Lexbase Affaires n°385 du 12 juin 2014 : Entreprises en difficulté

[Chronique] Chronique de droit des entreprises en difficulté - Juin 2014

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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises et Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l'Université de Nice-Sophia-Antipolis, Membre du CERDP

le 12 Juin 2014

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises, et Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l'Université de Nice-Sophia-Antipolis, membre du CERDP (EA 1201), retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de procédures collectives. Au sommaire de cette chronique, tout d'abord, un arrêt rendu le 13 mai 2014 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, commenté par Emmanuelle Le Corre-Broly dans lequel la Haute juridiction énonce clairement que, pour constituer un véritable courrier de contestation de créance -et donc faire courir le délai de 30 jours de l'article L. 622-27-, le courrier du mandataire doit contenir une discussion qui, si elle porte sur le montant de la créance, ne concerne que celui existant au jour de l'ouverture de la procédure collective (Cass. com., 13 mai 2014, n° 13-14.357, F-P+B). Le Professeur Pierre-Michel Le Corre revient, quant à lui, sur un arrêt de toute première importance, rendu le 27mai 2014, par la Chambre commerciale de la Cour de cassation qui énonce qu'"en application de l'article 215 du décret du 31 juillet 1992, devenu l'article R. 511-7 du Code des procédures d'exécution, sauf le cas où la mesure est pratiquée avec un titre exécutoire, le créancier qui a été autorisé à pratiquer des conservatoires contre une caution personnelle, personne physique, doit, dans le mois qui suit l'exécution de la mesure, à peine de caducité, introduire une procédure ou accomplir les formalités nécessaires à l'obtention d'un titre exécutoire, même si le débiteur principal bénéficie d'un plan de sauvegarde ; que, dans ce cas, l'exécution du titre exécutoire ainsi obtenu est suspendue pendant la durée du plan jusqu'à sa résolution" (Cass. com., 27 mai 2014, n° 13-18.018, F-P+B).

Le contentieux de la contestation de créances est sans doute, pour l'instant, l'un des plus volumineux du droit des entreprises en difficulté. A l'avenir, tel pourrait ne plus être le cas si la pratique tire les enseignements d'un arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 13 mai 2014, portant sur la notion de contestation de créances.

En l'espèce, un factor avait déclaré une créance au titre d'un encours de factures non réglées au jour du jugement d'ouverture du débiteur adhérent à la convention d'affacturage. Quelques mois plus tard, le liquidateur avait demandé au factor de lui adresser une déclaration de créance rectificative tenant compte des encaissements réalisés. Ce courrier faisait référence à l'article L. 622-27 (N° Lexbase : L3747HBE), aux termes duquel "le défaut de réponse dans le délai de 30 jours [au courrier de contestation de créances] interdit toute contestation ultérieure de la proposition du mandataire judiciaire", et précisait qu'à défaut de réponse du créancier, le liquidateur considèrerait la créance comme éteinte et en proposerait le rejet total au juge-commissaire. Le factor n'ayant pas répondu à ce courrier dans le délai de 30 jours de l'article L. 622-27, le liquidateur considérait que ce créancier ne pouvait donc plus contester la proposition du mandataire judiciaire. Ce sentiment n'était pas partagé par la cour d'appel qui avait jugé que le courrier adressé par le liquidateur n'avait pas fait courir ce délai de 30 jours car il ne contenait pas une véritable discussion de créances (CA Rennes, 18 décembre 2012, n° 11/02946 N° Lexbase : A4697IZY). Le pourvoi du liquidateur dirigé à l'encontre de l'arrêt d'appel est rejeté par les Hauts magistrats.

Dans l'arrêt rapporté, la Chambre commerciale énonce clairement que, pour constituer un véritable courrier de contestation de créance -et donc faire courir le délai de 30 jours de l'article L. 622-27-, le courrier du mandataire doit contenir une discussion (I) qui, si elle porte sur le montant de la créance, ne concerne que celui existant au jour de l'ouverture de la procédure collective (II).

I - Exigence d'une véritable discussion...

