La lettre juridique n°193 du 8 décembre 2005 : Procédures fiscales

[Le point sur...] La Convention européenne des droits de l'Homme à l'épreuve de la confrontation fiscale : l'impact incertain de la CESDH circonscrit à la matière fiscale (1ère partie)

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N1760AKE

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[Le point sur...] La Convention européenne des droits de l'Homme à l'épreuve de la confrontation fiscale : l'impact incertain de la CESDH circonscrit à la matière fiscale (1ère partie). Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3207776-lepointsurlaconventioneuropeennedesdroitsdelhommealepreuvedelaconfrontationfiscaleli
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par Jean-Marc Priol, Avocat au Barreau des Hauts-de-Seine, Landwell & Associés

le 07 Octobre 2010

La dimension, désormais, européenne de la gestion de la fiscalité par le contribuable s'illustre dans l'invocation de ses droits garantis plus par le Traité instituant la Communauté européenne (Traité CE), au regard de la jurisprudence la plus récente, que par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme (CESDH) dont l'applicabilité à la fiscalité se trouve, pour un temps, remise en cause. A la différence des dispositions du Traité CE, qui visent essentiellement des droits économiques, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales vise les droits attachés à la personne, distinguant les droits substantiels des droits processuels. Il sera observé que le préambule de la Convention se réfère à la Déclaration des droits de l'homme proclamée par l'Assemblée générale des Nations-Unies en décembre 1948. Les dispositions en question ont un effet direct et sont directement invocables en droit interne et supérieurs à celui-ci par application des dispositions de l'article 55 de la Constitution (N° Lexbase : L1320A9R). Quand est-il en matière fiscale de l'application desdites dispositions ? Peut-on, en effet, valablement et avec la même efficacité que pour le Traité CE utiliser les dispositions de la Convention pour contester une loi fiscale de procédure ou de fond ? Et quand est-il de l'application à la fiscalité de l'entreprise ? N'y a-t-il pas un paradoxe à l'application à la matière fiscale de la Convention européenne des droits de l'homme ? En ce qui concerne ce dernier point il convient d'observer que la Convention n'est pas seulement applicable aux particuliers, personnes physiques, mais aussi aux entreprises, selon la jurisprudence de la Cour, par référence aux dispositions de l'article 34 de la CESDH (N° Lexbase : L4769AQP) portant sur le droit de recours individuel et l'article 41 de la même Convention (N° Lexbase : L4777AQY) portant sur le droit à réparation (CEDH, 6 avril 2000, req. 35382/97, Comingersoll SA c/ Portugal N° Lexbase : A6763AWE ; CEDH, 16 avril 2002, req. 37971/97, Sociétété Colas Est et autres c/ France N° Lexbase : A5397AYK). En revanche, en ce qui concerne les collectivités territoriales ou locales, l'application de la Convention paraît soulever des difficultés sérieuses tenant au fait qu'elles sont considérées comme "les pendants de l'Etat" et qu'on ne pourrait démembrer un Etat, étant observé que ce dernier ne peut intenter un procès à lui-même.

1. Un champ d'application à la matière fiscale a priori large mais controversé des droits substantiels et processuels de la CESDH

L'invocation de la Convention par le contribuable à l'appui de ses recours ne répond pas dans la majorité des cas à ses attentes, se soldant le plus souvent par des décisions de rejet qui sont autant de déclarations de conformité des dispositions de droit interne à la Convention.

Mais il y a plus, le doute s'est introduit dans les esprits sur l'applicabilité de la Convention à la matière fiscale laissant la place à la controverse.

