La lettre juridique n°188 du 3 novembre 2005 : Procédures fiscales

[Textes] La charte du contribuable de 2005 ou la traduction d'une contractualisation de la relation entre l'administration fiscale et le contribuable

Réf. : La charte du contribuable de 2005

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N9974AIA

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par Karim Sid Ahmed, Docteur en droit

le 07 Octobre 2010

Les chartes du contribuable, qui se sont multipliées dans les pays occidentaux ces vingt dernières années (Grande-Bretagne en 1986, Canada et Etats-Unis en 1988, Espagne en 1995 etc.), sont le reflet de la nouvelle politique fiscale voulue par les gouvernements de ces Etats. Cette nouvelle conception de la relation antagoniste entre les deux parties se traduit par un changement du statut du contribuable. D'enfant irresponsable, il devient adulte. En cela, il doit être traité avec respect et courtoisie par les services fiscaux. En effet, pendant longtemps le contribuable a été perçu uniquement par les administrations fiscales au mieux comme un irresponsable à qui on ne pouvait accorder qu'une confiance limitée, au pire comme un fraudeur potentiel. Cette vue étroite d'esprit a, pourtant, évoluée à la fin des années 1970 en France, avec l'adoption d'une charte du contribuable vérifié en 1976. Ce document pour la première fois exprime de façon claire, l'idée que l'administration fiscale a des devoirs et que le contribuable a des droits. On passe d'une relation de sujétion à sens unique au profit du fisc à une relation de service. Ce nouvel état des choses trouve son aboutissement dans les pays anglo-saxons avec un changement de dénomination : le contribuable est désigné par le terme "client". Ce changement profond de la pratique administrative s'explique par une prise de conscience quelque peu tardive par l'administration fiscale qu'une relation apaisée avec le contribuable favoriserait une meilleure acceptation de l'impôt par celui-ci. Et permettrait, en outre, d'éviter que se reproduisent les graves contestations fiscales du passé. Si la charte du contribuable est un élément essentiel permettant de comprendre la nouvelle nature des relations entre le contribuable et son administration, deux interrogations demeurent pourtant à son sujet :
- quels sont les droits qu'elles procurent au citoyen ? (1) ;
- quelle est la force contraignant de ces dispositions ? (2). 1. Les droits procurés par la charte au contribuable

Les droits prévus par la charte de 2005 peuvent être classés en deux catégories. Les premiers visent à assurer la sécurité juridique du redevable, alors que les seconds visent à protéger le contribuable de bonne foi qui a pu commettre une erreur.

On recense trois dispositions s'appliquant au contribuable dont la bonne foi est présumée. La première a été instaurée par la loi de finances rectificative pour 2004 (n° 2004-1485, 30 décembre 2004, art. 25 N° Lexbase : L5204GUB). Codifiée à l'article L. 62 du LPF , elle permet au contribuable de bonne foi de régulariser les erreurs, inexactitudes, omissions ou insuffisances dans ses déclarations souscrites dans les délais et révélées au cours de la vérification fiscale de l'entreprise, moyennant le paiement d'un intérêt de retard égal à 50 % de celui prévu à l'article 1727 du CGI . La procédure de régularisation s'applique aux contrôles engagés après le 1er janvier 2005 et pour lesquels l'avis de vérification a été adressé après cette date.

Pour en bénéficier, les entreprises individuelles ou sociétales qui font l'objet d'une vérification de comptabilité (générale ou ciblée), quelles que soient leur taille et leur forme, doivent en faire la demande expresse.

La deuxième disposition permet au contribuable d'être exonéré d'intérêts de retard, lorsqu'il a fait connaître, par une indication expresse, les motifs pour lesquels il n'a pas déclaré certains éléments.

Enfin, en cas de discordance entre les montants portés sur la déclaration de revenus et les éléments transmis à l'administration par les employeurs, les caisses de retraite et les banques, le redevable pourra procéder à une régularisation sans pénalité, ni intérêt de retard, et sans perdre le bénéfice de l'abattement de 20 % sur les salaires.

Ces différentes mesures ne peuvent, toutefois, recevoir application que dans l'hypothèse où la déclaration a été déposée dans les délais par le contribuable et si sa bonne foi, bien entendu, n'a pas été remise en cause.

Le droit à la sécurité juridique est mis particulièrement en avant dans cette dernière version de la charte de 1976. Celui-ci implique corrélativement un droit à l'information, qui s'exprime, par exemple, dans l'obligation à la charge de l'administration de prévenir le contribuable d'un contrôle sur place ou bien de se faire assister d'un conseil.

Ce droit à la sécurité juridique se concrétise, également, par le droit que possède le contribuable de demander aux services fiscaux de prendre position par écrit sur une question de fait au regard de la loi fiscale. La procédure du rescrit contraint l'administration à se conformer à sa position, sous réserve que le contribuable n'ait pas fait preuve de mauvaise foi. Ainsi, constitue une prise de position formelle sur l'appréciation d'une situation de fait la décision rendue sur la réclamation contentieuse du contribuable, par laquelle l'administration admet que les enfants de sa concubine peuvent être rattachés à son foyer fiscal (CAA, Paris, 2ème ch., 5 décembre 1996, n° 94PA02177, Ministre du Budget c/ Ponzoni, Publié au Recueil Lebon N° Lexbase : A8272BHT).

