Lexbase Social n°561 du 6 mars 2014 : Rupture du contrat de travail

[Jurisprudence] Garantie conventionnelle de licenciement : refoulement du concept de droits de la défense

Réf. : Cass. soc., 18 février 2014, n° 12-17.557, FS-P+B (N° Lexbase : A7628MEA)

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par Sébastien Tournaux, Professeur à l'Université des Antilles et de la Guyane

le 10 Mars 2014

Parmi les nombreuses garanties conventionnelles procédurales de licenciement, l'exigence d'un avis émis par un conseil de discipline a souvent eu la faveur des partenaires sociaux. Un certain nombre de branches professionnelles imposent donc qu'un tel organe émette un avis en cas de projet de licenciement d'un salarié dans une entreprise. Il est, en revanche, bien rare que ces conventions prévoient que l'avis émis par le conseil de discipline soit transmis au salarié. Par un arrêt rendu le 18 février 2014, la Chambre sociale de la Cour de cassation confirme que l'employeur n'est astreint à aucune obligation de communiquer cet avis au salarié faute que la convention collective le lui impose (I). A cette occasion, c'est probablement là l'essentiel, la Haute juridiction refoule assez clairement les concepts de principe du contradictoire et de droits de la défense au-delà des frontières de l'entreprise (II).
Résumé

La décision que l'employeur peut être amené à prendre à la suite de l'avis du conseil de discipline ou les éléments dont il dispose pour la fonder ont vocation, le cas échéant, à être ultérieurement discutés devant les juridictions de jugement si bien que le respect des droits de la défense et du principe de la contradiction n'impose pas que l'avis du conseil de discipline soit communiqué au salarié avant la notification de son licenciement.

Commentaire

I - Avis du conseil de discipline : aucune obligation de transmission au salarié

Garanties conventionnelles de licenciement. Au-delà de la procédure légale de licenciement imposée par le Code du travail, de nombreuses formalités spécifiques peuvent être prévues par convention collective (1).

Ces garanties conventionnelles sont très variées. Il peut s'agir, par exemple, de l'exigence d'un contreseing de la lettre de notification du licenciement (2), de la nécessité d'aviser le délégué du personnel ou le président de la commission nationale de conciliation de la branche (3) du futur licenciement ou, encore, d'astreindre l'employeur à communiquer au salarié les motifs de la rupture avant la notification du licenciement (4).

Ces garanties conventionnelles sont généralement considérées par le juge comme constituant des garanties de fond, si bien que le manquement de l'employeur à l'une d'entre elle prive le licenciement de cause réelle et sérieuse (5).

Conseil de discipline. La modalité la plus fréquemment exigée par convention collective est la réunion d'une instance tenant lieu de conseil de discipline et chargée d'émettre un avis sur la mesure disciplinaire envisagée contre le salarié (6). Si, le plus souvent, seule la recherche d'un avis est nécessaire, il arrive parfois que le texte lie l'employeur qui doit alors se conformer à la délibération du conseil de discipline (7).

Les modalités de saisine et de réunion du conseil de discipline peuvent varier . Il est ainsi parfois prévu que c'est le salarié qui saisit l'organe, auquel cas, il doit avoir été informé de la faculté de lui soumettre son cas (8). De la même manière, un délai de saisine est parfois imposé et son dépassement emporte encore la violation d'une garantie de fond (9).

Il semble qu'en revanche, de manière constante, le destinataire de l'avis du conseil de discipline soit toujours l'employeur. Aucune obligation n'est généralement faite par les conventions collectives de faire connaître au salarié le contenu de cet avis . C'est sur cette question qu'était interrogée la Chambre sociale de la Cour de cassation .

L'affaire. Le directeur d'une agence bancaire dont l'employeur était soumis à la convention collective nationale du Crédit agricole s'était fait licencier pour s'être livré à des agissements de harcèlement sexuel. Après avoir été convoqué à un entretien préalable et que celui-ci ait eu lieu, le salarié avait été entendu par le conseil de discipline prévu par l'article 13 de la convention collective. Le salarié avait alors contesté le licenciement devant le juge prud'homal.

La cour d'appel de Montpellier avait jugé le licenciement valable. Devant la Chambre sociale de la Cour de cassation, le salarié lui reprochait pourtant d'avoir reconnu que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse alors qu'il n'avait pas été informé de l'avis du conseil de discipline, ce qu'il considérait comme constituant une garantie de fond et une atteinte à ses droits de la défense.

