Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 19 novembre 2014, n° 365719, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9461M3S)
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par Benoît Bohnert, Maître des Requêtes au Conseil d'Etat et Rapporteur public à la 8ème sous-section
le 04 Décembre 2014
Après avoir vainement contesté ces redressements, le requérant a porté le litige l'opposant à l'administration fiscale devant le TA de Paris qui, par jugement du 7 juin 2011 (TA Paris, 7 juin 2011, n° 0919530), a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires qui lui ont été réclamées. Saisie d'appel de cette affaire par le contribuable, la cour administrative d'appel de Paris a partiellement réformé ce jugement par un arrêt du 9 novembre 2012 (CAA Paris, 9 novembre 2012, n ° 11PA03651 N° Lexbase : A3796M4D). Ainsi, la base imposable assignée à l'appelant a été réduite d'une somme de 70 568 euros au titre de l'année 2002, et la cour a prononcé la décharge des impositions supplémentaires correspondantes, rejetant par ailleurs le surplus des conclusions de la requête.Le requérant se pourvoit régulièrement en cassation devant le Conseil d'Etat contre l'article 5 de cet arrêt rejetant le surplus de ses conclusions. Il articule successivement trois moyens.
Le requérant soutient, en premier lieu, que la cour aurait insuffisamment motivé son arrêt et commis une erreur de droit en jugeant que l'administration, en visant les articles 8 bis (N° Lexbase : L1038HLZ) et 1655 ter (N° Lexbase : L1910HMP) du CGI dans les propositions de rectification des 23 décembre 2004 et 29 avril 2005, n'avait pas méconnu l'article L. 57 du LPF (N° Lexbase : L0638IH4) alors que la mention de ces articles, applicables aux seules sociétés de copropriété immobilière, dont la SCI ne fait pas partie, l'a induit en erreur et ne lui a pas permis de présenter utilement ses observations.
La SCI, dont le requérant était associé, est une société civile de gestion d'immeubles, qui ne relève pas du régime de transparence fiscale prévu par l'article 1655 ter du CGI. Or, les propositions de rectification notifiées au requérant se fondaient sur les dispositions combinées des articles 8 bis et 1655 ter du CGI, dont il résulte que les sociétés immobilières de copropriété sont réputées ne pas avoir de personnalité distincte de celle de leurs membres, de sorte que leurs associés sont personnellement soumis à l'impôt sur le revenu pour la part des revenus sociaux correspondant à leurs droits dans la société s'il s'agit de personnes physiques.
Devant la cour, le requérant a fait valoir que ces mentions erronées relatives au régime (en l'espèce, non applicable à la SCI) des sociétés immobilières transparentes, l'ont privé de la possibilité de présenter en toute connaissance de cause ses observations sur le redressement envisagé, en violation des dispositions de l'article L.57 du LPF.
Ce texte fait obligation à l'administration d'indiquer de façon claire, dans les notifications de redressements, les motifs de droit ou de fait des rectifications, de telle sorte que le contribuable puisse prendre position en toute connaissance de cause. Mais le Conseil d'Etat, dans un arrêt rendu le 8 avril 1998, n'exigeait l'indication, dans la notification de redressement, des textes dont il est fait application, que lorsque cette indication est nécessaire à la compréhension, par le contribuable, du rehaussement (CE, 8 avril 1998, n° 157508, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7166AS9 : RJF, 6/98, n° 696), et ce point est laissé à l'appréciation souveraine des juges du fond. C'est pourquoi une notification de redressement ne peut être regardée comme insuffisamment motivée du seul fait qu'elle ne mentionne pas certains des articles du CGI dont le vérificateur fait application (CE 3° et 8° s-s-r., 10 août 2005, n° 271843, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3820DKP : RJF, 12/05, n° 1446 ; CE 9° et 10° s-s-r., 27 mars 2009, n° 294968, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1806EEM : RJF, 06/09, n° 548).
Les conseillers d'Etat ont déduit de cette jurisprudence souple que dans l'hypothèse où, comme en l'espèce, une proposition de rectification comporte une erreur dans la mention du texte servant de fondement au redressement envisagé, les droits de la défense ne sont pas compromis de ce seul fait. Il a été en effet jugé par une décision en date du 16 mai 2008 (CE 3° et 8° s-s-r., 16 mai 2008, n° 284657, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6485D8P : RJF, 8-9/08, n° 998) que la circonstance qu'une notification de redressements vise le deuxième alinéa de l'article 39, 1° (déduction des rémunérations) du CGI (N° Lexbase : L3894IAH) au lieu du premier alinéa (déduction des frais généraux) demeure sans incidence sur la régularité de la procédure d'imposition dès lors que la notification indiquait sans ambiguïté les motifs des redressements, permettant ainsi au contribuable qui n'a pas été induit en erreur sur le fondement de ces derniers, de présenter utilement ses observations (cf. dans le même sens, CE 9° et 10° s-s-r., 2 juin 2010, n° 322663, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2054EYQ : RJF, 8-9/10, n° 775, concl. C. Legras, BDCF, 8-9/10, n° 85).
