La lettre juridique n°184 du 6 octobre 2005 : Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] Cadeau, réduction de prix et TVA

Réf. : CAA Lyon, 2ème ch., 13 juillet 2005, n° 99LY02844, SA Igol Centre Etablissements Gallois c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie (N° Lexbase : A3499DKS)

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par Yolande Sérandour, Professeur à la Faculté de droit de Rennes, Directrice du Master de Droit Fiscal des Affaires de Rennes et du département Droit fiscal du CDA

le 07 Octobre 2010

La SA Igol Centre Etablissements Gallois a pour activité la fabrication et la vente de lubrifiants de marque Igol. Elle a acheté des matériels haute-fidélité, vidéo, photo, téléviseurs, bicyclettes, scooters, appareils électroménagers qu'elle a apparemment revendus à ses clients tout en émettant à leur profit des avoirs correspondant à des remises quantitatives sur leurs achats de lubrifiants. L'administration fiscale a rejeté la déductibilité de la TVA ayant grevé les objets susmentionnés aux motifs qu'il s'agissait de cadeaux sans lien avec l'objet social et exclus du droit à déduction par l'article 238 de l'annexe II au CGI . La notification adressée à la société Igol indiquait que le dispositif utilisé ne correspondait pas à la réalité économique dans la mesure où il présentait l'apparence de la vente de biens en contrepartie de l'octroi de remises sur les quantités de lubrifiants achetés par les clients. Il était également précisé que la facturation accompagnée d'une réduction de prix cachait seulement la volonté de récupérer abusivement la taxe supportée lors de l'acquisition des biens concernés. En conséquence, selon l'administration fiscale, les factures de ventes adressées aux clients et les factures d'avoirs émises à leur profit étaient fictives et devaient être écartées.
La cour administrative d'appel de Lyon y voit un abus de droit rampant. Elle décide en effet que "l'administration fiscale ne s'est pas bornée, contrairement à ce que soutient le ministre, à tirer les conséquences du procédé utilisé au regard des règles fiscales applicables, mais a invoqué implicitement, mais nécessairement, un abus de droit ; qu'il est constant que le vérificateur n'a pas avisé la SA Igol Centre Etablissements Gallois que le redressement litigieux avait pour fondement l'article L. 64 du LPF (N° Lexbase : L5565G4U) et qu'il a, dans sa réponse aux observations du contribuable du 20 février 1996, rayé la mention relative à la faculté de saisine du Comité consultatif pour la répression des abus de droit prévue dans le cadre de cette procédure ; que la requérante est ainsi fondée à soutenir en appel que le complément de taxe sur la valeur ajoutée en litige a été établi à la suite d'une procédure irrégulière". Il ne suffit pas d'invoquer implicitement l'abus de droit, encore faut-il l'établir explicitement dans les formes requises par la loi.

1. L'abus de droit implicite

L'article 238 de l'annexe II au CGI exclut du droit à déduction la TVA ayant grevé les biens autres que ceux de très faible valeur cédés sans rémunération, notamment à titre de cadeaux. L'administration fiscale fixe le seuil de déductibilité à 31 euros (Doc. adm. 3 D 1535, n° 36). Elle s'inspire des prélèvements aux fins de cadeaux soumis à LASM . Cette limite peut paraître fort modeste à un entrepreneur désireux de manifester une véritable reconnaissance à un client important. Parmi les techniques de contournement de l'article 238 de l'annexe II au CGI figure la réduction de prix d'un montant égal (ou presque) à celui de l'objet susceptible de satisfaire le client malgré la facturation de son prix. Ainsi, l'entrepreneur ne fait pas un cadeau mais accorde une remise exclue de l'assiette de la TVA par l'article 11 A § 3 b de la sixième directive-TVA (N° Lexbase : L9279AU9) transposé sous l'article 267-II-1° du CGI (Yolande Sérandour, L'échange biens contre publicité confronté à la TVA, JCP, éd. E, 1998, p.1872 ; Yolande Sérandour, Vraies et fausses réductions de prix affectant l'assiette de la TVA, Lexbase Hebdo n° 110, du 4 mars 2004 - édition fiscale N° Lexbase : N0748ABC et N° Lexbase : N0749ABD).

