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N2035BUW
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par Pierre Tifine, Professeur à l'Université de Lorraine et directeur adjoint de l'Institut de recherches sur l'évolution de la Nation et de l'Etat (IRENEE), Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition publique
le 15 Mai 2014
A défaut d'accord amiable dans le délai d'un mois à partir de la notification des offres de l'expropriant, le juge de l'expropriation peut être saisi par la partie la plus diligente en vue de la fixation des indemnités (C. expr., art. R. 13-21 N° Lexbase : L3130HLI). Dans l'hypothèse où l'expropriant dispose d'éléments suffisants lui permettant de rédiger son mémoire et de demander la fixation des indemnités, il pourra lui-même procéder à cette saisine. La demande doit être adressée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception au greffe de la juridiction du ressort dans lequel sont situés les biens à exproprier (C. expr., art. R. 13-21). L'expropriant devra également respecter les dispositions de l'article R. 13-22 du Code de l'expropriation ([LXB=L3588IBI)]) qui précisent que "le demandeur est tenu de notifier son mémoire au défendeur au plus tard à la date de la saisine du juge". Sa demande devra, "à peine d'irrecevabilité, préciser la date à laquelle il a été procédé à cette notification".
Dans la présente affaire, la société X avait saisi le juge de l'expropriation le 3 août 2009, en adressant le même jour son mémoire contenant une proposition d'offre d'indemnisation à la SCI Y par courrier recommandé. Ce courrier lui ayant été retourné avec la mention "non réclamé", la société X a ensuite procédé à la signification de son mémoire par voie d'huissier le 21 septembre 2009.
La Cour de cassation considère qu'à défaut d'avoir constaté que la demande adressée au juge de l'expropriation par la société X faisait mention de la date de la notification de son mémoire à la SCI Y, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article R. 13-22 du Code de l'expropriation. Elle confirme ainsi une jurisprudence constante qui veut que le non-respect de ces dispositions par l'expropriant est automatiquement sanctionné par l'irrecevabilité de sa demande de fixation des indemnités (1).
Dans son arrêt n° 364092 du 12 mars 2004, le Conseil d'Etat apporte d'utiles précisions sur les conséquences sur la procédure d'expropriation de l'annulation juridictionnelle d'une décision refusant de prendre une déclaration d'utilité publique. Plus précisément, la question posée dans la présente affaire concerne le délai de validité de l'enquête préalable. Selon l'article L. 11-5 du Code de l'expropriation (N° Lexbase : L2894HLR), "l'acte déclarant l'utilité publique doit intervenir au plus tard un an après la clôture de l'enquête préalable. Ce délai est majoré de six mois lorsque la déclaration d'utilité publique ne peut être prononcée que par décret en Conseil d'Etat. Passé l'un ou l'autre de ces délais, il y a lieu de procéder à une nouvelle enquête".
En l'espèce, c'est le premier délai qui était applicable, et il était a priori largement dépassé. En effet, l'enquête publique concernant la construction d'un centre technique de stockage de déchets non dangereux, diligentée à la demande d'un syndicat intercommunal, avait été close le 12 octobre 2007 et c'est seulement le 17 février 2010, soit plus de deux ans après, que la déclaration d'utilité publique était intervenue.
Ce délai particulièrement long s'expliquait, toutefois, par le fait que le préfet avait initialement refusé de déclarer l'utilité publique du projet par un arrêté en date du 24 juin 2008, au motif de l'illégalité de l'enquête publique. Cet arrêté avait ensuite été annulé par un jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 4 novembre 2009 passé en force de chose jugée.
Si l'on s'en tient à la lettre de l'article L. 11-5 du Code de l'expropriation, le délai d'un an mentionné par ces dispositions étant dépassé, il devrait y avoir lieu, pour l'autorité compétente, de diligenter une nouvelle enquête publique. C'est cette solution qui avait été retenue par la cour administrative d'appel de Lyon (2) et qui avait conduit à l'annulation de la déclaration d'utilité publique.
