La lettre juridique n°643 du 11 février 2016 : Régimes matrimoniaux

[Jurisprudence] La simulation et le régime de communauté, ou comment créer un acquêt sans paiement...

Réf. : Cass. civ. 1, 13 janvier 2016, n° 14-17.911, F-D (N° Lexbase : A9421N3C)

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N1332BWA

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par Jérôme Casey, Avocat au barreau de Paris, Maître de conférences à la Faculté de droit de Bordeaux

le 11 Février 2016

"Après avoir constaté que la cession de parts sociales intervenue entre M. Z et Mme Y était assortie d'une contre-lettre excluant le paiement effectif du prix mentionné à l'acte apparent, la cour d'appel en a exactement déduit que l'acte secret n'était pas opposable à Mme X, laquelle avait la qualité de tiers à cette contre-lettre et que les parts sociales litigieuses ainsi acquises constituaient des biens communs". Voici une décision peu courante, rendue par la première chambre civile de la Cour de cassation le 13 janvier 2016, qui se prononce sur l'incidence d'un cas de simulation en cas d'acquisition mobilière par un époux commun en biens suivi d'un apport à une société créée en cours de communauté. En l'espèce, deux femmes (Mme X et Mme Y) créent une société nommée S., le capital social étant réparti également entre elles. Fait remarquable, Mme X, se marie ultérieurement avec M. Z, qui n'est autre que le fils de son associée, Mme Y, le tout sous le régime de la communauté. En 2005, M. Z acquiert les parts sociales de sa mère, Mme Y, les parties prévoyant une contre-lettre aux termes de laquelle l'acquéreur était dispensé du paiement effectif du prix mentionné dans l'acte de cession. En 2009, les époux XZ créent une société N., à laquelle ils apportent toutes les parts de la société S. et M. Z est désigné comme gérant de la société nouvellement créée. En 2010, Mme X a revendiqué la qualité d'associée dans la société N. au titre des parts sociales acquises par M. Z au cours du mariage. En 2011, l'assemblée des actionnaires révoque M. Z de ses fonctions de gérant et désigne Mme X pour le remplacer. Un arrêt du 5 décembre 2013 (CA Nîmes, 5 décembre 2013, n° 11/04750 N° Lexbase : A7217KQD) rejette la demande de Mme Y (mère de M. Z) tendant à l'annulation de la cession de parts sociales du 1er juillet 2005, aux motifs que l'acte apparent dissimulait une donation. La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par M. Z et décide que les parts ainsi acquises constituaient des biens communs. Le piège était absolument diabolique... Mme X était associée d'origine de la société S., ses 50 % des parts sociales constituant, au regard de son régime matrimonial, des biens propres puisqu'il s'agissait de biens présents au jour du mariage. Son mari, quant à lui, n'était pas un associé d'origine de la société, puisque les 50 % qu'il a fini par détenir dans la société S. résultaient d'un acte à titre onéreux conclu avec sa propre mère. C'est la qualification de ces 50 % qui constitue le coeur de la présente décision. En effet, lorsque les époux XZ, qui détenaient à eux deux 100 % de la société S., ont apporté leurs parts sociales à la société N., il était certain que la moitié de cet apport était effectué par Mme X au moyen de ses biens propres. Elle a donc été associée pour 50 % du capital de la société nouvellement créée. Son mari pensait aussi être associé à 50 % du fait de son apport à lui, mais c'était compter sans la revendication de la qualité d'associée que son épouse a finalement faite, se fondant sur les dispositions de l'article 1832-2 du Code civil (N° Lexbase : L2003ABS). En effet, ce texte dispose qu'en régime de communauté, si un époux apporte des biens communs à une société dont les parts sociales sont non négociables, le conjoint de l'apporteur peut revendiquer la qualité d'associé à hauteur de la moitié de l'apport. En clair, Mme X voulait la moitié des droits sociaux de son conjoint, afin des les ajouter à la moitié du capital social qu'elle détenait déjà en propre afin de disposer, en tout de 75 % du capital de la société N.. Avec une majorité des trois quarts, la gouvernance de la société ne pouvait donc lui échapper, et il ne lui échappa d'ailleurs pas. Le mari fut révoqué de ses fonctions de gérant, et l'épouse conquérante se fit nommer gérante à sa place. Bref, c'était un putsch sociétaire assorti d'un putsch familial...

On comprend aisément que cette subtile prise de pouvoir supposait que les 50 % de parts sociales que le mari avait apporté à la société N. soient qualifiées de biens communs, sans quoi aucune revendication fondée sur l'article 1832-2 ne pouvait prospérer. Un élément rendait cependant cette qualification peut-être discutable : la contre-lettre qui assortissait la cession de droits sociaux entre Mme Y et son fils, et qui faisait que cette acquisition stipulée à titre onéreux ne le serait jamais dans les rapports entre la mère et le fils. Entre eux, certes oui, mais quid à l'égard des tiers ? Poser cette question revient forcément à poser une seconde question, qui n'a pas échappé à l'auteur du pourvoi : l'épouse du mari, auteur de la contre-lettre, est-elle un tiers au sens des dispositions de l'article 1321 du Code civil (N° Lexbase : L1432ABN) ? On le voit donc, tout le débat était celui de savoir si l'onérosité affichée dans l'acte apparent (l'acte de cession des parts sociales de Mme Y) pouvait être opposée par l'épouse du cessionnaire à ce dernier, ou si, au contraire, l'épouse était un tiers au sens du texte précité et devait donc voir dans cette cession un acte à titre gratuit, ce qui lui interdisait alors toute revendication de la qualité d'associé.

