La lettre juridique n°603 du 5 mars 2015 :

[Jurisprudence] Un nouveau pas dans l'interprétation par la Cour de cassation des articles L. 341-2 et L. 341-3 du Code de la consommation ?

Réf. : Cass. com., 27 janvier 2015, n° 13-24.778, FS-D (N° Lexbase : A7158NAD)

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N6171BU4

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par Gaël Piette, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur scientifique des Encyclopédies "Droit des sûretés" et "Droit des contrats spéciaux"

le 17 Mars 2015

L'arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 27 janvier 2015 marque peut-être un nouveau pas dans l'interprétation qu'elle fait, depuis quelques années, des articles L. 341-2 (N° Lexbase : L5668DLI) et L. 341-3 (N° Lexbase : L6326HI7) du Code de la consommation.
Deux personnes se portent cautions solidaires envers une banque des engagements d'une société. La défaillance de cette dernière conduit la banque à prononcer la déchéance du terme, et à l'assigner avec les cautions en paiement. Le débiteur principal est mis en liquidation judiciaire simplifiée. Les cautions refusent de payer, en opposant au créancier la nullité de leurs engagements et leur caractère disproportionné (1). Plus précisément, les cautions invoquaient la nullité des cautionnements en faisant valoir que la mention manuscrite apposée par elles sur les contrats n'était pas conforme au modèle imposé par l'article L. 341-2 du Code de la consommation. La différence venait d'un ajout, après le terme "prêteur", de la formule "ou à toute autre personne qui lui sera substituée en cas de fusion, absorption, scission ou apports d'actifs".
La cour d'appel de Nîmes rejette les arguments des cautions, en considérant que cet ajout n'était pas de nature à affecter le sens ou la portée de la mention manuscrite prescrite par l'article L. 341-2 (CA Nîmes, 20 juin 2013, n° 12/00111 N° Lexbase : A6075MT8).
Dans leur pourvoi, les cautions critiquent cette solution, en soutenant que l'adjonction ne s'apparentait pas à une simple modification de ponctuation, ni à une substitution de termes identiques. Selon elles, la technicité des termes employés dans l'adjonction ("fusion", "absorption", "scission", "apports d'actifs") altérait la compréhension que les cautions pouvaient avoir de leurs engagements.
La Cour de cassation rejette le pourvoi, en retenant que "cet ajout, portant exclusivement sur la personne du prêteur, ne dénature pas l'acte de caution et n'en rend pas plus difficile la compréhension". Elle ajoute une remarque fondamentale : "l'ajout n'avait pas altéré la compréhension par les cautions du sens et de la portée de leurs engagements". Ce faisant, il nous semble que la Cour de cassation franchit un nouveau pas dans son interprétation de l'article L. 341-2 du Code de la consommation (2). Pour s'en convaincre, il convient de rappeler les premiers pas de cette interprétation (I), avant d'examiner en quoi l'arrêt du 27 janvier marque une nouvelle étape (II).

I - Les premiers pas

Les articles L. 341-2 et L. 341-3 ont provoqué des décisions de certaines juridictions du fond qui heurtaient le bon sens et la plus élémentaire logique. C'est ainsi qu'une cour d'appel a pu juger que le remplacement d'un point par une virgule devait entraîner la nullité du cautionnement (3). Une autre cour d'appel a voué au même sort un cautionnement dans lequel la caution avait, dans sa mention manuscrite, substitué une lettre minuscule à une lettre majuscule (4).

La Cour de cassation, dans un premier temps, avait une vision assez rigide du formalisme imposé par ces textes. Elle a ainsi pu retenir que la nullité d'un engagement de caution souscrit par une personne physique envers un créancier professionnel est encourue du seul fait que la mention manuscrite portée sur l'engagement de caution n'est pas identique aux mentions prescrites par les articles L. 341-2 et L. 341-3, à l'exception de l'hypothèse dans laquelle ce défaut d'identité résulterait d'une erreur matérielle (5). La Cour exige ici une identité, c'est-à-dire une stricte ressemblance entre la mention manuscrite et le modèle légal. La seule possibilité de différence est l'hypothèse de l'erreur matérielle.

