La lettre juridique n°193 du 8 décembre 2005 : Sécurité sociale

[Evénement] Transferts d'entreprise et protection sociale d'entreprise : les droits acquis dans le séisme de la restructuration

Réf. : 27ème colloque organisé par Droit social et présidé par Jean-Emmanuel Ray sur les Restructurations

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[Evénement] Transferts d'entreprise et protection sociale d'entreprise : les droits acquis dans le séisme de la restructuration. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3207782-evenementtransfertsdentrepriseetprotectionsocialedentrepriselesdroitsacquisdansleseisme
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par Propos recueillis par Aurélie Serrano, SGR - Droit social

le 07 Octobre 2010

A la différence des contrats de travail, transférés au cessionnaire par l'effet de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail (N° Lexbase : L5562ACY), les droits à prestation de vieillesse ne sont pas transférés au nouvel employeur. Dès lors, se pose la question de l'impact d'un transfert d'entreprise sur les régimes de protection sociale. La révision d'un régime de prévoyance complémentaire peut se révéler nécessaire, notamment en cas de transfert d'entreprise, lorsque l'équilibre financier du régime est menacé. Pourtant, une telle révision risque de se heurter aux droits acquis des salariés. Dès lors, comment peut-on concilier ces deux intérêts a priori divergents ? Patrick Morvan, Professeur à l'Université Paris II - Panthéon Assas, est intervenu, lors du 27ème colloque sur les restructurations organisé par Droit social, le 1er décembre dernier, sur le thème "Transferts d'entreprise et protection sociale d'entreprise : les droits acquis des salariés dans le séisme de la restructuration". Sur ce sujet majeur mais rarement abordé, le Professeur Morvan a développé les axes suivants.
  • La nécessaire adaptation du régime de prévoyance et la préservation des droits acquis des salariés

Les relations juridiques triangulaires qui se nouent entre l'assureur, l'employeur et les salariés à l'occasion d'un contrat de prévoyance sont, par nature, d'une grande complexité (lire Patrick Morvan, Les transferts d'entreprise et les régimes de protection sociale, Dr. soc. n° 7-8, juillet-août 2005, p. 772). Le contrat d'assurance conclu entre l'employeur et l'assureur est inopposable aux salariés. La norme collective instituant dans l'entreprise un régime de protection sociale est, quant à elle, inopposable à l'assureur. Il existe donc un risque de décalage entre les engagements de l'assureur et ceux de l'employeur. Lors d'un transfert d'entreprise, ces liens peuvent être rompus ou réorganisés, ce qui complique encore un peu le paysage juridique.

L'enjeu financier pour l'employeur est extrêmement important. En effet, il reste le débiteur à titre principal des prestations complémentaires, l'assureur n'étant tenu de servir les prestations que dans la limite des actifs disponibles. L'employeur doit donc supporter un éventuel déficit des fonds collectifs. Là encore, ces enjeux financiers sont accrus en cas de restructuration.

Le transfert d'entreprise peut rendre nécessaire une adaptation de la couverture sociale et du contrat d'assurance. Pourtant, les salariés peuvent opposer à leur employeur leur contrat de travail et leur statut collectif. De même, l'employeur ne pourra pas remettre en cause les droits acquis des salariés.

  • La pauvreté des textes applicables

Le législateur, tant au niveau communautaire qu'au niveau national, se montre peu prolixe sur la question de l'évolution d'un régime de protection sociale en cas de transfert d'entreprise.

La Directive du 12 mars 2001 (Directive (CE) n° 2001/23 du Conseil du 12 mars 2001, concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d'entreprises, d'établissements ou de parties d'entreprises ou d'établissements N° Lexbase : L8084AUX) dispose que les Etats membres doivent adopter "les mesures nécessaires pour protéger les intérêts des travailleurs ainsi que des personnes qui ont déjà quitté l'établissement du cédant au moment du transfert, en ce qui concerne leurs droits acquis ou en cours d'acquisition à des prestations de vieillesse, y compris les prestations de survivants" au titre des régimes complémentaires. En effet, à la différence des contrats de travail, transférés au cessionnaire par l'effet de l'article L. 122-12, les droits à prestation de vieillesse ne sont pas transférés au nouvel employeur. Toutefois, il n'existe aucune disposition spécifique sur la protection sociale.