Aux termes des dispositions de l'article L. 622-27 du Code de commerce, "s'il y a discussion sur tout ou partie d'une créance [...], le mandataire judiciaire en avise le créancier intéressé en l'invitant à faire connaître ses explications". En l'absence de réponse du créancier à ce courrier dit de "contestation de créance" dans le délai de 30 jours, le créancier sera privé de la possibilité d'interjeter appel à l'encontre de la décision du juge-commissaire si celle-ci confirme la proposition du mandataire judiciaire. Cette sanction procédurale atteignant le créancier n'ayant pas répondu au courrier de contestation ne peut cependant venir le frapper que si le délai de 30 jours a effectivement commencé à courir, c'est-à-dire si le courrier du mandataire contient une véritable discussion, appelée en pratique "contestation" de la créance.

Tel sera le cas si le courrier contient une discussion s'élevant sur le principe, le montant au jour de l'ouverture de la procédure ou la nature privilégiée de la créance (par exemple, le débiteur prétend avoir réglé tout ou partie de la créance avant l'ouverture de la procédure ou la déclaration est faite à titre privilégié alors que l'inscription de la sûreté est périmée). Il y aura là une véritable contestation de créance de la part du mandataire.

En revanche, il n'y aura pas de véritable discussion de la créance -et donc le délai de 30 jours de l'article L. 622-27 ne courra pas- si le courrier du mandataire ne fait état que d'une irrégularité formelle (1). Ce n'est en effet alors pas la créance qui est contestable mais la régularité de la déclaration de cette créance (2), ce qui est différent. Tel sera le cas en l'absence de production de documents justificatifs (3). Dans ces hypothèses, la véritable contestation de créance doit laisser place à une simple demande d'éléments complémentaires de la part du mandataire de justice. Le défaut de réponse par le créancier dans le délai de 30 jours ne le privera pas de la possibilité d'interjeter appel contre la décision du juge-commissaire confirmant la proposition du mandataire. Le créancier pourra alors produire ces éléments justificatifs jusque devant la cour d'appel.

Ces solutions, qui s'évincent de l'analyse de la jurisprudence foisonnante rendue en la matière, sont aujourd'hui confirmées par la nouvelle rédaction de l'article L. 622-27, issue de l'ordonnance du 12 mars 2014 (ordonnance n° 2014-326 N° Lexbase : L7194IZH). Ce texte prévoit en effet désormais que si la discussion porte sur la régularité de la déclaration de créance, cela ne prive pas le créancier de la possibilité de faire appel malgré son absence de réponse au courrier reçu du mandataire. Ce texte n'a donc qu'une portée interprétative.

La contestation, si elle concerne le montant de la créance, ne pourra, en outre, porter que sur le montant de la créance existant au jour de l'ouverture de la procédure.

II - ... portant sur le montant dû au jour de l'ouverture de la procédure

Aux termes des dispositions de l'article L. 622-25 du Code de commerce (N° Lexbase : L3745HBC), " la déclaration porte le montant de la créance due au jour du jugement d'ouverture" (al. 1er). Le passif admis doit ainsi représenter une photographie du passif au jour de l'ouverture de la procédure. Le juge-commissaire devra donc admettre la créance pour le montant existant à cette date (4). En conséquence, le factor doit déclarer sa créance au titre de l'encours de factures non réglées pour le montant dû au jour de l'ouverture de la procédure. Il n'a donc pas à formuler de déclaration rectificative prenant en considération les encaissements ultérieurs. Ainsi, dans l'espèce rapportée, le liquidateur était mal fondé à solliciter, dans un courrier dit de "contestation de créance", la fourniture d'une déclaration de créance rectificative tenant compte des encaissements réalisés postérieurement au jugement d'ouverture. Puisque cette pseudo contestation ne portait pas sur le montant existant au jour du jugement d'ouverture, il ne s'agissait pas là d'une véritable discussion de la créance au sens de l'article L. 622-27 du Code de commerce. Cela conduit la Chambre commerciale à juger, au visa de cet article, "que la contestation du montant de la créance à admettre ne peut porter que sur celui existant au jour de l'ouverture de la procédure collective ; que la cour d'appel, sans se contredire, en a exactement déduit que la lettre du 12 novembre 2009, qui se bornait à solliciter une déclaration de créance rectificative tenant compte des encaissements réalisés, ne discutait pas la créance au sens des textes précités".

