La lettre juridique n°154 du 10 février 2005 : Fiscalité des particuliers

[Jurisprudence] Le mécanisme du plafonnement de l'ISF reconnu conforme à l'article 1 du premier protocole à la CESDH

Réf. : Cass. com., 25 janvier 2005, n° 03-10.068, M. Etienne Imbert de Tremiolles c/ Administration des impôts, FS-P+B+I, section 1 (N° Lexbase : A1245DG9)

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par Jean-Marc Priol, Avocat au Barreau de Paris, Landwell & Associés

le 07 Octobre 2010


Par un arrêt en date du 25 janvier 2005, la Cour de cassation valide, au cas d'espèce, la conformité du mécanisme du plafonnement de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) par rapport à l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du Citoyen (DDHC, 26 août 1789, art. 13 N° Lexbase : L1360A9A) et surtout par rapport à l'article 1 du premier protocole à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme (CESDH).

A la question de savoir jusqu'où les contribuables assujettis à l'ISF peuvent payer cette imposition acquittée sur les revenus générés par leur patrimoine, avec l'impôt sur le revenu, le législateur avait tardivement répondu en instaurant un plafonnement fixé à 70 % des revenus nets de frais professionnels.

Toutefois, le législateur n'a eu, par la suite, de cesse de relever le plafonnement de l'impôt de 70 % à 85 % des revenus avant d'instaurer un déplafonnement (loi de finances pour 1996, n° 95-1346, 30 décembre 1995, art. 6-IV N° Lexbase : L0868BDI) pour les contribuables, dont le patrimoine taxable excède la limite supérieure de la troisième tranche du barème de l'ISF, alors que dans le même temps, l'impôt sur le capital se trouvait abandonné par un certain nombre de pays européens (Autriche, Danemark, Pays-Bas) (1) et que la Cour constitutionnelle allemande déclarait l'impôt sur le capital allemand contraire à la constitution (BverfG, 22 juin 1995).

Les contribuables, observant que le plafonnement à 85 % des revenus puis le "déplafonnement" d'une part, pouvaient les engager à assurer des prélèvements fiscaux au-delà de leur "capacité contributive" (DDHC, 8 août 1789, art. 13) en raison de son taux élevé et, d'autre part, ne traduisaient pas nécessairement la réalité en raison d'une assiette ne tenant pas compte de l'ensemble des prélèvements, ont soulevé, devant le juge de l'impôt, la question de la conformité de l'ISF aux principes fondamentaux en raison de son aspect, en définitive, confiscatoire dans les faits.

Le juge suprême de l'impôt français a eu à connaître que très tardivement des questions ainsi soulevées et y a répondu, en esquivant le débat au fond, dans un arrêt du 13 novembre 2003 (Cass. com., 13 novembre 2003, n° 01-15.611, F-D N° Lexbase : A1255DAQ) en considérant que le caractère confiscatoire de l'impôt relevait de l'appréciation souveraine des juges du fond, qui avaient relevé, dans cette affaire, que le contribuable n'avait pas assuré une telle démonstration.

Faisant suite à ce premier arrêt, la Haute cour a, dans sa décision du 25 janvier 2005 commentée, confirmé, une nouvelle fois, que l'appréciation du caractère confiscatoire de l'impôt relevait de l'appréciation souveraine des juges du fond en y apportant, toutefois, des précisions sur l'appréhension de cette notion, qui ne manquera pas d'interpeller les contribuables assujettis à cet impôt ainsi que, d'une manière générale, les spécialistes.

Il peut être déduit de la réponse, que donne indirectement la Cour dans ses attendus, que la limite légale instaurée par le législateur n'en est pas une et qu'il n'en existe, en définitive, aucune.

En premier lieu, elle a, en effet, retenu que la jouissance d'un bien immobilier par son propriétaire constituait un revenu en nature (troisième moyen de l'arrêt) écartant, implicitement mais nécessairement, tout raisonnement fondé sur la seule appréciation des espèces (tirés des revenus d'activités) employées au paiement des impositions pour déclarer (cinquième moyen de l'arrêt) que le caractère confiscatoire de l'impôt n'était pas démontré.

