La lettre juridique n°198 du 19 janvier 2006 : Sociétés

[Jurisprudence] Synallagmatique..., vous avez dit...synallagmatique... ? Variations sur les promesses croisées de cession d'actions

Réf. : Cass. com., 22 novembre 2005, n° 04-12.183, Mme Julienne Zincano, épouse Lavaud c/ Société Lavaud, F-P+B (N° Lexbase : A7511DLR)

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le 07 Octobre 2010

C'est au visa des articles 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) et 1589 (N° Lexbase : L1675ABN) du Code civil que la Cour de cassation vient de rendre un arrêt, le 22 novembre dernier, noté "F-P+B", le juge le signalant par là-même aux commentateurs. Pour autant, la décision n'est ni véritablement originale, ni fondamentalement novatrice mais présente une vertu essentielle : elle offre, en effet, une solution constante pour les hypothèses dans lesquelles une promesse de cession d'actions aurait été consentie sous couvert d'une formulation ambiguë, susceptible d'en affecter la validité. En décidant, ainsi, que, en matière de ventes d'actions, "l'échange d'une promesse unilatérale d'achat et d'une promesse unilatérale de vente réalise une promesse synallagmatique de vente valant vente définitive dès lors que les deux promesses réciproques ont le même objet et qu'elles sont stipulées dans les mêmes termes [...]", la Cour de cassation rappelle une solution qu'elle avait eu l'occasion d'établir à propos de ce qu'il est convenu d'appeler, "les promesses croisées". Elle lève, toutefois, une ambiguïté quant au caractère conditionnel des promesses de vente et d'achat lorsque ces dernières sont assorties d'un terme dont il n'est pas précisé s'il est extinctif. Quant à la portée de cette décision, il convient de relever, avant tout, que la motivation de l'arrêt renvoie à des textes de droit commun (I) qui matérialisent la force de l'engagement et de la volonté dans un contrat de cession. C'est, il est vrai, une solution traditionnelle, mais il demeure fondamental, pour la sécurité juridique -qui, plus qu'un leitmotiv, devient pratiquement l'obligation de résultat des praticiens- que les cessions soient régies par des principes intangibles liés au consensualisme qui priment la lettre du contrat (II).

I - Force de l'engagement dans un contrat de cession d'actions

Mécanisme fondamental du droit des sociétés, l'échange de promesses croisées en matière de cession d'actions n'en est pas moins soumis aux règles du droit commun (A). Cette sujétion n'existe, toutefois, que pour apprécier les aspects civilistes de la convention. S'agissant, en effet, des aspects pratiques de la question, sa mise en oeuvre relève nécessairement du droit des sociétés (B).

A - Une cession placée sous la protection du droit commun des contrats

Les faits de l'espèce, qui ont donné lieu à la décision de la Cour de cassation, sont liés à la mise en oeuvre d'une technique courante en matière de cession d'action, le problème juridique tenant essentiellement à une ambiguïté d'interprétation, obscurité née du caractère laconique de certaines clauses de la convention.

Le 22 juillet 1986, les consorts L. cèdent aux consorts S. les actions qu'ils détiennent dans le capital de la société L.. La cession s'organise en deux temps : d'une part, la vente de 1 350 actions et, d'autre part, la vente différée de 150 actions restantes, le total portant sur la totalité des actions détenues par le vendeur. La seconde cession est régie par une stipulation spécifique, l'article 4 de la convention de vente ainsi rédigée : "le groupe S. s'engage d'une façon solidaire et indivisible à acquérir, au plus tard, le 31 décembre 1987, les 10 % restant soit 150 actions au prix définitif de 140 000 francs [environ 21 340 euros] de manière à porter sa participation à 100 %, les consorts L. s'engagent d'une façon solidaire et indivisible à vendre au plus tard le 31 décembre 1987, les 10 % restant, soit 150 actions, au prix définitif de 140 000 francs".