En l'espèce, la cour a écarté le moyen d'irrégularité de la procédure d'imposition invoqué devant elle en relevant qu'il résultait de l'examen des propositions de rectification adressées les 23 décembre 2004 et 29 avril 2005 au requérant, qu'elles mentionnaient la nature et le montant des redressements envisagés dans la catégorie des revenus fonciers à la suite du redressement des résultats de la SCI. Les juges du fond en ont déduit que le visa, certes erroné des articles 8 bis et 1655 ter du CGI, n'a pas été de nature à induire en erreur le contribuable sur le fondement des redressements, dès lors que les explications figurant dans ces documents précisaient sans ambiguïté les raisons pour lesquelles le contribuable a été regardé comme personnellement imposable à raison des résultats de la société civile et que ces explications lui ont permis de présenter utilement ses observations. L'arrêt est parfaitement motivé et exempt de l'erreur de droit alléguée, ce qui vous conduira à écarter ce moyen.
Le requérant soutient, en deuxième lieu, que la cour aurait commis une erreur de droit dans l'application des dispositions combinées des articles L. 169 (N° Lexbase : L5755IRL), L. 189 (N° Lexbase : L8757G8T), et L. 53 (N° Lexbase : L6795HWL) du LPF en jugeant que la prescription du droit de reprise de l'administration relatif aux revenus fonciers de l'année 2001 avait été interrompue par la proposition de rectification qui lui avait été adressée le 23 décembre 2004, alors que celle-ci n'a pu avoir pour effet d'interrompre la prescription à son égard en l'absence de notification préalable des redressements envisagés à la SCI dont les résultats rectifiés déterminent les bases d'imposition de ses associés.
L'article L. 53 du LPF prévoit qu'"En ce qui concerne les sociétés dont les associés sont personnellement soumis à l'impôt pour la part des bénéfices correspondant à leurs droits dans la société, la procédure de vérification des déclarations déposées par la société est suivie entre l'administration des impôts et la société elle-même".
Sur le fondement de ces dispositions, qui ne concernent que la seule procédure de vérification, vous avez admis que l'administration puisse également conduire la procédure de redressement avec la société de personnes, et qu'elle puisse ainsi se dispenser de la conduire avec chacun des associés de cette dernière. Par une décision du 8 avril 1994 (CE, 8 avril 1994, n° 60405 et n° 65876, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A5515AYW : RJF, 1994, n° 579, concl. F. Loloum, RJF, 1994, p. 299), le Haut conseil est allé au bout de cette logique, en jugeant, d'une part, que lorsque l'administration a adressé à la société de personnes la notification portant redressement de son bénéfice imposable, elle peut se contenter d'adresser à chacun des associés une notification succinctement motivée, en renvoyant à celle adressée à la société, et d'autre part, que la notification faite à l'égard de la société interrompt la prescription à l'égard des associés.
Qu'en est-il toutefois, lorsque, comme en l'espèce, la notification a été adressée à l'associé pour la part des redressements le concernant, mais non à la société ?
La jurisprudence tire, dans cette hypothèse symétrique, toutes les conséquences de la rédaction de l'article L. 53 du LPF, qui ne contraint l'administration qu'en ce qui concerne la procédure de vérification : il a ainsi été jugé dans une décision du 3 décembre 1986 (CE 7° et 9° s-s-r., 3 décembre 1986, n° 37449, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3954AME : RJF, 1987, n° 161 ; concl. P.-F. Racine, DF, 1987, n° 14, p. 449 ; comm. 719) que la notification de redressements adressée au seul associé d'une société civile immobilière interrompt la prescription à son égard, quant bien même la société n'a pas été elle-même destinataire d'une telle notification. Cette ligne prétorienne a été confirmée sur le terrain de la régularité de la procédure par une décision du 18 novembre 1991 (CE 7° et 9° s-s-r., 18 novembre 1991, n° 92600 et 92712, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9145AQR, RJF, 1992, n° 9, concl. O. Fouquet, RJF, 1992, p. 8), puis dans une affaire jugée le 14 février 2001 dans laquelle il a été admis que l'administration adresse directement à un associé une proposition de rectification correspondant à sa quote-part des bénéfices sociaux rehaussés, sans notification préalable à la société (CE, 9° et 10° s-s-r., 14 février 2001, n° 194083, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8862AQB : RJF, 5/01, n° 623).