Il est rappelé que, suivant les décisions du Conseil constitutionnel (Cons. const., 30 décembre 1981, n° 81-133 DC N° Lexbase : A8033ACI ; Cons. const., 29 décembre 1998, n° 98-405 DC N° Lexbase : A8751AC4), l'ISF, en raison de son taux et de son caractère annuel, est appelé, normalement, à être acquitté sur les revenus des biens imposables.

Le Conseil constitutionnel établit, ainsi, un lien entre le caractère annuel de l'ISF et le revenu des biens imposables pour acquitter l'impôt. Le contribuable doit donc, normalement, disposer annuellement de revenus pour payer l'impôt. Restait à savoir, si la jouissance de biens constituait ou non un revenu en nature. La Cour répond positivement. Mais, ce type de revenu peut-il sérieusement figurer au nombre des revenus, alors même qu'il ne confère aucune capacité contributive au regard tant de l'impôt sur le revenu que du calcul même du plafonnement de l'ISF assis sur les revenus exonérés et ceux imposables?

En second lieu, elle a considéré que la valeur en pleine propriété des biens immobiliers, dont le propriétaire se réserve la jouissance, ne pouvait être écartée de l'assiette de l'ISF (toujours le troisième moyen de l'arrêt).

La question s'est, en effet, posée de savoir si la seule détention de biens suffisait ou non pour pouvoir les taxer, dans la mesure où il faut, en outre, une production de revenus pour que ces mêmes biens soient, effectivement, imposés. Il est à noter, à cet endroit, que les décisions du Conseil constitutionnel susvisées rappellent qu'"en instituant un impôt sur les grandes fortunes, le législateur a entendu frapper la capacité contributive que confère la détention d'un ensemble de biens et qui résulte des revenus en espèces ou en nature procurés par ces biens". Il s'ensuit que, pour qu'il y ait imposition à l'ISF, deux conditions cumulatives doivent être réunies, d'une part, la détention et, d'autre part, la production de revenus. Il y a, donc, un lien juridique entre la production d'un revenu par un bien et la possibilité d'inclure ce bien dans l'assiette de l'ISF. En l'absence de revenu, peut-on en déduire qu'il n'y a pas d'imposition ? La Cour a répondu par la négative, en confirmant que la jouissance de biens constituait un revenu en nature et que les biens en question devaient être compris dans l'assiette de l'ISF.

En troisième lieu, elle a précisé, non sans apparemment se contredire, que pour le calcul du plafonnement, les taxes foncières et d'habitation, pourtant assises sur un revenu locatif, n'étaient pas au nombre des impositions à retenir (quatrième moyen de l'arrêt) ; ce qui, bien entendu, prive, une fois encore, de toute portée l'appréciation du caractère confiscatoire de l'impôt si, dans la détermination de l'assiette du plafonnement, se trouvent exclues les impositions foncières d'un niveau assez élevé pour certains contribuables.

Il est rappelé, pourtant, que dans un jugement du 15 novembre 1986, le tribunal de grande instance de Paris (TGI Paris, 15 novembre 1986, n° 95-22638) a estimé "que l'intention du législateur, en instaurant ce plafonnement en faveur du contribuable, a été de limiter la somme totale des impôts réglés par lui, afin qu'il puisse les assumer sur ses revenus et produits sans être obligé de se défaire de son capital, qu'aucune énumération ni distinction n'ayant été opéré, la formulation impôt au titre des revenus et produits ne peut signifier que impôts de toute nature au titre des revenus et produits".

En l'espèce, le tribunal de grande instance de Paris en avait déduit que la CSG devait être intégrée dans le calcul du plafonnement.

Cette solution, transposable à la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) et à la contribution sociale de 1 % sur les revenus de placements soumis au prélèvement libératoire, ainsi qu'au prélèvement social de 2 % qui s'est substitué au prélèvement social et à la contribution sociale, ne serait, donc, pas étonnamment transposable, selon la Cour de cassation, aux impôts fonciers (voir pour une extension à la contribution sur les revenus locatifs, TGI Paris, 4 juillet 2002, n° 01-7047).

