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N6020BUI
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
le 10 Décembre 2015
Le harcèlement, moral ou sexuel, fait aujourd'hui parti du quotidien des prétoires : un prétexte ? Un alibi ? Un levier de négociation pour une rupture conflictuelle ? Parfois. La reconnaissance d'un mal, la condamnation des travers de la relation professionnelle encore trop paternaliste en France, souvent : où le perpétrant n'y voit pas à mal et trouve tout cela même nécessaire pour la production, la productivité et la réussite de ses objectifs ; où la victime s'en trouve meurtrie, déconsidérée, méprisée, presque déshumanisée et finalement déconnectée de toute rationalité de l'entreprise.
La condamnation du harcèlement, c'est la signification au souverain que même lui n'est pas au-dessus des lois ; mieux il en devient sujet, parce qu'il doit être exemplaire. Alors, on sait bien que nul n'est "incorrigible" ; que le plus vertueux, autoproclamé, finirait lui-même sur l'échafaud de l'exemplarité. Mais, l'affaire n'est pas nouvelle. Depuis 1651, tout est dans Hobbes et son Léviathan : le fameux "vivre ensemble" sur toutes les lèvres des politiques, actuellement, n'est rien d'autre que ce contrat social nécessaire pour que les hommes ne "vivent [pas] sans un pouvoir commun qui les tient en respect", sans quoi "ils sont dans cette condition qui se nomme guerre, la guerre de chacun contre chacun".
Non, "aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel".
C'est la loi, et, dans le cas présent, la prohibition du harcèlement qui fait du Léviathan, monstre phénicien symbole du chaos, celui du contrat d'association, pour Alain, de l'Etat, pour Hobbes, et dans une moindre mesure, certes, de l'entreprise.
"La force et la fraude sont les deux armes principales des hommes en guerre", écrit encore le philosophe anglais : on sait le monde professionnel difficile, couru d'embûches ; mais, même en crise, travaille-t-on en état de guerre ?
"Sonnerie à l'arrière des berlines
on devine
des monarques et leurs figurines
juste une paire de demi-dieux
livrés à eux
ils font des petits
ils font des envieux
à l'arrière des dauphines
je suis le roi des scélérats
à qui sourit la vie
marcher sur l'eau
éviter les péages
jamais souffrir
juste faire hennir
les chevaux du plaisir"
...chantait Bashung.
Oser la dénonciation, oser la condamnation... pour que Léviathan en cage devienne Cerbère du "vivre ensemble" en entreprise.
Et, tout cela est d'autant plus indispensable, que la nouvelle génération professionnelle, cette "génération Y" qui se dit "entrepreneuse de sa vie professionnelle" (cf. Emmanuelle Duez, Fondatrice, The Boson Project - Women'Up, in challenge.fr), n'a pas l'intention de se laisser faire. Elle n'envisage le rapport au travail que dans le cadre d'un échange "donnant-donnant" et n'entend absolument ni se sacrifier, ni se soumettre au "diktat" du manager. C'est à ce dernier qu'il incombe de modifier ses habitudes d'encadrement pour que le "vivre ensemble" en entreprise soit le plus productif possible. Le rapport marxiste exploitant/exploité est dépassé : cette "génération Y" veut être son "propre patron" ou du moins conduire son évolution professionnelle et les conditions de son travail, quitte à changer encore et encore d'entreprise. Phénomène qui s'exacerbera avec la "génération Z", qui, elle, "entrepreneuse de sa formation", s'échappe du carcan même de l'apprentissage professionnel traditionnel pour vivre des expériences qui ne lui sont que profitables. Ces générations ne souffriront pas le harcèlement en silence : ou il en coûtera beaucoup aux employeurs impénitents, non seulement des dommages et intérêts voire une condamnation pénale, mais aussi le dialogue, donc la collaboration, avec les générations futures.
Mais attention, ces nouvelles générations ne sont pas "étouffées" par une quelconque gratitude envers leurs employeurs ; elles pourraient renverser la table, changer de paradigme et devenir les harceleurs de demain à force de protection législative : comment réagiront les magistrats face au harcèlement à l'encontre des patrons ? La jurisprudence est pauvre en la matière ; la situation est-elle si épiphénoménale ?
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