La lettre juridique n°188 du 3 novembre 2005 : Sécurité sociale

[Jurisprudence] Régime de prévoyance obligatoire et décision unilatérale de l'employeur

Réf. : Cass. soc., 19 octobre 2005, n° 03-47.219, Association Apave Nord-Ouest c/ M. Christophe Jacob, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A9976DKP)

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par Caroline Letellier, Avocate au sein du cabinet Fromont Briens & associés

le 07 Octobre 2010

En application de l'article 11 de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989 (loi renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques N° Lexbase : L5011E4D), aucun salarié employé dans une entreprise avant la mise en place, à la suite d'une décision unilatérale de l'employeur, d'un régime de prévoyance complémentaire ne peut être contraint de cotiser contre son gré audit régime. Inversement, les salariés embauchés postérieurement à la mise en place du régime peuvent se voir imposer l'adhésion au régime avec paiement d'une cotisation. La Chambre sociale de la Cour de cassation rappelle ce principe en ajoutant que l'inobservation, par l'employeur, des règles relatives à l'information des salariés, lors de leur embauche, prévues par l'article 12 de la même loi, ne les autorise pas à refuser d'adhérer au régime ou à en demander ultérieurement leur radiation.


Décision

Cass. soc., 19 octobre 2005, n° 03-47.219, Association Apave Nord-Ouest c/ M. Christophe Jacob, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A9976DKP)

Cassation (cour d'appel d'Amiens, 5e chambre sociale A, 4 septembre 2003)

Textes visés : articles 2, 11 et 12 de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989 (N° Lexbase : L5011E4D)

Mots-clefs : prévoyance ; décision unilatérale de l'employeur.

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Résumé

L'inobservation, par l'employeur, des règles relatives à l'information des salariés, lors de leur embauche, prévues par l'article 12 de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989, ne les autorise pas à refuser d'adhérer au régime ou à en demander ultérieurement leur radiation.

Faits

En avril 1989, une association met en place, par décision unilatérale, un régime de prévoyance collective obligatoire au profit de ses salariés. En 1990, un nouveau salarié est embauché et affilié à ce régime. En 2001, il demande à en être radié.

Face au refus de son employeur, il saisit le conseil de prud'hommes, qui rejette sa demande. La cour d'appel infirme cette décision, estimant que l'information qui lui a été donnée, sur ce régime, lors de son embauche, avait été insuffisante et, qu'en particulier, l'impossibilité de "sortir" du régime ne lui avait pas été indiquée.

Solution

"L'inobservation par l'employeur des règles relatives à l'information des salariés, lors de leur embauche, prévues par l'article 12 de la loi précitée en ce qui concerne notamment les garanties, ne leur ouvre pas le droit de refuser leur adhésion à un régime de prévoyance obligatoire, ni de demander leur radiation".

Cassation au visa des articles 2, 11 et 12 de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989.

Observations

La Cour de cassation confirme qu'un employeur peut, par décision unilatérale, imposer aux salariés embauchés postérieurement à cette décision l'adhésion à un régime de prévoyance collective et le paiement des cotisations afférantes (1). Le fait que l'employeur n'ait pas respecté ses obligations d'information en la matière n'a pas d'incidence sur le caractère obligatoire de cette adhésion et de ce précompte (2).

1. Portée de la décision unilatérale de l'employeur

Aux termes de l'article L. 911-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L5832ADD) (issu de la loi n° 94-678 du 8 août 1994 relative à la protection sociale complémentaire des salariés N° Lexbase : L5156A4Q), les garanties collectives dont bénéficient les salariés, anciens salariés et ayants droit, en complément de celles qui résultent de l'organisation de la Sécurité sociale, peuvent être mises en place, dans une entreprise, selon trois modalités :
- par voie de conventions ou d'accords collectifs ;
- à la suite de la ratification à la majorité des intéressés d'un projet d'accord proposé par le chef d'entreprise (référendum) ;
- par décision unilatérale du chef d'entreprise constatée dans un écrit remis par celui-ci à chaque intéressé.

On sait que le recours à l'accord collectif ou à l'accord référendaire permet d'imposer à l'ensemble des salariés l'adhésion à un régime de prévoyance complémentaire ou de retraite supplémentaire et le précompte d'une cotisation salariale. En revanche, concernant la décision unilatérale, l'article 11 de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989 (dite "Loi Evin") dispose qu'"Aucun salarié employé dans une entreprise avant la mise en place, à la suite d'une décision unilatérale de l'employeur, d'un système de garanties collectives contre le risque décès, les risques portant atteinte à l'intégrité physique de la personne ou liés à la maternité ou les risques d'incapacité de travail ou d'invalidité ne peut être contraint à cotiser contre son gré à ce système".

