Lexbase Avocats n°165 du 6 février 2014 : Avocats/Procédure

[Jurisprudence] Echec de la transmission électronique et validation des actes

Réf. : CA Versailles, 19 novembre 2013, n° 13/04919 (N° Lexbase : A7457KPU)

Lecture: 7 min

N0586BUA

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] Echec de la transmission électronique et validation des actes. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/13850397-jurisprudenceechecdelatransmissionelectroniqueetvalidationdesactes
Copier

par Philippe Duprat, ancien Bâtonnier du barreau de Bordeaux

le 07 Février 2014

Après avoir été fortement redoutée, puis sévèrement critiquée au motif, notamment, qu'elle porterait notablement atteinte aux principes directeurs du procès, la communication électronique s'est très rapidement installée dans le paysage processuel français au point que nul ne songerait, désormais, à s'en passer et encore moins à revenir à la situation antérieure. L'habitude a été vite prise d'y recourir. Il est vrai que, devant la cour d'appel, le décret n° 2009-1524 du 9 décembre 2009 (N° Lexbase : L0292IGW) a institué la communication électronique en fourches caudines de la procédure avec représentation obligatoire. L'article 930-1 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0362ITL), qui est le texte de référence, a imposé, pour les appels formés à compter du 1er janvier 2011, que la déclaration d'appel et la constitution d'avoués (devenus avocats) se fassent en la forme dématérialisée à peine d'irrecevabilité. Depuis le 1er janvier 2013, les autres actes mentionnés à l'article 930-1 doivent être effectués par la voie électronique. Si la détermination du périmètre exact de la dématérialisation de la procédure avec représentation obligatoire devant la cour a, parfois, été discutée (v. Corrine Bléry, Procédure avec représentation obligatoire devant les cours d'appel et communication par voie électronique : panorama des difficultés, Rev. procédures, octobre 2013, p. 10 et s.), ce sont les hypothèses de dysfonctionnements avérés ou prétendus de la communication électronique qui suscitent d'abord l'inquiétude, ensuite la discussion. Que doit-on décider lorsque la technique défaille et que ce qui devait, à peine d'irrecevabilité, être fait au moyen de la communication électronique s'avère impossible ? Telle est la question à laquelle tente de répondre un arrêt de la cour d'appel de Versailles rendu le 19 novembre 2013. A lire l'article 748-7 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0423IGR), dont la portée générale est incontestable, "lorsqu'un acte doit être accompli avant l'expiration d'un délai et ne peut être transmis par voie électronique le dernier jour du délai pour une cause étrangère à celui qui l'accomplit, le délai est prorogé jusqu'au premier jour ouvrable suivant". Devant la cour d'appel, l'article 930-1, alinéa 2, énonce que, "lorsqu'un acte ne peut être transmis par voie électronique pour une cause étrangère à celui qui l'accomplit, il est établi sur support papier et remis au greffe. En ce cas, la déclaration d'appel est remise au greffe en autant d'exemplaires qu'il y a de parties destinataires, plus deux. La remise est constatée par la mention de sa date et le visa du greffier sur chaque exemplaire, dont l'un est immédiatement restitué".

Tout aurait-il été prévu ? Ce n'est pas si sûr. Faut-il encore déterminer ce qu'est une cause étrangère à celui qui accomplit l'acte. Ensuite, comment la preuve devra-t-elle en être rapportée ?