A l'instar d'E. Cortot-Boucher dans ses conclusions à propos d'une décision du 20 juin 2012 (CE 3° et 8° s-s-r., 20 juin 2012, n° 341362, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5165IPY : RJF, 10/12, n° 920), il n'existe guère de raisons de remettre en cause cette règle, et ce, même si certains commentateurs autorisés ont qualifié la jurisprudence du 18 novembre 1991 de "périmée" (1). Dès lors que l'associé d'une société de personnes demeure in fine l'unique redevable de l'impôt, il ne semble pas opportun d'interdire à l'administration de conduire directement avec ce dernier la procédure de redressement. La cour n'a donc pas commis d'erreur de droit en statuant comme elle l'a fait.
Le dernier moyen du pourvoi paraît, en revanche, susceptible de prospérer. Il est reproché à la cour d'avoir insuffisamment motivé son arrêt et méconnu les dispositions combinées des articles 8 (N° Lexbase : L2685HNR) et 238 bis K (N° Lexbase : L4886HLK) du CGI, en jugeant que la décision de gestion prise par la SCI de comptabiliser des dépenses d'agencement et d'aménagement en immobilisations corporelles était opposable tant à elle qu'à ses associés, alors que la quote-part des résultats de la SCI revenant au requérant relevait des règles applicables aux revenus fonciers, et que celles-ci excluent le recours à la notion de décision de gestion opposable.
En application des dispositions de l'article 238 bis K du CGI, lorsqu'une société de personnes comprend à la fois des associés personnes physiques imposables au titre des revenus fonciers, et des associés dont la quote-part de résultats doit être déterminée selon les règles applicables en matière de BIC ou d'IS, elle doit procéder à une double détermination de son résultat. Tel est notamment le cas lorsque la société est une société civile de location d'immeubles dont l'activité relève des revenus fonciers, mais qu'elle comprend parmi ses membres des personnes morales soumises à l'impôt sur les sociétés.
Au cas d'espèce, il n'est pas contesté que la SCI a satisfait à ces obligations en tenant les deux comptabilités requises : elle a ainsi inscrit en compte d'immobilisations, dans le cadre de la comptabilité commerciale, le coût des travaux d'agencement et d'aménagement réalisés en 2002, devant faire l'objet d'amortissements déductibles chez l'associée soumise à l'IS. Dans un premier temps, l'administration a estimé que les sommes concernées ne correspondaient pas à des travaux de réparation ou d'entretien déductibles du résultat imposable de la SCI. Dans un second temps, elle s'est fondée sur la circonstance que la SCI a comptabilisé au titre de l'exercice 2002, ces travaux en immobilisations corporelles. L'administration fiscale a considéré qu'il s'agissait d'une décision de gestion opposable au requérant, de sorte qu'il n'était pas en droit de déduire de ses revenus fonciers une quote-part de ces dépenses.
Le tribunal administratif, puis la cour administrative d'appel, ont repris à leur compte ce raisonnement et jugé que la SCI avait ainsi pris une décision de gestion opposable à l'ensemble de ses associés, quelque soit leur catégorie d'imposition. Mais outre le fait que la décision d'inscrire des dépenses en charges ou en immobilisation est en principe régie par le droit comptable et n'est, sauf exceptions très rares, pas susceptible de faire l'objet d'une décision de gestion de la part du contribuable, la seule référence à l'écriture ainsi portée dans la comptabilité commerciale de la SCI ne pouvait emporter d'effet sur le caractère déductible ou non, au sens de l'article 31 du CGI (N° Lexbase : L3907IAX), des travaux en cause dans le cadre de la détermination des revenus fonciers de l'associé personne physique. En se fondant sur les règles applicables à un autre associé relevant d'un régime fiscal différent, la cour a méconnu la portée des dispositions de l'article 238 bis K du CGI. Le requérant est donc fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il statue sur les charges déductibles des revenus fonciers de l'année 2002.
(1) V. Daumas, Obligations de notification de l'administration en cas de rehaussement des résultats d'une société de personnes : certitudes et interrogations, DF, 2001, p. 123).
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