Mais progressivement, la Cour de cassation va admettre certains assouplissements. Ainsi que le jugeaient déjà certains juges du fond (6), la Cour va accepter que la mention manuscrite diffère du modèle légal, dès lors que le sens n'en est pas changé (7) et que les différences restent minimes (8). Elle admet ainsi des modifications plus importantes du modèle légal : l'emploi de synonymes, par exemple, est validé.

Un pas supplémentaire, et important, sera franchi en 2013. La Cour de cassation devait statuer sur le sort d'un cautionnement dans lequel la caution avait écrit qu'elle s'engageait à rembourser au prêteur les sommes dues sur ses revenus, au lieu de viser ses revenus et ses biens ainsi que l'exige l'article L. 341-2 (9). La Cour considéra que "la mention manuscrite apposée sur l'engagement reflète la parfaite information dont avait bénéficié la caution quant à la nature et la portée de son engagement ; que par ces seuls motifs dont il résultait que l'omission des termes mes biens' n'avait pour conséquence que de limiter le gage de la banque aux revenus de la caution et n'affectait pas la validité du cautionnement, la cour d'appel a légalement justifié sa décision".

Une solution équivalente sera adoptée dans un arrêt du 4 novembre 2014, dans lequel la Cour estime que le fait que la caution n'ait visé que le principal, et non les intérêts de la dette garantie, avait pour conséquence de limiter l'étendue du cautionnement au principal de la dette sans en affecter la validité (10).

Dans ces dernières décisions, la Cour de cassation ne se contente pas de valider des ajouts minimes. Que l'on critique (11) ou que l'on approuve (12) ces solutions, il convient de remarquer que la Cour y admet des différences avec le modèle légal qui modifient, non pas le sens, mais la portée de l'engagement de la caution. Dans le premier cas, la caution ne sera tenue que sur ses revenus, et non sur ses biens. Dans le second, elle ne garantira que le principal, et non les intérêts. Il devient par conséquent impossible d'affirmer que la condition pour qu'une mention soit conforme à l'article L. 341-2 est que ne soit pas altérée la portée de l'engagement de la caution.

L'arrêt du 27 janvier 2015 nous paraît une étape supplémentaire de cette interprétation de l'article L. 341-2.

II - Un nouveau pas

Deux raisons nous conduisent à penser que l'arrêt du 27 janvier 2015 constitue un nouveau pas dans l'interprétation souple que fait la Cour de cassation de l'article L. 341-2.

D'une part, la formule ajoutée par la caution était particulièrement conséquente d'un point de vue juridique. En s'engageant à rembourser les sommes dues "au prêteur ou à toute autre personne qui lui sera substituée en cas de fusion, absorption, scission ou apports d'actifs", la caution anticipe l'application d'une jurisprudence déjà ancienne. Il est en effet constant que si le créancier disparaît, par exemple par l'effet d'une fusion-absorption, la caution est tenue des dettes nées antérieurement à la disparition, mais non des dettes apparues postérieurement (13). Ces dernières dettes ne seront garanties par le cautionnement que si la caution manifeste sa volonté d'étendre sa garantie au nouveau créancier.

La mention reproduite par la caution dans l'arrêt commenté contient sa volonté expresse, dès la conclusion du contrat, d'étendre sa garantie à un éventuel nouveau créancier. Cet ajout modifie clairement la portée de son engagement, puisqu'à défaut de manifestation de volonté, la caution ne serait pas tenue en cas de changement de créancier.

Ainsi, contrairement aux solutions dégagées par les arrêts du 1er octobre 2013 et du 4 novembre 2014 (omission de la référence aux biens et de la référence aux intérêts), l'arrêt commenté valide une modification qui alourdit le sort de la caution. Il ne s'agit plus de limiter les droits du créancier aux revenus de la caution ou de limiter l'engagement de celle-ci au remboursement du principal. En l'espèce, la caution ne sera pas libérée en cas de changement de créancier (14).

