La lettre juridique n°184 du 6 octobre 2005 : Procédures fiscales

[Le point sur...] La note en délibéré à l'épreuve des conclusions du commissaire du Gouvernement

Réf. : QE n° 16980 de M. Michel Charasse, JOSEQ, 7 avril 2005, p. 967, min. Just., réponse publ. 7 juillet 2005, p. 1836, 12ème législature (N° Lexbase : L6037HCL)

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N9123AIQ

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par Jean-Marc Priol, Avocat au Barreau de Paris, Landwell & Associés

le 07 Octobre 2010

Le contribuable non averti de la procédure devant les juridictions administratives et non assisté d'un conseil éprouve, généralement, une certaine frustration de ne pouvoir, à l'audience à laquelle il a été régulièrement convoqué, répliquer oralement aux conclusions du commissaire du Gouvernement appelé à émettre un avis sur son dossier à la formation de jugement. Le conseil averti, en revanche, s'il juge opportun, répliquera en déposant une note en délibéré comme moyen d'attirer l'attention de la formation de jugement sur les points de fait ou de droit qui méritent la production de compléments d'observations. Il est rappelé qu'aux termes de l'article L. 7 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L2614ALE) "un membre de la juridiction, chargé des fonctions de commissaire du Gouvernement, expose publiquement, et en toute indépendance, son opinion sur les questions que présentent à juger les requêtes et sur les solutions qu'elles appellent". On cherchera en vain dans le CJA les textes régissants la note en délibéré, alors que la procédure civile dispose d'un texte, l'article 443 du Nouveau code de procédure civile (N° Lexbase : L2682ADP), la reconnaissant et l'organisant. Ainsi, devant les juridictions administratives, la pratique de la note en délibéré constitue un usage s'intégrant dans le débat contradictoire. Le principe du contradictoire se trouve rappelé aux termes des dispositions de l'article L. 5 du CJA (N° Lexbase : L2612ALC), suivant lesquelles l'instruction des affaires est contradictoire et les exigences de la contradiction sont adaptées à celle de l'urgence. L'article L. 6 du même code (N° Lexbase : L2613ALD) souligne que les débats ont lieu en audience publique.
1. Il n'est pas inutile de rappeler à cet endroit les étapes de la procédure devant les juridictions administratives qui aboutissent à l'audience et au délibéré.

Le président de la formation de jugement peut, par une ordonnance, fixer la date à partir de laquelle l'instruction sera close, envoyée à toutes les parties en cause quinze jours au moins avant cette date (CJA, art. R. 613-1 N° Lexbase : L1579DY7).

Dans l'hypothèse où le président de la formation n'a pas pris une ordonnance de clôture, l'instruction est close trois jours francs avant la date de l'audience (CJA, art. R. 613-2 N° Lexbase : L3133ALM).

Enfin, dans le cas prévu à l'article R. 711-2 du CJA (N° Lexbase : L1578DY4) ou en raison de l'urgence (CJA, art. R. 613-2 N° Lexbase : L3133ALM), situations dans lesquelles le président de formation, par une décision expresse, réduit à deux jours le délai de convocation à l'audience, l'instruction est close, soit après que les parties ou leurs mandataires ont formulé leurs observations orales, soit, si ces parties sont absentes ou ne sont pas représentées, après appel de leur affaire à l'audience.

Il s'ensuit que les mémoires produits après la clôture de l'instruction (CJA, art. R. 613-3 N° Lexbase : L3134ALN) ne donnent pas lieu à communication et ne sont pas examinés par la juridiction (CE, Contentieux, 18 octobre 1978, n° 8159, Sieur xxxxx c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A5697AIT ; CE, Contentieux, 28 juillet 2000, n° 189260, M. et Mme Francom c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A7310ATW ; CE, 3° et 8° s-s., 17 novembre 2000, n° 193290, SA d'habitations à loyer modéré Notre Logis c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A9577AH8). Toutefois, si les parties présentent avant la clôture de l'instruction des conclusions nouvelles ou des moyens nouveaux, la juridiction ne peut les adopter sans ordonner un supplément d'instruction (CE, 26 mars 2003, req. n° 241.642, Sté d'exploitation des Haras c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie).

Dans ce cas, le président de la formation de jugement peut rouvrir l'instruction (CJA, art. R. 613-4 N° Lexbase : L3135ALP). Il doit être observé que la réouverture de l'instruction peut résulter, également, d'un jugement ou d'une mesure d'investigation ordonnant un supplément d'instruction. Les mémoires qui auraient été produits pendant la période comprise entre la clôture et la réouverture de l'instruction sont communiqués aux parties.

Devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, l'audience se déroule en trois étapes (CJA, art. R. 731-3 N° Lexbase : L3192ALS). Après le rapport qui est fait sur chaque affaire par un membre de la formation de jugement (première étape), les parties peuvent présenter soit en personne, soit par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, soit par un avocat, des observations orales (deuxième étape) à l'appui de leurs conclusions écrites. Les agents de l'administration peuvent être, également, entendus par la formation de jugement ou appelés devant elle pour fournir des explications. Devant le tribunal administratif, le Président de la formation peut, au cours de l'audience et à titre exceptionnel, demander des éclaircissements à toute personne présente dont l'une des parties souhaiterait l'audition. Enfin, le commissaire du Gouvernement prononce ses conclusions (troisième étape), auxquelles les requérants ne peuvent répliquer par de nouvelles observations orales (CE, Contentieux, 3 juin 1996, n° 163366, M. Bourgais c/ Ministre de l'Economie, Finances et l'Industrie N° Lexbase : A9843ANU).

L'affaire est ensuite mise en délibérée.

C'est, donc, la jurisprudence qui a eu à connaître des difficultés pratiques soulevées par la note en délibéré, le plus souvent lors des litiges sur l'absence de communication des conclusions du commissaire du Gouvernement et sur la remise en cause de sa fonction et de son rôle.

2. Les conclusions du commissaire du Gouvernement ne sont pas, en effet, communicables (CE, 9° et 7° s-s., 9 décembre 1970, n° 79282, Dame Veuve Jame c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A2963AUB ; CE 15 avril 1998, Vincent c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, Rec. CE, p. 145) avant l'audience pour deux raisons.

En premier lieu, parce que les conclusions n'étant pas détachables de la procédure juridictionnelle, elles n'ont pas le caractère de documents administratifs au sens des dispositions de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 (loi n° 78-753, 17 juillet 1978, portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et le public et diverses dispositions d'ordre administratif, social et fiscal N° Lexbase : L6533AG3) et qu'elles sont, en second lieu, la propriété des commissaires du Gouvernement en vertu du principe de l'indépendance de ces derniers (CE, 10 juillet 1957, Gervaise c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, Rec. CE, p. 466).

C'est, ainsi, que la jurisprudence a considéré "qu'eu égard au rôle [du commissaire du Gouvernement] et à la nature de ses conclusions qu'il présente oralement à la juridiction, l'absence de communication de ses conclusions aux parties [...] ne porte pas atteinte au caractère contradictoire de la procédure" (CAA Paris, 17 octobre 1991, SA Hellot c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, Rec. CE, p. 569).

Par ailleurs, la communication aux parties des conclusions du commissaire du Gouvernement n'est pas sans soulever du point de vue d'une bonne administration de la justice des difficultés de procédure tenant à l'alourdissement de cette dernière ainsi qu'à sa longueur par l'instauration d'un nouveau débat contradictoire.

Ce particularisme a conduit dans un premier temps la jurisprudence (CE, 9 juillet 1998, Esclatine c/ Ministre de l'Economie, des Finances de l'Industrie, rec. CE, p. 320) à considérer que dès lors que "le commissaire du Gouvernement participe à la fonction de juger dévolue à la juridiction dont il émane [...] l'exercice de cette fonction n'est pas soumis au principe du contradictoire", ne laissant aucune place à la production d'observations mais, seulement, à une note en délibéré.

Puis, dans un second temps, sous l'effet de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH, 7 juin 2001, req. 39594/98, Kress c/ France N° Lexbase : A2964AUC), cette pratique s'est officialisée comme "une dérogation reconnue aux conséquences normales de la clôture de l'instruction"(voir René Chapus, Droit du Contentieux administratif, p. 830 et suivantes, Domat Droit public, 10ème éd., Montchrestien).

Dans son arrêt du 7 juin 2001, la Haute cour européenne reconnaît que la non communication préalable des conclusions du commissaire du Gouvernement n'est pas contraire au principe du procès équitable (CEDSH, art. 6-1 N° Lexbase : L7558AIR) et, notamment, de l'égalité des armes dans la mesure où ses conclusions sont présentées oralement à l'audience publique, à laquelle les parties qui en découvrent le sens et le contenu, ont la faculté de répliquer, par une note en délibéré.

Elle valide, ainsi, aux termes de sa jurisprudence l'existence d'une procédure contradictoire, dès lors qu'à son sens "les avocats qui le souhaitent peuvent demander au commissaire du Gouvernement avant l'audience, le sens général de ses conclusions" et "que les parties peuvent répliquer par une note en délibéré aux conclusions" de ce dernier, lequel s'il devait "invoquer oralement lors de l'audience un moyen non soulevé par les parties", devrait conduire la formation de jugement à ajourner l'affaire.

Par ailleurs, la même Cour a précisé dans deux décisions, en premier lieu, que la note en délibéré doit être expressément mentionnée dans les visas du jugement et, en second lieu, que les justiciables doivent disposer d'un délai suffisant pour rédiger une éventuelle note en délibéré (CEDH, 21 mars 2002, req. 38436/97, APBP c/ France N° Lexbase : A2926AYZ ; CEDH, 21 mars 2002, req. 38748/97, Immeubles Groupe Kosser c/  France N° Lexbase : A2924AYX).

