Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 2 février 2015, n° 370385, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1432NBN)
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par Vincent Daumas, Maître des Requêtes au Conseil d'Etat et Rapporteur public à la 3ème sous-section
le 17 Mars 2015
Un contribuable est associé unique et gérant de deux sociétés de droit espagnol qui exercent une activité de transport routier de marchandises. Elles ont fait l'objet de vérifications de comptabilité, pour des périodes comprises entre 2003 et 2005, à l'issue desquelles l'administration fiscale a conclu que ces deux sociétés disposaient en France d'établissements stables, qu'elles devaient être assimilées à des sociétés unipersonnelles à responsabilité limitée et que leurs résultats devaient être soumis à l'impôt en France. L'administration a également estimé que ce contribuable avait bénéficié de leur part, en tant qu'associé unique des deux sociétés, de revenus distribués, qu'elle a imposés entre ses mains à l'impôt sur le revenu, comme revenus de capitaux mobiliers.
Le contribuable a, toutefois, obtenu de la cour administrative d'appel de Marseille la décharge de ces impositions (CAA Marseille, 3ème ch., 24 mai 2013, n° 10MA03312, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3477KGU). Le raisonnement suivi par la cour pour faire droit à ses conclusions est le suivant (1). La cour a relevé que les sociétés espagnoles sont en droit espagnol des sociedad de responsabilidad limitada (SRL) dont le contribuable est l'associé unique. Elle en a déduit qu'elles devaient être assimilées en droit français à des sociétés à responsabilité limitée dont l'associé unique est une personne physique. Et, en l'absence d'option exercée par les sociétés en faveur d'une imposition à l'impôt sur les sociétés, elle a jugé que l'administration ne pouvait prétendre imposer des revenus réputés distribués par ces sociétés au contribuable. Elle aurait seulement pu, relève-t-elle, imposer les résultats des sociétés directement entre ses mains, à l'impôt sur le revenu, dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux. En l'absence de substitution de base légale demandée par l'administration, elle a prononcé la décharge des impositions restant en litige.
Le ministre du Budget se pourvoit en cassation en soulevant à l'encontre de l'arrêt de la cour un moyen qu'il présente comme tiré d'une erreur de qualification juridique des faits, tout en invoquant également, quoique très incidemment, une erreur de droit. Son argumentation consiste à reprocher à la cour de n'avoir tenu aucun compte, pour déterminer les modalités d'imposition des résultats des SRL, du régime fiscal espagnol qui leur était applicable. Le ministre explique alors qu'en application de la loi fiscale espagnole, les SRL constituent des sociétés de capitaux soumises à un impôt équivalent à l'impôt sur les sociétés, quelle que soient le nombre et la qualité de leurs associés. De sorte que, selon lui, la circonstance qu'elles auraient comme associé unique une personne physique n'est pas suffisante pour les assimiler à des sociétés unipersonnelles à responsabilité limitée relevant en principe du régime des sociétés de personnes.
Lorsque les juges du fond, pour régler un litige fiscal, assimilent une opération ou une personne morale régie par une loi étrangère à l'une des catégories juridiques connues de notre droit national, le Conseil d'Etat est enclin à soumettre ce raisonnement, en cassation, à un contrôle de qualification juridique des faits (v. deux précédents : CE 3° et 8° s-s-r., 24 mai 2006, n° 278737, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6706DP3 ; RJF, 8-9/2006, n° 996 et CE 3° et 8° s-s-r., 7 septembre 2009, n° 303560, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8912EKB ; RJF, 12/2009, n° 1068). Cela se comprend assez bien puisque cette assimilation, en général, commande l'application d'un régime fiscal donné. Toutefois, eu égard à l'argumentation du ministre, il semble qu'il se plaint avant tout d'une erreur de droit, d'où aurait procédé une erreur de qualification juridique des faits : ce qu'il critique en effet, c'est le refus, par la cour, de prendre en compte, parmi les éléments pertinents pour procéder à la qualification litigieuse, un élément qu'il croit indispensable, c'est-à-dire le régime fiscal appliqué en Espagne aux SRL.
Le Conseil d'Etat a récemment explicité la démarche à suivre pour déterminer les modalités d'imposition d'une opération impliquant une société de droit étranger. Il a été jugé le 24 novembre 2014, dans une affaire portée devant les sous-sections fiscales réunies, qu'il y avait lieu dans un premier temps d'identifier, au regard de l'ensemble des caractéristiques de cette société et du droit qui en régit, la constitution et le fonctionnement, le type de société de droit français auquel la société de droit étranger est assimilable. C'est dans un second temps, compte tenu de ces constatations, qu'il convient de déterminer le régime applicable à l'opération litigieuse au regard de la loi fiscale française (CE 3°, 8°, 9°, et 10° s-s-r., 24 novembre 2014, n° 363556, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A5450M4M). Les Hauts magistrats n'ont laissé aucune place, dans ce raisonnement, à la prise en compte de la loi fiscale étrangère, maintenant intacte la souveraineté de la loi fiscale nationale.
Au cas présent, le raisonnement tenu par la cour administrative d'appel est parfaitement conforme à ce mode d'emploi. C'est l'argumentation du ministre qui s'en éloigne. Quelle que soit la manière dont le Conseil d'Etat qualifie le ou les moyens soulevés, il semble évident qu'ils ne peuvent qu'être écartés.
Le ministre observe, à la fin de son pourvoi, que le raisonnement de la cour aboutit à imposer l'associé unique de la SRL espagnole dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux pour les résultats de l'établissement stable français et dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers pour les dividendes versés par la société, ce qui ferait naître un nouveau cas de double imposition. Le Rapporteur public avoue ne pas bien saisir la portée de cet argument très allusif. En effet, il ne pourrait y avoir double imposition des mêmes résultats puisque la répartition de la matière imposable organisée par l'article 10 de la Convention fiscale franco-espagnole (N° Lexbase : L6689BH9) confie à l'Espagne le pouvoir d'imposer les résultats réalisés, le cas échéant, par le siège espagnol de la société et à la France celui d'imposer les résultats réalisés par son établissement stable français. Le ministre fait peut-être référence à l'hypothèse dans laquelle la société espagnole distribuerait des dividendes à son associé unique, correspondant aux résultats réalisés par son siège. Dans ce cas, si l'associé est fiscalement domicilié en France, se pose effectivement la question des modalités d'imposition de ces revenus. La réponse n'est pas évidente... Mais si la logique de l'arrêt du 24 novembre 2014 est poussée à son terme, il semble que de telles sommes ne pourraient être imposées en tant que distributions puisqu'émanant d'une société qui, en vertu de la loi fiscale française, devrait être soumise au régime fiscal des sociétés de personnes. Quoiqu'il en soit, la question ne se pose pas dans le présent litige.
Le pourvoi du ministre doit donc être rejeté.
(1) La cour reprend une solution déjà éprouvée par la cour administrative d'appel de Nantes (CAA Nantes, 1ère ch., 28 juin 2010, n° 09NT00653 N° Lexbase : A2548E8U ; RJF, 12/2010, n° 1195).
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