D'autre part, la Cour de cassation prend bien soin de relever que "l'ajout n'avait pas altéré la compréhension par les cautions du sens et de la portée de leurs engagements". Cette affirmation nous amène à penser que ce que la Cour examine prioritairement, ce n'est plus le fait de savoir si la liberté prise avec le modèle légal affecte le sens et la portée de l'engagement de la caution. Il s'agit davantage de savoir si les modifications ont affecté la compréhension qu'avait la caution du sens et de la portée de son engagement. Ce n'est pas seulement le sens et la portée de l'engagement qui comptent, mais leur compréhension par la caution.

Ce faisant, la Cour n'a plus une interprétation objective de ce texte, puisqu'elle ne se demande plus véritablement s'il y a modification et si elle est importante (en ce sens qu'elle altère le sens et la portée de l'engagement). Elle adopte une interprétation subjective, en plaçant au centre du débat, non un respect objectif de la mention, mais une personne, et plus précisément la compréhension qu'elle a de son engagement.

La Cour de cassation déplace ainsi le débat de la mention elle-même (a-t-elle été correctement reproduite ?) à la personne de la caution (a-t-elle compris ce qu'elle signait ?). Cette interprétation est téléologique, puisque les articles L. 341-2 et L. 341-3 ont pour finalité la protection de la caution, en s'efforçant de lui permettre de comprendre à quoi elle s'engage.

En tant que tel, l'arrêt du 27 janvier 2015, qui pourrait être considéré comme contraire à l'esprit des articles L. 341-2 et L. 341-3 et comme contra legem, nous semble mériter l'approbation.


