La lettre juridique n°188 du 3 novembre 2005 : Sociétés

[Jurisprudence] Le liquidateur ne peut opposer au créancier social une insuffisance d'actif pour échapper au paiement de sa créance

Réf. : Cass. com., 11 octobre 2005, n° 03-19.161, M. René Calzia c/ Mme Suzanne Gannaz, F-P+B (N° Lexbase : A8291DKB)

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par Marine Parmentier, Avocat à la cour d'appel de Paris

le 07 Octobre 2010

La liquidation de la société est une phase incontournable consécutive à la décision des associés ou des tribunaux de dissoudre la société, les associés ne pouvant décider, même à l'unanimité, d'y déroger (Cass. com., 24 octobre 1989, n° 88-12.713, Mme Espuna et autres c/ M. Lecué et autres N° Lexbase : A4121AGQ). Le liquidateur, désigné par les associés (C. com., art. L. 237-18 N° Lexbase : L6392AIL) ou par décision de justice (C. com., art. L. 237-19 N° Lexbase : L6393AIM et L. 237-20 N° Lexbase : L6394AIN) est responsable, tant à l'égard de la société qu'à l'égard des tiers, des conséquences dommageables des fautes commises par lui dans l'exercice de ses fonctions. L'action en responsabilité se prescrit par trois ans à compter du fait dommageable ou, s'il a été dissimulé, de sa révélation (C. com., art. L. 237-12 N° Lexbase : L6386AID). Dans un arrêt récent destiné au Bulletin des arrêts de la Cour de cassation (Cass. com., 11 octobre 2005, n° 03-19.161, M. René Calzia c/ Mme Suzanne Gannaz, F-P+B) étaient, notamment, soulevées les questions de la nature de la faute commise par le liquidateur et du préjudice en découlant pour le créancier social, ainsi que le point de départ du délai de prescription de l'action en responsabilité. Un salarié licencié par la société avait saisi, en 1984, le conseil de prud'hommes d'une action tendant à obtenir le paiement d'une indemnité contractuelle et de dommages-intérêts. Le conseil de prud'hommes, en 1991, ainsi que la cour d'appel, en 1995, ont accueilli les demandes du salarié licencié. Cependant, de manière concomitante, les associés de la société avaient décidé sa dissolution (1987), laquelle avait été logiquement suivie de la clôture des opérations de liquidation (1990) et de la radiation du registre du commerce et des sociétés (1990).

La veuve du salarié licencié ne pouvant plus se retourner contre la société dissoute, liquidée et radiée du registre du commerce et des sociétés, a, alors, assigné le liquidateur en responsabilité personnelle sur le fondement de l'absence de constitution de provision.

Deux questions étaient soulevées par le liquidateur, auteur du pourvoi en cassation : d'une part, le créancier social agissant sur le fondement de l'absence de constitution de provision justifie-t-il d'un préjudice ouvrant droit à réparation, dès lors qu'il est établi que l'actif existant au jour de la liquidation ne permettait pas le recouvrement de la créance ? Le cas échéant, en quoi consiste ce préjudice ?

D'autre part, quel est le point de départ de la prescription de l'action en responsabilité à l'encontre du liquidateur ?

I - La responsabilité du liquidateur fondée sur l'absence de constitution de provision

Ainsi qu'il l'a été précisé, le liquidateur est responsable à l'égard des tiers des conséquences dommageables des fautes par lui commises dans l'exercice de ses fonctions. La responsabilité du liquidateur peut, notamment, être engagée pour défaut d'apurement total du passif (Cass. com., 7 décembre 1993, n° 91-18.145, Coopérative agricole de Civray c/ M. Rivet et autres N° Lexbase : A6502ABG) et pour défaut d'information sur l'état de liquidation de la société (voir, notamment, CA Paris, 25e ch., section B, 3 mai 2002, n° 2001/18237, Mme Alliez dite Chollet c/ SA Franfinance location N° Lexbase : A9942A3M).

Il est, en outre, classiquement admis que la liquidation amiable d'une société impose l'apurement intégral du passif, les créances litigieuses devant, jusqu'au terme des procédures en cours, être garanties par une provision : si le liquidateur ne les provisionne pas, il engage sa responsabilité (voir, notamment, Cass. civ. 2, 1er avril 1974, n° 73-10.143, Bull. civ. II, n° 124 N° Lexbase : A6490CE4 ; Cass. com., 18 juin 1996, n° 94-18.530, M. Alain Cazeneuve et autres c/ M. Nicolas Soggiu N° Lexbase : A2717AGQ ; Cass. com., 9 mai 2001, n° 98-17.187, Mme Annie Le Guern c/ M. Dominique Le Corre N° Lexbase : A4121ATS).

Ainsi, engage sa responsabilité le liquidateur qui clôture les opérations de liquidation sans avoir provisionné le montant d'indemnités de licenciement ou de dommages et intérêts au paiement desquels la société pourrait être condamnée (Cass. com., 23 mars 1993, n° 91-13.430, Auzias c/ Aronica N° Lexbase : A2248AGD). C'est précisément sur ce dernier fondement que la responsabilité du liquidateur dans l'arrêt rapporté était recherchée. La veuve du salarié licencié précisait que le liquidateur avait l'obligation de provisionner les sommes nécessaires à l'apurement de la dette salariale, puisqu'il a pour mission d'apurer intégralement le passif social.

