La lettre juridique n°579 du 17 juillet 2014 : Avocats/Publicité

[Jurisprudence] Sollicitation personnalisée et publicité personnelle de l'avocat : vive la liberté, vite des règles !

Réf. : CA Versailles, 14 mai 2014, n° 13/04017 (N° Lexbase : A0487MLM)

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par Hervé Haxaire, Ancien Bâtonnier, Avocat à la cour d'appel, Président de l'Ecole régionale des avocats du Grand Est (ERAGE)

le 17 Juillet 2014

La nature a horreur du vide. La réglementation de la profession d'avocat aussi. En témoigne l'arrêt rendu par la cour d'appel de Versailles le 14 mai 2014 qui sacralise le démarchage dans la profession d'avocat comme une vertu du libéralisme européen tel qu'énoncé par la Directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur (N° Lexbase : L8989HT4), dans son article 24 paragraphe 1 :
"Article 24
Communications commerciales des professions réglementées
1. Les Etats membres suppriment toutes les interdictions totales visant les communications commerciales des professions réglementées
". La cour d'appel de Versailles a jugé que n'emportait pas un trouble manifestement illicite l'opération de démarchage et de publicité mise en oeuvre, via un site internet, par une société commerciale faisant appel exclusivement à des avocats pour défendre les intérêts d'une clientèle d'automobilistes ayant commis des infractions au Code de la route.

Un cabinet d'avocats a introduit une action en concurrence déloyale à l'encontre de cette société commerciale, demandant la fermeture du site internet dans un délai de 8 jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard.

L'action du cabinet d'avocats a été jugée recevable, celui-ci ne prétendant pas agir pour la défense générale de la profession d'avocat, mais arguant de pratiques trompeuses et de démarchage illicite constitutifs de concurrence déloyale, et se prévalant d'une atteinte particulière à ses conditions personnelles d'exercice, dans le domaine spécifique du droit routier et des infractions s'y rapportant, ce qui suffisait à caractériser ses intérêt et qualité nécessaires à la recevabilité de son action, la circonstance qu'elle ne bénéficie pas d'un monopole dans ce domaine et que celui-ci ne constitue pas une spécialité répertoriée de la profession d'avocat étant parfaitement indifférente.

La cour de Versailles a relevé que les pages auxquelles il était renvoyé par divers clics fournissaient des informations d'ordre général, même si elles étaient relativement détaillées, sur la nature des infractions routières, leurs sanctions, les actions à entreprendre et l'objectif à atteindre, sans aucune indication se rapportant à la garantie d'un résultat précis.

Mais, en outre et surtout, la cour d'appel a jugé que, si l'existence, l'objet et la présentation du site en cause pouvaient effectivement s'analyser comme une opération de démarchage et de publicité antérieurement prohibée au sens de la loi du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ), à la date des constats dressés par huissiers sur demande du cabinet d'avocats demandeur, l'article 24, paragraphe 1, de la Directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 faisait déjà obstacle à ce qu'une réglementation nationale interdise totalement aux membres d'une profession réglementée d'effectuer des actes de démarchage.

De plus, la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 (N° Lexbase : L7504IZX) par son article 13, a complété l'article 3 bis de la loi du 31 décembre 1971, qui dispose désormais que dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, l'avocat est autorisé à recourir à la publicité ainsi qu'à la sollicitation personnalisée et que toute prestation réalisée à la suite d'une sollicitation personnalisée fait l'objet d'une convention d'honoraires.

Dès lors, le cabinet d'avocats ne démontrait pas l'existence actuelle d'un trouble manifestement illicite résultant par principe de ce seul démarchage.

Nous regrettons que les débats qui ont donné lieu à cet arrêt de la cour d'appel de Versailles n'aient pas été d'une plus grande qualité, ce qui peut expliquer des motifs critiquables et une solution qui, si elle avait valeur de principe, ce qui n'est heureusement pas le cas, serait grandement dommageable pour la profession d'avocat.

Un cabinet d'avocats estimant qu'il était victime de concurrence déloyale avait-il intérêt et qualité à agir à l'encontre d'une société commerciale, au motif que cette société, a priori non composée d'avocats mais renvoyant sur son site internet à un cabinet d'avocats, lui faisait concurrence en violation des règles de la profession d'avocat sur le démarchage ?