(1) La disproportion n'est même pas envisagée par la Chambre commerciale, qui retient "qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les autres griefs, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation".
(2) Auquel on peut lier l'article L. 341-3, qui suit la même méthode législative, pose les mêmes problèmes (sauf en ce qui concerne sa sanction: Cass. com., 8 mars 2011, n° 10-10.699, FS-P+B+I N° Lexbase : A0443G7K, D., 2011, p. 1193, note Y. Picod ; nos obs. La sanction de la violation de l'article L. 341-3 du Code de la consommation, Lexbase Hebdo n° 246 du 7 avril 2011 - édition affaires N° Lexbase : N9497BR8) et est aussi néfaste que l'article L. 341-2.
(3) CA Rennes, 22 janvier 2010, n° 08/08806 (N° Lexbase : A5135ESY), JCP éd. G, 2010, doctr. 708, n° 2, obs. Ph. Simler (arrêt cassé par Cass. com., 5 avril 2011, n° 10-16.426, FS-P+B N° Lexbase : A3424HN7, nos obs. La mention manuscrite dans le contrat de cautionnement, encore et toujours !, Lexbase Hebdo n° 251 du 19 mai 2011 - édition affaires N° Lexbase : N2752BSQ).
(4) CA Dijon, 26 janv. 2012, cassé par Cass. civ. 1, 11 septembre 2013, n° 12-19.094, FS-P+B+I (N° Lexbase : A1490KLR), nos obs. Mentions manuscrites dans le cautionnement : la Cour de cassation tiraillée entre pointillisme et pragmatisme, Lexbase Hebdo n° 354 du 10 octobre 2013 - édition affaires (N° Lexbase : N8835BTE).
(5) Cass. com., 5 avril 2011, n° 09-14.358, FS-P+B (N° Lexbase : A3426HN9), nos obs. in Lexbase Hebdo n° 251 du 19 mai 2011 - édition affaires, préc. note 3.
(6) CA Paris, 3 juin 2010, RDBF 2011, n° 16, obs. A. Cerles.
(7) Cass. com., 16 octobre 2012, n° 11-23.623, F-P+B (N° Lexbase : A7128IUK), D., 2012, p. 2509, obs. V. Avena-Robardet, Gaz. Pal., 13 décembre 2012, p. 11, obs. Ch. Albigès : remplacement de la lettre "X" par la désignation du débiteur principal ; Cass. civ. 1, 10 avril 2013, n° 12-18.544, F-P+B+I (N° Lexbase : A0814KC7), D., 2013, p. 1460, note J. Lasserre-Capdeville et G. Piette : substitution du mot "banque" à ceux de "prêteur" et de "créancier".
(8) Pour un exemple de différences qui ne sont pas minimes: Cass. civ. 1, 16 mai 2012, n° 11-17.411, F-D (N° Lexbase : A7022ILN), Gaz. Pal., 20 septembre 2012, p. 17, obs. Ch. Albigès.
(9) Cass. com., 1er octobre 2013, n° 12-20.278, FS-P+B (N° Lexbase : A3277KMC), nos obs. Mentions manuscrites dans le cautionnement : la modulation des sanctions par la Cour de cassation, Lexbase Hebdo n° 358 du 14 novembre 2013 - édition affaires (N° Lexbase : N9310BTY). Solution confirmée par Cass. com., 27 mai 2014, n° 13-16.989, F-D (N° Lexbase : A6167MP4), RDBF, 2014, comm. 131, obs. D. Legeais.
(10) Cass. com., 4 novembre 2014, n° 13-24.706, F-P+B (N° Lexbase : A9151MZX), nos obs. L'omission de la référence aux intérêts dans la mention manuscrite n'affecte pas la validité du cautionnement, Lexbase Hebdo n° 404 du 4 décembre 2014 - édition affaires (N° Lexbase : N4862BUM).
(11) J.-J. Ansault, RLDC, janvier 2015, p. 33, obs. sous Cass. com., 4 novembre 2014, préc. ; D. Legeais, RDBF, 2014, comm. 131, obs. sous Cass. com., 1er octore 2013, préc. ; M. Mignot, RLDC, décembre 2013, n° 88, p. 26, note sous Cass. com., 1er octobre 2013, préc. ; Ph. Simler, , JCP éd. G, 2014, 1162, n° 1, obs. sous Cass. com., 27 mai 2014, préc..
(12) Nos obs., notes préc., Lexbase Hebdo n° 358 du 14 novembre 2013 - éditions affaires et Lexbase Hebdo n° 404 du 4 décembre 2014 - éditions affaires.
(13) Cass. com., 25 novembre 1997, n° 95-16842 (N° Lexbase : A0738A44), D. aff., 1998. 168 ; Cass. civ. 1, 12 janvier 1999, n° 96-18.274 (N° Lexbase : A8848AGS), RD bancaire et bourse, 1999, p. 77, obs. M. Contamine-Raynaud ; Cass. com., 8 juillet 2003, n° 00-13.412, F-D (N° Lexbase : A0811C9W) ; Cass. com., 8 mars 2011, n° 10-11.835, F-D (N° Lexbase : A2546G98) ; Cass. com., 14 mai 2008, n° 07-14.305, F-D (N° Lexbase : A5356D8U), JCP éd. G, 2008, doctr., 211, n° 7, obs. Ph. Simler, RDBF, 2008, comm. 105, obs. A. Cerles ; Cass. com., 30 juin 2009, n° 08-10.719, F-D (N° Lexbase : A5774EIP), D., 2009, p. 2163, obs. A. Lienhard ; Cass. com., 26 mai 2010, n° 09-15.367, F-D (N° Lexbase : A7329EXQ) ; Cass. com., 13 septembre 2011, n° 10-21.370, F-D (N° Lexbase : A7513HXK), Gaz. Pal., 2011, p. 3619, note M.-P. Dumont-Lefrand, Rev. sociétés, 2012, n° 9, obs. J.-F. Barbieri ; Cass. com., 16 septembre 2014, n° 13-17.779, FS-P+B (N° Lexbase : A8415MWL), nos obs. Cautionnement et fusion-absorption, Lexbase Hebdo n° 397 du 9 octobre 2014 - édition affaires (N° Lexbase : N4012BU7).
(14) En l'espèce, le risque n'existait pas pour la caution, car il s'agissait d'un cautionnement de dettes présentes. Mais la solution adoptée par l'arrêt commenté est parfaitement transposable aux cautionnements de dettes futures.

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