Réf. : CE 1° et 6° s-s-r., 14 mai 2014, n° 359847, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3771MLA)
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N2567BUM
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par Olivier Savignat, Avocat au barreau de Paris
le 12 Juin 2014
Il vise d'abord les articles R. 421-27 (N° Lexbase : L7475HZU) et R. 421-28 (N° Lexbase : L7476HZW) du Code de l'urbanisme qui définissent le champ d'application matériel et territorial du permis de démolir.
Quant au champ d'application territorial, l'article R. 421-27 vise la démolition "d'une construction située dans une commune ou une partie de commune où le conseil municipal a décidé d'instituer le permis de démolir".
L'article R. 421-28 vise la démolition d'une construction dans un secteur ou sur des immeubles bénéficiant d'une protection particulière : construction dans un secteur sauvegardé ou dans un périmètre de restauration immobilière, dans une zone inscrite au titre des monuments historiques ou adossée à un immeuble classé, située dans le champ de visibilité d'un monument historique ou dans une zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP), située dans un site inscrit ou classé, ou en tout ou partie identifiée dans un périmètre délimité par un PLU, ou par délibération du conseil municipal dans une commune non dotée d'un PLU ou d'un document d'urbanisme en tenant lieu.
Quant au champ matériel, il s'agit, au sens des deux articles précités, des "travaux ayant pour objet de démolir ou de rendre inutilisable tout ou partie d'une construction".
Le Conseil d'Etat rappelle ensuite les termes des articles R. 431-21 (N° Lexbase : L7631HZN) et L. 451-1 (N° Lexbase : L3493HZE) du Code de l'urbanisme. Ces dispositions issues également de la réforme de 2005 ont eu pour objet de simplifier la procédure de délivrance des permis de construire lorsque le projet de construction autorisé impliquait la délivrance d'un permis de démolir.
Antérieurement et lorsqu'un permis de démolir était nécessaire (et n'avait pas été obtenu au préalable), la demande de permis de construire devait nécessairement comprendre la justification du dépôt de la demande de permis de démolir (C. urb., art. R. 421-3-4 abrogé). Les deux autorisations faisaient l'objet d'instructions distinctes et aboutissaient à la délivrance de deux autorisations.
L'article L. 451-1 du Code de l'urbanisme prévoit désormais que la demande de permis de construire peut porter, à la fois, sur la demande de démolition et de construction, le permis de construire délivré valant alors permis de démolir.
L'article R. 431-21 du Code de l'urbanisme en tire les conséquences nécessaires dans le cadre de l'instruction d'une demande de permis de construire en prévoyant deux hypothèses : la première, classique, dans laquelle lorsqu'un permis de démolir a été sollicité, celui-ci doit être joint à la demande de permis de construire ; la seconde, issue de l'ordonnance de 2005, relative au dépôt d'une demande formée à la fois au titre du permis de démolir et de construire.
II - C'est dans ce cadre que s'inscrit la décision rapportée. En l'espèce, une société avait tacitement obtenu un permis de construire pour l'extension et la surélévation d'une maison d'habitation. Annulant le jugement du tribunal administratif de Poitiers (1) ayant rejeté la requête de tiers contre ledit permis, la cour administrative d'appel de Bordeaux (2) avait infirmé la décision contestée au motif que la demande de permis de construire qui impliquait des démolitions soumises à permis de démolir ne portait pas également sur une demande relative à cette autorisation.
Le Conseil d'Etat va confirmer l'analyse du juge du fond et rejeter les moyens de cassation tirés, notamment, de l'erreur de qualification juridique des faits et d'erreur de droit qu'aurait commises la cour administrative d'appel.
Le contrôle de la qualification juridique des faits portait sur le point de savoir si la cour administrative d'appel n'avait pas commis d'erreur en jugeant que l'ampleur des démolitions qui s'inférait de l'analyse du projet autorisé justifiait qu'elles soient préalablement autorisées, au sens du Code de l'urbanisme.
Le contrôle de la qualification juridique des faits est le point central du contentieux du permis du démolir : il s'agit d'apprécier si les démolitions qu'implique un projet commandent qu'ils fassent l'objet d'une autorisation préalable au regard des dispositions légales et réglementaires définissant le champ d'application territorial et matériel du permis de démolir.
Ainsi qu'il a été vu et comme le rappelle le Conseil d'Etat dans la décision commentée, il ressort des articles R. 421-27 et R. 421-28 du Code de l'urbanisme que doivent être précédés d'un permis de démolir des "travaux ayant pour objet de démolir ou de rendre inutilisable tout ou partie d'une construction".
