Réf. : Cass. soc., 30 avril 2014, n° 13-10.772, FS-P+B (N° Lexbase : A6830MK8), sur le troisième moyen
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N2161BUL
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par Christophe Radé, Professeur à la Faculté de Bordeaux, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 15 Mai 2014
Résumé
Lorsque, au moment où le juge statue sur une action du salarié tendant à la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur, le contrat de travail a pris fin par la démission sans réserve du salarié, sa demande de résiliation devient sans objet. L'intéressé a la faculté, si les griefs qu'il faisait valoir, au soutien de sa demande, étaient justifiés, de demander la réparation du préjudice en résultant. Si, à la demande du salarié, la démission a été requalifiée en prise d'acte par le juge, celui-ci doit, pour l'appréciation du bien-fondé de la prise d'acte, prendre en considération les manquements de l'employeur invoqués par le salarié tant à l'appui de la demande de résiliation judiciaire devenue sans objet qu'à l'appui de la prise d'acte. |
Commentaire
I - La priorité donnée à la démission sur la demande antérieure de résiliation judiciaire
Contexte. L'admission praeter legem de la résiliation judiciaire comme mode de rupture du contrat de travail, à la seule demande du salarié, n'est pas sans poser problème lorsque, pendant le temps de l'instance, le contrat de travail est rompu par l'une des parties, selon l'une des techniques reconnues par le Code du travail, car les solutions imaginées par la Cour de cassation pour régler les conflits entre ces différentes ruptures ne sont pas toujours aisées à justifier dans leur ensemble.
Deux séries d'hypothèses doivent être distinguées selon que le conflit entre les différents modes de ruptures résulte de l'employeur, ou du salarié.
Il est tout d'abord admis que le licenciement du salarié, postérieur à l'introduction, par ce dernier, d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail (1), ne modifie pas l'ordre d'examen des situations, ce qui est logique pour éviter que l'employeur ne cherche à prendre de vitesse le conseil de prud'hommes en saisissant une opportunité de rupture. Dans cette hypothèse, le juge devra privilégier la demande de résiliation qui est intervenue la première, puis, s'il n'y fait pas droit et ne rompt donc pas le contrat de travail (2), le licenciement prononcé par le salarié. S'il fait droit à la demande de résiliation judiciaire, par hypothèse, aux torts de l'employeur lorsque les faits rendaient, par leur gravité, impossible l'exécution du contrat de travail (3), le licenciement apparaîtra rétrospectivement comme sans objet (4). Seule l'hypothèse d'une mise à la retraite postérieure à l'introduction de la demande en justice rompra le contrat de travail (5), le salarié pouvant toujours obtenir réparation des préjudices que les fautes commises antérieurement par l'employeur pourraient lui avoir causé (6).
Lorsque le salarié présente une demande de résiliation judiciaire puis décide de rompre le contrat de travail en utilisant une autre technique, alors le risque n'est plus le même et il est possible de retenir non pas la première intention, mais la dernière qui correspond à la volonté la plus récente du salarié. La solution avait été admise en 2006 s'agissant de la prise d'acte postérieure à l'introduction de la demande de résiliation judiciaire (7), puis confirmée en 2010, s'agissant du départ à la retraite (8) et en 2013, s'agissant de la conclusion par le salarié d'une rupture conventionnelle du contrat de travail (9). Il était dès lors logique, et prévisible, que la même solution prévale en cas de démission, ce qui est donc le cas désormais après ce nouvel arrêt.
Affirmation logique de la primauté de la démission sur la demande antérieure de résiliation judiciaire. Un salarié avait saisi, le 4 décembre 2009, la juridiction prud'homale d'une demande en résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur, dont il a été débouté le 20 janvier 2011, puis démissionné sans réserve de son emploi le 18 mai 2011 à effet du 22 juin 2011, après avoir interjeté appel du jugement. La cour d'appel avait réformé la décision intervenue en première instance et fait droit à la demande de résiliation judiciaire du salarié. C'est cet arrêt d'appel qui est cassé.
Pour justifier cette cassation, la Haute juridiction procède tout d'abord, dans un long attendu de principe, à trois affirmations liminaires, dont une première, qui nous intéresse directement ici, aux termes de laquelle : "lorsque, au moment où le juge statue sur une action du salarié tendant à la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur, le contrat de travail a pris fin par la démission du salarié, sa demande de résiliation devient sans objet".
On retrouve ici, appliquée à la situation particulière du salarié qui introduit une demande de résiliation judiciaire puis démissionne, une formule proche de celle qui avait été employée dans l'hypothèse où, postérieurement à une même demande, le salarié a été mis ou est parti à la retraite (10).
Une solution logique. Cette solution est logique, et justifiée. Comme nous l'avons rappelé, elle confirme la ligne jurisprudentielle dégagée depuis 2006 qui avait fait prévaloir les ruptures postérieures à l'introduction en justice de la demande de résiliation judiciaire dès lors que la volonté du salarié avait bien été de rompre son contrat de travail. Appliquée au départ à la retraite et à la prise d'acte, il était logique qu'elle le soit à la démission.