En droit interne, l'article L. 913-2 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L5842ADQ) dispose qu'"aucune disposition entraînant la perte des droits acquis ou en cours d'acquisition à des prestations de retraite, y compris à la réversion, des salariés ou anciens salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur ou de transfert d'entreprises, d'établissements ou de parties d'établissements à un autre employeur, résultant d'une cession conventionnelle ou d'une fusion, ne peut être insérée à peine de nullité dans les conventions, accords ou décisions unilatérales mentionnés à l'article L. 911-1". Mais ce texte se contente de prévoir une cause de nullité sans prévoir la garantie des droits des salariés.

De même, la loi "Evin" (loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989, renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques N° Lexbase : L5011E4D) est extrêmement lacunaire s'agissant de la protection des droits des salariés, notamment en cas de transfert d'entreprises.

  • L'intangibilité de la pension liquidée

En tout état de cause, le principe est celui de l'intangibilité de la pension de retraite liquidée, tant en ce qui concerne les régimes de base (Cass. soc., 13 mai 1980, n° 79-11457, Duroux c/ Cram Rhône-Alpes, publié N° Lexbase : A3028CHM) que les régimes complémentaires obligatoires (Cass. soc., 13 mai 1980, n° 79-11457, Duroux c/ Cram Rhône-Alpes, publié N° Lexbase : A3028CHM) et supplémentaires (Cass. soc., 11 juin 1992, n° 90-13.000, M Jean-Marie c/ Caisse de prévoyance de la Société française des pétroles BP, publié N° Lexbase : A5114ABZ). La dénonciation d'un usage instituant un avantage vieillesse n'a plus d'effet une fois que la retraite a été liquidée. La Cour de cassation lie ainsi l'employeur, en matière de prestations vieillesse, par un engagement perpétuel.

  • Révision et dénonciation des normes collectives mettant en place un régime de protection sociale

En dehors des principes précédemment énoncés, le sort d'un régime de prévoyance mis en place dépendra de la norme collective qui est à sa source. Aux termes de l'article L. 911-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L5832ADD) et de la loi Evin (N° Lexbase : L5011E4D), les seules sources pouvant instaurer un régime de prévoyance, en dehors des dispositions législatives ou réglementaires, sont les conventions ou accords collectifs, les projets d'accords ratifiés à la majorité des intéressés et les engagements unilatéraux de l'employeur. Dès lors, trois cas sont à étudier.

- Quand une convention ou un accord collectif est à la source du régime, l'article L. 132-7 du Code du travail (N° Lexbase : L4696DZX) fixe les modalités de révision.

La convention et l'accord collectif de travail prévoient les formes selon lesquelles et l'époque à laquelle ils pourront être renouvelés ou révisés. Les organisations syndicales de salariés représentatives qui sont signataires d'une convention ou d'un accord collectif de travail ou qui y ont adhéré sont seules habilitées à signer, dans les conditions visées à l'article L. 132-2-2, les avenants portant révision de cette convention ou de cet accord. Enfin, l'avenant portant révision de tout ou partie de la convention ou de l'accord collectif se substitue de plein droit aux stipulations de la convention ou de l'accord qu'il modifie et est opposable, dans les conditions fixées à l'article L. 132-10, à l'ensemble des employeurs et des salariés liés par la convention ou l'accord collectif de travail.

L'article L. 132-8 du Code du travail (N° Lexbase : L5688ACN) fixe les modalités de dénonciation des accords collectifs et les règles applicables postérieurement à cette dénonciation. A défaut de dispositions contraires prévues par l'accord initial, les parties doivent, tout d'abord, respecter un préavis de 3 mois avant que cette dénonciation ne puisse être effective. Passé ce délai de 3 mois, la convention collective continue de produire ses effets pendant une durée n'excédant pas 12 mois, sauf délai conventionnel plus long. Pendant cette période, la conclusion d'un nouvel accord mettra un terme à la survie du précédent. En revanche, si aucun accord de substitution n'a été conclu au-delà de ce délai, les salariés ne conservent que le bénéfice des avantages individuels acquis sur le fondement de l'accord dénoncé.