Si les questions sont simples à poser les réponses demeurent incertaines. La cour d'appel de Versailles, dans l'arrêt rapporté, s'est essayée à la réponse. Sur déféré de l'ordonnance de son conseiller de la mise en état, qui avait, au visa de l'article 908 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0162IPP), prononcé la caducité de la déclaration d'appel en retenant que l'avocat n'avait pas transmis ses conclusions d'appelant par la voie électronique dans le délai de trois mois, la cour réforme l'ordonnance en considérant qu'"en l'état des pièces produites [...] il n'est pas exclu que les conclusions, qui figurent comme ayant été jointes à son envoi électronique du 24 avril 2013 mais que le greffe n'a pas reçues, aient bien été jointes à cet envoi mais qu'un problème technique en ait empêché la transmission au greffe ou la réception par celui-ci". La cour ajoute "que l'hypothèse d'une défaillance technique à l'origine de la non transmission ou de la réception des conclusions [...] est d'autant moins à exclure qu'il apparaît que toutes les dates et événements relatés sur l'extrait du site e-barreau sont exacts ce qui permet de supposer que la mention signification DA + Cls' à la date du 24 avril 2013 l'est également".

La cour tire, ainsi, d'un faisceau de présomptions, la conviction que "la transmission des conclusions a échoué pour une cause étrangère à l'avocate de [Mme X] et que celle-ci, n'ayant pas eu connaissance de l'échec de sa transmission, n'a pas été mise en mesure de régulariser la procédure".

Faut-il approuver la cour dans la définition que l'on peut donner de la cause étrangère (I) et de la preuve que l'on doit en rapporter (II) ?

I - La définition de la cause étrangère

Qu'il s'agisse de l'article 748-7 ou de l'article 930-1 du Code de procédure civile, aucun de ces deux textes ne donne de définition de la cause étrangère. Tout au plus, apprend-on qu'elle doit être étrangère à celui qui accomplit l'acte soumis à la formalité de la communication électronique. Cela exclut, en particulier, la négligence de l'avocat, la mauvaise utilisation du système, ou encore, le recours à un matériel informatique inadapté, insuffisamment performant. De la même manière cela exclut l'absence de liaison avec le réseau internet si la cause de l'interruption de l'abonnement résulte d'une résiliation pour défaut de paiement.

Si l'on voit bien ce que n'est pas la cause étrangère, on a, en revanche, plus de mal à identifier ce qu'elle pourrait être.

D'abord, vraisemblablement, constituerait une cause étrangère la défaillance du système se traduisant par une disparition complète de la communication électronique : une sorte de blackout général, ne concernant pas un avocat, mais tous les avocats et au-delà l'ensemble du système.

Ensuite, constituerait une cause étrangère une défaillance de l'accès au réseau internet, sous la seule condition que le fournisseur d'accès soit le seul responsable d'une telle situation, à moins que l'on ne caractérise un incident extérieur, tel que par exemple, l'intervention d'un tiers, qui volontairement ou non, rend momentanément ou définitivement impossible l'accès au réseau internet. C'est l'hypothèse de travaux de voirie qui endommagent les câbles d'alimentation et rendent impossibles toute connexion.

Faudra-t-il admettre que des évènements tels qu'un début d'incendie, un court-circuit dans le cabinet de l'avocat pourraient constituer cette cause étrangère rendant impossible l'accomplissement de la formalité par la voie électronique ? La raison le commande, par un souci d'équité et de faire en sorte qu'un avocat ne soit pas doublement pénalisé, d'abord par les conséquences d'un événement fortuit, ensuite par l'irrecevabilité de ses actes de procédure. Le droit le recommande également. La cause étrangère : ce n'est pas le cas de force majeure qui doit présenter un caractère d'extériorité au cabinet.
Il suffit que la cause ne soit pas imputable à l'avocat, soit à raison d'une faute qu'il aurait commise ou d'une négligence dont il se serait rendu coupable. Il faut que l'avocat ne soit pas à l'origine de la difficulté, sans que pour autant cette dernière soit extérieure au cabinet. Il suffit, dans ce contexte, que la communication électronique s'avère impossible

Au cas d'espèce, la cour de Versailles a admis la notion de cause étrangère au seul motif que la formalité procédurale attendue -la transmission des conclusions d'appel dans le délai de trois mois- n'était pas intervenue, alors que toutes les pièces du dossier laissaient à penser que tout avait été correctement fait. Finalement pour la cour de Versailles ce n'est pas la cause étrangère qui a empêché l'accomplissement de la formalité, c'est l'absence de la formalité qui laisse présumer l'existence de la cause étrangère.