Ce texte constitue une transposition d'un principe général de droit du travail selon lequel la rémunération d'un salarié est toujours un élément de son contrat de travail, qui ne peut être modifié par l'employeur sans son accord. Tel est bien le cas d'une cotisation salariale à un régime de protection sociale, son précompte ayant pour effet de modifier la structure de la rémunération et, partant, le "net à payer".

Pour les salariés présents dans les effectifs lors de la mise en place du régime par décision unilatérale, l'employeur n'a donc d'autre solution que de leur demander leur accord individuel sur le précompte de la cotisation salariale. A défaut de respecter cette règle, il court le risque de voir les salariés formuler une demande en rappel de rémunérations, correspondant aux cotisations précomptées sans leur accord, dans la limite de la prescription de 5 ans sur les salaires, et ce quand bien même ils auraient bénéficié des prestations du régime (voir, Cass. soc., 4 janvier 1996, n° 92-41.885, Société Hyperallye c/ Mme Moreau et autres, publié N° Lexbase : A3912AA7).

Compte tenu de ce principe général, la règle de l'article 11 de la loi précitée peut être étendue aux régimes de retraite supplémentaire. Telle a d'ailleurs été l'analyse de la Cour de cassation, qui a jugé qu'"un tel régime institué soit par convention ou accord collectif, soit par la voie d'un référendum s'impose au salarié ; si ce régime résulte d'une décision unilatérale de l'employeur, il s'impose au salarié engagé postérieurement à l'institution du régime" (Cass. soc., 17 octobre 2000, n° 98-40.288, Association hospitalière Sainte-Marie c/ Mme Pasquet, publié N° Lexbase : A7678AHT). On notera que, dans cette affaire, le régime avait été mis en place par accord collectif : la référence à la décision unilatérale permet donc à la Haute juridiction d'établir un principe général selon lequel les salariés embauchés postérieurement à une telle décision ne peuvent s'opposer à l'adhésion au régime et au précompte de la cotisation salariale. En d'autres termes, le régime de protection sociale est un élément du statut collectif que les salariés acceptent nécessairement lors de leur embauche.

Dans son arrêt du 19 octobre 2005, la Chambre sociale de la Cour de cassation confirme donc une solution bien établie : les salariés embauchés postérieurement à la mise en place d'un régime collectif de prévoyance complémentaire à adhésion obligatoire, par décision unilatérale de l'employeur, ne peuvent ni s'opposer à leur adhésion au régime, ni refuser le précompte de la cotisation salariale, ni ultérieurement demander à en être radiés. La Haute juridiction ajoute que ces principes ne sont pas remis en cause du fait de l'inobservation par l'employeur de son obligation d'information posée par l'article 12 de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989.

2. Obligations d'information de l'employeur

L'article 12 de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989 impose, d'une manière générale, au souscripteur d'un contrat de prévoyance collective conclu avec une société d'assurance, une institution de prévoyance ou une mutuelle, "de remettre à l'adhérent une notice d'information détaillée qui définit notamment les garanties prévues par la convention ou le contrat et leurs modalités d'application".

Cette obligation légale d'information est également prévue dans le Code des assurances (C. assur., art. L. 141-4 N° Lexbase : L7585HBK), le Code de la Sécurité sociale (CSS, art. L. 932-6 N° Lexbase : L5902ADX) et le Code de la mutualité (C. mut., art. L. 221-6 N° Lexbase : L6030DKK), de manière plus détaillée : ces dispositions précisent, notamment, que le souscripteur doit établir la preuve de la remise de la notice d'information.

En l'espèce, la Cour de cassation considère que "l'inobservation par l'employeur des règles relatives à l'information des salariés, lors de leur embauche, prévues par l'article 12 de la loi précitée en ce qui concerne notamment les garanties, ne leur ouvre pas le droit de refuser leur adhésion à un régime de prévoyance obligatoire, ni de demander leur radiation".

On ne peut qu'approuver cette solution, dans la mesure où il convient de bien distinguer les règles de droit du travail afférentes au régime mis en place dans l'entreprise (accord collectif, accord référendaire, décision unilatérale) et celles régissant le contrat d'assurance. La Cour de cassation l'a expressément rappelé dans un arrêt du 3 juin 1997, en énonçant que la souscription d'un contrat d'assurance n'est qu'une modalité d'exécution de l'engagement de l'employeur, résultant du régime de protection sociale mis en place au profit de ses salariés (Cass. soc., 3 juin 1997, n° 94-43.880, Société Haribo-Ricqlès-Zan c/ M. Delepine et autres, publié N° Lexbase : A1646ACX).