Toutefois, cette solution était critiquable. Elle conduit, en effet, à allonger les délais de procédure en contraignant à l'organisation d'une nouvelle enquête publique, identique en tous points à celle dont la légalité a pourtant été admise suite à l'annulation de la décision du préfet refusant de prendre une déclaration d'utilité publique. Cette nouvelle enquête représente un coût non négligeable, et son organisation étant entièrement imputable à l'illégalité commise par l'Etat, on doit considérer qu'elle pourrait donner lieu à l'engagement de sa responsabilité pour faute. En outre, sur un plan plus juridique, il serait tout à fait erroné de déduire de l'article L. 11-5 I du Code de l'expropriation que la non-intervention de la déclaration d'utilité publique, dans les délais prévus par cet article, aurait pour conséquence la caducité de l'enquête publique. Dans ce cas, en effet, l'enquête publique demeure valable, mais la déclaration d'utilité publique ne peut plus être prise. Ces dispositions ne sont donc pas assimilables à celles des articles L. 11-5 II et R. 12-1 du Code de l'expropriation (N° Lexbase : L3079HLM), qui prévoient la caducité de la déclaration d'utilité publique et de l'arrêté de cessibilité dans les hypothèses qu'elles visent. La règle visée par l'article L. 11-5 I est donc une simple règle de procédure dont le Conseil d'Etat accepte en l'espèce de moduler les effets. Les juges considèrent que le délai d'un an commence à courir seulement à compter de la notification de l'annulation de la décision de refus. Le préfet peut alors "dans ce nouveau délai, prendre l'arrêté déclarant le projet d'utilité publique au vu des résultats de l'enquête initiale, à la condition que ne soit intervenu depuis sa réalisation aucun changement dans les circonstances de fait ou de droit rendant nécessaire l'ouverture d'une nouvelle enquête publique". Dans le cas, notamment, où il y aurait une discordance entre le projet soumis à l'enquête publique et la déclaration d'utilité publique, il y aurait donc lieu à diligenter une nouvelle enquête publique, ce qui est tout à fait conforme à la jurisprudence du Conseil d'Etat (3).
Une réponse ministérielle fait le point sur les règles applicables en matière de fiscalité des plus-values immobilières liées au versement d'une indemnité d'expropriation. En principe, selon l'article 150 U du CGI (N° Lexbase : L1257IZL), les plus-values réalisées lors de la cession à titre onéreux de biens immobiliers bâtis ou non bâtis, ou de droits relatifs à ces biens sont passibles de l'impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux. Cependant, le II du même article énumère toute une série d'exonérations, dont l'une concerne les immeubles, parties d'immeubles ou les droits relatifs à ces biens pour lesquels une déclaration d'utilité publique a été prononcée en vue d'une expropriation (I). Elle prévoit, toutefois, une condition de remploi de l'indemnité qui limite le bénéfice de l'exonération (II).
I - Le champ de l'exonération
Sont concernées au premier chef les plus-values réalisées lors d'expropriations d'immeubles visés par une déclaration d'utilité publique. Par extension, sont également exonérées les plus-values réalisées lors des cessions amiables consenties aux aménageurs d'une zone d'aménagement concertée qui se sont vu confier le droit d'exproprier dans les conditions de l'article L. 300-4 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L9405IZD). La même solution s'applique aux particuliers qui ont exercé leur droit de délaissement en application des dispositions des articles L. 230-1 (N° Lexbase : L7210ACZ) et suivants du même code.
Les modalités selon lesquelles l'indemnité a été fixée sont indifférentes. Peu importe, par conséquent, que l'indemnité ait été fixée judiciairement ou qu'elle résulte d'un accord amiable constaté dans un acte de cession, dans un traité d'adhésion à ordonnance d'expropriation, ou dans un jugement de donné acte. De la même façon, il n'y a pas lieu de distinguer selon que le transfert de propriété est prononcé par le juge, ou réalisé à l'amiable. Dès lors qu'ils ont fait l'objet d'une ordonnance de donné acte, les actes de vente amiable antérieurs à la déclaration d'utilité publique doivent être traités comme les actes postérieurs, conformément aux dispositions de l'article L. 12-2 du Code de l'expropriation (N° Lexbase : L2906HL9).