Tout devient alors une question de preuve Et, hors la défaillance globale du système qui ne sera pas difficile à prouver, toutes les autres hypothèses seront soumises à un aléa probatoire plus ou moins important.

II - La preuve de la cause étrangère

La cour de Versailles admet que la preuve de la cause étrangère puisse résulter d'un faisceau de présomption. Ce faisceau est constitué selon elle de trois éléments.

D'abord, les affirmations cohérentes de l'appelante, mais en réalité de son avocate, qui a eu soin de répertorier l'ensemble des manoeuvres techniques auxquelles elle s'est livrée ; affirmations corroborées par l'énoncé des dates auxquelles chacune des formalités a été accomplie. Le rapprochement et la concomitance des dates rendent ainsi vraisemblables les allégations.

Ensuite, la remise "de l'extrait du site e-barreau", relatif au dossier et répertoriant la liste des évènements accomplis. Cette affirmation est intéressante dans la mesure où les avocats qui -à titre individuel- n'ont aucune prise sur la conception de l'outil de communication électronique, sont dotés du moyen de contrôler la nature et la chronologie des opérations qu'ils effectuent ou font accomplir par leur secrétariat. La "fiche e-barreau" constitue un tableau de bord efficace auquel la pratique se fie car, d'ailleurs, elle ne peut pas faire autrement.

La cour de Versailles, consciente de cette situation, investit le "fichier e-barreau" d'une valeur probatoire indispensable et bien venue. On rappellera que toutes les cours n'ont pas cette approche ce que l'on peut regretter. Ainsi la cour d'appel de Bordeaux, dans un arrêt du 7 décembre 2012 (CA Bordeaux, 7 décembre 2012, n° 12/05214 N° Lexbase : A5368IYH), avait jugé que "la mention apposée sur la liste des évènements winci ca, éventuellement reprise sur la fiche e-barreau' est indifférente". Nous avions, à l'époque, critiqué cette analyse (v. nos obs., L'application du décret "Magendie" par la cour d'appel de Bordeaux : l'interprétation stricte de la cour en matière de recevabilité de l'appel, Lexbase Hebdo n° 155 du 5 septembre 2013 - édition professions N° Lexbase : N8400BTB). Il est heureux que la cour d'appel de Versailles rétablisse les choses en constatant le caractère cohérent et exact des mentions figurant sur e-barreau.

Enfin, la cour d'appel de Versailles estime que la preuve de la cause étrangère est rapportée par le seul fait qu'un problème technique ait pu empêcher la transmission.

Finalement, face à la cohérence d'un ensemble d'information, dont la véracité a pu être établie et vérifier, c'est la probabilité de la survenance d'un incident technique qui fait office de preuve de la cause étrangère et sauve de l'irrecevabilité des conclusions d'appel. Cette solution est, sur le plan probatoire, favorable au justiciable, mais surtout à son avocat. Il n'est, cependant, pas certain que le droit y trouve son compte. A bien y réfléchir, aucune preuve de la cause étrangère n'était rapportée. La cour a, simplement, admis qu'elle était probable. D'autres juges ont eu une appréciation plus sévère, mais plus juridique. Ainsi, la cour d'appel de Pau a, le 22 janvier 2014 (CA Pau, 22 janvier 2014, n° 14/271 N° Lexbase : A8001MCC ; lire N° Lexbase : N0489BUN), considéré que la cause étrangère devait être dûment attestée par un technicien.

La cause étrangère des articles 748-7 et 930-1 du Code de procédure civile est donc soumise à une grande incertitude à laquelle il est peu vraisemblable que la Cour de cassation mette bonne fin s'agissant d'une simple question de fait, et laissant ainsi le justiciable soumis à l'aléa de la jurisprudence.

newsid:440586