Réf. : CA Paris, 3ème ch., sect. B, 30 septembre 2005, n° 96/12548, Société anonyme Crédit Lyonnais c/ Monsieur Bernard Tapie (N° Lexbase : A6115DKP).
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le 07 Octobre 2010
On ne s'étendra pas ici sur les questions procédurales. Signalons simplement que si le débiteur est représenté par son liquidateur et ne peut être partie à l'instance ni intervenir à titre principal, son intervention volontaire accessoire, au sens de l'article 330 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2544ADL), est recevable en ce qu'elle est justifiée par son intérêt à voir réduit le passif de sa liquidation judiciaire. Les juges parisiens considèrent en outre que "le droit d'intervenir [des époux débiteurs], dans une procédure qui aura nécessairement des incidences sur la procédure collective dont il font l'objet à titre personnel et les conséquences de celle-ci non seulement patrimoniales, mais personnelles constitue un droit fondamental justifiant leur intervention".
Sur la responsabilité des banques, qui retiendra singulièrement l'attention, une première question se posait liminairement à la cour : celle de la qualification juridique des relations existant entre les banques et le cédant. Pour la cour d'appel de Paris, "l'utilisation répétée, par les parties, du mot mandat exprime leur volonté de qualifier leurs relations et la mission confiée, de mandat d'intérêt commun à titre onéreux irrévocable pour la période considérée". Et d'ajouter que "la lettre même des conventions caractérise le mandat ainsi que les opérations prévues [qui] correspondent parfaitement au contrat régi par les articles 1984 et suivants du Code civil (N° Lexbase : L2207ABD)". Pour leur décharge, les banques ont pu soutenir qu'il ne s'agissait que d'une simple promesse de vente, voire d'un contrat d'entreprise. Mais de telles qualifications ne pouvaient à la vérité prospérer. Comme le relève très pertinemment la cour, une promesse de vente suppose un bénéficiaire dénommé ; un contrat d'entreprise, une absence de représentation et des actes matériels.
Le contrat ainsi qualifié de "mandat" est loin d'être neutre pour la recherche de la solution (2). Il emporte pour le mandataire, ainsi que le rappelle la cour, "l'obligation de loyauté, de transparence, d'information, de rendre compte et l'obligation visée à l'article 1596 du Code civil (N° Lexbase : L1681ABU), sous forme d'interdiction pour le mandataire de se porter acquéreur lui-même ou par personne interposée, des biens qu'il est chargé de vendre".
La question de la qualification étant réglée, se posait celle des personnes tenues au respect des obligations en découlant. Or, la banque avait financé les différentes participations acquises par les cessionnaires -au rang desquels figuraient des propres filiales de la banque-, tout en s'abstenant d'informer son mandant. Plus précisément, sur le fait qu'un repreneur était disposé à acheter à un terme de deux ans au plus, pour un prix de 4 milliards 485 millions de francs, à comparer aux 2 milliards 85 millions de francs du mandat, et qu'elle-même était prête à financer l'opération.
Pour les juges d'appel, la banque "en se portant contrepartie par personnes interposées et en n'informant pas loyalement son client n'a pas respecté les obligations résultant de son mandat". Dès lors, le préjudice subi par le mandant doit être réparé.
Dans son principe, la solution posée par l'arrêt du 30 septembre 2005 doit, naturellement, recevoir approbation. A la question de savoir si le banquier mandataire peut réaliser une plus-value au préjudice de son client, en rachetant pour lui-même -fût-ce indirectement-, pour revendre, à l'insu du mandant, pour percevoir la plus-value de la cession au lieu et place de celui-ci, les juges parisiens ont, en effet, parfaitement répondu. Dans un arrêt qui a été largement commenté (3), la Cour de cassation a, d'ailleurs, déjà pris position sur ce point. Elle a, ainsi, pu décider, s'agissant d'un dirigeant mandaté pour reclasser la participation d'un associé, que le fait d'acquérir lui-même les titres à un certain prix, tout en s'abstenant d'informer le cédant des négociations parallèles qu'il avait engagées par l'entremise d'une banque pour la vente des mêmes actions à un prix très supérieur, caractérisait un manquement à son devoir de loyauté ; ce seul motif, permettant de retenir l'existence d'une réticence dolosive à son encontre. Evidemment, le fait que le mandant ait accepté la cession au prix qu'il conteste, par la suite, ne peut lui être opposé ; les Hauts magistrats observant, justement, que s'il avait été informé des négociations en cours, il n'aurait pas cédé ses actions à ce prix là (4). La situation du banquier mandataire n'a probablement pas la même nature ; l'exigence de loyauté du dirigeant social n'étant pas forcément celle du banquier. Mais, ce dernier est un professionnel aux obligations renforcées en matière de conflits d'intérêts, et la situation n'est pas si différente car dans les deux cas un mandat de cession est donné en confiance.
Cela étant, plusieurs questions viennent, quand même, à l'esprit. Normalement, la réticence dolosive du banquier mandataire devrait entraîner l'annulation de la cession. Certes, revenir au statu quo ante est assez inextricable s'agissant, ici, de titres admis aux négociations sur un marché réglementé, et on peut comprendre que les juges ne se soient pas engouffrés, plus avant, dans cette voie. D'autant qu'aujourd'hui, la capitalisation boursière d'Adidas est estimée à 5,9 milliards d'euros (5). Mais dans son principe, l'impossibilité technique de prononcer la nullité empêche-t-elle vraiment une réparation équivalente à celle qui résulterait des restitutions si la nullité était possible ?