La leçon doit être parfaitement entendue tant du côté du créancier que de celui du mandataire.

Le premier, qu'il soit cessionnaire Dailly, escompteur de lettre de change, affactureur ou encore créancier garanti par une caution qui aura payé après l'ouverture de la procédure du débiteur principal, devra se garder de retrancher du montant de sa déclaration les sommes qu'il aurait perçues après jugement d'ouverture de la part d'autres que le débiteur.

Le second devra, pour sa part, se garder de "contester" une créance au seul motif que des sommes auraient été réglées postérieurement au jugement d'ouverture. En tout cas, un tel courrier ne saurait constituer une véritable contestation de créance et ne serait donc pas à même de faire courir le délai de 30 jours de l'article L. 622-27. Bien évidemment, lorsque sonnera l'heure du règlement des dividendes du plan ou des répartitions, les paiements obtenus par le créancier après jugement d'ouverture devront être pris en considération (5). La décision d'admission que rendra le juge-commissaire n'aura, en effet, autorité de chose jugée que quant au montant au jour du jugement d'ouverture (6).

Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences HDR à l'Université de Nice Sophia-Antipolis, Membre du CERDP (EA 1201)

  • Adoption d'un plan de sauvegarde, mesure conservatoire et prise du titre exécutoire : la simplification bienvenue ! (Cass. com., 27 mai 2014, n° 13-18.018, F-P+B N° Lexbase : A6237MPP)

Depuis la loi du 10 juin 1994 (loi n° 94-475 N° Lexbase : L9127AG7), les créanciers d'un débiteur en redressement judiciaire encourent une suspension de leurs actions contre les cautions personnes physiques, jusqu'à la fin de la période d'observation, mais conservent le droit de pratiquer des mesures conservatoires.

Les législations successives ont conservé le dispositif, en l'étendant aux autres garants personnes physiques et à la procédure de sauvegarde. Alors que les garants personnes physiques ne bénéficient pas des dispositions du plan de redressement, en revanche, ils bénéficient des dispositions du plan de sauvegarde. Cela signifie qu'ils peuvent se prévaloir des remises, mais aussi des délais. Cette dernière possibilité fait naître un problème d'articulation entre les textes : comment coordonner le droit pour le créancier de rependre ses poursuites contre les garants personnes physiques sitôt le plan de sauvegarde adopté avec la règle selon laquelle les garants personnes physiques peuvent se prévaloir des délais du plan ?

Une autre difficulté se présente si l'assignation au fond permettant de valider la mesure conservatoire n'a pas été initiée avant le jugement d'ouverture de la sauvegarde ou du redressement judiciaire.

Ces deux difficultés sont au coeur d'un arrêt particulièrement important rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, appelé à la publication au Bulletin. On hésitera à y voir un revirement de jurisprudence, car les solutions antérieures n'étaient pas nécessairement très claires. Aussi faut-il plutôt l'analyser comme un arrêt dissipateur de zone d'ombres, et à ce titre de première importance pour les praticiens.

Un plan de sauvegarde est adopté au profit d'un débiteur, lorsqu'un banquier inscrit une hypothèque judiciaire sur l'immeuble appartenant à une caution personne physique. La banque assigne ensuite pour valider la mesure conservatoire et tente d'obtenir son titre exécutoire. La caution invoque alors l'impossibilité pour le créancier d'obtenir son titre exécutoire pendant l'exécution du plan de sauvegarde, au motif que la caution bénéficie des dispositions de ce plan et notamment des délais de paiement. La cour d'appel condamne néanmoins la caution et un pourvoi est formé, qui va être rejeté en ces termes par la Cour de cassation : "En application de l'article 215 du décret du 31 juillet 1992 (N° Lexbase : L9125AG3), devenu l'article R. 511-7 du Code des procédures d'exécution (N° Lexbase : L2542ITC), sauf le cas où la mesure est pratiquée avec un titre exécutoire, le créancier qui a été autorisé à pratiquer des conservatoires contre une caution personnelle, personne physique, doit, dans le mois qui suit l'exécution de la mesure, à peine de caducité, introduire une procédure ou accomplir les formalités nécessaires à l'obtention d'un titre exécutoire, même si le débiteur principal bénéficie d'un plan de sauvegarde ; que, dans ce cas, l'exécution du titre exécutoire ainsi obtenu est suspendue pendant la durée du plan jusqu'à sa résolution ; ayant retenu qu'en application du texte susvisé la banque avait l'obligation d'assigner au fond les cautions pour obtenir un titre exécutoire et que la mise en oeuvre de ce dernier était suspendue pendant la durée du plan jusqu'à sa résolution, la cour d'appel n'a pas encouru les griefs des premières et deuxième branches".