1.1. Les droits substantiels attachés à la personne, aux biens, ainsi qu'à la propriété

  • Pour ce qui concerne les premiers, parmi les droits dont la conformité a été examinée sur le plan fiscal avec la Convention, nous trouvons dans l'ordre :

- le respect de la personne humaine (CESDH, art. 3 N° Lexbase : L4764AQI) ;
- le droit à la liberté et à la sûreté (CESDH, art. 5.1.b N° Lexbase : L4786AQC) ;
- le droit au respect de la vie et du domicile (CESDH, art. 8 N° Lexbase : L4798AQR) ;
- le droit au respect de la liberté religieuse (CESDH, art. 9 N° Lexbase : L4799AQS) ;
- le droit au respect de la liberté d'expression (CESDH, art. 10 N° Lexbase : L4743AQQ).

C'est en premier lieu, en matière de condamnation pénale pour fraude fiscale que s'est exercé le contrôle de conventionalité, notamment sur le point de savoir si les peines complémentaires d'affichages d'un jugement pénal constituaient ou non au regard du respect de la personne humaine un traitement dégradant. La Chambre criminelle de la Cour de cassation a répondu par la négative (Cass. crim., 26 mars 1990, n° 89-82.637, Blanchet Louis c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A7829BSR). De même, le régime de la contrainte par corps n'a pas été jugé dans un premier temps incompatible au regard du droit à la liberté et à la sûreté (Cass. com., 12 octobre 1993 n° 1453 D) alors que la CEDH (CEDH, 8 juin 1995, req. 11/1994/458/539, Jamil c/ France N° Lexbase : A6664AWQ) devait juger ultérieurement que ses dispositions étaient contraires à l'article 7 de la CESDH (N° Lexbase : L4797AQQ), dans la mesure où la contrainte revêtait le caractère d'une peine laquelle ne pouvait être ordonnée que par un juge.

En matière de procédure, telle celle afférente aux demandes d'éclaircissements ou de justifications visées à l'article L. 16 du LPF (N° Lexbase : L5579G4E), ou encore celle portant vérification de comptabilité ou organisant les visites domiciliaires de l'article L. 16 B (N° Lexbase : L8235DNC) n'ont pas été jugées contraires au regard du respect de la vie privée et du domicile, dès lors que ces procédures se trouveraient entourées de garanties suffisantes et effectives (CE, Contentieux, 1er juin 1990, n° 52470, Boix c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A4747AQU ; CE, Contentieux, 15 décembre 1993, n° 84181, M. Miquel c/ Ministre du Budget N° Lexbase : A1693ANZ ; Cass. com., 9 février 1993, n° 91-21.699, M Feingold c/ Directeur général des impôts N° Lexbase : A6628AB4 ; CEDH, 8 janvier 2002, Req. 51578/99, Keslassy c/ France N° Lexbase : A9798DDA).

En matière de taxation, qu'il s'agisse de l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés ou à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) frappant des activités à caractère lucratif ou d'une taxe spécifique frappant des services interactifs à caractère pornographique, ces cotisations d'impôt n'ont pas été déclarées contraires à la Convention (CAA Nantes, 18 novembre 1992, n° 90NT00497, Eglise de scientologie c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A7492A8Y).

  • Pour ce qui concerne les seconds, parmi les droits dont la conformité a été examinée sur le plan fiscal avec la Convention, nous trouvons dans l'ordre :

- le droit au respect des biens et de la propriété (CESDH, protocole additionnel art. 1er [LXB=]) ;
- l'interdiction des discriminations (CESDH, art. 14 N° Lexbase : L4747AQU).

Le respect du droit au respect des biens et de la propriété trouve une application en matière fiscale qui a été reconnue par la CEDH et le Conseil d'Etat aussi bien dans les litiges portant sur la détermination de l'assiette de l'impôt que sur le recouvrement de ce dernier (CEDH, 23 octobre 1990, req. 17/1989/177/233, Darby c/ Suède N° Lexbase : A6337AWM ; CE 19 mai 1990, Gonzales de Gaspard, n° 88782/95932 ; CE, Contentieux, 30 juin 2000, n° 181003, M. Manchec c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A0646AWT ; CE, Contentieux, 25 avril 2001, n° 213460, Société Parfival c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A3587ATZ).