II - Condition tenant au remploi de l'indemnité
Si le champ de l'application de l'exonération prévue par l'article 150 U du CGI est donc très large, son bénéfice est soumis à une condition : il doit avoir été procédé au remploi de l'intégralité de l'indemnité par l'acquisition, la construction, la reconstruction ou l'agrandissement d'un ou de plusieurs immeubles dans un délai de douze mois à compter de la date de perception de l'indemnité. En revanche, la plus-value n'est pas exonérée en cas de remploi de l'indemnité dans l'acquisition de parts ou actions de sociétés ou groupements, ce qui vise notamment les groupements fonciers agricoles, les sociétés civiles de placement immobilier et les sociétés immobilières d'investissement.
Si le délai de douze mois visé par l'article 150 U du CGI apparaît relativement court, il s'ajoute en réalité à celui qui s'est écoulé entre la date du transfert de la propriété des biens à la collectivité publique et la perception effective de l'indemnité. Par ailleurs, l'administration fiscale admet que le remploi soit effectué avant la réalisation de l'expropriation ou le paiement de l'indemnité, dès lors que l'achat est motivé par la perspective de cette expropriation ou du paiement de l'indemnité (4).
De la même façon, si l'article 150 U susvisé exige le remploi de l'intégralité de l'indemnité, l'administration fiscale considèrera que cette condition est réputée satisfaite si 90 % de l'indemnité est effectivement remployée (5). L'indemnité qui doit être remployée est celle retenue pour le calcul de la plus-value de cession. En conséquence, vont être exclues les indemnités qui ne sont pas représentatives de la valeur de cession du bien exproprié, telles les indemnités pour trouble de jouissance, celles qui ont le caractère de revenu imposable pour le contribuable (les indemnités allouées pour perte de loyers notamment), ou encore celles représentatives de frais de déménagement de l'exproprié.
Dans la présente affaire, le requérant conteste un arrêt de la chambre des expropriations de la cour d'appel de Rennes fixant le montant des indemnités qui lui ont été allouées au titre de l'expropriation de parcelles lui appartenant au profit de la société X.
Une première question intéressante soulevée par cet arrêt concerne l'intention dolosive de la commune invoquée par le requérant, qui allègue que la déclassification partielle de sa parcelle en zone N ne correspondait pas à l'usage qui devait en être fait par l'expropriant. Il faut ici rappeler que l'article L. 13-15-I du Code de l'expropriation précise qu'en vue de l'estimation des biens, "il est tenu compte des servitudes et des restrictions administratives affectant de façon permanente l'utilisation ou l'exploitation des biens à la même date, sauf si leur institution révèle, de la part de l'expropriant, une intention dolosive".
Toutefois, l'intention dolosive ne se présume pas. Comme l'a relevé la cour d'appel d'Aix-en-Provence dans un arrêt du 10 décembre 2002 (6), "l'intention dolosive doit se caractériser par la volonté délibérée de l'autorité expropriante de dévaluer le terrain afin d'obtenir l'expropriation au moindre prix". Cependant, comme le précise le même arrêt, "le changement de zonage postérieur à la date de référence ne caractérise pas l'intention dolosive". De façon plus sévère encore, la Cour de cassation a jugé qu'il n'appartient pas au juge de l'expropriation d'apprécier la légalité et l'opportunité des actes administratifs (7). Ainsi, une intention dolosive ne saurait résulter du seul fait que le nouveau classement du terrain est mal fondé au regard de la définition qu'en donne le Code de l'urbanisme.
En l'espèce, le requérant soutient que la déclassification partielle de sa parcelle en zone N ne correspondait pas à l'usage qui allait en être fait par l'expropriant. La Cour de cassation considère toutefois que la cour d'appel, qui a relevé que, devenant un parc cette parcelle conserverait un usage conforme à son zonage, a souverainement déduit que la preuve de l'intention dolosive de la commune n'était pas rapportée.
La seconde question intéressante soulevée par l'arrêt commenté concerne l'application des dispositions de l'article L. 13-13 du Code de l'expropriation (N° Lexbase : L2935HLB), dont il résulte que "les indemnités allouées doivent couvrir l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain, causé par l'expropriation". Plus précisément, c'est la question de la réparation intégrale du préjudice subi qui est posée dans la présente affaire. Le juge de l'expropriation doit, en effet, prendre en compte l'ensemble des charges financières résultant de l'expropriation, sans omettre aucun chef de préjudice, dès lors qu'il repose sur un droit ou un intérêt juridiquement protégé. La personne évincée aura donc le droit de percevoir, en plus de l'indemnité principale représentant la valeur patrimoniale des biens expropriés, une ou plusieurs indemnités accessoires correspondant aux autres chefs de préjudice.