La solution est justifiée pour autant que cette volonté est exempte de vice et que le salarié n'a pas été contraint de quitter l'entreprise. Dans cette hypothèse, en effet, la démission sera requalifiée en licenciement et le juge devra donc bien examiner la demande de résiliation du salarié. Voilà pourquoi, dans cet arrêt, la Cour de cassation a pris la peine de préciser que le salarié avait démissionné "sans réserve", et, pour justifier la cassation de l'arrêt d'appel, qu'il n'avait pas "demandé la requalification de sa démission en prise d'acte de la rupture", c'est-à-dire qu'il n'avait pas invoqué l'existence de faits qui, quoi que non mentionnés dans sa lettre de démission, étaient antérieurs ou concomitants de celle-ci et susceptibles, compte tenu de leur gravité, de justifier la rupture immédiate du contrat de travail. On rappellera, dans cette affaire, que le salarié venait d'être débouté de sa demande de résiliation judiciaire par le conseil de prud'hommes qui avait considéré que les faits dénoncés n'étaient pas suffisamment graves pour justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail, et que la situation au sein de l'entreprise devait être, dans ce contexte conflictuel, difficile à supporter, ce qui avait incité le salarié à quitter son emploi.
II - La prise en compte des torts de l'employeur
Hypothèse de la démission. Lorsque le salarié a démissionné sans réserve et qu'il n'invoque ni vice du consentement susceptible d'entraîner l'annulation, ni ne demande la requalification de sa démission en prise d'acte, il conserve la faculté de demander la réparation du préjudice causé par les fautes imputées à l'employeur, et ce en application des règles du droit commun de la responsabilité contractuelle. C'est ce qu'indique très clairement la Cour de cassation ici dans un premier obiter dictum (le litige ne portait en effet pas sur ce point) : "l'intéressé a la faculté, si les griefs qu'il faisait valoir au soutien de sa demande étaient justifiés, de demander la réparation du préjudice en résultant".
Cette possibilité est parfaitement logique car la qualification de la rupture du contrat de travail est sans incidence sur d'éventuelles fautes antérieures commises par l'employeur, le salarié pouvant toujours, pour autant qu'elles ne soient pas prescrites, réclamer réparation des préjudices subis. Il n'est d'ailleurs pas possible de considérer qu'en démissionnant sans réserve le salarié pourrait, en quelque sorte, renoncer à agir en responsabilité contre son employeur, la renonciation ne se présumant pas.
Quoique la Cour ne le précise pas, il semble logique que ces faits présentent la même gravité que ceux qui justifient désormais la résiliation judiciaire, ou la prise d'acte, c'est-à-dire ceux dont la gravité rendaient impossible la poursuite du contrat de travail. C'est en ce sens, nous semble-t-il, qu'il convient d'interpréter la formule employée dans l'arrêt qui vise l'hypothèse où "les griefs qu'il faisait valoir au soutien de sa demande étaient justifiés".
Hypothèse de la démission requalifiée en prise d'acte. On sait que le salarié qui démissionne peut demander au juge de requalifier la rupture en prise d'acte lorsqu'il a émis des réserves, en démissionnant, ou que sa "démission" intervient dans un contexte conflictuel où des griefs ont été formulés de manière contemporaine de la rupture. Dans ce cas, le salarié qui a volontairement quitté l'entreprise, pourra demander au juge d'examiner ces griefs et, s'ils rendaient impossible la poursuite de l'exécution du contrat, le juge pourra lui accorder des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, voire pour licenciement nul, si l'employeur ne disposait pas du droit de licencier le salarié (11).
C'est également ce qu'affirme la Cour, dans un second obiter dictum (le salarié n'avait formulé à l'égard de son employeur aucun grief et n'avait pas demandé au juge de les examiner dans le cadre de la jurisprudence relative à la prise d'acte) en rappelant que même si le juge ne statue pas sur la demande de résiliation judiciaire, dès lors que le contrat a été rompu du fait du salarié après sa demande (12), il peut prendre en compte les griefs formulés dans sa demande : "si, à la demande du salarié, la démission a été requalifiée en prise d'acte par le juge, celui-ci doit, pour l'appréciation du bien-fondé de la prise d'acte, prendre en considération les manquements de l'employeur invoqués par le salarié tant à l'appui de la demande de résiliation judiciaire devenue sans objet qu'à l'appui de la prise d'acte".
Décision
Cass. soc., 30 avril 2014, n° 13-10.772, FS-P+B (N° Lexbase : A6830MK8) sur le troisième moyen. Cassation partielle partiellement sans renvoi (CA Paris, Pôle 6, 9ème ch., 5 décembre 2012, n° S 11/01848 N° Lexbase : A3603IY4). Textes visés : C. trav., art. L. 1221-1 (N° Lexbase : L0767H9B) et L. 1237-1 (N° Lexbase : L8512IAI) ; C. civ., 1184 (N° Lexbase : L1286ABA). Mots clef : résiliation judiciaire ; démission ; office du juge. Liens base : (N° Lexbase : E2947E4W). |
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