Commençons par la première difficulté, celle de la possibilité d'assigner au fond pendant l'exécution du plan de sauvegarde pour valider la mesure conservatoire. La complication surgit, en effet, si le créancier n'a pas encore assigné le garant au jour du jugement d'ouverture du débiteur principal. La prise de mesures conservatoires présuppose, en effet, qu'après la mesure conservatoire autorisée par le juge de l'exécution ou le président du tribunal de commerce, sauf pour le créancier à être en possession d'un titre, mais non exécutoire, le créancier assigne ou procède par voie d'injonction de payer, pour valider la mesure conservatoire, dans le mois qui suit l'exécution de la mesure (décret du 31 juillet 1992, art. 215, devenu C. proc. civ. exécution, art. R. 511-7). Comment coordonner la permission de pratiquer des mesures conservatoires avec la suspension des actions ? Autrement dit, est-il possible, après le jugement de sauvegarde ou de redressement du débiteur, d'assigner le garant pour valider la mesure conservatoire ? La suspension de l'action en paiement n'entraîne-t-elle pas, a fortiori, une interdiction de l'action ?

La deuxième chambre civile et la Chambre commerciale de la Cour de cassation sont divisées sur la réponse à apporter.

Pour la deuxième chambre civile, la prise de mesures conservatoires pendant la période d'observation n'est possible qu'autant que l'assignation en paiement a été initiée avant le jugement d'ouverture. A défaut, la mesure conservatoire est caduque, faute de pouvoir être validée par une assignation (7). Ainsi, selon cette analyse, la possibilité de prendre des mesures conservatoires pendant la période d'observation, à l'encontre d'une caution personnelle personne physique est-elle extrêmement limitée. Ce n'est, en effet, que si l'assignation au fond est antérieure au jugement d'ouverture et donc à la prise de la mesure conservatoire que cette dernière sera possible. Ce n'est assurément pas ce qu'avait voulu le législateur.

Pour la Chambre commerciale (8), "le créancier qui a été autorisé à pratiquer une mesure conservatoire contre une caution personne physique doit, dans le mois qui suit l'exécution de la mesure, à peine de caducité, introduire une procédure ou accomplir les formalités nécessaires à l'obtention d'un titre exécutoire, même si le débiteur principal a fait l'objet d'un redressement judiciaire ; que dans ce cas l'instance engagée est suspendue jusqu'au jugement arrêtant le plan ou prononçant la liquidation judiciaire du débiteur principal" (9). Cette solution, posée sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985 (loi n° 85-98 N° Lexbase : L4126BMR), doit être étendue à tous les garants personnes physiques, et vise non seulement le redressement, mais encore la sauvegarde.

La solution de la Chambre commerciale apparaît plus respectueuse de l'esprit, mais aussi de la lettre des textes. L'esprit des textes, autorisant le créancier à se prémunir contre l'insolvabilité du garant, justifie qu'il puisse pratiquer une mesure conservatoire et qu'aucun obstacle procédural ne doive s'élever contre sa prérogative. La lettre des textes est également respectée. Le texte ne vise pas une interdiction de l'action en paiement contre le garant, mais seulement une suspension, et ne distingue pas selon que l'assignation en paiement a été initiée avant ou est entamée après le jugement d'ouverture. Or la Chambre commerciale utilise explicitement le terme de suspension : l'action en paiement peut être entamée après le jugement d'ouverture, aux seules fins de valider la mesure conservatoire et, si tôt l'instance liée, celle-ci est suspendue. Certaines juridictions du fond avaient déjà posé la solution (10). D'autres se sont ensuite alignées sur la solution (11).