Par ailleurs, parmi les obligations s'imposant au banquier mandataire existe, suivant le droit commun (6), celle qui l'oblige à mettre son mandant en mesure d'apprécier la bonne exécution de son mandat. Notamment, en lui rendant compte de sa gestion et, en lui faisant raison de tout ce qu'il a reçu en vertu de sa procuration ; quand bien même ce qu'il aurait reçu n'eût point été dû au mandant (7). On voit mal, dès lors, comment, en l'espèce, une clause de confidentialité a pu empêcher les partenaires de l'opération, dont la banque, de révéler ce qu'elle a effectivement gagné dans l'opération. Cela commandait, à tout le moins, de rechercher si cette clause n'était pas contemporaine du mandat. Le défaut de rendre compte pouvant aussi être constitutif du délit d'abus de confiance, il aurait été encore possible à l'autorité judiciaire (8), agissant dans le cadre d'une procédure pénale (9), d'obtenir du banquier les renseignements de nature à établir l'infraction (10). Mais il n'apparaît pas que les instances pénales en cours, qui dans cette affaire, ont donné lieu à une ordonnance de non-lieu partiel, aient permis d'obtenir une telle information.
Le raisonnement des juges, concernant le quantum, peut paraître, enfin, assez elliptique. Et ce, aussi bien sur la méthode d'actualisation que sur le calcul proprement dit. En effet, après avoir observé que "l'indice INSEE du coût de la vie depuis le 1er janvier 1995 a augmenté de 16,5 %, l'indice CAC 40 de 137 %, l'action Adidas de 370 %, une somme placée à taux fixe, à 7,5 % en 1995 à intérêt composé, de 206 %", les juges retiennent, sans plus d'explication, une actualisation correspondant à une augmentation de 202 %. Le calcul, lui-même, est aussi curieux : la différence entre le prix de cession de la participation en décembre 1994 (3 milliards 498 millions) et celui de février 1993 (2 milliards 85 millions), dont le tiers serait revenu au cédant, ne lui donne pas la somme de 438 000 000 francs, mais celle de 470 952 900 francs. Une actualisation à 202 % devrait alors déboucher sur des dommages-intérêts à hauteur de 145 156 715 euros et non pas de 135 000 000 euros.
Quoi qu'il en soit, ces chiffres, qui donnent le vertige même aux magistrats les plus aguerris, aboutissent à des dommages-intérêts considérables. Surtout pour le contribuable qui en assumera finalement la charge. Il n'est pas sûr pourtant, ainsi que le relèvent les juges, qu'ils soient suffisants pour permettre au débiteur de rembourser la totalité de ses dettes. Autant de raisons qui donnent à penser que l'arrêt du 30 septembre 2005 n'est peut-être pas l'épilogue judiciaire de cette affaire.
Richard Routier
Maître de Conférences à l'Université du sud Toulon-Var
(1) Libération, 12 novembre 2004 ; Le Monde, 9 juin 2005 ; L'Express, 13 juin 2005.
(2) Sur la responsabilité du banquier mandataire dans les mandats de cession : v. R. Routier, Obligations et responsabilités du banquier, spéc. n° 511.71, Dalloz référence (sous presse).
(3) Cass. com., 27 février 1996, n° 94-11.241, Vilgrain c/Alary (N° Lexbase : A2401ABK) ; D. 1996, somm. p. 342, obs. J.-C. Hallouin, Jur. p. 518, note Ph. Malaurie et p. 591, note J. Ghestin ; Defrénois 1996, p. 1205, note Y. Dagorne-Labbe ; JCP éd. N 1996, p. 1050, note J. Ghestin, et JCP éd. E 1996, n° 27, p. 168, note D. Schmidt et N. Dion ; LPA 17 févr. 1997, n° 21, p. 7, note D.-R. Martin ; JCP éd. E 1998, n° 39, p. 1486, note B. Daille-Duclos.
(4) Cass. com., 27 février 1996, précité.
(5) L'actualité des Fusions-Acquisitions, n° 135, 6 mai 2005.
(6) C. civ., art. 1984 s. (N° Lexbase : L2207ABD).
(7) C. civ., art. 1993 (N° Lexbase : L2216ABP).
(8) Cass. crim. 27 avril 1994, n° 93-82.976, Khalef Dalil (N° Lexbase : A8372ABP), D. 1994, p. 402, note C. Gavalda ; Bull. Joly Bourse 1994, p. 469, note T. Bonneau.
(9) C. pén., art. 132-22 (N° Lexbase : L2301AM8), obligeant les établissements financiers à communiquer aux organes de la juridiction répressive tous "renseignements utiles de nature financière ou fiscale, sans que puisse être opposée l'obligation au secret".
(10) TGI Paris, 20 nov. 1990, D. 1992, somm. p. 31, obs. M. Vasseur. CA Toulouse, 8 février 1993, Dr. et patr. 1993, n° 6, p. 37.
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