Dans la présente affaire, la cour d'appel avait attribué au propriétaire évincé une somme correspondant à la réalisation d'un puits sur une autre parcelle lui appartenant. Elle se fondait sur fait que la parcelle expropriée possédait une source formant une mare dont le requérant pouvait se servir pour ses bêtes, et qu'il convenait donc de l'indemniser des sommes exposées afin de bénéficier d'un nouveau point d'eau. Un tel préjudice est en effet indemnisable, à moins, évidemment, que la collectivité bénéficiaire de l'expropriation ne consente à la personne évincée une servitude pour l'usage de l'eau du puits et de la source sises sur la partie exproprié (8).
Dans la présente affaire, cependant, les juges relèvent que le propriétaire évincé n'avait pas sollicité le remboursement des frais exposés pour la création d'un puits dont les qualités hydrogéologiques n'étaient pas équivalentes. Ce n'est donc pas au titre des indemnités accessoires qu'il y avait lieu de réparer le préjudice subi. Il convient, en effet, de considérer que la source située sous la parcelle expropriée est un élément qui devait être intégré dans l'évaluation du terrain, pour la détermination de l'indemnité principale. La dépossession d'une parcelle comprend ses accessoires naturels et il n'y a donc pas lieu à indemnisation séparée pour les sources, dès lors, en tout cas, que celle-ci est exploitée ou exploitable par son propriétaire à la date de l'ordonnance d'expropriation (9).
(1) Cass. civ. 3, 12 mars 2003, n° 01-70.178, FS-P+B (N° Lexbase : A4241A79), Bull. civ. III, 2003, n° 61, AJDI, 2003, p. 367 et 865, note C. Morel ; Cass. civ. 3, 19 décembre 2007, n° 02-70.124, FS-D (N° Lexbase : A1144D3R), AJDI, 2008, p. 868, note A. Levy.
(2) CAA Lyon, 4ème ch., 27 septembre 2012, n° 11LY01226, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A2833IWT).
(3) CE 1° et 2° s-s-r., 2 juillet 2001, n° 211231, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5039AU8), Dr. adm., 2001, 219, CJEG, 2001, p. 439, concl. I. da Silva, RD imm., 2001, p. 494, note F. Donnat, RFDA, 2001, p. 1131, obs. R. Hostiou ; CE 5° et 7° s-s-r., 3 juillet 2002, n° 245236, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1663AZM), AJDA, 2002, p. 751, concl. D. Chauvaux, Collectivités-Intercommunalité, 2002, comm. 237, obs. T. Célérier, RFDA 2002, p. 1012 ; CAA Paris, 11ère ch., 5 novembre 2001, n° 00PA02528 (N° Lexbase : A6598BMC).
(4) BOI-RFPI-10-40-60, 12 septembre 2012, n° 170.
(5) Ibid. n° 80.
(6) CA Aix-en-Provence, 10 décembre 2002, n° 01/00036.
(7) Cass. civ. 3, 3 juillet 1996, n° 95-70.049, publié au bulletin (N° Lexbase : A0850ACH), Bull. civ. III, 1996, n° 173, AJPI, 1996, p. 902, obs. A.B., D., 1997, somm. p. 152, obs. P. Carrias, RD imm., 1996, p. 551, chron. C. Morel et M. Denis-Linton ; voir également Cass. civ. 3, 29 mai 2002, n° 01-70.048, inédit au bulletin (N° Lexbase : A7796AYE), RD imm., 2002, p. 318, note C.M.
(8) CA Aix-en-Provence, 14 février 2007, n° 06/00031 (N° Lexbase : A7478GT7).
(9) Cass. civ. 3, 12 février 2003, n° 01-70.089, FS-P+B (N° Lexbase : A0013A7M), Bull. civ. III, 2003, n° 33, JCP éd. G, 2003, IV, 1632.
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