Réf. : Cass. com., 20 mai 2014, n° 13-12.102, FS-P+B (N° Lexbase : A4978MMC)
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N2593BUL
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par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition affaires
le 12 Juin 2014
Lexbase : Pouvez-nous rappeler ce qu'est l'ambush marketing et le principe du droit de propriété dont disposent les organisateurs sur leur manifestation sportive ?
Fabienne Fajgenbaum : L'ambush marketing ou marketing d'embuscade trouve son fondement dans l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ) et répond à une définition classique du parasitisme économique qui condamne l'ensemble des comportements par lesquels un agent économique s'immisce dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de son savoir-faire, de ses investissements et de sa renommée (cf. Cass. com., 26 janvier 1999 n° 96-22.457 N° Lexbase : A4136C3L). Dès 1996, la Chambre commerciale de la Cour de cassation, par un arrêt du 30 janvier, rappelait que le parasitisme est applicable entre non-concurrents à propos du slogan publicitaire "La Côte d'Azur, l'autre pays du fromage" utilisé par une société alors que l'Office néerlandais des produits laitiers était titulaire de la marque "La Hollande, l'autre pays du fromage" (Cass. com., 30 janvier 1996, n° 94-15.725 N° Lexbase : A6441AHZ).
Pour le Professeur Philippe Le Tourneau, le parasitisme permet de condamner des comportements délictuels des intervenants du marché, non conformes à la morale des affaires, usurpant sensiblement la "valeur économique" d'autrui, réduisant ainsi notablement ses investissements matériels et intellectuels en gagnant du temps et en évitant de prendre des risques. Pour prospérer, l'action en parasitisme doit donc définir la faute, établir un préjudice et un lien de causalité.
Pour d'autres, comme Monsieur Jerry Welsh, l'ambush marketing n'est pas nécessairement répréhensible. Cette pratique désigne alors "une stratégie marketing occupant l'espace thématique d'un sponsor concurrent dans le but de rivaliser avec ce dernier par la prééminence marketing" et ce, sans avoir à supporter de coûts onéreux, contrairement à son concurrent qui s'est engagé avec le propriétaire de l'événement sponsorisé. L'ambush marketing correspond ainsi à une simple stratégie marketing qui vise à utiliser les faiblesses d'un programme de parrainage mal conçu.
Certains auteurs en concluent que l'ambush marketing serait "une stratégie commerciale consistant pour une entreprise à se placer dans le sillage d'un de ses concurrents parrainant un événement sportif mais dont le programme de parrainage était particulièrement mal conçu et mal mené" ou encore le fait de "concevoir des opérations commerciales d'une manière telle qu'elles ne soient pas juridiquement interdites".
Pour le moment, le législateur n'a pas édicté de définition. La jurisprudence s'y est donc essayée en définissant l'ambush marketing comme "le fait pour une entreprise de se rendre visible du public lors d'un événement sportif ou culturel afin d'y associer son image tout en évitant de rétribuer les organisateurs et de devenir un sponsor officiel [...]" constituant "une faute au regard des dispositions de l'article 1382 du Code civil" (cf. CA Paris, Pôle 5, 2ème ch., 10 février 2012, n° 10/23711 N° Lexbase : A4474ICP).
Parallèlement à l'essor du sport professionnel et aux enjeux financiers considérables désormais associés aux manifestations sportives, c'est à l'occasion de la réglementation du secteur des paris sportifs en ligne que le législateur est intervenu pour réaffirmer l'existence d'un droit de propriété de l'organisateur sur sa manifestation sportive.
Ce droit de propriété est désormais consacré par l'article L. 333-1 du Code du sport. L'étude des débats parlementaires révèle que le législateur s'est directement appuyé sur la définition donnée par la cour d'appel de Paris à l'occasion du litige qui a opposé la Fédération française de tennis à l'opérateur de paris en ligne Unibet (CA Paris, Pôle 5, 1ère ch., 14 octobre 2009, n° 08/19179 N° Lexbase : A2342EMP). Par la suite, le Conseil d'Etat a eu l'occasion de rappeler que le droit d'exploitation des informations portant sur les résultats des manifestations et compétitions sportives aux fins de l'organisation à titre commercial de paris en ligne ne constitue pas un bien public (CE 4° et 5° s-s-r., 30 mars 2011, n° 342142, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3790HMC).
Lexbase : Dans l'affaire "Fiat contre la FFR", la Cour de cassation, confirmant l'arrêt d'appel, a estimé que la société Fiat n'avait pas porté atteinte à ce droit de propriété. Quelle en est la motivation ?
Fabienne Fajgenbaum : Naturellement, eu égard aux décisions de l'Autorité de la concurrence -anciennement Conseil de la concurrence- (cf. Cons conc., avis n° 03-A-01 du 10 janvier 2003 N° Lexbase : L4647I3I) de la cour d'appel de Paris (CA Paris, Pôle 5, 1ère ch., 14 octobre 2009, n° 08/19179, préc.) et de la position précitée du Conseil d'Etat, l'arrêt de la Cour de cassation surprend.
Surtout, le résultat auquel elle parvient n'est pas satisfaisant. Il me semble en effet délicat de prétendre que la société Fiat, en diffusant la publicité litigieuse précisément sur un support comme le journal L'Equipe, se serait simplement bornée à reproduire un résultat sportif d'actualité, acquis et rendu public et à faire état d'une rencontre future également connue comme déjà annoncée par le journal dans un article d'information alors que ces divers "rappels" sont sans aucune relation a priori avec la vente d'automobiles.
