Réf. : Cass. soc., 20 septembre 2005, n° 04-46.441, Société Castorama France c/ M. Rodolphe Aucher et autres, FS-P+B (N° Lexbase : A5271DKG)
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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Décision
Cass. soc., 20 septembre 2005, n° 04-46.441, Société Castorama France c/ M. Rodolphe Aucher et autres, FS-P+B (N° Lexbase : A5271DKG) Cassation (CA Poitiers, Chambre sociale, 22 juin 2004) Textes visés : C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) ; NCPC, art. 12 (N° Lexbase : L2043ADZ) Mots-clefs : accord collectif ; erreur matérielle ; rectification par l'employeur ; validité ; force obligatoire ; recherche de la commune intention des parties. Liens bases : |
Résumé
Il appartenait à la cour d'appel, dès lors qu'une erreur matérielle était invoquée, de rechercher quels étaient les coefficients de salaires des "vendeurs experts" convenus entre les signataires de l'accord. |
Faits
1. Le 10 avril 1997, la société Castorama et le syndicat CFTC ont signé un accord portant sur "la création de nouveaux métiers et la modification de certains métiers existant dans la grille des métiers et des qualifications applicables au sein de la société Castorama". L'accord et la grille des nouvelles qualifications ont été notifiés à toutes les organisations syndicales et déposés, le 27 juin 1997, au conseil de prud'hommes compétent et à la direction départementale du travail et de l'emploi, conformément à l'article L. 132-10 du Code du travail (N° Lexbase : L4697DZY). 2. La société Castorama, faisant valoir qu'une erreur matérielle affectait la grille des nouveaux métiers en ce sens que les coefficients de salaire des "vendeurs experts" n'étaient pas les leurs mais ceux de leurs supérieurs hiérarchiques, les chefs de rayon, a notifié le 31 juillet 1997 à toutes les organisations syndicales et déposé le 10 octobre de la même année, une grille rectifiant cette erreur. Par la suite, tous les vendeurs experts ont été rémunérés selon la grille indiciaire ainsi rectifiée. Toutefois, en octobre 2002, certains d'entre eux ont assigné leur employeur en paiement de rappels de salaire correspondant à la première grille en soutenant que sa rectification par l'employeur était illicite. 3. L'arrêt attaqué a fait droit à cette demande en estimant que le processus de rectification de l'erreur invoquée par l'employeur était irrégulier dès lors qu'il n'avait pas appelé à en discuter toutes les organisations syndicales intéressées et que la seule signature, au demeurant contestée, de la rectification par le syndicat CFTC était insuffisante, peu important qu'il s'agisse d'une erreur matérielle. En conséquence, seule la grille initiale était applicable. |
Solution
1. Cassation pour violation des articles 1134 du Code civil et 12 du Nouveau Code de procédure civile. 2. "En statuant ainsi, alors qu'il lui appartenait, dès lors qu'une erreur matérielle d'appréciation était invoquée, de rechercher quels étaient les coefficients de salaires des 'vendeurs experts' convenus entre les signataires de l'accord, la cour d'appel, qui a méconnu l'étendue de ses pouvoirs, n'a pas donné de base légale à sa décision". |
Observations
1. Les pouvoirs du juge
Ainsi que nous le verrons plus avant, il appartient au juge de qualifier les prétentions qui ne le seraient pas et de vérifier, au besoin, les conditions d'application de la règle de droit invoquée par les parties. Il est, par suite, nécessaire de revenir brièvement sur les prétentions des parties en l'espèce. Rappelons que le litige trouvait son origine dans le fait que, postérieurement à la signature d'un accord collectif d'entreprise instituant une nouvelle grille des métiers, l'employeur partie à l'accord s'était très rapidement aperçu que celui-ci était affecté d'une erreur matérielle. Il avait, en effet, constaté que les coefficients de salaire des "vendeurs experts" n'étaient pas les leurs mais ceux de leurs supérieurs hiérarchiques, les chefs de rayon. Aussi, moins de 4 mois après la signature de l'accord, l'employeur avait-il notifié à toutes les organisations syndicales une grille rectifiant cette erreur et rémunéré par la suite tous les vendeurs experts en fonction de la grille indiciaire ainsi modifiée. Cinq années plus tard, certains d'entre eux ont opportunément assigné leur employeur en paiement de rappels de salaire correspondant à la première grille, en soutenant que sa rectification par l'employeur était illicite.