Ainsi, pendant la période d'observation, n'y a-t-il pas d'obstacle à assigner au fond pour valider la mesure conservatoire. A fortiori en sera-t-il ainsi lorsque le débiteur a obtenu un plan de sauvegarde, car il n'y a, en ce cas, aucune interdiction d'assigner au fond la caution. C'est la solution retenue par l'arrêt commenté.

La seconde difficulté est de savoir si le créancier peut obtenir son titre exécutoire pendant l'exécution du plan de sauvegarde. Sous réserve de la possibilité de pratiquer des mesures conservatoires, l'assignation au fond est suspendue, énonce l'article L. 622-28, alinéa 2, du Code de commerce (N° Lexbase : L3512IC3) pendant la période d'observation. La durée de cette suspension est donc précisée "jusqu'au jugement arrêtant le plan ou prononçant la liquidation judiciaire". D'une autre manière, il peut donc être affirmé que cette suspension dure pendant toute la période d'observation.

Le créancier ne pourra reprendre ou entamer l'instance contre la caution que sur justification du jugement arrêtant le plan de redressement, le plan de sauvegarde ou prononçant la liquidation judiciaire (décret du 27 décembre 1985, art. 70-1 N° Lexbase : L9117AGR, C. com., art. R. 622-26, al. 1er N° Lexbase : L1633IUZ -anciennement décret du 28 décembre 2005, art. 101, al. 1er N° Lexbase : L3297HET- en sauvegarde, C. com., art. R. 631-27 N° Lexbase : L1010HZG -anciennement décret du 28 décembre 2005, art. 195- en redressement judiciaire, C. com., art. R. 641-26, al. 1er N° Lexbase : L1634IU3 -anciennement décret du 28 décembre 2005, art. 237, al. 1er en liquidation judiciaire-). S'agissant des assignations en paiement des cautions, le créancier devra en conséquence produire au tribunal saisi de la demande en paiement copie de la décision mettant fin à la période d'observation. A défaut, sa demande est irrecevable (12). Mais il n'est rien exigé de plus. Il ne peut donc être demandé au créancier de notifier à la caution le jugement mettant fin à la période d'observation pour pouvoir reprendre ses poursuites (13).

Encore faut-il coordonner la règle de la suspension des poursuites pendant la période d'observation de la sauvegarde avec la possibilité pour la caution personne physique de bénéficier des dispositions du plan de sauvegarde. Il nous avait semblé qu'il fallait décider que le principe de possibilité de reprise des poursuites existait, mais que la condamnation de la caution ne pouvait intervenir qu'à hauteur des sommes devenues exigibles contre le débiteur au fur et à mesure de l'exécution du plan et, par voie accessoire, contre la caution. Cette solution posait problème, dans la mesure où elle interdisait de prendre le jugement de condamnation contre la caution, malgré la fin de la période d'observation, pour la totalité des sommes dues par le débiteur, puisque ces sommes n'étaient pas immédiatement exigibles, du fait des délais du plan de sauvegarde, dont bénéficiait la caution personne physique.

Cette vision des choses semblait avoir été partagée par la Cour de cassation (14). Selon elle, la cour d'appel violait les articles L. 622-28, L. 626-11 (N° Lexbase : L3459IC4) et R. 622-26 du Code de commerce, en rejetant, après adoption du plan de sauvegarde, la demande de condamnation de la caution, au prétexte que la créance n'était pas exigible contre elle, du fait des délais du plan, lequel était respecté. La coordination de ces trois textes conduisait en effet à décider que les instances et mesures d'exécution suspendues pendant la période d'observation (C. com., art. L. 622-28), étaient reprises après l'adoption du plan, mais selon les dispositions de ce plan (C. com., art. R. 622-26), dont bénéficiait le garant personne physique (C. com., art. L. 626-11).

