La lettre juridique n°186 du 20 octobre 2005 : Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] L'escale chasse la TVA

Réf. : CJCE, 15 septembre 2005, aff. C-58/04, Antje Köhler c/ Finanzamt Düsseldorf-Nord (N° Lexbase : A4381DKH)

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N9694AIU

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par Yolande Sérandour, Professeur à la Faculté de droit de Rennes, Directrice du Master de Droit Fiscal des Affaires de Rennes et du département Droit fiscal du CDA

le 07 Octobre 2010

Suffit-il de commercer lors d'une halte sans formalité de débarquement hors de l'Union européenne pour échapper à la TVA du pays de départ du voyage situé sur le territoire d'un Etat membre ? Il est vrai que l'article 8 § 1-c de la sixième directive-TVA (N° Lexbase : L9279AU9) exclut la TVA du pays de départ en cas d'escale. Selon la CJCE, la réponse dépend de la question de savoir si les voyageurs peuvent ou non quitter temporairement le moyen de transport. En 1994, Mme Köhler a tenu une boutique sur un bateau de croisière partant de Kiel, Bremerhaven ou Travemünde, villes allemandes. Ce bateau passait par des ports situés en dehors de la Communauté, Norvège, Estonie, Russie ou Maroc. Les croisières se terminaient à Kiel, Bremerhaven ou Gênes. En sorte que les voyageurs ne pouvaient commencer et terminer leur voyage que sur le territoire de l'Union européenne. Il leur était impossible de choisir une partie seulement du voyage. Il était donc exclu de pouvoir embarquer pour la première fois ou de débarquer de manière définitive en cours de croisière. A priori, il n'y avait qu'un seul embarquement et un seul débarquement, tous deux dans un Etat membre. Aussi, les livraisons de Mme Köhler durant ces croisières devaient-elles relever de la TVA allemande, le pays de départ. Du moins était-ce l'analyse de l'administration fiscale allemande. Toutefois, Mme Köhler contestait cette analyse en excipant de l'existence d'escales en dehors de la Communauté. Cette affaire soulevait le problème de droit suivant : le terme escale employé par l'article 8 de la sixième directive-TVA doit-il s'entendre d'une sortie de l'engin de transport avec accomplissement des formalités de débarquement suivi d'un retour au même véhicule après respect des formalités d'embarquement ou suffit-il de haltes en dehors du territoire de la Communauté ? La juridiction saisie a préféré poser la question préjudicielle suivante à la CJCE : "Les arrêts effectués par un bateau dans des ports d'Etats tiers, au cours desquels les voyageurs ne peuvent quitter le bateau que pendant une courte période, par exemple pour des visites, sans qu'il existe aucune possibilité de commencer ou de terminer le voyage, constituent-ils des "escales en dehors de la Communauté" au sens de l'article 8, paragraphe 1, sous c), de la directive 77/388/CEE ?".

En réponse, le juge communautaire dit pour droit :

"Les arrêts effectués par un bateau dans des ports de pays tiers, au cours desquels les voyageurs peuvent quitter le bateau, même pour une courte période, constituent des "escales en dehors de la Communauté" au sens de l'article 8, paragraphe 1, sous c), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme, dans sa version résultant de la directive 92/111/CEE du Conseil, du 14 décembre 1992, modifiant la directive 77/388 et portant mesures de simplification en matière de taxe sur la valeur ajoutée".

La volonté communautaire de simplifier le régime applicable aux livraisons de biens durant un voyage permet d'en surmonter les difficultés de mise en oeuvre.

1. La volonté de simplifier le régime de TVA applicable aux livraisons réalisées pendant un voyage

L'article 2 de la sixième directive-TVA prévoit que sont soumises à la TVA "les livraisons de biens [...] effectuées à titre onéreux à l'intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel" . L'expression "intérieur du pays" correspond, selon l'article 3 § 2, de la même directive "au champ d'application du traité instituant la Communauté économique européenne tel qu'il est défini, pour chaque Etat membre, à l'article 227" . En sorte que relèvent de la TVA les livraisons intervenues sur le territoire de l'Union européenne, sauf dispositions contraires prévues par le paragraphe 3 de l'article 3 susvisé. Le pays créancier de la TVA coïncide avec celui du lieu de la livraison. En l'absence d'expédition ou de transport et à défaut de mesure spéciale, ce lieu est "[...] l'endroit où le bien se trouve au moment de la livraison" .

