Réf. : Cass. crim., 29 avril 2014, n° 13-84.207, F-P+B+I (N° Lexbase : A6022MKA)
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par Christophe Radé, Professeur à la Faculté de Bordeaux
le 29 Mai 2014
Résumé
La responsabilité de plein droit prévue par l'article 1384, alinéa 4, du Code civil, incombe au seul parent chez lequel la résidence habituelle de l'enfant a été fixée, quand bien même l'autre parent, bénéficiaire d'un droit de visite et d'hébergement, exercerait conjointement l'autorité parentale et aurait commis une faute civile personnelle dont l'appréciation ne relève pas du juge pénal. |
Commentaire
1. Confirmation de la possibilité de condamner un parent pour faute de surveillance
Champ d'application de la responsabilité parentale de plein droit. L'article 1384, alinéa 4, du Code civil, dispose que "le père et la mère, en tant qu'ils exercent l'autorité parentale, sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux" (1).
Le texte pose donc deux critères cumulatifs pour que la responsabilité de plein droit s'applique : l'un juridique (l'exercice de l'autorité parentale), l'autre en principe matériel (l'enfant habitant avec ses parents).
Lorsque les deux parents exercent conjointement l'autorité parentale mais que la résidence habituelle de l'enfant a été fixée chez l'un des deux, l'autre n'exerçant qu'un droit de visite et d'hébergement, seul le parent chez qui la résidence habituelle a été fixée sera responsable de plein droit des dommages causés par son enfant mineur, l'autre parent ne relevant pas de l'article 1384 du Code civil (2).
On sait que le critère de la "cohabitation" est devenu, pour l'essentiel, juridique dans la mesure où c'est bien la localisation de la résidence habituelle de l'enfant, par la loi ou une décision de justice, qui détermine l'application de l'article 1384, alinéa 4, du Code civil, le fait que l'enfant réside la majeure partie de son temps hors du domicile de ce parent, notamment parce qu'il aurait été confié aux grands-parents (3) ou à un internat (4), n'étant pas de nature à faire disparaître la cohabitation (5).
C'est ce que confirme, sans surprise, ce nouvel arrêt rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation : "la responsabilité de plein droit prévue par le premier de ces textes incombe au seul parent chez lequel la résidence habituelle de l'enfant a été fixée, quand bien même l'autre parent, bénéficiaire d'un droit de visite et d'hébergement, exercerait conjointement l'autorité parentale".
Fondement de la responsabilité du parent échappant à la responsabilité de plein droit. La Cour de cassation a admis, depuis 1997, que le parent à qui l'article 1384 du Code civil ne s'applique pas, demeure responsable pour faute, sur le fondement classique de l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ) (6). La solution vaut d'ailleurs également pour le parent à qui le régime de responsabilité de plein droit s'applique, la victime étant toujours en droit de caractériser une faute commise par ce dernier en relation avec le dommage (7).
La jurisprudence livre peu d'exemples de parents condamnés en raison d'une faute personnelle commise en relation avec le dommage (8). Dans l'arrêt "SAMDA" rendu en 1997, les juges avaient d'ailleurs retenu, avec une certaine facilité il faut bien le dire, une faute de surveillance à la charge du père à qui l'article 1384, alinéa 4, du Code civil, n'était pas applicable (9).
2. Impossibilité logique pour le juge pénal de statuer sur la faute d'un parent
Caractère inédit de l'affirmation. La Chambre criminelle de la Cour de cassation affirme ici, de manière inédite, que "l'appréciation" de la faute commise par le parent à qui l'article 1384, alinéa 4, du Code civil, n'est pas applicable, "ne relève pas du juge pénal". Cette solution vient donc compléter, de manière restrictive, une précédente décision rendue par cette même chambre qui avait affirmé, en 2002, que "la responsabilité du parent chez lequel la résidence habituelle de l'enfant n'a pas été fixée ne peut, sans faute de sa part, être engagée" (10). Si la règle de fond est donc confirmée, comme nous l'avons rappelé, sa mise en oeuvre ne peut donc se réaliser que devant le juge civil.