Enfin, et en quatrième lieu, elle a, tout logiquement, tiré la conclusion, que le mécanisme de calcul de l'ISF n'avait pas entraîné pour le contribuable des prélèvements qui soient supérieurs aux revenus dont il avait disposé (cinquième moyen de l'arrêt).

Elle valide, ainsi, l'arrêt de la cour d'appel de Caen (CA Caen,1ère ch., civ., 12 novembre 2002, n° 770), qui avait rejeté le recours du contribuable, en considérant que cette juridiction avait relevé, à bon droit, la conformité de l'ISF à l'article 1 du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme (CESDH) aux termes duquel le droit que possède les Etats de mettre en valeur les lois, qui réglementent l'usage des biens conformément à l'intérêt général, ou pour assurer le paiement de l'impôt, n'est pas contraire au principe selon lequel toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens.

L'ISF, selon la Haute cour s'inscrit donc dans le cadre desdites dispositions, dès lors que les principes de fonctionnement et modalités de calcul de l'ISF sont précisées par une loi, qui n'a pas été déclarée contraire aux principes constitutionnels (Cons. const., 30 décembre 1981, n° 81-133 DC N° Lexbase : A8033ACI ; Cons. const., 29 décembre 1998, n° 98-405 DC N° Lexbase : A8751AC4) et que sa finalité est celle de l'intérêt général, auquel contribue toute imposition.

Surtout, en confirmant la décision de la cour d'appel de Caen, elle va plus loin dans l'analyse, en validant la décision de cette dernière, suivant laquelle la proportionnalité entre les moyens employés et le but visé ne peut être sérieusement contestée, dès lors que : 

  • la loi, notamment avec le système de plafonnement, maintient un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général et les impératifs de la sauvegarde des droits de l'homme ;
  • et que l'ISF comporte plusieurs tranches tenant compte des facultés contributives de chacun des redevables, à raison de l'importance et de la nature du patrimoine, qui en constitue l'assiette.

A regarder de plus près la démarche adoptée par la Haute cour, on ne peut qu'être frappé par une logique qui apparaît inscrire, en réalité, cet impôt dans aucune limite de seuil.

En effet, si on analyse les faits de l'espèce rapportés par la Cour et, plus particulièrement dans ses attendus concernant l'ISF de l'année 1997 du contribuable, ces derniers révèlent qu'il a bénéficié d'un plafonnement de l'impôt à hauteur de 85 % dans la mesure où 89 % de ses espèces (revenus d'activités) ont été employées au paiement de l'ISF et de l'impôt sur le revenu (IR), à l'exclusion des impôts fonciers, étant observé que la prise en compte de ces derniers aurait porté ce pourcentage au-delà de 100 % et fait ressortir ainsi le caractère confiscatoire de l'ensemble des prélèvements.

Or, la Cour, d'une part, en validant le fait que la jouissance des biens (non productifs de revenus) constitue un revenu en nature, élargie la notion de revenu à prendre au dénominateur de la fraction servant au calcul du plafonnement de l'impôt et, d'autre part, en excluant les impôts fonciers au numérateur, restreint la notion d'impôts à prendre en compte, conduisant à exclure normalement, dans la quasi-majorité des cas, toute appréciation confiscatoire du prélèvement.

Implicitement faut-il comprendre de la décision de la Haute cour, qu'en cas de besoin lorsque les espèces, c'est-à-dire les revenus d'activités sont insuffisants, les revenus en nature prennent le relais pour palier la difficulté, mais alors il peut être permis de penser que la logique de la Cour atteint ses limites, au regard même de l'article 1 du premier protocole de la Convention EDH, lorsque, pour pouvoir employer ce revenu en nature, le contribuable se trouve, s'agissant de biens immobiliers, dans l'obligation soit de les vendre, soit de les rendre productifs de revenus.

