La lettre juridique n°198 du 19 janvier 2006 :

[Le point sur...] L'engagement de faire le nécessaire ou l'histoire récente de la lettre d'intention...

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le 07 Octobre 2010

"L'engagement de faire ou de ne pas faire souscrit par un tiers, en des termes variables, et ayant pour objet le soutien apporté à un débiteur dans l'exécution de ses obligations envers un créancier" est une lettre d'intention constitutive d'une garantie et entrant dans le champ d'application de l'article L. 225-35 du Code de commerce (N° Lexbase : L5906AIL). Par ces termes -issus du rapport Grimaldi- et définissant les contours de la lettre d'intention, tout semble avoir été dit sur cet engagement à géométrie variable. Pourtant, tel n'est pas encore le cas. La casuistique se révèle plus forte que jamais : de nature et d'intensité variables, quelles obligations emportent l'engagement de faire le nécessaire ?

Rappelons-nous.

Depuis un arrêt de la Cour de cassation du 21 décembre 1987 (Cass. com., 21 décembre 1987, n° 85-13.173, Société anonyme de droit espagnol Viuda de José Tolra c/ Société régionale de développement du Languedoc-Roussillon N° Lexbase : A3867AGC, Bull. civ. IV, n° 281), on a tenté de distinguer les lettres de confort constitutives d'une garantie de celles qui n'en sont pas -tels que les engagements d'honneur.

L'importance de cette distinction est une évidence : lorsque la lettre d'intention est constitutive d'une garantie, elle entre dans le champ d'application de l'article L. 225-35 du Code de commerce et cet engagement est donc soumis, pour les sociétés anonymes, à l'autorisation du Conseil d'administration. Est considéré ainsi comme une garantie, l'engagement de se substituer au débiteur en cas de défaillance -cautionnement- ou celui, qualifié d'obligation de résultat, contenant l'assurance que ce dernier sera en mesure de satisfaire à ses obligations. Lorsque l'auteur de l'engagement s'engage simplement à "prendre tous les moyens", ou "à faire en sorte de les prendre", son obligation est de moyens engageant la responsabilité de son auteur seulement en présence d'une faute prouvée.

Puis, la Cour de cassation, dissociant toujours les lettres de confort renfermant une obligation de moyens et celles contenant une obligation de résultat, a réduit ces dernières à la seule hypothèse où le souscripteur de la lettre avait pris l'engagement de se substituer au débiteur et de payer le créancier à la place de ce dernier.

La jurisprudence "Sony" (Cass. com., 26 janvier 1999, n° 97-10.003, Société Sony Music Entertainment France c/ Société France Télécom N° Lexbase : A4640AGX, D. 1999., jur. p. 577) et une autre décision postérieure (Cass. com., 18 avril 2000, n° 97-19.043, Crédit d'équipement des petites et moyennes entreprises (CEPME) c/ Compagnie française Chaufour investissement N° Lexbase : A6651AHS, Bull. civ. IV, n° 78), laissaient entendre qu'une lettre de confort, aux termes de laquelle le signataire n'avait pris aucun engagement de régler en lieu et place du débiteur, devenait une simple obligation de moyens (V. dans le même sens, Cass. com., 16 mai 2000, n° 97-11.754, Société Ton sur Ton et autres c/ Banque de Paris et Co Deutschland OHG N° Lexbase : A5067AYC, Bull Joly 2000 p. 803 ; CA Paris, 15ème ch., sect. A, 16 janvier 2001, Bull. Joly sociétés, 2001, p. 374).

Dès lors, seule l'obligation de résultat assurant directement le paiement de la créance du débiteur principal donnait naissance à une garantie. A l'inverse, la Cour de cassation décidait que si l'auteur d'une lettre d'intention n'avait pas pris cet engagement précis, son obligation n'était que de moyens et ne constituait donc pas une garantie susceptible d'autorisation. Pour exemple, les obligations de fournir au débiteur les moyens financiers, de surveiller sa gestion ou de demeurer son actionnaire étaient des obligations de moyens. Seul, l'engagement de payer devait être, de ce fait, autorisé par le conseil d'administration de la société.

Cette vision pour le moins restrictive d'une obligation de résultat fût, à juste titre, critiquable. L'engagement de payer la dette d'autrui, et donc de se substituer au débiteur défaillant, n'est pas autre chose qu'un cautionnement. Et, paradoxalement, l'émetteur de la lettre de confort n'est pas une caution : le but de son engagement est autre que le paiement de la dette du débiteur.

Ce dilemme devait être résolu.

La Cour de cassation s'en est chargée.

Et ce, au gré de plusieurs décisions successives depuis 2002 dont la dernière, en date du 19 avril 2005, semble sonner définitivement le glas de la jurisprudence "Sony", "la société qui s'oblige à faire le nécessaire pour que sa filiale respecte ses engagements envers un tiers contracte à l'égard de celui-ci une obligation de faire qui s'analyse en une obligation de résultat". La lettre de confort comportant un engagement de faire le nécessaire est, par nature, une obligation de résultat constitutive d'une garantie.