Les juges d'appel ont accédé aux demandes de ces salariés en estimant que le processus de rectification de l'erreur invoquée par l'employeur était irrégulier dès lors qu'il n'avait pas appelé à en discuter toutes les organisations syndicales intéressées et que la seule signature, au demeurant contestée, de la rectification par le syndicat CFTC était insuffisante, peu important qu'il s'agisse d'une erreur matérielle. En conséquence, la cour d'appel a décidé que la grille initiale était seule applicable. C'était là, pour le moins, aller un peu vite en besogne. Ainsi que le commande l'article 12 du Nouveau Code de procédure civile, dont on doit rappeler qu'il figure dans le visa de l'arrêt commenté, il appartient au juge de statuer conformément aux règles de droit applicable. Plus précisément, il lui est ainsi fait obligation de qualifier, en l'absence de toute précision sur le fondement juridique de la demande ou de requalifier si la qualification des parties est inexacte. S'il est ici permis d'hésiter quant au fait de savoir si les parties avaient véritablement donné un fondement juridique à leur demande, il est en revanche certain que, pour reprendre les termes de la Cour de cassation, la cour d'appel a méconnu l'étendue de ses pouvoirs. Il est, en effet, évident que les juges d'appel n'ont pas appliqué la règle de doit adéquate, si tant est qu'ils aient appliqué une règle de droit. On admettra, à leur décharge, que le Code du travail n'envisage en aucune façon la question de la rectification de l'erreur matérielle affectant un accord collectif. Il serait, en outre, erroné de lui étendre le régime juridique de la révision des conventions et accords collectifs de travail, tel que fixé par l'article L. 132-7 du Code du travail (N° Lexbase : L4696DZX) dans sa version applicable à l'époque des faits. En d'autres termes, le droit des conventions et accords collectifs de travail était impuissant à résoudre le problème soulevé dans le cas d'espèce qui nous intéresse. Il fallait donc rechercher ailleurs la règle de droit applicable à savoir, ainsi que nous l'indique la Chambre sociale, dans le Code civil. 2. La force obligatoire des conventions et accords collectifs de travail
On sait que, depuis les travaux de Paul Durand (Le dualisme de la convention collective, RTD civ. 1939, p. 353), la convention collective est à la fois un contrat source d'obligations et un règlement générateur de normes. Sans doute ce dernier aspect prend-il souvent le pas sur le premier. Mais, et l'arrêt commenté le démontre, on ne saurait oublier que la convention ou l'accord collectif de travail comporte un véritable aspect contractuel (v. en dernier lieu, S. Le Gach-Pech, La figure contractuelle en droit du travail, D. 2005, chron., p. 2250), que l'on ne saurait d'ailleurs limiter au seul stade de la conclusion de l'acte en cause (v. contra, J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, Dalloz, 22ème éd., 2004, § 767). Ainsi que le soulignent cependant à juste titre ces derniers auteurs (op. et loc. cit.), en tant qu'elle est un contrat, la convention collective "doit en respecter les conditions de formation et la force obligatoire vis-à-vis de ses signataires. Comme tout contrat [...] son interprétation relève du pouvoir du juge judiciaire". C'est ce que tend précisément à rappeler en l'espèce la Cour de cassation en visant, d'une part, l'article 1134 du Code civil et en affirmant, d'autre part, qu'il appartenait aux juges "de rechercher quels étaient les coefficients de salaires des 'vendeurs experts' convenus entre les signataires de l'accord". En d'autres termes, les juges d'appel auraient dû rechercher quelle était la commune intention des parties.
Si la question de la méthode d'interprétation des conventions et accords collectifs de travail reste discutée en doctrine (G. Lhuilier, Le dualisme de la convention collective devant la Cour de cassation, Dr. soc. 1995, p. 162 ; M. Moreau, L'interprétation des conventions collectives de travail : à qui profite le doute ? : Dr. soc. 1995, p. 171 ; J.-Y. Frouin, L'interprétation des conventions et accords collectifs de travail : RJS 3/96, p. 137), nous restons pour notre part persuadés que l'on ne saurait faire abstraction de l'intention des partenaires sociaux dans l'interprétation d'un acte juridique qui, pour présenter des effets réglementaires, n'en conserve pas moins un irréductible aspect contractuel (v., notre chron., La force juridique des préambules des conventions et accords collectifs de travail : TPS, mars 2004, p. 7). Dans cette perspective, le juge peut suivre les conseils que lui donne le Code civil en faisant, par exemple, application de l'article 1156 (N° Lexbase : L1258AB9), qui professe que l'"on doit dans les conventions rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes", ou encore de l'article 1161 (N° Lexbase : L1263ABE), aux termes duquel "toutes les clauses des conventions s'interprètent les unes par les autres, en donnant à chacune le sens qui résulte de l'acte entier". Au total, on aura compris que lorsque est invoquée une erreur matérielle affectant une convention ou un accord collectif de travail, il appartient seulement au juge de déterminer ce qui avait été convenu entre les parties, afin de résoudre le litige qui se présente à lui. Ce n'est que la conséquence logique de la règle selon laquelle, doit-on le rappeler, le contrat est la loi des parties. |
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