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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
le 04 Février 2016
L'exercice de courtoisie pourrait paraître convenu, tant il est rodé depuis de nombreuses années ; le ministre en exercice serrant les dents et sourire aux lèvres face aux critiques et mécontentements des avocats de France, avant de répondre, point par point, aux rodomontades dont il a connaissance depuis des lustres, pour la plupart d'entre elles. Le style est ampoulé, les effets oratoires sont au rendez-vous et une citation -d'Aimé Césaire ou d'un autre- la bienvenue.
Et bien rien de tout cela n'arriva ce vendredi 30 janvier 2016, en la salle des réceptions de l'hôtel de Castiglione. La faute, que dis-je la grâce, au temps : à ce peu de temps que pouvait consacrer le ministre nouvellement nommé, qui se devait d'enchaîner les visites auprès des administrations sous sa tutelle.
Du coup, le Président Yves Mahiu a convenu à l'essentiel, brossant rapidement le portrait sous embolie d'une justice asphyxiée, d'une France en liberté... surveillée. Il y reviendra plus longuement, dans un discours à l'attention des membres de la Conférence, pour que l'on ne pense pas que les combats des avocats pour l'accès à la justice et la préservation des libertés soient tombés aux oubliettes. La concision et la pertinence oratoire auront pour premier objectif d'inscrire la loyauté dans les échanges qui émailleront les débats entre la Chancellerie et les avocats. Une loyauté tôt conjuguée à la rudesse, tant l'antagonisme est sincère sur nombre de sujets et réformes orchestrées par les pouvoirs publics.
Ce à quoi le nouveau ministre, Maître de conférence en droit public en disposition, mais surtout ancien Président de la commission des lois à l'Assemblée nationale, a répondu avec une franchise et un pragmatisme hors pairs.
D'abord, citant Lao Tseu -ou Apocryphe car là n'est pas l'essentiel, rompant dès lors avec le style de son prédécesseur-, Jean-Jacques Urvoas a prévenu qu'il parlerait peu... de crainte d'être réduit au silence. Ensuite, le ministre de la Justice n'a pas fait mystère que son mandat, quinze mois, l'obligeait à circonscrire ses ambitions quant à la réforme de la Justice tant attendue. C'est pourquoi, enfin, il a fait cet aveu, cinglant et lourd de sens, aux termes duquel il s'engageait à n'oeuvrer que pour une seule loi : la loi de finances !
Ite missa est : le sort de la Justice, donc celui des magistrats et des avocats relève, désormais, clairement des cordons de Bercy ; le ministre de tutelle, passant sous celle progressivement élaborée du ministre du Budget. Il n'y a pas là grand mystère : toute modernisation de la Justice du XXIème siècle, toute réforme de l'accès au droit et à la justice à travers l'aide juridictionnelle passe par la dotation de moyens plus, beaucoup plus conséquents. Et le ministre d'exhorter les Bâtonniers à convaincre l'opinion publique de dépenser plus pour la Justice, que pour... la redevance télévisuelle ! La formule est sans ambages et en dit long sur l'état de notre société ; que ce soit au regard des moyens de la justice, elle-même, ou celui des conditions pénitentiaires.
Pourtant, on sait bien que la seule loi de finances ne permettra pas d'annihiler les inquiétudes des avocats, et à travers eux celles des citoyens justiciables. Et le nouveau ministre aura tôt à faire avec la grande révision de la Constitution en préparation, la constitutionnalisation de l'état d'urgence, le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé et la réforme de la procédure pénale. Et rien ne dit que les arlésiennes sur la refonte du Conseil supérieur de la magistrature, la suppression de la Cour de justice de la République et celle du statut pénal du chef de l'Etat ne viennent pas agrémenter le bilan -dans quinze mois- du tout nouveau ministre. En revanche, la création de "tribunaux de première instance", un temps pressentie, semble patiner, de même que la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs.
Mais l'enjeu, ce 30 janvier, était de rassurer les avocats sur la compréhension du ministre quant aux préoccupations existentielles d'une profession qui, selon la presse, "tousse, alors que la justice est enrhumée".
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