Ne pouvait être suivie la solution d'une cour d'appel qui prononçait la condamnation de la caution, en suspendant seulement l'exécution du titre, tout en maintenant la validité des mesures conservatoires (15).

La poursuite du garant était donc possible ; elle n'était pas irrecevable. Mais elle devait être enfermée dans les contraintes du plan. Il fallait, semble-t-il, comprendre que le juge ne devait pas rejeter purement et simplement la demande de condamnation de la caution, présentée après l'adoption du plan. Il devait surseoir à statuer, jusqu'à ce que le dividende du plan devînt exigible contre le débiteur, et, par voie de conséquence, contre la caution. A l'exigibilité du dividende du plan, la condamnation du garant devenait possible, mais seulement à hauteur de la somme devenue exigible contre le débiteur, c'est-à-dire le dividende du plan, et, par voie de conséquence, à hauteur de cette même somme devenue identiquement exigible contre le garant. La condamnation ne pouvait donc être que partielle. Pour le surplus, c'est-à-dire pour les dividendes du plan non exigibles, le tribunal ne pouvait entrer en voie de condamnation contre le garant. Le tribunal devait ordonner un sursis à statuer partiel. A l'exigibilité d'un nouveau dividende, la condamnation du garant devenait possible, à due concurrence. Cette opinion avait toutefois été contestée (16).

Ainsi, l'exception dilatoire du garant personne physique, qui l'autorisait à payer au fur et à mesure de l'exigibilité des dividendes du plan, devait, elle, conduire le tribunal à n'entrer en voie de condamnation que partiellement et, pour le surplus non exigible, d'ordonner un sursis à statuer partiel.

Les juges du fond ne semblaient pas pouvoir ordonner le sursis à statuer pour l'administration d'une bonne justice, jusqu'au terme ou à la résolution du plan de sauvegarde, puisque cela aurait empêché toute condamnation contre la caution alors pourtant que certains dividendes non payés par le débiteur seraient devenus exigibles contre la caution. S'ils le faisaient, il nous semblait qu'il y avait là un excès de pouvoir. Mais, si ce dernier n'était pas invoqué, le pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel était irrecevable, en application de l'article 380-1 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2252H48) (17).

Le système ci-dessus décrit était horriblement compliqué et quasiment inapplicable, en pratique. Aussi, faut-il féliciter la Cour de cassation d'avoir choisi une autre voie : celle de la suspension du titre exécutoire pendant la durée du plan. Le créancier pourra donc, nonobstant l'adoption d'un plan de sauvegarde, obtenir la condamnation de la caution pour le tout, mais le titre exécutoire obtenu ne pourra être exécuté pendant la durée du plan. Il pourra à nouveau être exécuté après résolution du plan. On remarquera que la formule employée n'autorisera pas le créancier à exécuter son titre en cas d'inexécution du plan : tant que dure le plan, l'exécution du titre est suspendu. Le créancier devra donc d'abord agir en résolution du plan, soit sur le fondement de l'inexécution, en s'exposant, en ce cas, à un rejet de sa demande car la résolution est facultative, soit sur le fondement de l'état de cessation des paiements, la résolution étant alors obligatoire, mais la preuve étant ici plus difficile à rapporter.

Il faut toutefois observer que cette solution incontestablement simple mérite une nuance. En effet, si le garant personne physique bénéficie des dispositions et notamment des délais du plan, cela n'interdit pas de lui demander paiement au fur et à mesure que les dividendes du plan deviennent exigibles contre le débiteur. Aussi, si ce dernier n'exécute pas correctement le plan, en ne payant pas les dividendes du plan, la caution devrait-elle être en droit d'exécuter le titre obtenu dans la limite des sommes devenues exigibles contre le débiteur et non payées, et qui sont également devenues exigibles contre la caution. L'affirmation posée par la Cour de cassation nous semble donc devoir être tempérée dans sa portée.

Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises


(1) Par exemple, alors que la déclaration de créance était assimilée à une demande en justice -c'est-à-dire avant la réforme du 12 mars 2014-, l'absence de jonction du pouvoir pour déclarer la créance n'était pas considéré comme un motif de contestation de créance au sens du Code de commerce : Cass. com., 7 juillet 1998, n° 95-18.984, publié (N° Lexbase : A5329ACD), Bull. civ. IV, n° 219, D. Affaires, 1998, 1322, obs. A. Lienhard, JCP éd. E, 1998, pan. 1231, D., 1998, IR 209, RJDA, 1998/11, p. 945, n° 1260 ; Cass. com., 5 janvier 1999, n° 96-17.608, inédit (N° Lexbase : A7931CMP), Act. proc. coll., 1999/4, n° 51 ; Cass. com., 16 octobre 2001, n° 98-19.316, FS-P (N° Lexbase : A4776AWS), Bull. civ. IV, n° 168, Rev. proc. coll., 2002, p. 95, n° 7, obs. M.-N. Legrand ; CA Reims, 3 juillet 2001, JCP éd. E, 2002, pan. 1015, p. 1120.
(2) Certains auteurs estiment bien subtile la nuance entre contestation de la créance et contestation de la régularité de la déclaration de créance : J.-CL. COM., J. Vallansan, fasc. 2312, [Déclaration et admission des créances], éd. 2007, n° 222.
(3) Cass. com., 14 mai 1996, n° 94-15.314, publié (N° Lexbase : A1428ABI), Bull. civ. IV, n° 130, JCP éd. G, 1996, II, 22657, rapp. Rémery ; JCP éd. E, 1996, I, 554, n° 8, obs. Ph. Pétel.
(4) Cass. com., 13 novembre 2007, trois arrêts n° 06-19.190, F-D (N° Lexbase : A5937DZW), n° 06-19.191, F-D (N° Lexbase : A5938DZX), n° 06-19.192, F-D (N° Lexbase : A5939DZY) ; Cass. com., 8 juin 2010, n° 09-14.624, F-P+B (N° Lexbase : A0130EZT), Bull. civ. IV, n° 108, Gaz. Pal., éd. sp. Dr. entr. en diff., 15 et 16 octobre 2010, p. 32, nos obs. JCP éd. E, 2010, chron. 1742, n° 9, obs. M. Cabrillac, Rev. proc. coll., mars/avril 2011, comm. 39, p. 46, note M.-N. Legrand et F. Legrand ; RTDCom., 2011/2, p. 417, n° 5, obs. A. Martin-Serf ; CA Paris, 3ème ch., sect. B, 17 septembre 2004, deux arrest, n° 03/12041 (N° Lexbase : A7328DE7) et n° 03/16956 (N° Lexbase : A7163DEZ).
(5) Il existe une totale indépendance entre la décision d'admission de la créance et la fixation des droits de créancier dans le cadre du plan. En témoigne, comme l'a souligné le Professeur Le Corre (Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz action, 2013/2014, n° 682.24), l'article L. 626-21 (N° Lexbase : L2323IND) qui prévoit que l'inscription d'une créance au plan ne préjuge pas de l'admission définitive de cette créance au passif.
(6) Cass. com., 1er mars 2005, n° 03-19.539,. F-D (N° Lexbase : A1058DHN). V sur la question P.-M. Le Corre, préc., n° 682.24.
(7) Cass. civ. 2, 30 avril 2002, n° 00-20.372, FS-P+B sur le premier moyen (N° Lexbase : A5571AYY), Bull. civ. II, n° 85 ; D., 2002, AJ 2260, obs. A. Lienhard ; JCP éd. E, 2002. Chron. 1380, n° 3, obs. Ph. Pétel ; Act. proc. coll., 2002, n° 140, obs. Ph. Pétel ; Dr. et patr., 2002, n° 108, obs. M.-H. Monsérié-Bon ; RTDCom., 2003, 163, n° 2, obs. A. Martin-Serf ; Defrénois, 2003, 779, 37752, note Ph. Théry ; Rev. proc. coll., 2004, p. 230, n° 2, obs. F. Macorig-Venier.