En cas de dénonciation d'un accord dans une entreprise, durant la période de survie provisoire, deux accords peuvent coexister. En cas de transfert d'entreprise, les salariés transférés pourront revendiquer l'application de l'accord le plus favorable. En outre, en cas de transfert d'entreprise, se pose la question du maintien provisoire de l'accord collectif mis en cause, au profit des salariés transférés au sein de l'entreprise cessionnaire. Un tel maintien est loin d'être évident. En effet, le transfert d'entreprise risque de pousser l'assureur à résilier le contrat d'assurance avec le nouvel employeur. D'une manière générale, il est souhaitable de mettre fin au plus vite à la coexistence d'accords au sein d'une même entreprise par la conclusion d'un accord de substitution.

- Lorsqu'un accord référendaire est à la source du régime, les dispositions applicables en matière de révision et de dénonciation ne sont pas aussi précises. En effet, le décret d'application de l'article L. 911-5 du Code de la Sécurité sociale qui devait préciser les conditions de révision ou de mise en cause d'un accord référendaire n'a toujours pas vu le jour.

En principe, un régime complémentaire institué par accord référendaire peut être modifié ou révisé par accord collectif ou par accord référendaire. Il est, en revanche, moins sûr qu'un accord référendaire puisse modifier un accord collectif. La Cour de cassation a précisé, dans un arrêt du 26 septembre 2002 (Cass. soc., 26 septembre 2002, n° 01-00.550, FS-D N° Lexbase : A4826AZR) que si la dénonciation unilatérale d'un accord référendaire instituant un régime de retraite supplémentaire et créé sur initiative de l'employeur intervient en dehors de toute fraude ou conditions fautives et respecte les droits acquis, elle est valable pour l'avenir.

- Quand un engagement unilatéral est à la source du régime, il est en principe transmis au nouvel employeur par le simple effet du transfert d'entreprise (Cass. soc., 4 février 1997, n° 95-41.468, Société Total raffinage distribution c/ Consorts Rocaboy et autres N° Lexbase : A2094ACK).

Le nouvel employeur ne peut mettre fin à l'engagement unilatéral pris par l'ancien employeur qu'à la condition de prévenir individuellement et par écrit les salariés et les institutions représentatives du personnel dans un délai permettant d'éventuelles négociations (Cass. soc., 31 janvier 1995, n° 91-43.822, Société anonyme Etablissements Barrault, agisssant par la personne de son président-directeur général M Claude Barrault c/ M Gérard Fichepain, inédit N° Lexbase : A1862AA9).

  • Remise en cause de la protection sociale et droits acquis

La dénonciation régulière de la convention ou de l'accord collectif, de l'accord référendaire ou de l'engagement unilatéral s'applique de plein droit aux salariés. Cependant, les avantages acquis des salariés ne peuvent, en principe, pas être remis en cause par l'employeur. Cette solution a été consacrée par l'arrêt "Naphtachimie" du 3 juin 1997 (Cass. soc., 3 juin 1997, n° 94-40.347, Société Naphtachimie c/ M Charrier, publié N° Lexbase : A1590ACU). De même, la Cour de cassation précise, dans un arrêt du 30 novembre 2004, que "le versement volontaire par l'employeur d'une prime dite de milieu d'année postérieurement à la mise en retraite du salarié entraîne la transformation de la prime versée pendant la période d'activité en un avantage de retraite et que, dès lors, la dénonciation de l'usage instituant la prime ne remet pas en cause cet avantage après la liquidation de la retraite" (Cass. soc., 30 novembre 2004, n° 02-45.367, FS-P+B N° Lexbase : A1245DET).