L'obligation de remettre une notice d'information n'est donc que l'exécution de la législation applicable au contrat d'assurance et non pas de celle relative à l'engagement, de droit du travail, de l'employeur envers ses salariés. En d'autres termes, la remise de la notice d'information ne peut constituer une condition d'embauche. C'est parce que le salarié a été embauché qu'il a acquis la qualité d'adhérent au contrat d'assurance et qu'il doit alors être destinataire de la notice d'information.

Si le défaut d'information ne peut aboutir à contester l'adhésion du salarié au régime de prévoyance complémentaire ou de retraite supplémentaire, on sait, en revanche, que la jurisprudence sanctionne très sévèrement tout manquement de l'employeur à ses obligations d'information et de conseil :

- la notice d'information, établie par l'organisme assureur, remise par l'employeur, doit permettre de porter à la connaissance du salarié les principaux éléments du contrat d'assurance, notamment les conditions, limitations et exclusions de garanties. Toute restriction de garantie mentionnée dans le contrat d'assurance et non mentionnée, en caractères très apparents, dans la notice d'information, est inopposable au salarié (Cass. soc., 14 janvier 2004, n° 01-46.617, F-D N° Lexbase : A7801DA8).

- en outre, l'obligation d'information de l'employeur ne se limite pas à la seule remise de la notice d'information. Il supporte une obligation plus générale d'information et de conseil et peut, à ce titre, voir sa responsabilité engagée. La Cour de cassation, dans un arrêt du 24 novembre 1992 (Cass. soc., 24 novembre 1992, n° 89-41.072, Bourguignon c/ Didier et autre, inédit N° Lexbase : A7907CZU), n'a pas hésité à condamner l'employeur à indemniser un salarié qui s'était vu promettre, lors de son embauche, une couverture sociale, au titre des risques décès, invalidité et incapacité de travail. Or, en réalité, le salarié n'était pas couvert pour le risque invalidité. La Cour de cassation a fait supporter à l'employeur ce défaut total de garantie en rappelant que "le souscripteur d'un contrat d'assurance de groupe a le devoir de faire connaître, de façon très précise à l'adhérent à ce contrat, les droits et obligations qui sont les siens ; qu'il est responsable des conséquences qui s'attachent à un manquement à ce devoir d'information et de conseil".

La Haute juridiction a également condamné un employeur à payer à la concubine d'un salarié décédé le capital décès garanti par le contrat d'assurance dans la mesure où il n'avait pas attiré l'attention de son salarié sur la manière de désigner efficacement les bénéficiaires de ce capital.

Ces jurisprudences illustrent la dichotomie qui caractérise les régimes de protection sociale d'entreprise : l'engagement de droit du travail de l'employeur ne doit pas se confondre avec ses obligations liées à la souscription d'un contrat d'assurance.

A cet égard, en matière d'information, on notera enfin qu'il ne faut pas confondre la notice d'information prévue par les articles L. 141-4 du Code des assurances, L. 932-6 du Code de la Sécurité sociale, L. 221-6 du Code de la mutualité et 12 de la loi Evin (sur le visa duquel la Cour de cassation rend sa décision) et la notice d'information prévue par l'article L. 135-7 du Code du travail (N° Lexbase : L4701DZ7).

Cet article prévoit que les conditions d'information des salariés et des représentants du personnel sur le droit conventionnel applicable dans l'entreprise et l'établissement sont définies par convention de branche ou accord professionnel et qu'en l'absence de ces textes, le salarié reçoit de l'employeur, lors de l'embauche, une "notice d'information relative aux textes conventionnels applicables dans l'entreprise ou l'établissement".

Par conséquent, lorsqu'un régime de protection sociale complémentaire est mis en place dans l'entreprise par un accord collectif ou un accord référendaire, l'employeur sera tenu de remettre deux notices : celle prévue par l'article L. 135-7 du Code du travail (sauf disposition différente prévue par convention de branche ou accord professionnel) et celle prévue par l'article 12 de la loi Evin et les articles précités des législations applicables en matière d'assurance.

Si le régime est mis en place par décision unilatérale, l'employeur remettra la notice d'information prévue par les articles L. 141-4 du Code des assurances, L. 932-6 du Code de la Sécurité sociale, L. 221-6 du Code de la mutualité et 12 de la loi Evin, mais également l'écrit matérialisant sa décision unilatérale, prévu par l'article L. 911-1 du Code de la Sécurité sociale.

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