Réf. : Cass. soc., 25 janvier 2005, n° 02-30.946, Fédération des services CFDT et autre c/ Société Clear Channel France, FS-P+B (N° Lexbase : A2904DGN)
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N4536ABM
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par Gilles Auzero, Maître de conférences à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Décision
Cass. soc., 25 janvier 2005, n° 02-30.946, Fédération des services CFDT et autre c/ Société Clear Channel France, FS-P+B (N° Lexbase : A2904DGN) Rejet de CA Paris (14ème chambre, section B), 31 mai 2002 (CA Paris, 14e, B, 31 mai 2002, n° 2002/01008, Fédération des services CFDT c/ Monsieur Gilles Desbordes N° Lexbase : A6632A3Z). Texte concerné : article L. 412-8 du Code du travail (N° Lexbase : L4707DZD) Mots-clefs : tracts et publications syndicaux ; diffusion ; messagerie électronique de l'entreprise ; exigence d'une autorisation de l'employeur ou d'une norme conventionnelle. Lien bases : |
Faits
1. Le 8 octobre 2001, le secrétaire nationale de la branche "serviciel" de la Fédération des services CFDT a adressé, depuis un ordinateur dont dispose la Fédération, un message syndical à l'ensemble des salariés de la société Dauphin communication qui disposent d'une messagerie à leur poste de travail dans cette entreprise. 2. Par ordonnance de référé en date du 10 décembre 2001, le président du tribunal de grande instance de Bobigny a constaté l'existence d'un trouble manifestement illicite et a ordonné la mesure d'interdiction corrélative, au motif qu'il convenait de prévenir le dommage imminent que représente le risque de réitération du procédé de communication litigieux, consistant à envoyer des tracts syndicaux dans des conditions contraires aux dispositions légales. Cette ordonnance a été confirmée, en toutes ses dispositions, par l'arrêt attaqué. |
Problème juridique
A quelles conditions la diffusion de tracts et publications syndicaux peut-elle être assurée au moyen de la messagerie électronique de l'entreprise ? |
Solution
1. Rejet 2. "La diffusion de tracts et publications syndicaux sur la messagerie électronique de l'entreprise mise à disposition des salariés n'est possible qu'à la condition, soit d'être autorisée par l'employeur, soit d'être organisée par voie d'accord d'entreprise". |
Observations
1. Une solution juridiquement fondée
Parce qu'il ne saurait y avoir d'activité syndicale sans un minimum de communication entre les organisations, les militants et les salariés, la loi a organisé ces échanges dans l'entreprise selon deux modalités essentielles : l'affichage et la distribution de tracts et publications (C. trav., art. L. 412-8 N° Lexbase : L4707DZD). Cette dernière disposition porte la marque d'une conciliation entre deux impératifs majeurs : le respect de la liberté syndicale, d'une part, et la nécessité de ne pas perturber outre-mesure le bon fonctionnement de l'entreprise, d'autre part. Ainsi, si les tracts de nature syndicale peuvent être librement diffusés aux travailleurs dans l'enceinte de l'entreprise, ce n'est qu'aux heures d'entrée et de sortie du travail (sur l'ensemble de ces conditions, v. J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, Dalloz, 22ème éd., 2004, § 672). La Cour de cassation fait une stricte application de ces textes, décidant, par exemple, que des tracts ne peuvent être diffusés pendant une pause-déjeuner (Cass. soc., 8 juillet 1982, n° 81-14.176, Société Rebichon Signode SA c/ Simon, Syndicat CGT Métallurgie, publié N° Lexbase : A3678AGC) ou encore qu'une lettre distribuée sous enveloppe aux salariés, relative à leurs conditions de travail et les invitant à une réunion syndicale, est un tract syndical qui ne peut être diffusé qu'aux heures d'entrée et de sortie du travail (Cass. soc., 31 mars 1998, n° 96-41.876, Société des Grands magasins de la Samaritaine c/ M. Thuillier et autres, publié N° Lexbase : A5623ACA).