Dans un arrêt du 17 mai 2005 (Cass. soc., 17 mai 2005, n° 02-46.581, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A2996DIS, lire Emilie Zieleskiewicz, Avantage de retraite et dénonciation de l'accord collectif, Lexbase Hebdo n° 171 du 8 juin 2005 - édition sociale N° Lexbase : N5203AIK), la Chambre sociale de la Cour de cassation vient définir de manière plus précise les contours de la notion de droits acquis en matière de prestation de retraite, auxquels un accord de substitution ne peut porter atteinte et, ce faisant, qualifie d'avantages collectifs susceptibles d'être remis en cause les modalités de revalorisation de la pension de retraite. Ainsi, les salariés ont droit au niveau de la pension atteint au jour de la dénonciation, mais ils ne bénéficient pas des modalités de revalorisation.

La Cour de cassation consacre, dans ces arrêts, l'engagement perpétuel de l'employeur. La seule porte de sortie est de substituer à l'engagement unilatéral un accord collectif, fût-ce dans un sens moins favorable, à condition que celui-ci ait le même objet. Toutefois, le contrôle des juges sur l'identité d'objet est très strict, ainsi qu'en témoigne un arrêt de la Cour de cassation du 12 avril 1995 (Cass. soc., 12 avril 1995, n° 91-41.470, Caisse mutuelle d'assurance sur la vie de la métallurgie, des houillères et des mines (CMAV) c/ Mme Simone Lellouche, inédit N° Lexbase : A9198CR4).

  • La distinction entre les droits acquis et les droits éventuels

La remise en cause des droits issus d'un régime de protection sociale d'entreprise dépendra du système mis en place.

Dans les régimes à prestations définies, les droits des salariés sont  subordonnés à la liquidation de la retraite. En outre, une condition de présence est inscrite. Il s'agit donc de droits éventuels qui peuvent disparaître en cas d'accord de révision. Ces droits sont perdus si le travailleur n'est pas présent dans l'entreprise au moment où il prend sa retraite.

S'agissant de la condition de présence, il importe peu, pour que celle-ci s'applique, que le licenciement ait une cause réelle et sérieuse. La seule limite, exceptionnelle, est la mauvaise foi de l'employeur. Ainsi, la Cour de cassation juge que la condition est réputée accomplie "lorsque c'est le débiteur, obligé sous cette condition, qui en a empêché l'accomplissement" (Cass. soc., 13 novembre 2002, n° 00-46.448, Société Transport du Val-de-Seine (TVS) c/ Mme Brigitte Montibert, F-D N° Lexbase : A7377A3M). Dans cette espèce, l'employeur s'était engagé au paiement d'une prime d'objectifs à la condition que le salarié soit présent dans l'entreprise au moment de son versement. L'employeur ayant licencié le salarié, la condition de présence de celui-ci dans l'entreprise au moment du versement de la prime n'était pas remplie. Pourtant, le licenciement étant sans cause réelle et sérieuse. La Cour de cassation rappelle qu'en l'espèce, c'est l'employeur qui a empêché la condition de se réaliser en licenciant le salarié sans cause réelle et sérieuse. En conséquence, les autres conditions de versement de la prime étant remplies, celle-ci était due au salarié.

Plus généralement, le manquement à l'obligation de bonne foi peut engager la responsabilité contractuelle de l'employeur (Cass. soc., 4 juin 2002, n° 00-42.280, FS-P N° Lexbase : A8583AYK).

En cas de transfert d'entreprise, la défaillance de la condition de présence est liée à la décision de l'employeur de céder le contrat de travail. Pour autant, le travailleur ne peut engager la responsabilité de l'employeur puisque le transfert est bien "un effet de la loi et non de la volonté de l'employeur". La seule limite reste, ici encore, le respect de l'obligation de bonne foi et l'absence de fraude.

En revanche, dans les régimes à cotisations définies, les droits sont acquis par le travailleur au fur et à mesure de sa contribution et ne peuvent pas être remis en cause par un accord postérieur. Il s'agit donc de droits acquis, immuables, et qui constituent le seul rempart des salariés en cas de remise en cause d'un régime de protection sociale.

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