Toutefois, la responsabilité du liquidateur à l'égard des tiers étant de nature délictuelle, il appartient au créancier social d'établir l'existence du préjudice engendré par la faute reprochée au liquidateur. Or, en l'espèce, ainsi que le soulevait le liquidateur, l'actif social existant au jour de la liquidation n'aurait pas permis d'apurer intégralement la créance du salarié licencié de sorte que, selon le liquidateur, aucun préjudice ne résultait de l'absence de provisionnement.

Dès lors, en quoi consistait le préjudice du créancier ?

Les juges d'appel avaient retenu l'existence d'un préjudice consistant en la privation, depuis plusieurs années, d'une somme importante et en l'obligation, pour la veuve du salarié licencié, d'introduire une nouvelle procédure pour tenter d'obtenir le recouvrement de sa créance. En conséquence, ils avaient condamné le liquidateur à payer des dommages intérêts à Madame G..

La Cour de cassation recentre l'argumentation sur la nature de la faute commise par le liquidateur. Après avoir rappelé que la liquidation amiable d'une société impose l'apurement intégral du passif social, les créances litigieuses devant, jusqu'au terme des procédures en cours, être garanties par une provision, la Haute juridiction précise que, "en l'absence d'actif social suffisant pour répondre du montant des condamnations éventuellement prononcées à l'encontre de la société, il appartient au liquidateur de différer la clôture de la liquidation et de solliciter, le cas échéant, l'ouverture d'une procédure collective à l'égard de la société".

Rappelons, en effet, qu'en cas de dissolution, le tribunal peut être saisi dans le délai d'un an à compter de la radiation du RCS consécutive à la publication de la clôture des opérations de liquidation si la date de cessation des paiements est antérieure à cette la radiation (C. com., art. L. 621-15 N° Lexbase : L6867AI8).

Il appartient donc au liquidateur, dès lors qu'il constate que l'actif social ne sera pas suffisant pour apurer le passif social à l'issue des opérations de liquidation, de saisir le tribunal de commerce aux fins d'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire. Ainsi, le liquidateur ne peut opposer à un créancier social, après s'être fautivement abstenu de garantir par une provision le paiement de sa créance, l'insuffisance d'actif de la société lors de la liquidation.

En effet, comme le souligne une doctrine autorisée, "en clôturant la procédure amiable et en procédant à la radiation de la société du registre du commerce et des sociétés, le liquidateur commet une faute évidente" (C. Champaud et D. Danet, Note sous Cass. com., 9 mai 2001, Consorts de Rubiana c/ Le Corre précité, RTD com. 2001, p. 713).

Il est, en revanche, regrettable que cet arrêt ne permette pas d'appréhender la nature du préjudice subi par le créancier social dans une telle hypothèse.

Si les premiers juges ont logiquement admis que le préjudice du créancier social pouvait consister en la privation d'une somme importante d'argent et l'obligation d'introduire une nouvelle procédure pour obtenir le recouvrement de la créance, cela ne nous semble pas suffisant.

A notre sens, il pourrait s'agir également d'une perte de chance d'obtenir le recouvrement de sa créance.

II - La prescription de l'action en responsabilité du liquidateur

L'action en responsabilité contre un liquidateur se prescrit par trois ans à compter du fait dommageable ou, s'il a été dissimulé, de sa révélation (C. com., art. L. 237 -12 précité et C. com., art. L. 225-254 N° Lexbase : L6125AIP), étant précisé qu'il répond, même après la cessation de ses fonctions, des conséquences dommageables des fautes par lui commises dans l'exercice de celles-ci (Cass. com., 3 novembre 2004, n° 02-18.797, F-D N° Lexbase : A7582DD8).

Pour déterminer le point de départ du délai triennal, il est, désormais, acquis que la prescription de l'action ne peut commencer à courir qu'au jour où les droits des victimes du fait dommageable imputé à ce liquidateur ont été définitivement reconnus par une décision de justice (voir, notamment, Cass. com., 7 décembre 1993, n° 91-15.605, M Leopard c/ Société Oerskov-Maskinfabrik N° Lexbase : A5741ABA). 

En l'espèce, le liquidateur, assigné par Madame G. par acte en date du 3 septembre 1996, opposait une exception de prescription de l'action. Il prétendait, notamment, que le jugement du conseil de prud'hommes en date du 25 octobre 1991, étant exécutoire à titre provisoire, faisait courir la prescription.

Les juges d'appel, suivis pas la Haute juridiction, ont retenu à juste titre que seul l'arrêt de la cour d'appel du 31 janvier 1995 fixait définitivement le montant de la créance de Madame G..

Cet arrêt confirme donc des solutions précédemment acquises. S'il est patent que le créancier social subit un préjudice lié à l'absence de constitution de provision, il reste à déterminer la nature précise de ce préjudice lorsque, comme tel était le cas dans l'arrêt rapporté, l'actif social ne permettait pas, à la date de liquidation, d'assurer le recouvrement de la créance.

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