Réf. : CE 3° et 8° s-s, 9 avril 2004, n° 248037, Société Générali France Assurances c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie (N° Lexbase : A9786DB3)
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par Valérie Le Quintrec, Université de Bourgogne
le 07 Octobre 2010
Cette position a été suivie respectivement par le tribunal administratif de Paris, le 4 juillet 1996, et par la cour administrative d'appel de Paris, le 4 avril 2002 (CAA Paris, 1ère ch., 4 avril 2002, n° 97PA00100, Société La France IARD c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A6221AZG), sous le visa de l'article 209 quater du CGI. Ce dernier dispose, en ses 2° et 3°, que "les sommes prélevées sur la réserve spéciale des plus-values à long terme sont rapportées aux résultats de l'exercice en cours lors de ce prélèvement, sous déduction de l'impôt perçu lors de la réalisation des plus-values correspondantes. [Cette disposition] n'est pas applicable [...] en cas d'imputation de pertes sur la réserve spéciale ; les pertes ainsi annulées cessent d'être reportables". L'intérêt majeur de cette disposition réside dans son interprétation variable selon les juges. Il en va ainsi notamment pour la date à partir de laquelle les pertes annulées cessent d'être reportables.
Dans cette affaire, plusieurs positions se dégagent : d'une part, celle selon laquelle les déficits reportables imputés sur la réserve spéciale ne peuvent plus être imputés sur les résultats d'aucun exercice, que ce soit celui au cours duquel l'imputation sur la réserve spéciale a eu lieu ou sur des exercices ultérieurs. Cette position est défendue par l'administration, le tribunal administratif de Paris et par la cour administrative d'appel de Paris (1). D'autre part, certains considèrent que les déficits imputés sur cette réserve ne prohibent pas l'imputation de déficits sur les résultats du même exercice que celui du prélèvement. Cette thèse est partagée par le Conseil d'Etat et par la société requérante (2).
1. De l'impossible double emploi des mêmes déficits...
A l'instar du tribunal administratif de Paris, la cour administrative d'appel de Paris a estimé que les sociétés qui ont décidé d'apurer les pertes inscrites au report à nouveau par prélèvement sur la réserve spéciale ne peuvent rapporter ce prélèvement au résultat imposable de l'exercice tout en déduisant les pertes en tant que déficit reportable.
Ce qui revient à considérer qu'il est impossible d'imputer à la fois une perte sur le compte de réserve spéciale et un déficit sur les résultats du même exercice que celui où le prélèvement sur la réserve spéciale a été opéré.
Le fondement de cette position est le suivant : une société ne saurait bénéficier d'un double emploi des mêmes déficits dans la mesure où cela reviendrait à réduire deux fois la base imposable de la société. Il s'agit donc pour la société de faire le meilleur choix fiscal : soit cette dernière opte pour l'imputation de ses pertes sur le compte de la réserve spéciale, soit elle choisit d'apurer ses déficits sur les résultats de l'exercice. Si cette société a opté pour la première hypothèse, ses pertes cesseront alors d'être reportables. Rappelons que l'imputation de pertes sur la réserve fait partie des trois hypothèses selon lesquelles le prélèvement n'est pas rapporté aux résultats et n'est pas, par conséquent, un complément d'imposition. La société, en l'espèce, ne pouvait donc pas bénéficier de deux avantages fiscaux à savoir l'absence de ce complément d'imposition et la possibilité d'imputer une seconde fois ses pertes sur ses résultats.
C'est ce que soutient la cour administrative d'appel en précisant que l'imputation des déficits n'est plus possible et ce, aussi bien sur les résultats de l'exercice au cours duquel le prélèvement sur la réserve a eu lieu que sur des exercices ultérieurs.
Ainsi, les juges du second degré ont interprété le c du 3° de l'article 209 quater du CGI de la manière suivante : une fois que l'imputation des pertes a été opérée sur le compte de la réserve spéciale, les pertes cessent d'être reportables. Autrement dit, cela revient à considérer qu'à compter de ce prélèvement, plus aucune perte n'est susceptible d'être apurée et ce, même avant la clôture de l'exercice au cours duquel l'imputation a été effectuée. La société ne pouvait donc pas contester la position de l'administration et du juge de l'impôt. Elle devait s'acquitter de l'impôt sur les sociétés dans la mesure où elle ne pouvait pas en même temps rapporter le prélèvement aux résultats et déduire les pertes en tant que déficits.
Cette position, largement contestée par la société requérante, a été cassée par le Conseil d'Etat pour erreur de droit.