Faisons le point sur ce nouveau feuilleton jurisprudentiel.

La Haute juridiction, de changement d'humeur en revirement, s'est rapprochée, par une décision du 9 juillet 2002, de sa position de principe adoptée le 21 décembre 1987. Ainsi, une lettre de confort "peut [...] constituer à la charge de celui qui l'a souscrite un engagement contractuel de faire ou de ne pas faire pouvant aller jusqu'à l'obligation d'assurer un résultat, si même elle ne constitue pas un cautionnement". Dans cette décision, la cassation fût prononcée, les juges du fond ayant affirmé l'existence d'une obligation de moyens là où, selon la cour, il y avait une obligation de résultat.

Dans cette espèce, le créancier avait accepté de donner mainlevée d'une hypothèque garantissant le remboursement d'un prêt accordé à une filiale contre l'engagement pris par la société mère de "veiller au bon déroulement" de l'opération de restructuration et de faire envers le créancier "le nécessaire pour la mener à bonne fin".

Les faits sont éloquents : le "nécessaire" inclut aussi le remboursement de la dette de la filiale, mais -et, c'est là sans conteste une évolution par rapport à la jurisprudence "Sony"- la lettre de confort n'en devient pas pour autant un cautionnement. L'auteur de la lettre d'intention ne paye pas la dette du débiteur mais répare le dommage que cause au créancier la défaillance de celui-ci, dommage qui peut, certes, être l'équivalent du montant de sa créance.

Puis, à nouveau, le 19 avril 2005, la Cour de cassation semble perdurer en ce sens. Une obligation de faire est une obligation de résultat lorsque la société mère s'engage à ce que sa filiale respecte ses engagements et dispose d'une trésorerie suffisante à cet effet.

L'obligation de faire le nécessaire serait donc une obligation de résultat, certes soumise à autorisation, mais dont la preuve est censée être aisée à rapporter et ce, contrairement à l'obligation de moyens.

A l'analyse, l'intensité des obligations a toujours une sorte d'influence sur la nature de l'engagement souscrit.

Peut-être, le temps serait-il venu d'abandonner cette distinction, obligation de moyens/obligation de résultat, qui n'a d'influence que sur le régime de la preuve (M. Cabrillac et C. Mouly, Droit des sûretés, 6ème éd., Litec 2002, n° 481 in fine ; Revue des sociétés, Août-Septembre 2005, p. 11) et, de relever simplement, la présence ou non d'une obligation de faire ?

Faire le nécessaire, qu'est-ce ?

C'est garantir le fait d'autrui.

D'une nature autre que le cautionnement, cet engagement couvre, néanmoins, toutes sortes de défaillances. C'est, au moins, une garantie d'influence future et, au plus, une garantie de solvabilité.

L'obligation de faire le nécessaire est, comme toute obligation susceptible de degrés : la société mère, auteur de la lettre, peut s'engager à intervenir auprès de la filiale pour qu'elle réponde de ses engagements, ou pour qu'elle ait les moyens de les exécuter et, enfin, qu'au besoin, elle les lui fournisse.

Au final, bien entendu, le résultat recherché par cette garantie est de permettre au débiteur de payer sa propre dette. Mais, cela ne signifie pas, de facto, promettre le paiement de la dette d'autrui. Il s'agit pour l'auteur de la lettre, d'exécuter une obligation personnelle de facere : maintenir la structure financière du débiteur, mettre des fonds à sa disposition, contrôler sa gestion, maintenir sa participation, consentir des apports en compte courant, des avances de trésorerie, accroître son chiffre d'affaires ou souscrire à une augmentation de capital, etc.

Dans les décisions récentes, l'obligation de faire consistait dans le maintien de la situation financière de la filiale.

C'est donc un engagement, non de payer, mais de faire en sorte que le débiteur soit en mesure de payer. L'obligation de faire suppose, alors, l'exécution d'un fait positif : l'auteur de la lettre s'engage au bon déroulement d'une opération et fera le nécessaire pour la mener à bonne fin.

Une fois éprouvé, l'engagement de faire le nécessaire n'a plus besoin du recours ultime à la distinction presque ancestrale et issue du droit de la responsabilité civile entre l'obligation de moyens et l'obligation de résultat.

Il ne peut en être autrement. Il est temps de qualifier cet engagement sans pour autant confondre sa nature et son régime.

C'est cette prochaine étape qu'il reste à franchir... à suivre donc !

Marie-Elisabeth Mathieu
Maître de conférences à l'Université d'Evry - Val d'Essonne
Membre du Centre de formation professionnelle notariale de Paris
JeantetAssociés

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