La jurisprudence interne, qui a suivi l'arrêt de la CEDH, a confirmé cette officialisation en des termes plus mesurés, rappelant que si les parties ne peuvent pas prendre la parole à l'audience après que le commissaire du Gouvernement a prononcé ses conclusions (CE, Contentieux, 3 juin 1996, n° 163366, M. Bourgais c/ Ministre de l'Economie, Finances et l'Industrie, précité), elles ont seulement la faculté de produire une note en délibéré ayant pour objet de compléter leurs observations compte tenu, notamment, des arguments développés par celui-ci, étant observé que la juridiction en question n'est pas tenue de rappeler aux parties cette faculté, à peine d'irrégularité de la procédure (CE, 3° et 8° s-s., 30 septembre 2002, n° 237673, M. Vaille c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A9548AZN).

Quant au contenu de la note, cette même jurisprudence (CE, 3° et 8° s-s., 29 novembre 2002, n° 225356, M. Domergue c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A4715A4E), postérieure à celle de la CEDH, précise qu'elle contient soit l'exposé d'une circonstance de fait que la partie intéressée n'a pu faire valoir avant la clôture de l'instruction et que "le juge ne pourrait ignorer sans fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts", soit d'une circonstance de droit nouvelle ou que le juge devrait relever d'office.

Restait à savoir quelles obligations impliquaient pour le juge la reconnaissance de la note en délibéré.

Selon le Conseil d'Etat (CE, 3° et 8° s-s., 29 novembre 2002, n° 225356, M. Domergue c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, précité ; CE, 5° et 7° s-s., 21 novembre 2003, n° 244820, Mme Biord-Genest c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A2863DAB), lorsque le juge administratif est saisi postérieurement à la clôture de l'instruction et au prononcé des conclusions du commissaire du Gouvernement, d'une note en délibéré émanant de l'une des parties à l'instance, il lui appartient dans tous les cas "d'en prendre connaissance avant la séance au cours de laquelle sera rendue la décision ; que s'il a toujours la faculté, dans l'intérêt d'une bonne justice, de rouvrir l'instruction et de soumettre au débat contradictoire les éléments contenus dans la note en délibéré, il n'est tenu de le faire, à peine d'irrégularité de sa décision, que si cette note contient une circonstance de fait ou de droit nouvelle". La méconnaissance de l'obligation de réouverture de l'instruction pourrait constituer, le cas échéant, sous réserve de la confirmation de la jurisprudence en ce sens, d'un cas d'ouverture du recours en révision (CE, 5° et 7° s-s., 12 juillet 2002, n° 236125, M. et Mme Leniau c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A1581AZL).

Ces précisions jurisprudentielles n'ayant pas fait l'unanimité, et devant une pratique incertaine de celles-ci par l'ensemble des juridictions, les modalités d'application de la note en délibéré ont été précisées par une réponse ministérielle (QE n° 16980 de M. Michel Charasse, JOSEQ, 7 avril 2005, p. 967, min. Just., réponse publ. 7 juillet 2005, p. 1836, 12ème législature N° Lexbase : L6037HCL) portant sur la procédure de communication des conclusions du commissaire du Gouvernement.

La question de la note en délibérée se trouve, en effet, intimement liée à celle des conditions et de l'esprit dans lesquels s'effectue, devant les juridictions administratives, la communication aux parties du sens général des conclusions du commissaire du Gouvernement.

Il a été, ainsi, répondu par le Ministre que "l'échange avec l'avocat, sur l'initiative de celui-ci, porte sur le sens des conclusions et non sur le détail du raisonnement du commissaire" précisant qu"intervenant dans les jours ou heures précédant l'audience, il y a lieu à un moment où, juridiquement l'instruction n'est pas nécessairement close", et que "l'usage veut, toutefois, que l'avocat, après s'être ainsi entretenu avec un commissaire du Gouvernement, s'interdise de produire un nouveau mémoire faisant valoir un moyen ou une argumentation supplémentaire. En revanche rien ne s'oppose à ce que l'entretien avec le commissaire du gouvernement incite l'avocat à présenter des observations orales ou à préparer une note en délibéré, initiatives qui ne peuvent modifier les conditions du débat contradictoire entre les parties, tel qu'il résulte de l'instruction écrite, mais seulement, le cas échéant, conduire la formation de jugement à rayer l'affaire pour rouvrir l'instruction".

Le Ministre poursuivait en faisant observer que dans les affaires dispensées d'avocat, le requérant qui le souhaite doit être en mesure de recevoir les mêmes informations de la part du commissaire du Gouvernement avant de conclure.

Il devait à cette occasion préciser qu'une note serait adressée à l'ensemble des juridictions administratives rappelant les principes applicables à la communication des conclusions du commissaire du gouvernement ainsi qu'à la pratique de la note en délibéré en réponse à ses conclusions, de manière à assurer une attitude homogène des juridictions administratives sur le sujet.

En conclusion, on pourra observer que si la note en délibéré est, désormais, reconnue comme un élément du contradictoire, ses conditions d'exercice demeurent, néanmoins, restrictives et qu'elle ne saurait constituer un moyen dilatoire de prolongation de l'instance.

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