Toutefois, l'attention doit être attirée sur le fait que ce principe ne fait pas obstacle à ce que chaque Etat mette en oeuvre les lois nécessaires pour assurer le paiement de l'impôt sous réserve que la mise en oeuvre de ces dernières ne soit ni arbitraire, ni sélective et imprévisible et qu'elles respectent le principe de proportionnalité (CEDH, 22 septembre 1994, req. 13616/88, Hentrich c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A5109AYU).

Concernant ce dernier point, les contribuables ont été amenés à s'interroger sur le point de savoir si certaines impositions n'étaient pas susceptibles de porter une atteinte excessive au droit de propriété, en raison de la disproportion observée entre le montant des cotisations d'impôt ou de taxes et les facultés contributives du contribuable propriétaire. Il en a été, ainsi, dans l'hypothèse du refus d'exonération de la taxe foncière en cas de vacance de locataires et des dispositions de l'article 164 C du CGI assujettissant les personnes non domiciliées en France, mais y disposant une habitation, à une imposition sur le revenu sur une base égale à trois fois la valeur locative réelle de l'habitation (CAA Paris, 1ère ch., A, 29 novembre 2002, n° 01PA03042, Société Les Gâtines c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A7463A48 ; CAA Paris, 2ème ch., B, 6 décembre 2002, n° 98PA04089, M. Von Bernwitz c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A7450A4P). Dans ces deux affaires, si le juge de l'impôt a accepté de regarder l'applicabilité des dispositions de l'article 1er du premier protocole à ces deux situations, il les a écartées, au motif tiré de ce qu'elles découlaient de l'application du texte fiscal et de ce que le contribuable ne justifiait pas au vu des éléments du dossier du caractère confiscatoire.

A l'occasion de la contestation des lois rétroactives ou de validation, la question s'est posée préalablement de savoir pour l'invocation desdites dispositions si le droit à remboursement pouvait être assimilé à un droit à créance (CE, 9° et 10° s-s., 21 décembre 2001, n° 211663, SCI Le Complexe c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A9769AX4 ; CE, 3° et 8° s-s., 22 mai 2002, n° 231105, SARL Berre Station c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A8251AYA), ce qui a été admis par le Conseil d'Etat qui, pour autant, n'a pas censuré ces lois, au motif tiré qu'elles poursuivent un motif d'intérêt général de nature à justifier la validation qu'elles prononcent.

La CEDH (CEDH, 16 avril 2002, req. 37971/97, Sociétés Colas Est et Autres c/ France, précité) a condamné la France, sur le fondement des dispositions dudit protocole en considérant qu'une créance, voire "une espérance légitime" constituent des biens au sens de ces dernières dans une affaire où un contribuable invoquant une violation du droit communautaire demandait réparation, par la voie du recours en responsabilité, du préjudice subi pour lui du paiement d'une imposition dont il n'avait pu obtenir la décharge par la voie du recours plein contentieux.

L'interdiction de discrimination, équivalent au principe d'égalité en droit interne, ne peut que concerner les discriminations de situations entre contribuables et non celles entre les contribuables et l'Etat (CE, Contentieux, 12 avril 2002, n° 239693, SA Financière Labeyrie c/ Ministre de l'Econommie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A6303AY4).

1.2. Les droits processuels attachés à garantir le droit à un procès équitable (pour les litiges portant contestation sur des droits et obligations de caractère civil ou portant sur le bien-fondé de toute accusation en matière pénale)

Selon l'article 6, §1, de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR), "toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle [...]".

On observera l'article 6 § 3 (a) de la CESDH, d'après lequel "tout accusé à droit à être informé dans le plus court délai [...] d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui".

