Réf. : Cass. com., 5 janvier 2016, n° 14-23.681, FS-P+B (N° Lexbase : A3925N3R)
Lecture: 8 min
N1283BWG
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Sabrina Le Normand-Caillère, Maître de conférences à l'Université d'Orléans et Co-directrice du Master 2 Droit des affaires et fiscalité
le 11 Février 2016
En 1998, un contribuable a été révoqué de son mandat de président du conseil d'administration d'une société anonyme. Jusqu'en 2007, il a toutefois conservé sa qualité d'administrateur au sein de cette dernière dont il était également actionnaire.
Au titre des années 2006 à 2008, l'administration fiscale lui a notifié une proposition de rectification en matière d'impôt de solidarité sur la fortune compte tenu d'une sous-évaluation de ses actions. Après mise en recouvrement et rejet de ses différentes réclamations, l'ancien dirigeant a saisi le tribunal de grande instance afin d'être déchargé des impositions supplémentaires. Lors d'un arrêt du 23 juin 2014, la cour d'appel de Nancy l'a débouté de ses demandes (CA Nancy, 23 juin 2014, n° 13/00342 N° Lexbase : A9320MRM). Selon les juges du fond, la qualité d'administrateur de l'ancien dirigeant ne suffirait pas à établir, au regard des dispositions de l'article 885 I quater du CGI, que l'exercice de cette fonction constituerait son activité principale. Pour la caractériser, il devrait, selon les juges, justifier des revenus perçus.
Saisie du litige, la Cour de cassation a dû interpréter la lettre de l'article 885 I quater du CGI, dans sa rédaction issue de la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005, de finances pour 2006 (N° Lexbase : L6429HET), s'agissant tout particulièrement de la condition "d'activité principale".
Dans son arrêt du 5 janvier 2016, la Chambre commerciale casse et annule la décision d'appel. Au visa de l'article 885 I quater du CGI, les Hauts magistrats réalisent une application littérale de ce texte en énonçant que "les parts ou actions d'une société ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale ne sont pas comprises dans les bases d'imposition à l'impôt de solidarité sur la fortune, à concurrence des trois quarts de leur valeur, lorsque leur propriétaire exerce son activité principale dans cette société comme salarié ou mandataire social".
Dans sa rédaction issue de la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005, l'article 885 I quater du CGI dispose que "les parts ou actions d'une société ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale ne sont pas comprises dans les bases d'imposition à l'impôt de solidarité sur la fortune, à concurrence des trois quarts de leur valeur, lorsque leur propriétaire exerce son activité principale dans cette société comme salarié ou mandataire social, ou y exerce son activité principale lorsque la société est une société de personnes soumise à l'impôt sur le revenu visée aux articles 8 (N° Lexbase : L1176ITQ) à 8 ter". En outre, les titres sociaux doivent restés la propriété du contribuable pendant une durée minimale de six années à compter du premier fait générateur au titre duquel l'exonération est sollicitée.
Mise à part la condition liée à l'activité principale, les deux autres exigences, posées par l'article 885 I quater du CGI, ne suscitent pas de difficulté particulière dans cette affaire.
D'une part, s'agissant de la qualité de mandataire social, l'administration considère depuis son instruction du 1er juin 2006 que sont visés par l'exonération "le président du conseil d'administration, les administrateurs, le président du conseil de surveillance, les membres du conseil de surveillance, le directeur général, les directeurs généraux délégués, les membres du directoire ou le gérant" (1). En tant que membre du conseil d'administration, le contribuable peut ainsi légitimement revendiquer l'exonération partielle de ses droits sociaux.
D'autre part, s'agissant de la durée de ses fonctions, l'ancien dirigeant a exercé ses fonctions de 1998 jusqu'en 2007. Cette condition est en conséquence remplie. L'exercice de son mandat est effectif en l'espèce puisqu'il est rapporté, dans les moyens annexés au pourvoi, que l'ancien dirigeant a préparé et participé à l'ensemble des réunions du conseil d'administration de la société, qu'il a sollicité la production d'un certain nombre de documents auprès des organes de direction et des commissaires aux comptes et s'est également chargé de suivre l'actualité du groupe.
Pour pouvoir bénéficier de l'exonération à hauteur des trois quarts de la valeur des droits sociaux, encore faut-il que l'activité exercée par le contribuable soit "principale". L'administration fiscale supporte ainsi la charge de la preuve du caractère non accessoire de l'activité (2). Dans le silence des textes, l'administration fiscale renvoie, dans son instruction, à l'exonération des biens professionnels (3). Or, l'article 885 N du CGI (N° Lexbase : L1128ITX) réserve le bénéfice de cette dernière mesure de faveur à l'exercice à titre principal par le propriétaire de biens d'une profession commerciale, artisanale, agricole ou libérale (4). Pour l'administration fiscale constitue l'activité principale "celle qui constitue pour le redevable l'essentiel de ses activités économiques même si elle ne dégage pas la plus grande part de ses revenus" (5). Si ce critère reste inopérant, l'activité principale se caractérise par celle qui attribue la plus grande part de revenus, mise à part ceux ne se rattachant pas à une activité professionnelle tels que les revenus fonciers ou encore les revenus de capitaux mobiliers ou encore ceux relevant d'une activité antérieure.
