Réf. : Cass. soc., 21 septembre 2005, n° 03-44.855, Association Languedoc aides et services c/ Mme Christelle Guibal, FS-P+B+I (N° Lexbase : A5078DKB)
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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Décision
Cass. soc., 21 septembre 2005, n° 03-44.855, Association Languedoc aides et services c/ Mme Christelle Guibal, FS-P+B+I (N° Lexbase : A5078DKB) Cassation partielle (CA Montpellier, 13 mai 2003) Mots-clefs : rupture du contrat de travail ; motif illicite ; droit à réintégration ou à indemnisation. Textes visés : C. trav., art. L. 122-45 (N° Lexbase : L1417G9D) ; C. trav., art. L. 122-14-4 (N° Lexbase : L8990G74) Liens bases : ; |
Résumé
La rupture du contrat de travail postérieurement à l'expiration de la période d'essai, survenue sans motif ou pour un motif illicite, est nulle et ouvre droit au profit du salarié à sa réintégration ou à indemnisation. Dans cette hypothèse le salarié peut prétendre, outre à des indemnités de rupture (indemnité de licenciement et de préavis), à une indemnité d'au moins 6 mois de salaire en réparation du préjudice résultant du caractère illicite de la rupture. |
Faits
Une salariée a été engagée par contrat à durée indéterminée pour exercer des fonctions de garde à domicile. Son contrat prévoyait une période d'essai de 2 mois. Au moment de la visite médicale d'embauche, soit un peu plus d'un mois après qu'elle ait commencé à travailler, le médecin du travail l'a déclarée partiellement inapte à cet emploi et a proposé le maintien du contrat avec allègement des horaires de travail. L'employeur a alors rompu le contrat de travail. Contestant cette rupture, la salariée a saisi la juridiction prud'homale. Selon les juges du second degré, l'employeur ayant rompu le contrat après l'expiration de la période d'essai conventionnelle, la rupture doit s'analyser en un licenciement. Cette rupture, fondée sur l'état de santé de la salariée, est illicite. Elle ouvre droit, au profit de la salariée qui ne souhaite pas être réintégrée, en sus des indemnités de rupture, à une indemnité destinée à compenser l'illicéité de la rupture. La cour d'appel a cependant limité le montant de cette indemnité à 1 mois de salaire, compte tenu des "circonstances de la rupture et des éléments factuels". |
Solution
1. Cassation partielle sans renvoi 1er moyen pourvoi principal de l'employeur 2. "Attendu que les renseignements relatifs à l'état de santé du candidat à un emploi ne peuvent être confiés qu'au médecin chargé, en application de l'article R. 241-48 du Code du travail (N° Lexbase : L4196GTL), de l'examen médical d'embauche ; que lorsque l'employeur décide que le salarié recruté avec une période d'essai prendra ses fonctions avant l'accomplissement de cet acte médical, il ne peut se prévaloir d'un prétendu dol du salarié quant à son état de santé ou à son handicap, que ce dernier n'a pas à lui révéler ; que la cour d'appel n'avait dès lors pas à répondre à un moyen inopérant". 1er moyen pourvoi incident du salarié 3. "Attendu cependant que le salarié dont le licenciement est nul et qui ne demande pas sa réintégration a droit, en toute hypothèse, outre les indemnités de rupture, à une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à 6 mois de salaires". |
Observations
1. Une indemnisation logique
L'employeur ne peut, sauf exception, rompre librement le contrat de travail de ses salariés. Lorsque le contrat de travail prévoit une période d'essai, l'employeur comme le salarié peuvent, pendant toute sa durée, sans formalité et sans condition, se dégager de leurs obligations (C. trav., art. L. 122-4, al. 2 N° Lexbase : L5554ACP). Lorsque la période d'essai prend fin, les règles applicables au licenciement régissent alors la rupture du contrat de travail (C. trav., art. L. 122-4 et s.). Celle-ci doit donc être justifiée par une cause réelle et sérieuse et ne doit pas survenir pour un motif prohibé par la loi. Le législateur énumère limitativement certaines hypothèses dans lesquelles le licenciement est interdit sous peine de nullité.
Est un licenciement prohibé le licenciement discriminatoire (C. trav., art. L. 122-45 N° Lexbase : L1417G9D), le licenciement de la femme enceinte pendant la période de grossesse, le congé maternité, ainsi que les quatre semaines qui suivent l'expiration du congé maternité (C. trav., art. L. 122-25-2, al. 1 N° Lexbase : L5495ACI), le licenciement motivé par l'exercice d'une action en justice du salarié (C. trav., art. L. 123-5, al. 1 N° Lexbase : L5594AC8), le licenciement des salariés victimes d'accidents du travail ou de maladies professionnelles (C. trav., art. L. 122-32-2, al. 1 N° Lexbase : L5519ACE), le licenciement portant atteinte à la liberté d'expression (C. trav., art. L. 461-1, al. 1 N° Lexbase : L6536AC3), le licenciement faisant suite à des agissements de harcèlement sexuel (C. trav., art. L. 122-46, al. 1 N° Lexbase : L5584ACS), le licenciement fondé sur l'exercice du droit de grève (C. trav., art. L. 521-1 N° Lexbase : L5336ACM). Or, la sanction des licenciements fondés sur l'un de ces motifs est la nullité.