Cette prise de position formelle peut, également, intervenir lors d'une vérification de comptabilité, où le chef d'entreprise peut demander à l'agent des impôts de trancher sur un point qu'il a examiné précisément et qui n'a pas donné lieu à rectification.

Dans le même ordre d'idée, l'article L. 13 C du LPF (N° Lexbase : L8750G8L) issu de l'article 25, I, 1 ° de la loi de finances rectificative pour 2004 permet à des petites ou moyennes entreprises de demander à l'administration fiscale, sur certains points précisés dans leur demande, de contrôler les opérations réalisées. Dans l'éventuelle découverte d'erreurs, inexactitudes, omissions ou insuffisances constatées sur ces points, le contribuable pourra les rectifier par le biais de l'article L. 62 du LPF .

2. La force contraignante des dispositions de la charte

Dans l'avant-propos à la monture 2005 de la charte du contribuable, le ministre délégué au Budget et à la Réforme de l'Etat indique que les citoyens pourront "se prévaloir de la charte auprès de l'ensemble des agents de l'administration fiscale".

La charte peut être décrite comme un "aide-mémoire" du contrôle fiscal à l'usage du contribuable. Ce qui semblait être le point de vue de la Direction générale des impôts en 1987, pour qui la charte n'était "que l'exposé des règles de droit issues des lois, des textes réglementaires et de la jurisprudence auxquels se conforme l'administration dans l'exercice de sa mission de contrôle" (ministère de l'Economie, des Finances et de la Privatisation, Les procédures du contrôle fiscal, Journées d'étude et d'information, 24 novembre 1987, Imprimerie nationale, p. 18.).

Elle peut être, aussi, vue comme une liste des standards de services que sont en droit d'attendre les contribuables dénommés clients dans les pays-anglo-saxons. Mais, c'est, également, "un corpus de règles opposables à l'administration des impôts dans le domaine des procédures fiscales, à l'exemple de la doctrine administrative dans le domaine de l'assiette de l'impôt" (J. Maïa, La charte des droits et obligations du contribuable vérifié, son utilité et son opposabilité, RJF 2001, n° 4, p. 295).

Cependant, cette valeur contraignante de la charte doit être nuancée pour deux raisons. D'une part, son actualisation dépend des services fiscaux. C'est, en effet, le Bureau du Contrôle fiscal du ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie qui prend en compte l'évolution de la législation, de la réglementation et de la jurisprudence. Ces mises à jour régulières peuvent être la source d'une diminution des garanties du contribuable. On pensera, tout particulièrement, à la garantie incluse dans la charte, qui astreignait l'agent des impôts à un dialogue oral avec le contribuable avant l'envoi d'une demande de justifications (CAA Paris, 5ème ch., 3 décembre 1998, n° 96PA00600, Perrodo c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, Publié au Recueil Lebon N° Lexbase : A0218AXD). L'administration fiscale, ayant pris connaissance en 1996 de cette garantie, décida de réviser la charte, afin de la supprimer. Les requérants ne purent, par la suite, invoquer cette garantie, pourtant, indispensable (CE, Contentieux, 5 décembre 2001, n° 215649, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ M. Giresse N° Lexbase : A7357AXR ; lire J. Lamarque, L'ESFP et la jurisprudence Giresse sur le dialogue écrit : le facteur sonnera plus de trois fois, DF 2003, n° 26, pp. 857-863 ; CAA Lyon, 2ème ch., 25 octobre 2001, n° 97LY01896, M. René Colomb c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A3130BGZ).

La jurisprudence peut, elle aussi, venir restreindre la portée de la charte. Ainsi, le Conseil d'Etat considère que si le contribuable peut opposer une garantie insérée dans la charte, non prévue par la loi ou le règlement, il ne saurait en revanche revendiquer les imprécisions ou défauts d'actualisation du document (CE, 8° et 3° s-s., 20 octobre 2000, n° 204797, Mlle Czepita c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A3813ATE ; CE, 8° et 3° s-s., 20 octobre 2000, n° 204814, société anonyme Comelec c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A9594AHS).

Finalement, si on doit tirer un bilan de la charte du contribuable version 2005, trois points doivent être mis en exergue :

  • un changement de style marqué par rapport aux versions précédentes. La version 2005 est, en effet, plus proche des chartes anglo-saxonnes avec une diminution du langage juridique pour un vocabulaire plus simple, plus direct, allant dans le sens de ce rapprochement voulu avec le contribuable ;
  • Elle constitue une reprise des 30 mesures annoncées par le ministre des Finances de l'époque M. Nicolas Sarkozy dans sa conférence de presse du 3 novembre 2004 visant cinq objectifs qu'il convient de rappeler : une meilleure sécurité juridique pour les entreprises, une meilleure prise en compte du contribuable de bonne foi, un accompagnement et une aide dans l'accomplissement de son devoir fiscal, une simplification des procédures pour faciliter la vie du contribuable et une plus grande disponibilité envers le contribuable ;
  • On peut, toutefois, regretter une approche infantilisante dans l'écriture de la charte ("il faut éviter des litiges inutiles", "vous ne vous opposez pas à l'action de l'administration"), qui paraît inutile et redondante dans cette volonté louable de rendre plus adulte la relation entre l'administration et le contribuable.

Soulignons, enfin, que ce document ne doit pas être confondu avec la "Charte du contribuable vérifié", remise aux contribuables qui font l'objet d'une vérification de comptabilité ou d'un examen de situation fiscale personnelle (ESFP).

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