La lettre juridique n°186 du 20 octobre 2005 :

[Textes] Vers quelles nouvelles formes de sûretés réelles (propos sur la réforme du droit des sûretés réelles issue de la loi n° 2005-842 du 26 juillet 2005) ?

Réf. : Loi du 26 juillet 2005, n° 2005-842, pour la confiance et la modernisation de l'économie (N° Lexbase : L8800G9S)

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par Marie-Elisabeth Mathieu, Jeantet Associés, Maître de conférences à l'Université d'Evry-Val d'Essonne

le 07 Octobre 2010

Le paysage des sûretés réelles est en pleine mouvance : le Gouvernement est habilité, par l'article 24 de la loi "Breton", à légiférer par voie d'ordonnance, soit dans un délai de 9 à 12 mois suivant l'entrée en vigueur de cette loi, soit à compter du 27 juillet 2005. Au fond, la réforme des sûretés réelles est donc imminente et les praticiens doivent, dès à présent, s'y préparer. Contrairement à ce qu'avait annoncé le rapport "Grimaldi", les sûretés personnelles demeurent à l'écart de la réforme, moins ambitieuse que le projet "Grimaldi", mais de nouvelles sûretés apparaissent. En témoignent la création, dans le Code de commerce, d'un gage sur stock de marchandises et l'instauration, dans le Code civil, d'un gage de droit commun sans dépossession. La réforme à venir porte, très classiquement, sur les sûretés réelles mobilières (I) et les sûretés réelles immobilières (II). I - Les nouvelles sûretés réelles mobilières

L'article 24, alinéa 1er, de la loi "Breton" habilite le Gouvernement à prendre des mesures nécessaires pour "introduire dans le Code de commerce, des dispositions permettant le nantissement des stocks des entreprises et modifier les dispositions du Code civil pour simplifier la constitution des sûretés réelles mobilières et leurs effets, étendre leur assiette et autoriser le gage sans dépossession".

Une des innovations importantes et attendue (V. le rapport du groupe de travail Europlace, RD bancaire et financier 2004, p. 47) est l'instauration d'un gage sans dépossession de droit commun. Ce type de "garantie gage" existe, déjà, en droit comparé, notamment aux Etats-Unis sous la forme du security interest institué par l'article 9 du Code de commerce uniforme.

La réforme du gage entraînera la dichotomie suivante : l'existence d'un gage de droit commun sans dépossession aux côtés d'un gage avec dépossession. Cette innovation met un terme à la distinction qui perdurait entre un droit commun du gage fondé sur la dépossession -le nantissement est "un contrat par lequel le débiteur remet une chose à son créancier pour sûreté de la dette" (C. civ., art. 2071 N° Lexbase : L2308AB4)- et un droit spécial institué par différentes législations successives et fondé sur l'absence de dépossession sous réserve du respect de certaines conditions de forme. De tels gages sont illustrés, très classiquement, par le nantissement du fonds de commerce, du matériel, des marchandises ou par le gage d'instrument financier (C. mon. fin., art. L. 431-4 N° Lexbase : L2760G94). S'ajoutent à ces derniers, d'autres gages moins courants tels que le nantissement des films cinématographiques et les warrants agricoles, pétroliers, hôteliers, etc.

Le nouveau gage de droit commun perd, alors, son caractère réel (v. en ce sens, L. Aynes, Rapport "Grimaldi" : pour une réforme globale des sûretés, Droit et patrimoine 2005). Il naît sans la remise de la chose mais sera constitué formellement. La rédaction d'un contrat constitutif d'une telle garantie et désignant la ou les dette(s) garantie(s) et la ou les nature(s), la ou les quantité(s) du ou des bien(s) donné(s) en gage sera nécessaire. Ce contrat devra être publié pour informer les créanciers de l'existence de cette garantie et être opposable aux tiers.

D'après la loi, l'assiette du gage, qu'il soit avec ou sans dépossession, sera étendue. L'assiette peut, alors, porter sur un ensemble de biens ou un ou plusieurs bien(s) mobilier(s) corporel(s) futur(s) mais déterminable(s). En effet, si la dépossession n'est plus la condition d'existence du gage, le droit du créancier gagiste devient indépendant de la remise d'une chose. Aucun obstacle ne s'oppose, alors, à étendre l'assiette du gage aux meubles corporels futurs. La solution n'est pas nouvelle quant aux meubles incorporels : la cession Dailly permet de donner en nantissement "les créances résultant d'un acte déjà intervenu ou à intervenir mais dont le montant et l'exigibilité ne sont pas encore déterminés" (C. mon. fin., art. L. 313-23 N° Lexbase : L9256DYH). L'apport de la réforme concerne donc, notamment, les biens meubles corporels.

Dans un esprit similaire, le Code de commerce autorise le nantissement du stock des marchandises. Se profile donc ce gage spécifique au droit des affaires, nécessaire au développement du crédit commercial et portant sur des objets fongibles -comme le gage espèce-. Les biens gagés seront donc librement cessibles et ce, contrairement à la rédaction actuelle de l'article 2071 du Code civil. Le droit du créancier gagiste se reportera, par conséquent, en cas de cession, sur des biens de qualité et de quantité identiques. Si le gage est sans dépossession, le débiteur pourra librement disposer de ses biens gagés. A l'inverse, si le gage est avec dépossession, c'est le créancier, détenteur du bien nanti, qui pourra l'aliéner puis le remplacer par son équivalent.