S'agissant des voyageurs pris d'envie de consommer "à bord d'un bateau, d'un avion ou d'un train, et au cours de la partie d'un transport de passagers effectuée à l'intérieur de la Communauté", la livraison est rattachée "au lieu de départ du transport de passagers" (sixième directive-TVA, art. 8 § 1-c). En sorte que les achats réalisés durant le trajet, y compris pendant la traversée ou le survol d'un pays de l'Union européenne relèvent de la TVA du pays de départ du transport des passagers, du moins si ce lieu se situe à l'intérieur de ladite Union. L'article 8 § 1-c de la sixième directive-TVA définit les expressions utilisées. Ainsi, "partie d'un transport de passagers effectuée à l'intérieur de la Communauté" s'entend de "la partie d'un transport effectuée sans escale en dehors de la Communauté, entre le lieu de départ et le lieu d'arrivée du transport de passagers". En cas de départ d'un pays de l'Union européenne vers un autre pays de l'Union, les achats effectués durant le transport relèvent de la TVA de ce pays sauf escale hors de l'Union. Le lieu de départ d'un transport de passagers s'entend du "premier point d'embarquement de passagers prévu à l'intérieur de la Communauté, le cas échéant après escale en dehors de la Communauté". A priori, dès lors qu'à l'occasion d'un voyage, un voyageur doit accomplir des formalités d'embarquement et de débarquement à l'intérieur de l'Union européenne, les achats réalisés pendant le trajet sur le territoire de l'Union sont soumis à la TVA de ce pays de départ ou de nouveau départ d'un Etat membre. Les achats intervenus durant une éventuelle escale en dehors de l'Union y échappent. A leur égard, se pose un problème d'importation et non de livraison. In fine, l'article 8 § 1-c précise que "Dans le cas d'un transport aller-retour, le trajet de retour est considéré comme un transport distinct [...]"

La notion d'"escale en dehors de la Communauté" employée par l'article 8 § 1-c de la sixième directive-TVA permet de respecter la souveraineté fiscale des pays traversés ou visités au cours d'un voyage. Ils demeurent libres d'imposer ou pas les affaires faites avec des voyageurs en provenance d'un pays de l'Union européenne.

Plus généralement, les articles 8 et 9 de ladite directive, en ce qu'ils posent les règles de rattachement territorial des opérations effectuées constituent des règles de conflit de compétence fiscale à l'intérieur de l'Union ou avec un pays tiers (§ 22 à 25). Selon la CJCE, l'article 9 de la sixième directive-TVA "vise à établir une répartition rationnelle des sphères d'application des législations nationales en matière de TVA, en déterminant de manière uniforme le lieu de rattachement fiscal des prestations de services" (CJCE, 4 juillet 1985, aff. C-168/84, Gunter Berkholz c/ Finanzamt Hamburg-Mitte-Altstadt, § 14 N° Lexbase : A8291AUM ; CJCE, 11 septembre 2003, aff. C-155/01, Cookies World Vertriebsgesellschaft mbH iL c/ Finanzlandesdirektion für Tirol, § 46 N° Lexbase : A5274C99 ; CJCE, 17 novembre 1993, aff. C-68/92, Commission des Communautés européennes c/ République française, § 14 N° Lexbase : A9472AUD ; CJCE, 17 novembre 1993, aff. C-69/92, Commission des Communautés européennes c/ Grand-Duché de Luxembourg, § 15 N° Lexbase : A9577AUA ; CJCE, 17 novembre 1993, aff. C-73/92, Commission des Communautés européennes c/ Royaume d'Espagne, § 12 N° Lexbase : A9478AUL). Le souci d'éviter les conflits en matière de souveraineté fiscale guide l'interprétation de l'article 9 de la sixième directive-TVA (CJCE, 4 juillet 1985, aff. C-168/84, Gunter Berkholz c/ Finanzamt Hamburg-Mitte-Altstadt, § 17, précité ; CJCE, 2 mai 1996, aff. C-231/94, Faaborg-Gelting Linien A/S c/ Finanzamt Flensburg, § 16 N° Lexbase : A9401AUQ ; CJCE, 20 février 1997, aff. C-260/95, Commissioners of Customs and Excise c/ DFDS A/S, § 19 N° Lexbase : A9911AUM). Dans la mesure où les articles 8 et 9 de la sixième directive-TVA sont les deux textes composant le titre VI de la sixième directive-TVA, intitulé "Lieu des opérations imposables", les arrêts rendus à propos de l'article 9 ne peuvent qu'inspirer une interprétation dans le même sens de l'article 8 (§ 25 ; Concl. Sir Gordon Slynn sur l'affaire : CJCE, 23 janvier 1986, aff. C-283/84, Trans Tirreno Express SpA c/ Ufficio provinciale IVA Trans N° Lexbase : A8043AUG).