Il est permis de penser qu'un Ordre d'avocats aurait pu justifier de cet intérêt et de cette qualité à agir de façon plus certaine, et surtout, que les moyens de droit avancés auraient été plus pertinents.

La profession d'avocat, comme celles de détective, de buraliste, de puéricultrice, de diététicien, d'éducateur sportif est une profession réglementée ; comme celle d'expert-comptable, d'ailleurs.

Rappelons que, contrairement à une idée reçue, bien que soumises à une réglementation importante, ne sont pas, par exemple, des professions réglementées les professions de coiffeur, chauffeur de taxi, maréchal-ferrant, ramoneur ou débitant de boissons.

Précisons que les professions d'astrologue, de voyant, de marabout, de sorcier, de consultant feng shui et de sourcier ne sont pas réglementées. La répression des fraudes (DGCCRF) chargée de faire appliquer les réglementations ne peut souvent pas mettre à l'amende ces professionnels. Mais le droit pénal protège les personnes vulnérables (abus de faiblesse) et combat le banditisme (escroquerie en droit pénal français).

En ce qui concerne la profession d'avocat, l'article 3 de la loi du 31 décembre 1971, modifié par la loi du 31 décembre 1990 dispose :

"Les avocats sont des auxiliaires de justice.

Ils prêtent serment en ces termes : 'Je jure, comme avocat, d'exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité' [...]".

La Directive européenne du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur, visée par la cour d'appel de Versailles dans son arrêt, a apporté un vent de fraîcheur dans ce texte jugé, par certains, désuet.

Encore que, les Etats membres ont supprimé "toutes les interdictions totales visant les communications commerciales des professions réglementées". A contrario, ne sont pas visées les interdictions partielles.

Au visa de l'article 24, paragraphe 1er, de cette Directive, par arrêt en date 5 avril 2011, la CJUE avait considéré qu'une réglementation nationale ne pouvait interdire totalement aux experts comptables d'effectuer des actes de démarchage (CJUE, 5 avril 2011, aff. C-119/09 N° Lexbase : A4134HM3).

Le motif décisoire de la CJUE était, très naturellement, la référence à une "interdiction totale" des communications commerciales des professions réglementées.

Ce qui nous conduit à dire que de nombreux commentateurs de cet arrêt selon lesquels il sonnait le glas de l'interdiction du démarchage dans la profession d'avocat allaient un peu vite dans leurs conclusions.

L'article 13 de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, relative à la consommation introduit dans notre droit la règle posée par la Directive de 2006.

Il dispose :

"L'article 3 bis de la loi du n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

Dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, l'avocat est autorisé à recourir à la publicité ainsi qu'à la sollicitation personnalisée.

Toute prestation réalisée à la suite d'une sollicitation personnalisée fait l'objet s'une convention d'honoraires".

L'interdiction totale visant les communications commerciales des professions commerciales réglementées, en l'occurrence celle d'avocat, est donc levée. La publicité personnelle de l'avocat (laquelle était déjà autorisée, bien que réglementée) et la sollicitation personnalisée sont autorisées... mais dans les conditions fixées par un décret en Conseil d'Etat.

A notre connaissance, le CNB (Conseil national des barreaux) et la Chancellerie se concertent sur les termes d'un décret en préparation qui, à ce jour, n'a pas encore été publié.

Gageons que ce décret à venir, où bien il n'aurait aucun intérêt, encadrera la publicité personnelle de l'avocat et la sollicitation personnalisée.

La nature a horreur du vide. Mais sommes-nous à ce jour, dans l'attente du décret en Conseil d'Etat, totalement dans le "vide" à l'égard de la publicité et de la sollicitation personnalisée?

Un Ordre d'avocat aurait pu utilement faire valoir devant la cour d'appel de Versailles, non pas que les intérêts particuliers d'un cabinet d'avocats étaient en cause, mais bien l'intérêt général de la profession d'avocat.

En rappelant, notamment, certains principes et certaines règles qui ne sont remis en cause ni par la Directive de 2006, ni par la loi du 17 mars 2014.