Les consorts S., n'ayant pas honoré leur engagement, les consorts L. les assignent devant le tribunal de commerce, le 30 octobre 1997, en exécution forcée de la vente. L'affaire est portée devant la cour d'appel d'Aix en Provence qui rejette la demande des consorts L., au motif que les engagements constituaient un échange de promesses unilatérales de vente et d'achat, devenues caduques à l'expiration du délai imparti à chacune des parties pour lever l'option. Ainsi, selon le juge d'appel, la promesse avait expiré le 31 décembre 1987.

La Cour de cassation casse alors l'arrêt, à l'appui d'une motivation particulièrement ferme. Le juge affirme, en effet, que, "l'échange d'une promesse unilatérale d'achat et d'une promesse unilatérale de vente réalise une promesse synallagmatique de vente valant vente définitive dès lors que les deux promesses réciproques ont le même objet et qu'elles sont stipulées dans les mêmes termes".

Solution simple pour une affaire simple ? La clarté de la motivation ne doit pas masquer l'importance pratique de la solution et ses enjeux. On remarquera, ainsi, au préalable, que la Cour de cassation rend son arrêt au double visa des articles 1134 et 1589 du Code civil.

L'utilisation de l'article 1134, qui constitue un principe fondamental du droit des obligations, mérite en premier lieu qu'on s'y attarde : en effet, on peut ne voir dans cette rédaction qu'une référence de pure forme, une sorte de renvoi automatique à l'alinéa 1er de l'article qui dispose de la force obligatoire des conventions. Il semble, pourtant, que l'ensemble du texte constitue le support de la motivation car ses deux dernières parties paraissent plus particulièrement adaptées à la situation : l'alinéa 2, d'une part, établit que les conventions ne peuvent être révoquées que par consentement mutuel et l'alinéa 3, d'autre part, renvoie au principe d'exécution de bonne foi.

Sur ce dernier point, il convient de souligner que les considérations relatives à la bonne foi sont de plus en plus présentes en jurisprudence et que l'espèce, d'ailleurs, se prêtait à sa mise en oeuvre exclusive. Les vendeurs souhaitaient manifestement vendre la totalité de leurs actions, comme le souligne la rédaction de l'arrêt, et la vente des 10 % restant n'était que différée, la mauvaise foi des cessionnaires ne pouvant ainsi que se trouver établie.

Quant aux dispositions de l'article 1589, elles portent, elles, sur la promesse de vente et son l'alinéa 1er concerne l'organisation de la cession d'actions de l'espèce considérée. Il établit, en effet, que "la promesse de vente vaut vente, lorsqu'il y a consentement réciproque des deux parties sur la chose et sur le prix". En l'espèce, l'application rigoureuse de cette disposition aboutit à conclure au caractère obligatoire de la promesse. On sait, toutefois, que l'article 1589, rédigé en termes généraux, ne constitue pas un cadre suffisant pour régir toutes les situations pratiques qui concernent la cession d'actions ou de parts sociales et que, sur ce point, la jurisprudence a dû interpréter les textes pour permettre leur adaptation aux techniques sociétaires.

B - Les aspects pratiques de ce type de cessions placé sous l'égide du droit des sociétés

S'agissant des solutions pratiques, le juge a, en effet, dû composer avec le droit des sociétés, notamment, parce que, très fréquemment, les cessions ont été conditionnées à l'obtention d'agréments de la part des autres actionnaires. Il convient également de relever la complexité des montages utilisés pour finaliser les cessions, face à la simplicité des situations imaginées par les rédacteurs du Code civil.

Le droit commun n'en donne pas moins des bases suffisantes pour apprécier la portée des clauses. La promesse unilatérale, en effet, est à l'origine d'un mécanisme spécifique que Monsieur Terré décrit ainsi : "elle se distingue de l'offre. Alors que l'offre est une manifestation unilatérale de volonté, la promesse est une convention, parfaite en soi supposant un accord de volonté. Il en résulte que la situation du bénéficiaire de la promesse est plus solide que celle du destinataire de l'offre [...] la promesse crée une véritable obligation à la charge du promettant qui est d'ores et déjà engagé" (Droit civil - Les obligations, précis Dalloz, 9ème éd., 2005, n° 184).