II - La création de sûretés immobilières

La réforme porte principalement sur de nouvelles formes d'hypothèques proposées par l'alinéa 2 de l'article 24 de la loi "Breton".
Dès lors, le créancier pourra donner à bail, l'immeuble dont le débiteur s'est dépossédé à titre de garantie et, pour développer le crédit hypothécaire au profit des particuliers, sera créé un crédit hypothécaire rechargeable et un prêt viager hypothécaire. Enfin, la mainlevée de l'inscription hypothécaire sera simplifiée et son coût diminué.

A - La création de l'antichrèse-bail

Pour mémoire, l'antichrèse est le nantissement d'une chose immobilière -article 2072, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L2309AB7)-. La réforme propose, non pas de supprimer cette sûreté, mais de donner un cadre légal à une pratique prétorienne (V.-E. Frémeaux, Le regard du notaire sur le projet de réforme des sûretés, Droit et patrimoine 2005) : l'antichrèse-bail. Le créancier pourra donner à bail l'immeuble, objet du nantissement, à un tiers ou au débiteur, alors même que ce dernier en est dépossédé. La dépossession n'est plus strictement matérielle mais devient juridique en la personne du constituant.

B - La création du crédit hypothécaire conventionnel rechargeable

Cette nouvelle sûreté est une hypothèque réutilisable par le constituant en garantie d'autres créances que les créances originaires de l'acte constitutif, au bénéfice d'un ou de plusieurs nouveau(x) créancier(s) -au Royaume-Uni, c'est la pratique des "flexible loans"-.

Par exemple, lorsque le débiteur aura garanti, par hypothèque, un emprunt immobilier, il pourra, aussi, asseoir sur celle-ci un crédit mobilier à la consommation (v., en ce sens, Les échos, septembre 2005). Un nouveau mode d'accès au crédit est, alors, initié : gager son bien immobilier pour tout type de prêt personnel. Ce procédé évitera, à l'avenir, le coût de la constitution d'une nouvelle hypothèque puis d'une mainlevée et concurrencera l'usage des sûretés personnelles et, notamment, l'utilisation du cautionnement. Seront notariés et publiés l'acte constitutif et la convention de rechargement ; celle-ci faisant l'objet d'une mention en marge de l'acte constitutif. Cette publication est d'importance : elle déterminera, sauf clause conventionnelle contraire, les rangs des créanciers successifs.

C - La création du prêt viager hypothécaire (ou hypothèque inversée)

Cette sûreté existe dans des formes similaires aux Etats-Unis et au Royaume-Uni : c'est la technique du "reverse mortage" qui garantit un prêt immobilier dont le principal et les intérêts sont remboursables in fine et en une seule fois, soit au décès de l'emprunteur, soit lors de la vente de l'immeuble hypothéqué. L'emprunteur ou ses héritiers peuvent, à son terme, payer la dette et conserver le bien.

Concrètement, c'est une forme de crédit de longue durée garanti par un bien immobilier, le plus souvent, résidence principale de l'emprunteur. Pour les banques créancières, ce type de crédit va les obliger à tenir compte, d'abord, de la valeur et de la qualité du bien donné en garantie et seulement, ensuite, des revenus des emprunteurs et de leur capacité à effectuer les remboursements (V. sur ce point, La Tribune, 8 avril 2005). Il sera donc impératif de déterminer la valeur du bien et de proportionner cette valeur au montant du crédit.

D - La réforme de la mainlevée

La loi entend simplifier la mainlevée et diminuer son coût. Sur ce point une baisse des taux d'imposition s'avère nécessaire. Que la constitution et donc l'inscription coûte, soit. Mais, plus difficilement compréhensible est, pour l'emprunteur, le coût de la mainlevée notamment lorsque sa propre dette est éteinte ! Actuellement, le salaire du conservateur et les frais de notaire sont dus pour les deux étapes (constitution et mainlevée). Il sera probablement plus économique de procéder à la mainlevée par le jeu d'une attestation notariée. La mainlevée serait donc requise par le dépôt au bureau du conservateur de cette attestation mentionnant le consentement des parties. Le crédit du bénéficiaire d'une promesse de vente en sera facilité. Doté de cette attestation, il aura la possibilité d'hypothéquer son bien objet de la promesse et d'obtenir ainsi le crédit nécessaire à son acquisition.

Pour conclure, l'article 24 de la loi "Breton" envisage de réglementer aussi certaines pratiques prétoriennes. Ainsi, la clause de réserve de propriété, la garantie autonome, la lettre d'intention et le droit de rétention trouveront bientôt un cadre juridique légal. Il est, effectivement, prévu par l'alinéa 4 de l'article 24 de la loi "Breton" de "donner une base légale à la garantie autonome [...], à la lettre d'intention [...] et au droit de rétention". Sur ces différents points, l'article 24 est sibyllin et il est préférable d'attendre le projet d'ordonnance à venir pour se prononcer sur les différents régimes légaux proposés.

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