Or, la Cour approuve ainsi la cour d'appel d'avoir écarté toute atteinte au droit de propriété de la FFR au motif qu'il ne serait pas établi que l'activité économique de FIAT puisse être regardée comme une appropriation ou une exploitation illicite, car non autorisée, de la compétition organisée par cette Fédération sportive.
Pour tenter de synthétiser la position de la Cour de cassation, il semble que celle-ci considère que le simple fait d'utiliser les résultats des matchs ne peut être constitutif d'une appropriation de la manifestation sportive sur lesquels ils portent. Cette conclusion me semble toutefois pêcher par un trop grand dogmatisme. En l'espèce, Fiat ne s'est pas contentée de transmettre une information, cette entreprise en a réalisé une véritable exploitation commerciale (publicité pour ses véhicules), dans le but de "surfer" sur l'événement organisé par la FFR et de s'y associer dans l'esprit du public.
Le reproche qui peut donc être adressé à la Cour de cassation est de ne pas avoir tenu compte du contexte et de l'intention avec laquelle les "informations" ont été exploitées. Il est en effet constant que Fiat ne jouit pas de la qualité (ni ne la revendique) d'organe de presse. Le but poursuivi par la publicité litigieuse était donc bel et bien d'exploiter l'image des épreuves du tournoi des VI Nations organisées par la FFR.
Lexbase : Quelle est votre position sur cette solution ?
Fabienne Fajgenbaum : Evidemment, cette solution n'est pas satisfaisante, dans la mesure où elle est de nature à remettre en cause les partenariats conclus par les Fédérations et autres organisateurs de manifestations sportives, alors que les redevances ainsi perçues sont indispensables à l'organisation de ces événements. De plus, l'on ne peut que regretter de constater que le droit du public à l'information puisse ainsi être utilement brandi pour couvrir les pratiques déloyales de sociétés commerciales.
Au surplus, l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 12 décembre 2012 me semblait avoir réalisé une mauvaise application de l'article L. 333-1 du Code du sport. Ce texte consacre en effet le droit de propriété dont est titulaire tout organisateur sur sa manifestation sportive. Dès lors, si la FFR jouit de la double qualité de gestionnaire du XV de France et d'organisateur des épreuves du tournoi VI Nations, seule cette dernière casquette est visée par les dispositions de l'article L. 333-1 du Code du sport. Les juges d'appel me semblaient donc avoir commis une erreur de droit en n'analysant pas ce texte par rapport aux épreuves du tournoi des VI Nations, propriété de la FFR, comme elle l'aurait dû, mais par rapport à l'Equipe de France de Rugby. Cette confusion regrettable conduit immanquablement à une analyse faussée.
Lexbase : La Cour, approuvant toujours la cour d'appel, estime qu'en l'espèce, la société Fiat ne s'est pas rendue coupable de parasitisme. Pouvez-vous nous en expliquer les raisons ? Cette appréciation n'est-elle pas là aussi critiquable ?
Fabienne Fajgenbaum : En ce qui concerne le parasitisme, il convient tout d'abord de ne pas conférer à la décision rendue par la Cour de cassation une portée générale qu'elle n'a pas dans les faits.
La motivation de l'arrêt révèle en effet que la solution retenue était manifestement bridée par les conclusions d'appel auxquelles elle fait référence (cf. "Mais attendu que la FFR s'étant bornée à soutenir que [...]). En effet, dans le cadre de son appel, il semble que la FFR avait uniquement fait valoir un risque de confusion, alors que le critère du risque d'association (notamment retenu par Cass. com., 15 novembre 2011, n° 10-25.473, F-D N° Lexbase : A9382HZI ; Cass. com., 11 mars 2003, n° 00-22.722, FS-P N° Lexbase : A4061A7K) aurait été sans doute mieux adapté.
L'appréciation des actes de parasitisme étant établie in concreto pour chaque cas d'espèce, la Cour de cassation ne pouvait donc se prononcer au-delà de sa saisine et s'est donc rangée au pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond. Comme précédemment, sa décision ne doit être regardée, à mon avis, qu'en tant que jurisprudence isolée.
Lexbase : En guise de conclusion, que doivent retenir de cette décision les organisateurs de manifestations sportives et leurs conseils ?
Fabienne Fajgenbaum : En dépit du résultat évidemment décevant de l'arrêt du 20 mai 2014, le fondement du parasitisme reste parfaitement d'actualité pour lutter contre les actes d'ambush marketing. La jurisprudence sanctionne en effet régulièrement le comportement parasitaire d'agents économiques tentant d'établir, sans autorisation, une filiation entre leur activité et celle du parasité, afin de se placer dans son sillage et tirer profit de sa notoriété, de son image (cf., notamment, CA Paris, 4ème ch., sect. A, 8 septembre 2004, n° 04/09673 N° Lexbase : A3427DDB).
Les juges du fond, souvent sensibles à l'injustice que peut représenter le comportement d'un ambusher qui tire un profit économique d'une manifestation sportive au financement de laquelle il n'a pas participé et remet en cause par la même occasion les contrats de sponsoring par ailleurs conclus par l'organisateur, n'hésitent plus à entrer en voie de condamnation et à prononcer des sanctions financières et des interdictions sous forme de carton rouge. La balle est désormais dans leur camp !
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