Si dans l'hypothèse d'une démolition totale, la solution s'impose, l'appréciation est plus délicate dans l'hypothèse d'une démolition seulement partielle et/ou de démolitions rendant la construction partiellement inutilisable.
Les juridictions administratives ont eu à maintes reprises l'occasion de définir la notion de démolition pour l'essentiel sous l'égide du droit antérieur à l'ordonnance de 2005 et donc selon un champ d'application matériel quelque peu différent (3). Ainsi, le Conseil d'Etat a jugé qu'une surélévation de toiture qui nécessite une modification de charpente n'a pas porté atteinte au gros oeuvre "en impliquant la démolition partielle de la construction existante" (4). Il en va de même, dans le cadre d'un projet de travaux, de la démolition d'une construction de 14 m² d'emprise au sol en tôle "eu égard à l'absence d'atteinte substantielle au gros oeuvre existant" (5). A l'inverse, des travaux impliquant "la destruction d'une partie de la toiture et des murs de cette habitation" doivent faire l'objet d'un permis de démolir (6). L'appréciation des tribunaux continue d'obéir aux mêmes principes et de faire de l'atteinte au gros oeuvre, d'une part, de l'ampleur de cette atteinte, d'autre part, les éléments d'appréciation principaux de la notion de démolition (7).
Conformément à la jurisprudence et aux dispositions réglementaires susvisées, le Conseil d'Etat juge qu'en l'espèce et dès lors que les travaux autorisés, situés dans une ZPPAUP, "impliquaient", ainsi que l'a retenu la cour administrative d'appel dans le cadre de son pouvoir souverain d'appréciation, une atteinte importante au gros-oeuvre (démolition de la charpente, de la toiture et de plusieurs façades), les juges du fond n'ont pas inexactement qualifié les faits en jugeant que "ces travaux devaient être précédés d'un permis de démolir" au sens desdits articles.
La solution retenue n'étonnera guère.
Il est, toutefois, intéressant de constater que le Conseil d'Etat qualifie pour la première fois le contrôle qu'il exerce sur la notion de démolition, lequel porte donc sur la qualification juridique de l'opération en cause, les juges du fond conservant leur pouvoir souverain d'appréciation sur les faits (sous réserve de leur dénaturation).
Le contrôle sur l'erreur de droit portait sur le point de savoir si les juges du fond avaient commis une telle erreur en refusant d'admettre que la demande de permis de construire avait également pu porter sur les démolitions, au sens des articles L. 451-1 et R. 431-21 du Code de l'urbanisme.
Ce contrôle résulte de la nouvelle procédure intégrée des articles R. 431-21 et L. 451-1 du Code de l'urbanisme puisque la question de l'objet de la demande de permis ne pouvait se poser dans le régime antérieur, dès lors que pouvait, alors, seulement être constaté la présence ou l'absence d'un permis de démolir préalable au permis de construire ou de la justification du dépôt d'une demande de permis de démolir dans le cadre du dossier de permis de construire.
La cour administrative d'appel de Bordeaux a récemment eu à connaître de cette question pour considérer, à l'inverse de l'espèce, que la demande d'autorisation portait à la fois sur une demande de construction et de démolition (8) et était donc légale.
Dans la décision commentée, le Conseil d'Etat confirme l'appréciation de la cour administrative d'appel en constatant que la société "avait elle-même précisé, dans le dossier de permis de construire, que le projet n'impliquait aucune démolition".
La solution est là également logique et s'imposait, eu égard à la mention explicite de l'absence de démolition dans le cadre de la demande. On pourrait, toutefois, envisager des hypothèses moins claires quant à l'objet de la demande du pétitionnaire nécessitant une analyse plus poussée des intentions de ce dernier et de l'objet réel de sa demande.
(1) TA Poitiers, 4 novembre 2010, n° 0900931 (N° Lexbase : A7920II8).
(2) CAA Bordeaux, 1ère ch., 9 mars 2012, n°10BX03188 (N° Lexbase : A6494IID).
(3) Car alors limité à la démolition des seuls "bâtiments" rendant l'utilisation des locaux impossible ou dangereuse (C. urb., art. L.430-2 abrogé).
(4) CE 3° et 8° s-s-r., 4 février 2004, n° 254223, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A2591DBL).
(5) CAA Marseille, 1ère ch., 22 décembre 2003, n° 99MA02078 (N° Lexbase : A3094MQN).
(6) CE 10° s-s., 6 janvier 1995, n° 120266, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A1955ANQ).
(7) CAA Nantes, 5ème ch., 25 octobre 2013, n° 11NT02080 (N° Lexbase : A8246MLY).
(8) CAA Bordeaux, 5ème ch., 14 janvier 2014, n° 12BX00698 (N° Lexbase : A3063MP7).
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