Par l'arrêt "Trans Tirreno Express", le juge communautaire a reconnu la liberté d'un Etat membre de soumettre "à sa législation sur la TVA une prestation de transport entre deux points de son territoire national, même si le trajet s'effectue en partie en dehors de son territoire national, à condition qu'il n'empiète pas sur les compétences fiscales d'autres Etats" (préc. § 21 ; CJCE, 13 mars 1990, aff. C-30/89, Commission des Communautés européennes c/ République française, § 18 N° Lexbase : A9781AUS). L'expression "autres Etats" vise autant les pays extérieurs à l'Union européenne que les Etats membres (§ 24 ; CJCE, 23 janvier 1986, aff. C-283/84, Trans Tirreno Express SpA c/ Ufficio provinciale IVA Trans, § 18 et 21, précité). Le principe de territorialité de l'impôt autorise chaque Etat, membre ou non de l'Union européenne à exercer sa compétence fiscale sur les livraisons intervenues sur son territoire. Toutefois, à l'intérieur de l'Union européenne, afin d'écarter les complications inhérentes à la traversée de plusieurs pays pendant un voyage, toutes les livraisons réalisées sont rattachées au pays de départ (sixième directive-TVA, art. 8 § 1-c). Sans cette règle de rattachement, les commerçants devraient distinguer autant de groupes de livraisons que de pays traversés et se soumettre aux règles de TVA propres à chacun d'eux.

La complexité revient, néanmoins, en cas d'escale en dehors de la Communauté. La CJCE entend mettre en oeuvre la volonté communautaire de simplifier le régime de TVA applicable aux livraisons réalisées au cours d'un voyage intracommunautaire.

2. La mise en oeuvre de la volonté de simplifier le régime de TVA applicable aux livraisons réalisées pendant un voyage

Sachant que le pays d'escale doit pouvoir exercer sa souveraineté fiscale, comment interpréter l'article 8 § 1-c de la sixième directive-TVA ? Si, comme en l'espèce, un voyageur embarque à l'intérieur de l'Union, fait escale sans accomplir aucune formalité de débarquement puis de rembarquement, les achats effectués après l'escale se rattachent-t'ils au premier pays de départ ou faut-il retenir le prochain pays de l'Union traversé ? Faut-il simplement suspendre l'application de la TVA du pays de départ ou l'interrompre ? La seconde proposition va à l'encontre de l'objectif de simplification poursuivi par l'article 8 § 1-c de la sixième directive-TVA. La simplicité recherchée serait atteinte en soumettant toutes les livraisons réalisées pendant le trajet sur le territoire de l'Union à la TVA du pays d'embarquement. L'escale sans formalité de débarquement et de rembarquement serait considérée comme une mise entre parenthèses de ce régime.

Néanmoins, une telle interprétation ne heurte-t'elle pas la définition communautaire de l'expression "partie d'un transport de passagers effectuée à l'intérieur de la Communauté" comme "la partie d'un transport effectuée sans escale en dehors de la Communauté, entre le lieu de départ et le lieu d'arrivée du transport de passagers" (sixième directive-TVA, art. 8 § 1-c) ? A la lettre, cette définition pourrait signifier qu'un départ sur le territoire d'un Etat membre rend la TVA de ce pays applicable aux livraisons effectuées pendant le voyage sauf halte à l'extérieur de l'Union. Il faudrait, en cas de simple halte, revenir au régime général (sixième directive-TVA, art. 8 § 1-b) pour appliquer la TVA du pays traversé et distinguer autant de régimes que de pays traversés. Il semble peu vraisemblable que le législateur communautaire ait ignoré le développement considérable de la circulation des personnes à l'intérieur et vers l'extérieur de l'Union européenne. Dès 1977 et surtout en 1992, année de la modification de l'article 8 précité, il pouvait imaginer les difficultés fiscales qu'aurait engendrée une telle interprétation. Il paraît plus raisonnable de convenir que le législateur communautaire a entendu soumettre les achats faits pendant un voyage à l'intérieur de la communauté à la TVA du pays de départ tout en excluant de ce régime les emplettes faites pendant une halte à l'extérieur, cela afin de respecter la souveraineté fiscale des pays non membres visités.

Cependant, cette proposition n'assure qu'imparfaitement la nécessaire conciliation entre la simplicité du régime de TVA applicable aux livraisons effectuées durant un voyage intracommunautaire et le principe de territorialité. Il reste un dernier obstacle à franchir, celui révélé par l'espèce. Quel régime convient-il d'appliquer aux livraisons exécutées dans ou sur le moyen de transport pendant une halte à l'extérieur de l'Union européenne ? Si la suspension du régime de la TVA du pays de départ à l'égard des achats dans le pays en cause paraît incontournable, le principe de territorialité conduit-il à l'étendre à toutes les livraisons intervenues pendant la sortie du territoire de l'Union ? Une telle approche comporte un risque d'abus. Les voyagistes seraient naturellement enclins à prévoir des haltes hors de l'Union. Afin d'éviter les conflits de compétence fiscale, la suspension du régime de la TVA du pays de départ doit être générale si les voyageurs peuvent quitter le moyen de transport et acquérir des biens auprès de commerçants locaux, mais exclue si la concurrence est impossible (§ 26). Telle est la solution adoptée par la CJCE lorsqu'elle affirme que "Les arrêts effectués par un bateau dans des ports de pays tiers, au cours desquels les voyageurs peuvent quitter le bateau, même pour une courte période, constituent des "escales en dehors de la Communauté".

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