La question s'est posée de savoir si ces droits ne s'appliquaient seulement qu'à la seule phase juridictionnelle des litiges à l'exclusion de la phase administrative contentieuse (CE, 9° et 8° s-s., 18 mars 1994, n° 68799, SA Sovemarco Europe c/ Ministre de l'Economie, des Finances et du Budget N° Lexbase : A2246B8P). Il semble que depuis cette dernière jurisprudence et, notamment, la jurisprudence de la CEDH (CEDH, 26 septembre 1996, req. 47/1995/553/639, Miailhe c/ France N° Lexbase : A3186AUK ; Cass. crim., 28 janvier 1991, n° 90-81.526, Lavigne Daniel c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A3374ACX) sur l'applicabilité de l'article 6 § 1 à la procédure suivie devant la Commission des infractions fiscales (CIF), les deux hautes cours des deux ordres de juridiction admettent l'application desdites dispositions dans la phase administrative préalable des contestations fiscales devant des organismes "pseudo-juridictionnels" (CE, Plén. 5 février 1999, COB c/ Oury, pour la commission des opérations de bourse ; CE, Contentieux, 3 décembre 1999, n° 207434, Didier c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A3242AUM).

Par ailleurs la Cour a sanctionné la France sur le fondement des dispositions de l'article 6 § 1 de la Convention au nom de l'impartialité objective (CEDH, 7 juin 2001, req. 39594/98, Kress c/ France N° Lexbase : A2964AUC ; CEDH, 10 octobre 2002, req. 44565/98, Théraude c/ France N° Lexbase : A9620AZC) en considérant que violait lesdites dispositions la participation du commissaire du Gouvernement au délibéré de la formation de jugement. La jurisprudence de la Cour à l'appui de ces mêmes arrêts a, également, condamné la France pour la longueur déraisonnable de la procédure contentieuse subie par les requérants.

En revanche, sur le fondement des mêmes dispositions, n'a pas été considéré contraire au regard de ces dernières et comme portant atteinte au procès fiscal le fait pour l'administration de disposer dans le cadre de la procédure de redressement d'un délai de réponse plus long que celui accordé au contribuable.

N'a pas été également considéré contraire, au regard du Pacte international de New York, l'inégalité instituée entre le contribuable et l'administration fiscale concernant les délais d'appel différents visés à l'article R. 200-18 du LPF (N° Lexbase : L4995AEQ), validant ainsi l'existence nécessairement disproportionnée des relations entre ces derniers (CE, Contentieux, 3 juin 1991, n° 71610, SA "Etablissements Bernstein" c/ Ministre du Budget N° Lexbase : A9083AQH).

En ce qui concerne le cumul des sanctions pénales et des sanctions administratives, il convient d'observer que cette anomalie résiste à l'épreuve de la règle "non bis in idem" visée à l'article 4 du protocole additionnel n° 7 de la CESDH, qui interdit un tel cumul, en raison des réserves faites par la France, qui a entendu limiter la portée de cette interdiction aux seules sanctions prononcées par le juge judiciaire statuant en matière pénale (Cass. crim., 20 juin 1996, n° 94-85796, Ponsetti Frédéric c/ Ministre de l'Economie, des Finances et del'Industrie, publié au bulletin, Rejet N° Lexbase : A2863CIU). La position française n'a pas été sanctionnée par la CEDH (CEDH, 14 septembre 1999, n° 36855/97 et 41731/98) qui, de plus, a admis la compatibilité de ce cumul mais dans les limites fixées par le Conseil constitutionnel, lequel a précisé que le total des amendes ne pouvait excéder le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues (Cons. const., 30 décembre 1997, n° 97-395 DC N° Lexbase : A8445ACR).

2. Un champ d'application limitée à la matière fiscale des articles 6 § 1, 1er du Protocole additionnel et 14 de la CESDH

Les articles 1er du Protocole additionnel et 6 § 1 et 14 de la Convention ne sont susceptibles de trouver à s'appliquer à la matière fiscale qu'à certaines situations et sous conditions, qui restreignent considérablement leur portée.