Il n'est donc pas du tout certain que la jurisprudence de la Cour de cassation soit, en totale conformité avec celle de la Cour EDH sur ce sujet, en ce qui concerne l'appréciation du caractère disproportionné, au cas d'espèce, des prélèvements sur la seule année 1997.

Ce constat nous éloigne de l'exemple allemand qui a déclaré inconstitutionnel son impôt sur le capital (BverfG, 22 juin 1995), au motif tiré de ce qu'au titre du principe constitutionnel de "la liberté générale d'action" de l'homme, les contribuables doivent pouvoir disposer de façon illimitée de 50 % minimum de leurs revenus, mais aussi de la jurisprudence de la Commission européenne des droits de l'Homme (Com. EDH), avant qu'elle ne devienne la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), portant sur la protection des droits fondamentaux et, notamment, sur le droit de propriété auquel il ne peut être porté atteinte par une taxation confiscatoire, une charge intolérable ou encore en faisant peser un fardeau excessif sur la personne ou portant une atteinte substantielle à sa situation financière (Com. EDH, 20 décembre 1960, n° 511/59 ; Com. EDH, 13 mai 1976, n° 6097/73 ; Com. EDH, 4 mai 1983, n° 9908 ; Com. EDH, 2 décembre 1985, n° 11036/84 ; Com. EDH, 11 décembre 1986, Swenska c/Suède ; Com. EDH, 5 septembre 1990, Goujet c/ France).

On peut donc, tout légitimement s'interroger sur la conformité de la jurisprudence de la Cour de cassation avec celle de la Cour EDH.

Seul, maintenant, le législateur ou la Cour européenne des droits de l'homme (CESDH) pourrait mettre un terme à une logique aussi implacable qui laisse, en outre, penser que le plafonnement de l'impôt, compte tenu de ses modalités de détermination, constitue une réelle garantie absente de toute idée confiscatoire, étant observé que le caractère confiscatoire de l'impôt ne serait pas atteint lorsque 85 % des revenus en espèces sont employés pour le paiement de l'ensemble des prélèvements.

Lire également :

- Fabien Girard, L'ISF ou les infortunes de la vertu, Lexbase Hebdo n° 52, du 18 décembre 2002 - édition fiscale (N° Lexbase : N5253AAS) ;

- Fabien Girard, L'ISF soumis à la question, Lexbase Hebdo n° 44, du 23 octobre 2002 - édition fiscale (N° Lexbase : N4416AAS) ;

- Jean-Marc Priol, La courbe de Laffer à l'honneur : le caractère confiscatoire de l'ISF évoqué par le juge fiscal, Lexbase Hebdo n° 99, du 18 décembre 2003 - édition fiscale (N° Lexbase : N9805AAE) ;

- Daniel Faucher, Rendre l'ISF "supportable" : est-ce possible?, Lexbase Hebdo n° 127 du 1er juillet 2004 - édition fiscale (N° Lexbase : N2146AB4) ;

- Fabien Girard, La légalité de l'ISF à la lumière de la jurisprudence constitutionnelle allemande, Lexbase Hebdo n° 143, du 18 novembre 2004 - édition fiscale (N° Lexbase : N3586ABG) ;

- Commentaires Jean-Luc Pierre sous arrêt CA Caen, 12 novembre 2002 ; Dr. fisc. 2002, n° 52, com. 1043 ; Dr. sociétés, Février 2003, com. 41 ;

- Fiscalité du patrimoine : Idées pour une réforme - Institut de l'entreprise Mai 2004 Préface Michel Taly et Gérard Mestrallet - Peut-on réformer l'impôt sur la fortune en France ? Robert Baconnier et Michel Taly ;

- Philippe Marini - Rapport d'information sur l'ISF - Sénat n° 351 du 16 juin 2004 - session ordinaire de 2003/2004.


(1) Pays de l'espace européen ayant maintenu l'impôt sur la fortune : Espagne,  Finlande, Luxembourg et Suède.

Pays de l'espace européen n'ayant pas institué d'impôt sur la fortune : Belgique,  Grèce, Irlande, Italie, Portugal et Royaume-Uni.

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