Par un arrêt rendu le 18 février 2014, la Chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle note, d'abord, que l'article 13 de la convention collective nationale du Crédit agricole "ne prévoit pas la transmission au salarié, avant la notification du licenciement, de l'avis du conseil de discipline". Elle ajoute, ensuite, "que la décision que l'employeur peut être amené à prendre à la suite de l'avis du conseil de discipline ou les éléments dont il dispose pour la fonder ont vocation, le cas échéant, à être ultérieurement discutés devant les juridictions de jugement" et que, par conséquent, "le respect des droits de la défense et du principe de la contradiction n'impose pas que l'avis du conseil de discipline soit communiqué au salarié avant la notification de son licenciement".

II - Refoulement des droits de la défense hors de l'entreprise

Absence d'obligation de notification de l'avis. Le premier enseignement de cette décision est que l'avis émis par une commission de discipline ne doit pas impérativement être notifié au salarié concerné. Le rappel du texte de l'article 13 de la convention collective du Crédit agricole effectué par la Chambre sociale a, toutefois, pour vertu de montrer qu'il pourrait en aller autrement si la convention collective imposait une telle transmission.

Cela n'étonne guère puisque l'on se souvient, par exemple, que la notification au salarié des motifs du licenciement avant l'envoi de la lettre de notification, peut aussi constituer une garantie de fond (10). Toute information dont la délivrance est imposée par le texte conventionnel doit être remise au salarié, sans quoi, le licenciement serait dépourvu de cause réelle et sérieuse. Au contraire, dans le silence de la convention, seules les obligations légales s'imposent à l'employeur, lesquelles ne visent aucun conseil de discipline.

Justification de l'absence d'obligation de transmission de l'avis. Outre que la convention collective ne prévoyait pas une telle transmission obligatoire de l'avis du conseil de discipline, on peut considérer que la solution s'inscrit assez logiquement dans la philosophie qui gouverne la procédure de licenciement, que les modalités procédurales soient d'origine légale ou conventionnelle.

Ainsi, on rappellera que l'employeur n'a aucune obligation de communiquer au salarié les griefs qu'il entend formuler contre lui avant l'entretien préalable de licenciement (11). Surtout, cette solution est parfaitement cohérente avec une autre décision rendue par la Chambre sociale en 2005 à propos, déjà, de l'application de la convention collective du crédit agricole (12). La Cour de cassation jugeait alors que l'avis du conseil de discipline ne devait pas nécessairement intervenir avant la tenue de l'entretien préalable de licenciement.

L'idée qui semble fonder ces deux décisions est très proche : le salarié n'a pas véritablement besoin de cet avis pour se défendre, il n'en a pas besoin pour se défendre lors de l'entretien préalable, il n'a pas besoin d'être informé de son contenu, cela d'autant qu'en l'espèce, l'employeur n'est pas tenu à l'avis émis par le conseil . La communication de l'avis ne lui apporte rien.

Compte tenu de l'absence de lien entre la communication de cet avis et la défense du salarié, on peut donc être surpris par la suite de l'argumentation de la Chambre sociale.

Droits de la défense et principe du contradictoire. La deuxième partie de l'argumentation adoptée par la Chambre sociale de la Cour de cassation suscite davantage l'attention, même s'il est vrai que la Cour répond ici aux moyens du salarié invoquant ces questions. En effet, la Haute juridiction paraît expliquer que les droits de la défense et le principe du contradictoire ne sont pas en cause, qu'ils permettront la communication de l'avis du conseil de discipline devant les juridictions éventuellement saisies du litige.

On peut être tenté, en creux, de lire que droits de la défense et principe du contradictoire n'ont pas leur place dans la procédure de licenciement pour motif disciplinaire, ce qui n'a pas toujours été la position de la Chambre sociale. En effet, plusieurs décisions rendues ces dernières années avaient laissé entendre que la violation d'exigences liées à la consultation d'une instance telle qu'un conseil de discipline pouvait constituer la violation d'une garantie de fond à condition précisément d'entraver la défense du salarié (13).

La Chambre sociale replace donc les droits de la défense et le principe du contradictoire dans le strict cadre du procès, et refuse, comme cela avait pourtant été judicieusement proposé, d'étendre ces concepts à des procédures non juridictionnelles (14). Le droit de se défendre ne devrait-il pas être étendu, au-delà du procès, dans toute situation sur laquelle plane le prononcé d'une sanction avalisée par le droit ?