2.1. L'application de l'article 6 § 1 cantonnée aux sanctions fiscales

La Cour de cassation s'est alignée sur la jurisprudence de la CEDH (CEDH, 12 juillet 2001, req. 44759/98, Ferrazzini N° Lexbase : A7683AWH) et celle du Conseil d'Etat (CE, Contentieux, 26 novembre 1999, n° 184474, Guénoun c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A5161AXG ; CE, Contentieux, 2 juin 1989, n° 66604, De Saint Pern c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A1250AQD ; CE, 9° et 10° s-s., 8 mars 2002, n° 211327, Société Banque Nationale de Paris c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A4033AYZ) en abandonnant sa jurisprudence sur l'application aux litiges fiscaux (C. cass., Ass. plén., 14 juin 1996, n° 93-21.710, M Kloeckner c/ Directeur général des impôts N° Lexbase : A4628AY3) des dispositions de l'article 6-1 de la CESDH sur le droit de toute personne à un procès équitable (Cass. com., 12 juillet 2004, n° 01-11.403, FS-P+B+I N° Lexbase : A0977DDK).

Toutefois, cette décision ne concerne pas les litiges portant sur l'application des sanctions fiscales ayant un caractère "répressif" (CEDH, 24 février 1994, req. 00012547/86, Bendenoun c/ France N° Lexbase : A2994AUG ; CE, Contentieux, 31 mars 1995, n° 164008, Ministre du Buget c/ Méric N° Lexbase : A3250ANP ; Cass. com., 29 avril 1997, n° 95-20.001, M Ferreira c/ Directeur général des impôts N° Lexbase : A2005ACA) comme elle le précise, d'ailleurs, clairement en rappelant dans ses attendus que les juges du fond n'avaient "pas méconnu les dispositions l'article 6-1 de la Convention, qui, en l'absence de toute accusation en matière pénale, n 'est pas applicable au contentieux fiscal".

Il convient d'observer que se trouvent, d'abord, exclu les intérêts de retard d'un commun accord maintenant entre les deux Hautes juridictions (CE, Contentieux, 12 avril 2002, n° 239693, SA Financiers Labeyrie c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A6303AY4 ; Cass. com., 17 amrs 2004, n° 02-19.276, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A6335DBA).

Concernant l'assimilation des sanctions fiscales aux accusations en matière pénale, le problème se pose toujours, aujourd'hui, de savoir si le juge de l'impôt peut ou non user d'un pouvoir de modulation desdites sanctions. En premier lieu, une réponse négative est donnée par le Conseil d'Etat, qui considère que s'il doit exercer un contrôle sur la qualification du comportement du contribuable, il ne dispose pas, en revanche, du pouvoir de moduler le taux de la sanction prévue par la loi pour tenir compte de la gravité de la faute commise par l'intéressé (CE Contentieux, 5 avril 1996, n° 176611, M. Houdmond c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A8780ANI ; CE, avis, 8 juillet 1998, n° 195664, Fattell c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A9122AHC). En revanche, la Cour de cassation considère, au contraire, que le juge de l'impôt peut moduler (Cass. com., 29 avril 1997, n° 95-20.001, M Ferreira c/ Directeur général des impôts N° Lexbase : A2005ACA ; Cass. com., 1er juillet 2003, n° 00-13.966, F-D N° Lexbase : A0433C9W ; Cass. com., 20 octobre 1998, n° 96-20.772, M. Jean-Luc Charnallet c/ Directeur général des impôts, inédit, cassation partielle N° Lexbase : A7772CX7 ; Cass. com., 22 février 2000, n° 97-17.819, M. Gilbert Ferrière c/ M. le Directeur général des impôts N° Lexbase : A3466AUW ; Cass. com., 22 février 2000, n° 97-17.945, Société centrale immobilière du 71, rue Albert, à Paris 2e c/ Direction générale des impôts et autre N° Lexbase : A5247AWA). Pour ce qui concerne la Cour européenne, celle-ci ne s'est pas encore prononcée explicitement sur les sanctions fiscales, mais la Commission européenne, qui l'a précédé dans une affaire "Taddéi" (Comm.EDH, 29 juin 1998, n°36118/97), s'est prononcée négativement sur le pouvoir de modulation des pénalités de mauvaise foi prévue à l'article 1729 du CGI . En effet, la Commission observant que "cet article prévoit que le montant des pénalités est calculé sur la base et en pourcentage du montant des redressements infligés selon qu'il y a mauvaise foi ou manoeuvres frauduleuses", a exprimé l'avis que, "ce faisant, la loi elle-même prévoit et permet d'assurer la proportionnalité de la sanction aux faits reprochés ainsi qu'aux circonstances particulières de l'espèce". Il convient d'observer que la CEDH a, toutefois, apporté une réponse négative en la matière sur un sujet pas très éloigné concernant le retrait de points sur le permis de conduire (CEDH, 23 septembre 1998, req. 68/1997, Malige c/ France N° Lexbase : A0165C9Y).