1 - Le serment de l'avocat fait peser sur lui des obligations : "Je jure, comme avocat, d'exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité".

Toute publicité et toute sollicitation personnalisée doit être examinée à l'aune des termes de ce serment.

2 - L'article 1er du RIN (Règlement intérieur national N° Lexbase : L4063IP8) énonce les principes essentiels de la profession :

"Les principes essentiels de la profession guident le comportement de l'avocat en toutes circonstances.

L'avocat exerce ses fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité, dans le respect des termes de son serment.

Il respecte en outre, dans cet exercice, les principes d'honneur, de loyauté, de désintéressement, de confraternité, de délicatesse, de modération et de courtoisie.

Il fait preuve, à l'égard de ses clients, de compétence, de dévouement, de diligence et de prudence".

3 - L'article 10 du RIN relatif à la publicité de l'avocat devra certes être modifié, c'est une évidence, notamment en ce qu'il prohibe tout acte de démarchage et toute offre personnalisée, dispositions devenues contraires à la loi du 17 mars 2014.

Mais certaines des disposions de l'article 10.2 du RIN sont-elles contraires à la loi nouvelle ?

Rappelons les :

"Quelle que soit la forme de publicité utilisée, sont prohibées :

- toute publicité mensongère ou contenant des renseignements inexacts ou fallacieux ;

- toutes mentions laudatives ou comparatives ;

- toutes mentions susceptibles de créer l'apparence d'une qualification professionnelle non reconnue ;

- toutes mentions susceptibles de créer dans l'esprit du public l'apparence d'une structure d'exercice inexistante ;

- toutes références à des fonctions ou activités sans lien avec l'exercice de la profession d'avocat ;

- toutes mentions susceptibles de porter atteinte au secret professionnel ;

- toutes indications contraires à la loi".

4 - L'article 15.1 du RIN n'est pas concerné par les dispositions de la loi du 17 mars 1014. Il dispose :

"Il est interdit à l'avocat de partager un honoraire quelle qu'en soit la forme avec des personnes physiques ou morales qui ne sont pas avocats".

Outre la prohibition du partage d'honoraires avec des personnes non avocats, rappelons la prohibition de la rémunération des apporteurs d'affaires, les règles relatives à la fixation des honoraires de l'avocat qui font obstacle à ce que sa rémunération soit fixée forfaitairement par un intermédiaire et les principes essentiels de la profession rappelés ci-dessus.

5 - La réglementation de l'exercice du droit fait obstacle à ce que des personnes physiques ou morales non autorisées donnent des conseils juridiques ou rédigent des actes sous seing privé, a fortiori assistent ou représentent des justiciables devant des juridictions.

Notre propos n'est pas de rappeler ces règles dans le détail.

Mais assurément, une entreprise commerciale n'a pas vocation à adresser au public des offres de services juridiques ou de défense, quand bien même elle ferait référence via son site internet à des "avocats correspondants" dont les conditions d'intervention et de rémunérations demeurent inconnues si ces derniers n'ont pas, comme ils en ont l'obligation déontologique, informé préalablement leur Ordre de la publicité personnelle qu'ils font, et s'ils n'ont pas communiqué à leur Ordre les conventions passées avec des tiers.

La publicité personnelle de l'avocat est sans doute devenue, aujourd'hui, une impérieuse nécessité dans un environnement concurrentiel de plus en plus rude, que cette concurrence soit le fait de membres de la profession, ou à plus forte raison, qu'elle émane de personnes extérieures à la profession.

Sans doute l'avocat doit-il se faire connaître et faire connaître ce qu'il fait.

Le décret en Conseil d'Etat annoncé par la loi du 17 mars 2014 fixera les conditions du recours de l'avocat à la publicité et à la sollicitation personnalisée.

Souhaitons que ce texte préserve les principes essentiels de la profession, tous les principes essentiels.

Souhaitons que ce texte soit publié rapidement.

Décision

CA Versailles, 14 mai 2014, n° 13/04017 (N° Lexbase : A0487MLM)

Liens base : (N° Lexbase : E9500ETZ) et (N° Lexbase : E6368ETZ)

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