(8) Cass. com., 24 mai 2005, n° 03-21.043, FS-P+B (N° Lexbase : A4213DIU), Bull. civ. IV, n° 117, D., 2005, AJ 1632, obs. A. Lienhard, D., 2005, Somm. 2084, obs. P. Crocq, JCP éd. E, 2005, Chron. 1274, n° 5, obs. Ph. Pétel, JCP éd. E, 2005. Chron. 1860, n° 3, obs. Ph. Delebecque et Ph. Simler, Dr. et proc., 2005, 282, note P. Crocq, Act. proc. coll., 2005, n° 132, note J. Vallansan ; Cass. com., 24 mai 2005, n° 00-19.721, FS-P+B (N° Lexbase : A4117DIC), Bull. civ. IV, n° 116, D., 2005, Somm., 2084, obs. P. Crocq, Dr. et proc., 2005, 282, note P. Crocq, Act. proc. coll., 2005, n° 132, note J. Vallansan ; RD banc. fin., 2005, n° 141, obs. S. Piédelièvre, Defrénois, 2005, 1937, chron. 38287, n° 12, note D. Gibirila, Gaz. proc. coll., 2005/3, p. 49, nos obs..
(9) Cass. com. 24 mai 2005, n° 03-21.043, FS-P+B, préc., et les obs. préc. ; Cass. com., 24 mai 2005, n° 00-19.721, FS-P+B, préc. et les obs. préc...
(10) CA Paris, 8ème ch., 10 juin 1999, D., Affaires 1999, 1218 ; RJDA, 1999/10, n° 1101, p. 884 ; Act. proc. coll., 1999, n° 221 ; JCP éd. E, 2000. Chron. 413, n° 5, obs. Ph. Simler et Ph. Delebecque ; RTDCom., 2000, 723, obs. A. Martin-Serf.
(11) CA Bordeaux, 2ème ch., 18 décembre 2007, n° 06/04003 (N° Lexbase : A7097ECT), Rev. proc. coll., 2009. Etude 90, obs. N. Patureau et C. Pérot-Reboul.
(12) T. com. Orléans, 8 juillet 2010, n° 07/8784.
(13) Cass. com., 27 février 2007, n° 05-20.522, F-P+B (N° Lexbase : A5956DU7), Bull. civ. IV, n° 68 ; D., 2007, AJ 947, obs. A. Lienhard ; JCP éd. E, 2007, Chron. 2119, n° 11, obs. M. Cabrillac ; Rev. proc. coll., 2007/3, p. 135, n° 4, obs. F. Macorig-Vénier ; Gaz. proc. coll., 2007/2, p. 56, nos obs. ; RD banc. fin., mai-juin 2007, p. 17, n° 105, note D. Legeais.
(14) Cass. com., 10 janvier 2012, n° 11-11.482, FS-P+B (N° Lexbase : A5293IAB), Bull. civ. IV, n° 5 ; D., 2012, Actu 215, obs. A. Lienhard ; Gaz. Pal., 28 avril. 2012, n° 118, p. 40, note E. Le Corre-Broly ; Act. proc. coll., 2012, n° 46, note P. Cagnoli ; JCP éd. E, 2012, Chron. 1227, n° 4, obs. Ph. Pétel ; JCP éd. E, 2012, Chron. 1422, n° 9, obs. Ph. Simler ; Bull. Joly Entreprise en diff., mai 2012, n° 91, p. 144, note N. Borga ; Gaz. Pal., 28 mars 2012, p. 20, note M.-P. Dumont-Lefrand ; Rev. proc. coll., 2012, n° 54, note N. Patureau et C. Perot-Reboul ; Bull. Joly Entreprises en diff., mai 2012, n° 77, note J.-J. Fraimout ; RTDCom., 2012. 178, n° 12, obs. D. Legeais.
(15) CA Montpellier, 2ème ch. civ., 5 avril 2011, n° 10/04728 (N° Lexbase : A8339HMS).
(16) P. Neveu et D. Guèry, Caution, coobligé, garant et procédure de sauvegarde - Imbroglio et Aggiornamento, Rev. proc. coll., 2012, Etude 21, n° 22.
(17) Cass. com., 18 juin 2013, n° 12-20.394, F-D (N° Lexbase : A2005KHQ).

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