(1) S. Frossard, La sanction de la violation d'une procédure disciplinaire conventionnelle, signe de la procéduralisation du droit du travail, D., 2001. 417.
(2 ) Cass. soc., 5 avril 2005, n° 02-47.473, F-P (N° Lexbase : A7523DH4).
(3 ) Cass. soc., 21 janvier 2009, n° 07-41.788, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6458EC8).
(4) Cass. soc., 9 janvier 2013, n° 11-25.646, FS-P+B (N° Lexbase : A0706I3K) et nos obs ., Procédures conventionnelles de licenciement : des garanties de fond, mais pour combien de temps encore ?, Lexbase Hebdo n° 513 du 24 janvier 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N5387BTP).
(5) Jurisprudence constante depuis 1999, v. Cass. soc., 23 mars 1999, n° 97-40 .412 (N° Lexbase : A3552AU4) ; Dr. soc., 1999, p. 634, obs. J. Savatier.
(6) Les affaires sont nombreuses, v. par ex. Cass. soc., 11 juillet 2000, n° 97 -45.781, inédit (N° Lexbase : A3560AUE) ; Cass. soc., 16 janvier 2001, n° 98-43.189, inédit (N° Lexbase : A4416ARY) ; Cass. soc., 16 septembre 2008, n° 07-41.532, FS-P+B ([LXB=A4076EA9 ]).
(7) Cass. soc., 29 février 2000, n° 98-42.026, publié (N° Lexbase : A5569AW8). En cas de non-respect de l'avis du conseil de discipline, le licenciement ne sera pas, cependant, nécessairement considéré comme dépourvu de cause réelle et sérieuse, v. Cass. soc ., 3 décembre 2002, n° 00-46.055, publié (N° Lexbase : A1558A4H). Dit autrement, seule la consultation du conseil de discipline constitue une garantie de fond alors que le respect de cet avis ne l'est pas.
(8) Cass. soc., 18 octobre 2006, n° 03-48.370, FS-P+B (N° Lexbase : A9583DRD).
(9) Cass. soc., 21 juin 2006, n° 03-46.887, F-D (N° Lexbase : A9844DPB).
(10) Cass. soc., 9 janvier 2013, préc. note (4).
(11) Les arrêts sont anciens, mais n'ont pas à ce jour été contredits, v. Cass . soc., 4 novembre 1992, n° 91-41.189, publié (N° Lexbase : A3805AA8) ; Cass. soc., 24 novembre 1993, n° 90-45.042, inédit (N° Lexbase : A8001CZD).
(12) Cass. soc., 28 septembre 2005, n° 02-45.926, FS-P+B (N° Lexbase : A5760DKK).
(13) "Le non-respect d'un délai conventionnel de saisine d'un organisme consultatif ne constitue pas la violation d'une garantie de fond, sauf si cette irrégularité a eu pour effet de priver le salarié de la possibilité d'assurer utilement sa défense devant cet organisme" (nous soulignons), v. Cass. soc., 3 juin 2009, n° 07-42 .432, FP-P+B (N° Lexbase : A6186EHL) et les obs. de G. Auzero, Mise en oeuvre des procédures conventionnelles de licenciement : de quelques distinctions autour de la notion de "garanties de fond", Lexbase Hebdo n° 355 du 18 juin 2009 - édition sociale ([LXB =N6572BKM]). Dans le même ordre d'idée, v. Cass. soc., 27 juin 2012, n° 11-14.036, FS-P+B (N° Lexbase : A1398IQT) et les obs. de B. Gauriau, Procédure disciplinaire conventionnelle : entre garanties de fond et respect des droits de la défense !, Lexbase Hebdo n° 493 du 12 juillet 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N2898BTI). Il est vrai cependant que, dans ces affaires, le vocable spécifique de "droits de la défense" n'était expressément pas utilisé.
(14) V. l'étude fort documentée de M. Poirier, Pour un affermissement des droits de la défense des salariés au sein de l'entreprise, Dr. Ouvrier, 2010, p. 516 et p. 582.

Décision

Cass. soc., 18 février 2014, n° 12-17.557, FS-P+B (N° Lexbase : A7628MEA).

Rejet (CA Montpellier, 4ème ch., 29 février 2012, n° 10/09048 (N° Lexbase : A6852ID7).

Texte concerné : néant.

Mots-clés : licenciement ; garantie conventionnelle ; conseil de discipline ; avis ; transmission ; droits de la défense.

Lien base : (N° Lexbase : E5165EXL).

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