Telle était donc la situation des défendeurs (les acheteurs) qui s'étaient engagés à acquérir les 150 actions restantes. Elle répondait, d'ailleurs, à la promesse symétrique des vendeurs qui, eux également, s'étaient engagés à céder, la conjonction de ces deux promesses donnant ainsi un caractère synallagmatique à l'encadrement conventionnel de la cession. Ainsi que l'établit la doctrine : "il y a promesse synallagmatique de contracter lorsque deux personnes s'engagent l'une envers l'autre à passer plus tard tel ou tel contrat. Elles donnent leur consentement au contrat définitif mais prévoient qu'une formalité supplémentaire devra être accomplie dans l'avenir. Par exemple, tout en constatant immédiatement leur accord sur les éléments essentiels du contrat, elles conviennent de réitérer ultérieurement leur consentement devant notaire. La différence avec la promesse unilatérale de vente est évidente : les deux parties ont consenti au contrat définitif" (op. cit., n° 186, en appui sur L. Boyer, Les promesses synallagmatiques de ventes, RTD Civ. 1949, 1 et s.).

Telle semblait bien être la solution applicable à l'espèce examinée puisque vendeurs et acheteurs avaient échangé des promesses réciproques, formalisées dans l'acte de cession. Nous avons, toutefois, souligné que ce mécanisme n'était que la base de droit commun de la cession d'actions ou de parts sociales, le juge ayant dû adapter cette base aux exigences du droit des sociétés. Or, dans le cas des engagements symétriques, dits de "promesses croisées", l'échange est, en pratique, le plus souvent lié à une faculté d'option qui n'est pas prévue en droit commun, cette faculté étant établie au profit du vendeur mais, également, de l'acheteur. Le résultat de l'exercice de l'option est de contraindre, par sa levée, l'autre partie à s'exécuter. On comprend, alors, que le juge estime que la vente n'est jamais réalisée lorsque aucune option n'a été levée et qu'à ce titre elle ne puisse être réputée parfaite (CA Douai, 12 juin 1992, Dalloz 1993, 257, note J. Moury).

C'est, semble-t-il, le raisonnement retenu par la cour d'appel d'Aix en Provence le 19 septembre 2003, solution qui va être censurée par la Cour de cassation.

II - Economie de la convention : un caractère synallagmatique affirmé

La cassation est prononcée, dans l'espèce analysée, en considération du caractère synallagmatique de la convention (A), l'arrêt recentrant ainsi l'analyse des cessions (B) sur la mise en oeuvre du droit commun des contrats (B).

A - Le choix entre la thèse de l'unilatéralisme et du synallagmatisme

La cour d'appel d'Aix en Provence, selon les termes de l'arrêt de cassation, interprète la convention dans le sens de la caducité des promesses à compter du 31 décembre 1987 : "la cour d'appel a retenu que les engagements constituaient un échange de promesses unilatérales de vente et d'achat devenues caduques à l'expiration du délai imparti à chacune des parties pour lever l'option". Ainsi, en filigrane, voit-on apparaître le raisonnement suivant : la date fixée par l'article 4 du contrat de cession constituait une date butoir pour lever l'option, donc, les promesses étant optionnelles, la vente n'était pas parfaite, et comme aucune partie n'avait manifesté sa volonté d'acheter ou de vendre avant le 31 décembre 1987, l'existence d'un accord ne pouvait plus être invoqué.

Il convient, donc, pour mesurer la validité de cette solution, d'examiner le libellé de l'article 4 en cause. Celui-ci établit que : "le groupe S. s'engage d'une façon solidaire et indivisible à acquérir au plus tard le 31 décembre 1987 les 10 % restant soit 150 actions au prix définitif de 140 000 francs [environ 21 340 euros] de manière à porter sa participation à 100 %, les consorts L. s'engagent d'une façon solidaire et indivisible à vendre au plus tard le 31 décembre 1987 les 10 % restant soit 150 actions au prix définitif de 140 000 francs".