Cette nullité ouvre au salarié le choix de réintégrer l'entreprise ou d'être indemnisé. Dans ce dernier cas, il perçoit des indemnités de licenciement (indemnité de licenciement et indemnité compensatrice de préavis) et une indemnité destinée à compenser le préjudice résultant pour le salarié de l'illicéité de la rupture de son contrat de travail (Cass. soc., 27 juin 2000, n° 98-43.439, Mme Andrée Renou, publié N° Lexbase : A9183AG9). Son montant est souverainement apprécié par les juges du fond, dans la mesure où ils respectent le plancher minimum de 6 mois de salaire (Cass. soc., 16 octobre 2002, n° 00-45.874, F-D N° Lexbase : A2566A3G). Ce sont ces principes que vient, une nouvelle fois, rappeler la Haute juridiction dans la décision commentée pour les généraliser. Elle pose, dans cette décision, un principe général d'indemnisation susceptible d'être appliqué à toute rupture illicite du contrat de travail.
C'est, en effet, au double visa des articles L. 122-14-4 (N° Lexbase : L8990G74) et L. 122-45 (N° Lexbase : L1417G9D) du Code du travail que la Cour de cassation affirme que "le salarié dont le licenciement est nul et qui ne demande pas sa réintégration a droit, en toute hypothèse, outre les indemnités de rupture, à une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à 6 mois de salaires". L'emploi des termes "en toute hypothèse" vient donc définitivement fermer toute possibilité d'adaptation et de réduction de l'indemnisation en dessous du minimum de 6 mois de salaire. 2. Une indemnisation partiellement égalitaire
Toutes les décisions rendues en matière de licenciement illicite en appellent à l'article L. 122-14-4 du Code du travail et à l'indemnisation minimale de 6 mois de salaire (Cass. soc., 27 juin 2000, n° 98-43.439, Mme Andrée Renou, publié N° Lexbase : A9183AG9 ; Cass. soc., 16 octobre 2002, n° 00-45.874, F-D N° Lexbase : A2566A3G). La référence à l'article L. 122-14-4 du Code du travail ne doit toutefois pas tromper. Il ne s'agit pas ici d'indemniser un licenciement sans cause réelle et sérieuse mais un licenciement prohibé. L'appel à l'article L. 122-14-4 du Code du travail ne se justifie que comme source de l'indemnité minimale de 6 mois de salaire. Dans cette mesure il n'y pas lieu, comme c'est le cas en présence d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, de distinguer selon l'ancienneté du salarié dans l'entreprise, comme semblaient vouloir le faire les juges du fond. L'indemnité pour licenciement illicite est de 6 mois de salaire minimum quelle qu'ait été la situation du salarié dans l'entreprise au moment de la rupture.
L'objet de l'indemnité de 6 mois de salaire versée au salarié dont le contrat de travail a été rompu pour motif illicite interdit toute réduction quelle qu'en soit la cause, fut-elle fondée sur la faible ancienneté du salarié. Cette indemnité est uniquement destinée à réparer le préjudice résultant de l'illicéité de la rupture. La rupture est interdite, l'employeur ne peut y procéder. Le fait de transgresser l'interdiction emporte la sanction. La sanction doit donc être la même pour tous les salariés puisqu'elle trouve exclusivement son fondement dans l'interdiction faite par le législateur de rompre le contrat. Elle est donc totalement extérieure à la personne du salarié, sa place, sa fonction ou son ancienneté dans l'entreprise. Par conséquent, l'indemnité minimale est due, comme vient le confirmer la Cour de cassation dans la décision commentée, "en toute hypothèse".
L'adaptation de l'indemnité aux circonstances reste possible mais seulement lorsqu'elle a pour effet de porter l'indemnisation du salarié à une somme supérieure à 6 mois de salaire. Les juges restent libres de prendre en compte la situation du salarié et, notamment, son ancienneté limitée dans l'entreprise pour fixer l'indemnisation au minimum légal. D'un point de vue théorique, la solution semble irréprochable. D'un point de vue pratique, en revanche, elle peut sembler disproportionnée...
La position des juges du fond était, d'un point de vue pratique, parfaitement défendable. Ces derniers avaient accordé à la salariée une indemnité d'un mois de salaire qui avait été déterminée compte tenu de "l'ancienneté de la salariée, des circonstances de la rupture et des éléments factuels de préjudice". Cette indemnité était certainement inspirée de celle prévue à l'article L. 122-14-5 du Code du travail (N° Lexbase : L5570ACB) qui prévoit l'attribution aux salariés licenciés sans cause réelle et sérieuse ayant moins de 2 ans d'ancienneté d'une indemnité dont le montant varie en fonction du préjudice subi. Ils semblaient ainsi établir, en matière de licenciement illicite, la même distinction que celle posée par le législateur en matière de licenciement sans cause réelle et sérieuse et fondée sur l'ancienneté du salarié dans l'entreprise (C. trav., art. L. 122-14-4 ; C. trav., art. L. 122-14-5). Ne pouvait-on pas envisager de procéder à la même distinction en cas de licenciement illicite ? Ne peut-on pas, en outre, voir dans cette solution un accroissement de l'inégalité existant entre les salariés licenciés sans cause réelle et sérieuse et les salariés licenciés pour un motif illicite ? Alors que pour les premiers la réintégration n'est qu'une simple faculté, elle devient une obligation pour les seconds. L'indemnisation est fonction du préjudice subi pour les salariés licenciés sans cause réelle et sérieuse lorsqu'ils ont moins de 2 ans d'ancienneté alors qu'elle est de 6 mois au moins pour les salariés licenciés pour un motif illicite, sans autre condition. |
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