2.... à la possibilité d'imputer des pertes sur la réserve spéciale sans perdre le bénéfice d'apurement des déficits sur les résultats du même exercice
La société Générali France Assurances, venant aux droits de la société IARD en cassation, estimait que les pertes annulées en raison de leur imputation sur la réserve spéciale ne cessaient d'être reportables qu'à compter de la clôture de l'exercice au cours duquel le prélèvement a été effectué. Ainsi, la société avait la possibilité d'imputer, d'une part, les pertes de 1985 sur le compte de la réserve spéciale en 1986 et, d'autre part, de procéder à l'imputation des déficits sur les résultats de 1986.
Cette thèse n'ayant pas reçu approbation de la part des juges du fond, elle s'est ensuite prévalue d'une erreur dans la déclaration de résultats de l'année 1985. Elle aurait malencontreusement reporté le montant des pertes résorbées par prélèvement sur la réserve spéciale en tant que pertes comptables et non en tant que pertes fiscales, ce qui conduit inexorablement à un complément d'imposition. Elle aurait également continué d'imputer les déficits sur les résultats de l'exercice de 1986.
Le Conseil d'Etat, en dépit de cet argument irrecevable, a tout de même cassé l'arrêt de la cour administrative d'appel, le 9 avril 2004, mais pour erreur de droit. Il rappelle explicitement l'article 209 du CGI qui dispose en son 3ème alinéa que sous réserve de l'option prévue à l'article 220 quinquies , en cas de déficit subi pendant un exercice, ce déficit est considéré comme une charge de l'exercice suivant et déduit du bénéfice réalisé pendant ledit exercice. Si ce bénéfice n'est pas suffisant pour que la déduction puisse être intégralement opérée, l'excédent du déficit est reporté sur les exercices suivants.
Implicitement, la Haute Cour souligne l'importance de la distinction entre pertes comptables et pertes fiscales (QE n° 40551 de M. Dubernard Jean-Michel, JOANQ 1er juillet 1996, p. 3478, min. Bud., réponse publ. 16 décembre 1996, p. 6595, 10e législature N° Lexbase : L2061DYY). En effet, seules les pertes comptables qui sont apurées par prélèvement sur la réserve spéciale entraînent un supplément d'imposition. Le Conseil d'Etat précise que "les pertes mentionnées au c) de l'article 209 quater du CGI sont constituées des seuls déficits fiscaux reportables tels qu'ils sont mentionnés au I de l'article 209 du CGI". L'imputation de ces dernières sur le compte de réserve spéciale n'entraîne pas de complément d'imposition.
La différence de nature juridique entre déficits fiscaux et déficits comptables s'avère donc fondamentale. En effet, si ce sont des pertes comptables qui sont absorbées par prélèvement sur la réserve, il y a une imposition complémentaire. La société n'obtient pas véritablement d'avantage fiscal sauf si elle décide d'apurer également ses pertes sur les résultats du même exercice. Le Conseil d'Etat précise que la société qui souhaite absorber ses déficits ne doit pas omettre de le mentionner dans sa déclaration de résultats.
En revanche, si elle impute sur ce compte de réserve des pertes fiscales, elle n'est pas redevable de ce complément d'imposition et ne saurait par conséquent réduire à nouveau sa base imposable par imputation de ses déficits sur les résultats du même exercice.
Au cas particulier, la cour administrative a commis, selon le Conseil d'Etat, une erreur de droit, en omettant de rechercher si cette imputation comptable sur la réserve spéciale avait été accompagnée, dans sa déclaration de résultats, d'une imputation de déficits fiscaux.
La Haute cour a donc estimé que les sociétés qui ont décidé d'apurer les pertes inscrites en report à nouveau par prélèvement sur la réserve spéciale peuvent rapporter ce prélèvement au résultat imposable de l'exercice tout en déduisant les pertes en tant que déficit reportable.
L'intérêt de cet arrêt est double. D'une part, cette jurisprudence vient contredire la décision de la cour administrative d'appel concernant la date à partir de laquelle les pertes cessent d'être reportables. L'imputation de ces dernières n'est plus possible qu'à partir de la clôture de l'exercice et non à compter du prélèvement sur la réserve. D'autre part, il est possible d'utiliser deux fois les mêmes déficits au cours d'un même exercice contrairement à ce que soutenaient les juges du fond. Ainsi, cette décision met en avant une interprétation plus souple de l'article 209 quater du CGI que celle des juges du fond, profitant par conséquent aux intérêts de la société requérante.
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