Il est intéressant à cet égard de noter, que s'agissant de l'application de la majoration d'impôt de 10 % , la CEDH a estimé dans une décision finale sur la recevabilité d'un recours d'un ressortissant français (CEDH, 3 juin 2003, req. 54559/00, Jean Morel c/ France N° Lexbase : A1833DCU) que, "tant par son taux que par son montant en valeur absolue, cette majoration" étant de faible importance, elle était "loin de revêtir l'ampleur considérable des sommes sur lesquelles la Cour s'était fondée dans l'arrêt Benedenoum pour retenir le caractère pénal de l'affaire".

2.2. L'application de l'article 1er du 1er protocole additionnel et l'article 14 de la Convention.

Peut-on, en effet, encore envisager de développer, à défaut de pouvoir appliquer pleinement à la matière fiscale l'article 6 § 1 de ladite Convention, une argumentation fondée sur le non-respect de l'article 1 du 1er protocole additionnel à la CESDH qui garantit le droit au respect des biens.

Cette notion de respect des biens, interprétée largement par la CEDH, a permis à la jurisprudence (Cour européenne et Conseil d'Etat) d'apprécier la compatibilité d'une mesure en matière fiscale avec l'article 1 du 1er Protocole additionnel.

Ainsi, le Conseil d'Etat (CE, Contentieux, 11 juillet 2001, n° 219312, Ministre de la Défense c/ M. Préaud N° Lexbase : A5203AUA ; CE, 3° et 8° s-s., 22 mai 2002, n° 231105, SARL Berre Station c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A8251AYA), a analysé la compatibilité d'une disposition législative agissant rétroactivement sur un litige en cours avec l'article 1er du premier protocole additionnel.