La cour d'appel, approuvée par la Cour de cassation, a décidé que le conjoint du cessionnaire était bien un tiers (au sens de l'article 1321 du Code civil) par rapport à la contre-lettre qui dispensait cessionnaire de tout paiement effectif du prix de la cession et qu'en conséquence les parts sociales cédées l'avaient été à titre onéreux, faisant d'elles des biens communs dans le régime matrimonial du cessionnaire (CA Nîmes, 20 mars 2014, n° 11/00654 N° Lexbase : A1974MHL). C'est donc bien un apport d'actifs communs que le mari avait fait à la société N.. L'article 1832-2 du Code civil pouvait donc s'appliquer, offrant une majorité des trois-quarts à l'épouse...

La solution est-elle choquante ? Nous ne le pensons pas. En effet, est-il possible d'affirmer que l'épouse était reliée, d'une façon ou d'une autre, à la contre-lettre afin d'écarter la qualification de tiers ? La réponse ne peut être que négative, puisque tant la contre-lettre que l'acte apparent relèvent des pouvoirs de gestion concurrente de l'époux qui les a signés tous les deux. Le conjoint du signataire n'a strictement aucun pouvoir de contrôle ou d'intervention, et ne saura probablement pas (ou alors tardivement) que l'acte apparent (à titre onéreux) est démenti par une contre-lettre qui affirme la gratuité de l'opération. On se souviendra ici que la Cour de cassation décide que le tiers complice est celui qui participe activement à la simulation (Cass. civ. 3, 8 juillet 1992, n° 90-12.452 N° Lexbase : A3136AC7, Bull. civ. III, n° 246 ; JCP éd. G, 1993, II, 21982, note G. Wiederkehr) et que la seule connaissance de la simulation par le tiers ne suffit pas à caractériser sa participation active (Cass. civ. 1, 17 novembre 1999, n° 97-16.749 N° Lexbase : A9243CHS, Bull. civ. I, n° 311; Defrénois, 2000, 716, obs. Ph. Delebecque). De sorte que si une connaissance de la simulation ne vaut pas complicité (et donc préserve la qualité de tiers), que dire, a fortiori, de celui qui ignorait tout de la simulation ? Il en va forcément de même : il est nécessairement un tiers.

Bien sûr, la solution peut paraître sévère, car voici un acquêt créé alors que la communauté ne s'est absolument pas appauvrie. En effet, l'onérosité qui justifie l'existence d'un acquêt n'est que de pure façade puisque dans la réalité la communauté n'a jamais eu à payer cette acquisition du fait de l'existence de la contre-lettre. C'est donc un acquêt sans paiement. Mais est-ce réellement si choquant ? Nous ne le pensons pas car la qualification est acquise en raison de la volonté déclarée de l'époux. Or, ce dernier est toujours libre d'écarter la gratuité d'une opération afin de faire entrer, volontairement, le bien en communauté. L'apport en communauté n'est rien d'autre que cela. Certes, on peut dire que cette volonté est déclarée mais non réelle, puisque la volonté profonde de cet époux est de dire que l'opération a été conclue à titre gratuit. Mais on retrouve alors la difficulté précédemment signalée : l'autre époux (celui qui ne participe pas à l'opération) n'a strictement aucun moyen de savoir quelle est cette volonté secrète, et quand bien même il la connaîtrait, il ne participe pas à la simulation. Il reste étranger à celle-ci. C'est donc bien l'acte apparent qui doit être pris en compte pour la qualification du bien.

Enfin, la présente solution garantit fort bien les droits des créanciers du signataire des deux actes. Ces derniers peuvent s'en tenir à la qualification découlant de l'acte apparent, et la contre-lettre leur est indifférente. On préserve ainsi le principe d'immutabilité des conventions matrimoniales que la solution contraire malmènerait sérieusement.

Au total, le présent arrêt est d'une originalité certaine quant à l'hypothèse tranchée, mais le sens de la décision doit être pleinement approuvé. Il existe ainsi des acquêts sans paiement, ou si l'on préfère des acquêts par déclaration unilatérale d'un époux. Au cas d'espèce, nul ne disconviendra de ce que le résultat final est assez dur pour le mari, qui perd la majorité (et donc le contrôle) d'une société où il a possédé 50 % des parts sociales, se retrouvant réduit à 25 % du capital. Cependant, cette dureté découle de sa propre volonté de ne pas dire officiellement qu'il était destinataire d'une libéralité. Nul doute qu'une raison fiscale sous-tendait ce refus de dire les choses ouvertement (mais en pure perte, puisqu'il est jugé que les tiers qui y ont intérêt, comme le Trésor, peuvent se prévaloir de l'acte secret, v., Cass. civ. 1, 19 juin 1984, n° 83-12.396 N° Lexbase : A0315AH7, Bull. civ. I, n° 205 ; Cass. com., 14 mai 1985, n° 83-15.047 N° Lexbase : A4349AAC, Bull. civ. IV, n° 153 ; Cass. civ. 1, 17 septembre 2003, n° 01-12.925 N° Lexbase : A6251PKQ, Bull. civ. I, n° 181). La présente affaire invite donc chacun à prendre ses responsabilités : l'époux qui devra assumer les conséquences de ses choix officiels, mais aussi l'avocat ou le notaire qui aura recommandé le recours à la simulation sans avertir des dangers qu'elle recèle en régime de communauté... A bon entendeur...

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