Il faut toutefois veiller à l'unité de temps et de nature de l'opération. Le cadeau déguisé doit avoir un lien avec la prestation principale. Ajouter des tapis à la livraison d'un camion ne saurait surprendre. En revanche, facturer un collier de diamants avec 100 camions pourrait susciter la perplexité d'un contrôleur. L'article L. 64 du  LPF dispose que "Ne peuvent être opposés à l'administration des impôts les actes qui dissimulent la portée véritable d'un contrat ou d'une convention à l'aide de clauses [...] qui permettent d'éviter, en totalité ou en partie, le paiement des taxes sur le chiffre d'affaires correspondant aux opérations effectuées en exécution d'un contrat ou d'une convention. L'administration est en droit de restituer son véritable caractère à l'opération litigieuse. En cas de désaccord sur les redressements notifiés sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du Comité consultatif pour la répression des abus de droit [...]". Le Comité consultatif des abus de droit mentionne, dans son rapport pour 2001, un montage destiné à permettre de dissimuler, sous couvert de ventes, des remises de cadeaux dans le seul but de contourner l'exclusion du droit à déduction des biens remis sans rémunération (instruction du 22 février 2002, BOI n° 13 L-1-02 N° Lexbase : X0340AB9). Les biens en cause n'avaient aucun lien avec l'activité principale du vendeur ni avec celle des clients. Les entrepreneurs et leurs conseils doivent en tirer les conséquences.

En l'espèce, l'arrêt n'indique pas si les cadeaux facturés avaient ou non un lien avec les activités des destinataires. Afin de prévenir les abus, le décret n° 2003-632 pris en Conseil d'Etat le 7 juillet 2003 et relatif aux obligations de facturation en matière de taxe sur la valeur ajoutée et modifiant l'annexe II au CGI et la deuxième partie du LPF (N° Lexbase : L6850BH8) précise les modalités d'application de la loi relative aux nouvelles règles de facturation, notamment la liste des mentions obligatoires. Seuls "les rabais, remises, ristournes ou escomptes acquis et chiffrables lors de l'opération et directement liés à cette opération" peuvent désormais figurer sur la facture . Il n'est plus possible de remettre un objet totalement étranger à l'activité du fournisseur ou de son client. Il devient également impossible de gratifier un client après réalisation du fait générateur, livraison ou achèvement d'un service.

La cour administrative d'appel de Lyon ne s'attarde pas sur le déroulement précis des faits. Avec raison car le non-respect de la procédure de l'abus de droit par l'administration, malgré l'accusation suffisamment précise, même implicite suffisait pour rejeter l'appel du ministre du Budget. Certes, le Conseil d'Etat considère qu'il n'y a pas d'abus de droit implicite lorsque l'administration ne conteste pas la réalité d'un fait mais se borne à écarter l'apparence créée par un acte juridique pour prendre en considération la situation réelle. Ainsi, est-il possible d'imposer directement l'associé d'une EURL quoique l'activité ait été apparemment celle de cette dernière (CE, 11 juillet 1991, n° 69831, M. Lelouch c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A9550AQR ; lire Olivier Fouquet, conclusions sous l'arrêt, DF, 1993, n° 5, comm. 171). Néanmoins, ce refus de sanctionner l'abus de droit rampant peut difficilement être transposé à la TVA sans s'exposer au regard sévère de la CJCE. Il est vraisemblable qu'elle sanctionnerait l'abus de droit non explicitement établi.

2. L'abus de droit non explicite

La Cour de Luxembourg ne rejette pas le recours à l'abus de droit en matière de TVA. A propos de l'article 13 B de la sixième directive-TVA, elle a décidé qu'"Il résulte de ce texte que la lutte contre la fraude, l'évasion fiscale et les abus éventuels est un objectif reconnu et encouragé par la sixième directive-TVA" (CJCE, 29 avril 2004, aff. C-487/01, Gemeente Leusden c/ Staatssecretaris van Financiën N° Lexbase : A9952DB9). L'article 27 prévoit que "1. Le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission, peut autoriser tout Etat membre à introduire des mesures particulières dérogatoires à la présente directive, afin de simplifier la perception de la taxe ou d'éviter certaines fraudes ou évasions fiscales. Les mesures destinées à simplifier la perception de la taxe ne peuvent influer, sauf de façon négligeable, sur le montant de la taxe due au stade de la consommation finale. 2. L'Etat membre qui souhaite introduire des mesures visées au paragraphe 1 en saisit la Commission et lui fournit toutes les données utiles d'appréciation". La prévention de la fraude ou de l'évasion fiscale ne peut justifier l'adoption de mesures nationales dérogatoires que dans le cadre de la procédure prévue par cet article 27 (CJCE, 21 septembre 1988, aff. C-50/87, Commission des Communautés européennes c/ République française, § 22 N° Lexbase : A7265AHK ; CJCE, 11 juillet 1991, aff. C-97/90, Hansgeorg Lennartz c/ Finanzamt München III, § 35 N° Lexbase : A7275AHW ; CJCE, 20 janvier 2005, aff. C-412/03, Hotel Scandic Gåsabäck AB c/ Riksskatteverket, § 26 N° Lexbase : A3119DGM ; lire Yolande Sérandour, La fourniture de repas moyennant une contrepartie inférieure au prix de revient n'est pas une livraison ou un service à soi-même, Lexbase Hebdo n° 153, du 3 février 2005 - édition fiscale N° Lexbase : N4492ABY).