En l'espèce, les juges du fond ont recherché si la mission de membre de conseil d'administration exercée par le contribuable constituait son activité principale. Conformément à l'instruction fiscale dédiée à l'exonération des biens professionnels, ils ont utilisé la technique du faisceau d'indices. Ils ont ainsi pris en compte "le temps passé dans les différentes activités, l'importance des responsabilités exercées et les difficultés rencontrées, la taille de la société". Pour la cour d'appel, l'énoncé des activités du redevable ne suffisait pas à établir que l'exercice au sein de la société de ses fonctions de mandataire social car celui-ci "ne justifie pas avoir tiré des revenus de cette activité". Au visa de l'article 885 I quater du CGI, la Cour de cassation casse l'arrêt de la cour d'appel de Nancy pour avoir exigé que l'activité principale prenne en compte celle des revenus. Si elle semble valider la technique du faisceau d'indices utilisé par les juges du fond conformément à l'instruction fiscale, elle indique néanmoins que cette exigence d'activité principale "n'implique pas nécessairement de percevoir une rémunération". Ce critère n'ayant pas été retenu par le législateur lors de la rédaction de l'article 885 I quater, les juges du fond ont, en conséquence, ajouté à ce texte une condition qu'il ne prévoit pas.
De prime abord simple, cette décision s'avère néanmoins imprécise.
II - La portée de la décision
Si cette décision mérite approbation, elle laisse certaines zones d'ombre susceptibles d'incompréhension.
L'emploi de l'adverbe "nécessairement" laisse en effet planer un doute. A lire cette décision, l'existence d'une rémunération rétribuant le mandat social ne serait pas nécessaire pour bénéficier de l'exonération partielle. La preuve de l'absence de rémunération n'exclurait pas ipso facto le bénéfice du mécanisme de faveur.
Toutefois, au regard de l'instruction relative aux biens professionnels, diverses questions se posent. La rémunération constitue-t-elle un nouvel indice participant à la définition des activités économiques du contribuable ou alors est-elle un critère alternatif indépendant lorsque la traditionnelle technique du faisceau d'indices s'avère inopérante ? La rémunération peut-elle ainsi faire partie du faisceau d'indices permettant de caractériser l'existence d'une activité principale, notamment en cas de pluralité d'activités ? Corroborée par d'autres éléments, la rémunération pourrait permettre de départager les activités litigieuses. Si l'absence de rémunération ne peut permettre de déchoir le contribuable de l'exonération, il pourrait en aller différemment lorsque ce critère établit, avec d'autres éléments, le caractère accessoire de l'activité litigieuse.
Ce doute par la Cour de cassation laisse au lecteur un avis mitigé. Pourquoi la Cour de cassation ne s'est-elle pas saisie de la question afin de donner de lege ferenda une définition explicite et expresse de la notion d'activité principale ? Elle aurait ainsi pu souligner clairement ce qui relève absolument de l'activité principale et ne pas se borner simplement à indiquer ce qui n'implique pas "nécessairement". En utilisant la formule négative, par défaut, la Chambre commerciale laisse un pouvoir important d'appréciation aux juges du fond. Elle laisse surtout le champ libre à l'administrative fiscale d'interpréter cette notion, condition sine qua non du régime de faveur.
Enfin, cette décision peut paraître étonnante au regard des autres dispositifs d'exonération en matière d'impôt de solidarité sur la fortune. La rémunération est un critère déterminant dans la plupart des régimes de faveur comme en témoigne l'exonération complète des biens professionnels (6) ou encore celle relative au pacte Dutreil (7).
(1) BOI-PAT-ISF-30-30-10-30, n° 50 (N° Lexbase : X4374ALL).
(2) Cass. com., 10 mai 1988, n° 86-17.227, publié au Bulletin (N° Lexbase : A2081AHK) : Dr. fisc., 1988, n° 29-30, comm. 1600 ; Cass. com., 6 juin 1989, n° 88-13.836, inédit au Bulletin (N° Lexbase : A1297CUL) : Dr. fisc., 1989, n° 42, comm. 1941.
(3) BOI-PAT-ISF-30-40-80, n° 60 (N° Lexbase : X4237ALI) : l'activité principale "s'entend de celle qui constitue pour le redevable l'essentiel de ses activités économiques. Pour l'application de ce critère, il y a lieu de tenir compte de l'ensemble des activités professionnelles exercées par le redevable, y compris les professions salariées. Dans l'hypothèse où ce critère ne peut être retenu, il convient de considérer que l'activité principale est celle qui procure au redevable la plus grande part de ses revenus. Pour l'appréciation de cette notion, il convient de se reporter au BOI-PAT-ISF-30-30-10-30".
(4) CGI, art. 885 N : "Les biens nécessaires à l'exercice, à titre principal, tant par leur propriétaire que par le conjoint de celui-ci, d'une profession industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale sont considérés comme des biens professionnels".
(5) BOI-PAT-ISF-30-30-10-30, n° 10, préc..
(6) CGI, art. 885 O bis (N° Lexbase : L1126ITU) : "Les fonctions énumérées ci-dessus doivent être effectivement exercées et donner lieu à une rémunération normale. Celle-ci doit représenter plus de la moitié des revenus à raison desquels l'intéressé est soumis à l'impôt sur le revenu dans les catégories des traitements et salaires, bénéfices industriels et commerciaux, bénéfices agricoles, bénéfices non commerciaux, revenus des gérants et associés mentionnés à l'article 62 (N° Lexbase : L2354IBS)".
(7) CGI, art. 885 I bis (N° Lexbase : L8951IQL) : "L'un des associés mentionnés au a exerce effectivement dans la société dont les parts ou actions font l'objet de l'engagement collectif de conservation pendant les cinq années qui suivent la date de conclusion de cet engagement, son activité professionnelle principale si celle-ci est une société de personnes visée aux articles 8 et 8 ter (N° Lexbase : L1039HL3), ou l'une des fonctions énumérées au 1° de l'article 885 O bis lorsque celle-ci est soumise à l'impôt sur les sociétés, de plein droit ou sur option".
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:451283