir, être compétent et indépendant. Lorsque ces conditions sont remplies, le délégataire pourra être licencié en cas de manquement à l'un des éléments placés sous sa responsabilité du fait de la délégation de pouvoir. Toutefois, l'obligation de sécurité visée à l'article L. 230-3 concerne tous les salariés et pas seulement ceux ayant reçu une délégation de pouvoirs de l'employeur. Ainsi, l'absence de délégation de pouvoirs n'empêche pas le licenciement du salarié manquant à son obligation de sécurité, ainsi qu'en témoigne un arrêt rendu par la Cour de cassation le 30 septembre 2005 (Cass. soc., 30 septembre 2005, n° 04-40.625, F-P+B N° Lexbase : A5979DKN, sur ce sujet, lire Nicolas Mingant, Le licenciement pour faute grave en cas de violation par le salarié de son obligation de sécurité, Lexbase Hebdo n° 185 du 12 octobre 2005 - édition sociale N° Lexbase : N9527AIP)
Pour qu'un licenciement soit prononcé, encore faut-il que le délégataire dispose de la formation et des moyens suffisants pour exercer sa mission. Tel n'était pas le cas, dans un arrêt rendu par la Cour de cassation, le 18 mai 2005 (Cass. soc., 18 mai 2005, n° 03-40.242, F-D N° Lexbase : A3726DIT). En l'espèce, un salarié embauché en qualité de dessinateur-projeteur s'était vu confier la responsabilité de la sécurité de l'entreprise par avenant à son contrat de travail. La Cour de cassation juge son licenciement pour faute grave sans cause réelle et sérieuse. En effet, la formation du dessinateur en matière de sécurité était limitée et sans rapport avec l'importance de cette mission au sein d'une entreprise de couverture. En outre, sa délégation de pouvoir était limitée à la signature des plans de prévention et il ne disposait d'aucun moyen propre pour faire respecter la sécurité sur le chantier.
Plus généralement, s'agissant du contentieux relatif à la délégation de pouvoir, il semble que les juges du fond introduisent progressivement un nouveau critère de validité de la délégation de pouvoir : celui de l'acceptation de la délégation par le salarié. Ainsi, le plus souvent, les délégations tacites sont invalidées par les juges du fond. Pourtant, aucun texte n'exige, en théorie, la rédaction d'une délégation écrit (Cass. crim., 27 février 1979, n° 78-92.381, Ehrsam, publié N° Lexbase : A3532AGW). En pratique, un écrit stipulant de façon précise l'étendue de la délégation est donc conseillé. Cet écrit pourra prendre la forme d'un document annexe au contrat de travail et non pas nécessairement d'un avenant audit contrat. En effet, la délégation est la conséquence des fonctions du salarié et ne constitue pas une modification du contrat de travail (CA Paris, 3ème ch., sect. B, 24 juin 2005, n° 04/12475, M. Guy Sultan c/ Maître Christophe Thévenot N° Lexbase : A0724DKZ).
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