De même un tribunal administratif (TA Pau, 6 mai 2003, recours n° 01 1063, M. Richard) a accepté de faire application de l'article 14 de la CESDH, contrairement aux conclusions rendues par son commissaire du Gouvernement, au regard de l'article 1503 du CGI , qui prévoit un régime de contestation différencié et discriminant suivant que le contribuable est ou non "propriétaire ou locataire de plus du dixième du nombre total des locaux de la commune". Ce jugement doit être rapproché de l'avis du Conseil d'Etat "SA Financière Labeyrie" précité, qui rappelle que les dispositions combinées de l'article 14 de la CESDH et de l'article 1er du 1er Protocole additionnel pourraient être utilement invoquées pour soutenir qu'une disposition fiscale est à l'origine d'une discrimination injustifiée entre contribuables. S'il devait être confirmé que l'impôt est susceptible, dans certaine situation, de porter atteinte au droit de propriété, on pourrait s'attendre dans l'avenir à une réorientation de la jurisprudence du Conseil d'Etat qui jusqu'à l'intervention de l'avis "SA Financière Labeyrie" s'est toujours refusé à considérer qu'une taxation pouvait être "regardée comme portant atteinte au droit de propriété" ou à écarter l'application des textes fiscaux sur le fondement du principe de l'égalité devant l'impôt ou encore à sanctionner la rupture d'égalité devant les charges publiques faisant suite à une imposition légalement établie (CE, Contentieux, 16 mai 1990, n° 88782, Gonzalez de Gaspard c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A4637AQS ; CE, Contentieux, 13 mai 1988, n° 56498, Blondeau c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A6704APY ; CE, Contentieux, 25 mars 1987, n° 59394, SA Gibert c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A2748APH). C'est, ainsi, que la Haute cour (CE, Contentieux, 27 février 2004, n° 259241, M. Ben Dhaou c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A3719DBD) à propos des intérêts moratoires visés par l'article L. 209 ancien du LPF (N° Lexbase : L5583G4K) à considérer qu'une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue "est discriminatoire au sens des l'article 14 de la CESDH, si elle n'est pas assortie de justitifcations objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objctif d'utilité publique ou si elle n'est pas fondée sur des critères rationnels avec les buts de la loi". Dans cette affaire, le Conseil a jugé que l'article L. 209 du LPF n'était pas conforme aux stipulations combinées de l'article 14 de la CESDH et de l'article 1er de son premier protocole additionnel, dès lors que la différence de situation existant entre les contribuables, en cas de rejet de leur demande par les tribunaux, entre ceux ayant constitué des garanties, redevables d'intérêts moratoires, et ceux ne l'ayant pas fait, non redevables de ces mêmes intérêts, ne se justifiait pas eu égard à l'objet dudit article, qui est de réparer le préjudice subi par l'administration.

Enfin, il a été demandé pour la première fois à la Cour de cassation (Cass. com., 13 novembre 2003, n° 01-15.611, F-D N° Lexbase : A1255DAQ) de faire application des dispositions conventionnelles à l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), des principes fondamentaux de non-discrimination et de proportionnalité contenus tant dans les traités internationaux (voir, également, CA Caen, 1ère ch., 12 novembre 2002, n° 01-2233, IT, RJF 5/03, n° 649). La Haute cour, en réponse, a limité la portée de sa décision en rappelant l'appréciation souveraine des juges du fond quant à la réalité du caractère confiscatoire ou discriminatoire ou encore disproportionné de la charge d'impôt supportée par le contribuable (voir, également, pour l'application de la taxe patrimoniale annuelle de 3 % : CA Versailles, 1ère ch., 1ère sect., 9 janvier 2003, rec. n° 01/05552, Clodoald). La Cour de cassation a rappelé ce principe dans un arrêt du 25 janvier 2005 (Cass. com., 25 janvier 2005, n° 03-10.068, FS-P+B+I N° Lexbase : A1245DG9) en validant, au cas d'espèce, la conformité du mécanisme du plafonnement de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) par rapport à l'article 1 du premier protocole à la CESDH, aux termes duquel le droit que possède les Etats de mettre en valeur les lois, qui réglementent l'usage des biens conformément à l'intérêt général, ou pour assurer le paiement de l'impôt, n'est pas contraire au principe selon lequel toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens.

Il est à souligner, enfin, que dans une affaire, déjà ancienne, la Commission européenne des droits de l'Homme (Com.EDH, 5 septembre 1990, req. n° 14382/88, Goujet c/ France) se prononçant sur l'IGF d'un contribuable français qui excipait de la non-conformité de l'inclusion des titres de l'emprunt d'Etat 4,73 % dans l'assiette de cet impôt, a confirmé, tout en jugeant la requête mal fondée (en ce que le requérant ne démontrait pas que l'impôt qu'il avait supporté à raison de ses titres dudit emprunt constituait une confiscation) qu'une "législation nationale définissant l'assujettissement à un impôt ou le mode de calcul de celui-ci n'enfreindrait les droits garantis à l'article 1 du Protocole n° 1 que si elle conduisait à une réelle confiscation d 'une partie des biens du contribuable".

La deuxième partie de cet article sera publié prochainement dans nos colonnes.

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