L'existence de l'abus de droit dans la sixième directive-TVA, nonobstant son absence formelle demeure à établir. Les conclusions de monsieur l'Avocat général M. M. Poiares Maduro, présentées le 7 avril 2005, sur l'affaire C-255/02, Halifax plc, Leeds Permanent Development Services Ltd, County Wide Property Investments Ltd orientent vers une réponse positive. Néanmoins, compte tenu de l'article 27 précité et des principes communautaires de sécurité juridique et de confiance légitime (CJCE, 8 juin 2000, aff. C-396/98, Grundstückgemeinschaft Schlossstrasse GbR c/ Finanzamt Paderborn, § 44 N° Lexbase : A1801AWM ; CJCE, 29 avril 2004, aff. C-487/01, Gemeente Leusden c/ Staatssecretaris van Financiën, § 58, 65 et 69, précité ; CJCE, 29 avril 2004, aff. C-17/01, Finanzamt Sulinge c/ Walter Sudholz N° Lexbase : A9948DB3, la procédure de notification susmentionnée devrait, dans certains cas être respectée. La question se poserait particulièrement au sujet des opérations répondant à des objectifs autres que fiscaux. Il semble que la distinction française entre l'abus par simulation et l'abus par fraude soit également opérationnelle en matière de TVA. Monsieur l'Avocat général M. M. Poiares Maduro considère que la possibilité de choisir entre différentes solutions offertes par la sixième directive-TVA nécessite le respect de son article 27. Il souhaite ainsi éviter qu'un principe général de prohibition de l'abus de droit puisse permettre à un Etat membre de sanctionner tout choix de la voie la moins imposée.

En l'espèce, la société Igol a vendu des objets différents de ceux habituellement commercialisés et accordé des réductions de prix. Si la recherche d'un avantage fiscal paraît probable, échapper à l'application de l'article 238 de l'annexe II au CGI , il n'en demeure pas moins que la facturation permettait de collecter de la TVA. Or , toute dépense affectée à des opérations imposables ouvre droit à déduction (sixième directive-TVA, art. 17) et l'octroi de réduction de prix diminue l'assiette (sixième directive-TVA, art. 11 A § 3 b). Comment concilier le respect de ces deux textes lorsqu'ils se traduisent par la méconnaissance d'une simple exclusion interne du droit à déduction ? La clause de gel justifie peut-être l'article 238 susmentionné (sixième directive-TVA, art. 17 § 6 al. 2). Le doute est permis au regard de l'absence de réévaluation administrative du seuil de déductibilité des cadeaux depuis 1982 et de l'admission d'un seuil supérieur en faveur des présentoirs publicitaires. La France a vraisemblablement aggravé la situation des assujettis, ce que n'accepte pas la CJCE (CJCE, 14 juin 2001, aff. C-40/00, Commission des Communautés européennes c/ République française N° Lexbase : A6444ATT) ; lire E. Desmorieux, DF 2001, n° 39, comm. 861 ; Adde, Yolande Sérandour, Le droit à déduction de la TVA selon la Cour de justice des Communautés européennes : après les frais de représentation, le gazole, JCP, éd. E., 2001, 1998 ; CJCE, 19 septembre 2000, aff. C-177/99, Ampafrance SA c/ Directeur des services fiscaux de Maine-et-Loire (C-177/99) et Sanofi Synthelabo contre Directeur des services fiscaux du Val-de-Marne (C-181/99) N° Lexbase : A7225AH3 ; lire F. Deboissy, RTD com. 2001, p. 280, chr. ;  Adde, J. Turot, Attention, ne jamais recongeler un produit décongelé, DF 2000, p. 1404 ; instruction du 13 novembre 2000, BOI n° 3 D-2-00 N° Lexbase : X0350AA9).

A supposer que l'article 238 de l'annexe II au CGI, tel qu'interprété par notre administration fiscale soit conforme à la sixième directive-TVA, l'existence d'un choix soulève la question de savoir si la France a ou non présenté une demande spécifique à la Commission, dans les formes requises. En cas de réponse positive, il serait intéressant de connaître la position du juge communautaire à l'égard de la facturation de biens différents de ceux habituellement vendus mais susceptibles de favoriser le commerce. La liberté contractuelle doit-elle céder devant un seuil de déduction ? Si l'on ajoute que les prélèvements aux fins de cadeaux sont des livraisons à soi-même taxables, l'analyse se complique !

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