L'avènement et le développement des nouvelles technologies de l'information et de la communication ne pouvait manquer de susciter des interrogations et un contentieux quant à la faculté pour les syndicats d'utiliser la messagerie électronique de l'entreprise pour assurer la diffusion des tracts et des publications de nature syndicale. Introduit dans le Code du travail en 1973, l'article L. 412-8 (N° Lexbase : L4707DZD) n'envisageait, évidemment, pas cette possibilité. L'administration avait eu l'occasion de prendre position sur la question, considérant que l'intranet a vocation à être un instrument strictement professionnel et qu'aucune disposition ne contraint un employeur à accorder aux organisations syndicales l'accès à ce réseau. Elle avait, cependant, précisé qu'il appartenait à ces dernières de rechercher, par voie d'accord avec l'employeur, les modalités d'accès à la messagerie électronique de l'entreprise (Rép. min. n° 12090, JOANQ 1er févr. 1999, p. 619 N° Lexbase : L8412BCK). Les quelques arrêts rendus à ce propos par les juridictions du fond allaient reprendre cette position, jugeant illégal, sauf accord d'entreprise ou usage dérogatoire, l'envoi à partir d'un ordinateur du syndicat de messages ayant la nature de tracts syndicaux aux salariés disposant d'une messagerie électronique à leur poste de travail dans l'entreprise (v., par ex., CA Paris, 14e, B, 31 mai 2002, n° 2002/01008, Fédération des services CFDT c/ Monsieur Gilles Desbordes N° Lexbase : A6632A3Z). Confirmant cette décision, la Cour de cassation vient à son tour affirmer, dans la présente espèce, que "la diffusion de tracts et de publications syndicaux sur la messagerie électronique que l'entreprise met à la disposition des salariés n'est possible qu'à la condition soit d'être autorisée par l'employeur, soit d'être organisée par voie d'accord d'entreprise". Une solution claire qu'il est difficile de critiquer. En effet, on ne saurait contester que l'article L. 412-8 du Code du travail (N° Lexbase : L4707DZD), tel qu'il était applicable lorsque les faits se sont produits, n'autorisait, en aucune façon, le recours à la messagerie électronique de l'entreprise pour la diffusion de communications syndicales. Sans doute ne l'excluait-il pas non plus expressément. Mais l'admettre, sans autre mesure, dans le silence des textes, aurait conduit à mettre par trop en cause le bon fonctionnement de l'entreprise. Enfin, il y a tout lieu de constater que la messagerie professionnelle n'est, par hypothèse, utilisable que pendant les heures de travail, et non "aux heures d'entrée et de sortie du travail". Juridiquement fondée à l'époque des faits, la solution retenue par la Chambre sociale dans la présente décision ne souffre plus aucune contestation depuis que la loi du 4 mai 2004 est venue "moderniser" l'article L. 412-8 du Code du travail. Désormais, en effet, c'est la loi elle-même qui exige la conclusion d'un accord collectif antérieurement à l'utilisation de la messagerie électronique de l'entreprise par les syndicats. 2. Une solution confirmée par la loi
Ainsi que le précise l'alinéa 7 de l'article L. 412-8 (N° Lexbase : L4707DZD), "un accord d'entreprise peut autoriser la mise à disposition des publications et tracts de nature syndicale, soit sur un site syndical mis en place sur l'intranet de l'entreprise, soit par diffusion sur la messagerie électronique de l'entreprise". La situation est donc claire : en l'absence d'un tel accord, les syndicats ne sauraient faire usage de la messagerie électronique de l'entreprise. Le feraient-ils que l'employeur serait alors en droit de saisir le juge des référés pour faire cesser ce trouble manifestement illicite et, pour reprendre la motivation des juges d'appel dans l'affaire commentée, prévenir le dommage imminent que représente le risque de réitération du procédé de communication litigieux. On doit relever que si la loi exige la conclusion d'un accord d'entreprise, elle n'évoque en aucune façon un éventuel engagement unilatéral de l'employeur sur ce point. Cependant, on ne voit pas ce qui empêcherait que l'utilisation de la messagerie électronique de l'entreprise puisse résulter d'une simple autorisation de l'employeur, ainsi que l'admet, d'ailleurs, la Chambre sociale dans l'arrêt du 25 janvier 2005. On pourra ici faire reproche au législateur d'avoir été, au moins formellement, singulièrement restrictif. Quid aussi d'un accord de branche ? Il convient d'avoir à l'esprit que, nonobstant les progrès accomplis sur ce point par la loi du 4 mai 2004 (cf l'article L. 132-26 du Code du travail N° Lexbase : L4700DZ4), nombre d'entreprises sont dépourvues de délégué syndical et, donc, d'acteur pour négocier. Entreprises qui pourront, toutefois, comporter une section syndicale à même d'assurer la diffusion de communications syndicales. En d'autres termes, si l'accord d'entreprise est, sans doute, la voie à privilégier, l'engagement unilatéral de l'employeur ne doit pas être exclu.
La loi du 4 mai 2004 donne, en quelque sorte, un contenu minimum aux accords qui viendraient à être conclus en la matière. En effet, l'article L. 412-8 précise que la diffusion de "e-tracts" doit être compatible avec les exigences de bon fonctionnement du réseau informatique de l'entreprise et ne pas entraver l'accomplissement du travail. De telles exigences apparaissent pour le moins naturelles. Il est d'ailleurs curieux que le législateur ne les reprenne pas pour la création d'un site syndical sur l'intranet de l'entreprise. Ensuite et surtout, l'accord d'entreprise "définit les modalités de cette mise à disposition ou de ce mode de diffusion, en précisant notamment les conditions d'accès des organisations syndicales et les règles techniques visant à préserver la liberté de choix des salariés d'accepter ou de refuser un message". Si ces dispositions, que l'on doit considérer comme essentielles, constituent le contenu minimum et obligatoire des accords collectifs sur la communication syndicale par la voie électronique, elles doivent évidemment être complétées par d'autres stipulations dont les accords d'ores et déjà conclus en la matière offrent d'intéressantes illustrations (v. M. Bouteloup, Communication syndicale et intranet : un premier pas législatif : Sem. soc. Lamy n° 1162 du 29 mars 2004, p. 6). |
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