Explication de la décision. La solution est logique au regard des règles qui gouvernent l'action civile, le juge pénal ne pouvant, outre le condamné, mettre en cause la responsabilité civile que de ses "garants" (11).
L'explication tient au fait que s'agissant de responsables considérés comme de simples garants, le juge pénal qui les condamne ne les juge pas, puisque leur responsabilité naît de la faute commise par l'auteur du dommage ; il se contente donc de tirer, sur le plan civil, les conséquences indemnitaires de l'infraction pénale commise par le mineur (12). C'est d'ailleurs l'objet même de l'article 2 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9908IQZ) aux termes duquel "l'action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement et directement causé par l'infraction". Dans ces conditions, statuer sur la responsabilité pour fait personnel de l'autre parent équivaudrait à engager un nouveau procès, civil de surcroît, devant le juge pénal, ce qui n'est pas dans sa compétence.
Portée de la décision. Cette solution interdit par conséquent non seulement, s'agissant des parties civiles, de diriger leur action contre le parent chez qui l'enfant n'a pas sa résidence habituelle, mais elle s'oppose également à la mise en cause, par le parent responsable sur le fondement de l'article 1384 du Code civil, de celui qui pourrait l'être sur le fondement de l'article 1382, dans le cadre d'une éventuelle action récursoire qui devra être engagée postérieurement, devant le juge civil.
Reste à déterminer si cette solution, parfaitement en phase avec le droit actuel, survivra aux réformes en cours.
Perspectives d'évolution du droit de la famille. Le Parlement débat actuellement d'une proposition de loi relative à l'autorité parentale et à l'intérêt de l'enfant qui vise, dans un article 7, à imposer le principe de "l'alternance des temps de résidence", sans que l'on sache très bien d'ailleurs s'il s'agira d'imposer le principe de la résidence alternée, ou de prévoir un principe de double domiciliation de l'enfant (13). Dans l'hypothèse où cette réforme modifierait les règles de la résidence de l'enfant (à condition qu'elle soit adoptée, ce qui ne va pas de soi compte tenu des très fortes oppositions rencontrées), elle entraînerait une raréfaction encore plus importante de cette jurisprudence dans la mesure où les deux parents, bénéficiant de manière égale de la résidence habituelle de l'enfant, seraient alors tous deux réputés cohabiter avec l'enfant, ce qui permettrait de leur appliquer en permanence l'article 1384 du Code civil (14), rendant ainsi inutile le recours à l'article 1382.
Perspectives d'évolution du droit de la responsabilité civile. Comme le confirme cette décision, la responsabilité parentale de plein droit apparaît aujourd'hui comme la contrepartie de l'attribution au parent de la résidence habituelle de l'enfant.
On sait que l'une des pistes de réforme de la responsabilité civile parentale, envisagée dans tous les projets de refonte de la responsabilité civile (15), consisterait à supprimer dans l'article 1384, alinéa 4, du Code civil, l'exigence de cohabitation, ce qui aurait pour conséquence de rendre caduque cette jurisprudence exigeant la résidence habituelle de l'enfant pour appliquer la responsabilité parentale de plein droit (16). Si cette modification devait intervenir, dans le cadre de la réforme du droit des obligations qu'il pourrait être demandé au Gouvernement de réaliser par voie d'ordonnance (17), la preuve d'une faute de surveillance n'aurait plus d'intérêt, puisque les deux parents seraient, sauf décision retirant l'exercice de l'autorité parentale, responsable de plein droit de leur enfant. La règle dégagée dans cette décision demeurerait toutefois pertinente pour les autres "gardiens" des enfants, tels les grands-parents, qui ne relèvent pas d'un régime de responsabilité de plein droit (18).
Décision
Cass. crim., 29 avril 2014, n° 13-84.207, F-P+B+I (N° Lexbase : A6022MKA). Cassation partielle (CA Amiens, ch. spéc. mineurs, 2 mai 2013). Lien base : (N° Lexbase : E7767EQQ). |
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