Comment interpréter cette stipulation ? L'existence d'une date limite doit-elle être analysée comme fixant la fin d'une période au-delà de laquelle acquéreurs ou vendeurs commettraient une faute à ne pas céder ou acheter ? Doit-elle, au contraire, comme la cour d'appel semblait le considérer, permettre aux partenaires de bénéficier d'une période pour lever une option de vente ou d'achat ? C'est à cette alternative que la Cour de cassation était confrontée.

Une remarque s'impose alors d'emblée : la cassation, prononcée pour violation de la loi, ne repose pas sur la dénaturation, motivation qui laisserait supposer que le juge d'appel n'aurait pas commis d'erreur d'interprétation de la convention, ou du moins que la cassation reposait sur un motif de droit majeur. C'est, sans doute, ce qui donne à l'arrêt son importance puisque la Cour de cassation conclut à la violation des deux articles précités et au caractère synallagmatique de la convention au motif que : "les deux promesses réciproques ont le même objet et qu'elles sont stipulées dans les mêmes termes".

L'arrêt propose, ainsi, une clarification fondée sur la logique, davantage que sur l'interprétation, souvent qualifiée de divinatoire lorsqu'elle est opérée par le juge. Ce qui est, en effet, manifeste, c'est que sur le point de la cession de l'intégralité des parts, sur la date, ainsi que sur le prix, les parties à la convention initiale se sont entendues et ont matérialisé leur accord, d'autant que ce dernier était accessoire au contrat principal qui portait sur 90 % des actions détenues par les vendeurs. Le caractère synallagmatique est donc incontestablement démontré et, même au cas ou une clause de la convention contredirait les termes de l'article 4 précité, ce dernier l'emporterait car le juge, en cas de contradiction des termes, doit toujours trancher dans le sens de la validité de la convention.

B - L'utilité du recours au droit commun

Cet arrêt, auquel on ne reconnaîtra sans doute pas une portée majeure au plan théorique, présente néanmoins un intérêt certain, au plan pratique, mais également au plan prospectif. Au plan pratique, en effet, la Cour de cassation ne saurait être que vigoureusement approuvée dans sa motivation, face à un libellé obscur alors que l'économie de la convention ne l'était pas.

On sait, d'ailleurs, que ce manque de clarté est fréquent, parfois voulu par les parties, parfois par leurs conseils, mais, qu'il est plus généralement dû à la recherche d'un compromis pour mettre fin à d'âpres négociations. Ce brouillage de la rédaction trouve, en contrepoint, la logique juridique du droit des obligations qui vient contrebalancer, avec toute son efficacité, le manque de clarté de la rédaction. L'accord devient incontestable lorsque la preuve est rapportée que les volontés se sont rencontrées or, seule la mise en oeuvre du droit commun est à même de donner force et limpidité à ce que les rédacteurs ont rendu obscur. Le praticien n'aura qu'à se réjouir de ce rappel par la Cour de cassation de l'utilité du recours à l'application des fondamentaux du droit, à leur simplicité et à la sécurité qu'ils offrent au justiciable.

Au plan de la prospective, ensuite, cet arrêt constitue une pierre de plus à l'édifice que la jurisprudence érige peu à peu au droit commun. En effet, face à ce que le doyen Carbonnier appelait la "pulvérisation" du droit, on constate qu'à mesure que la plupart de ses branches gagnent en autonomie, le recours au droit commun, et plus particulièrement celui des contrats, s'accroît, à la fois parce que l'ancrage dans les socles de la logique juridique devient de plus en plus nécessaire et, surtout, parce que la loi spéciale, aussi précise soit-elle, n'aura jamais, pour paraphraser Portalis, vocation à tout régir.

Jean-Baptiste Lehnof
Maître de conférences à l'ENS-Cachan
Membre du centre de recherche de droit financier - Paris I (Panthéon-Sorbonne)

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