Lexbase Avocats n°165 du 6 février 2014 : Avocats/Procédure

[Jurisprudence] La constitution d'une SCP d'avocats vaut élection de domicile au sens de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881

Réf. : Cass. civ. 1, 11 décembre 2013, n° 12-29.923, F-P+B (N° Lexbase : A3585KR9)

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par Aurélie Bergeaud-Wetterwald, Professeur de droit privé et sciences criminelles, Université Montesquieu-Bordeaux IV, Institut de sciences criminelles et de la justice (EA 4601)

le 07 Février 2014

Faut-il appliquer avec rigueur le formalisme contraignant de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 (N° Lexbase : L7589AIW), lorsque l'action est portée devant les juridictions civiles ? Si la question divise la doctrine, elle n'a pas su trouver une réponse franche en jurisprudence. En témoigne un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 11 décembre 2013. En l'espèce, une société prétendant avoir été diffamée à la suite de la publication d'un article entame une action en réparation devant la juridiction civile et délivre à ce titre plusieurs assignations. Parmi celles-ci, deux sont déclarées nulles par la cour d'appel (CA Reims, 2 octobre 2012, n° 12/00162 N° Lexbase : A7248ITM), parce qu'elles font simplement référence à une SCP d'avocats sans indiquer le nom de l'avocat, personne physique, représentant la société demanderesse ce qui, pour la cour, ne permet pas de satisfaire aux prescriptions de l'article 53 de la loi de 1881. Et, de préciser qu'en l'absence de désignation de l'avocat intervenant au nom de la société, il n'y a pas eu élection de domicile, mais seulement indication de la ville dans laquelle la SCP d'avocats avait son siège social. Selon l'article 53 de la loi de 1881, lorsque la citation est à la requête du plaignant, "elle contiendra élection de domicile dans la ville où siège la juridiction saisie". On rappellera que, dans le contentieux de presse, la nécessité d'élire domicile revêt une importance toute particulière puisque c'est nécessairement au domicile élu que doit être signifiée l'offre de preuve de la vérité des faits diffamatoires dans le délai de dix jours à compter de la signification de la citation (loi du 29 juillet 1881, art. 55). Néanmoins, l'application de cette exigence devant les juridictions civiles a donné lieu à diverses interprétations jurisprudentielles. De nouveau appelée à se prononcer sur cette question, la première chambre civile de la Cour de cassation casse et annule l'arrêt d'appel au visa de l'article 53, alinéa 2, de la loi précitée. Elle retient que "la régularité de la constitution comme avocat d'une SCP d'avocats n'est pas subordonnée à l'identification de l'avocat appartenant à cette SCP appelé à représenter la partie [...] en sorte que la constitution de cette SCP, dont il n'est pas contesté qu'elle fût domiciliée dans la ville où siège la juridiction saisie, vaut élection de domicile". Pour bien comprendre l'intérêt de cette nouvelle décision de la première chambre civile (II), il convient de la resituer dans son contexte (I).

I - Le contexte de la décision rendue par la première chambre civile de la Cour de cassation le 11 décembre 2013

Poursuivant, depuis le début des années 1990, une entreprise d'unification du procès de presse par transposition du formalisme contraignant de la loi de 1881 à l'action exercée devant la juridiction civile, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation affirme, dans un arrêt du 12 mai 1999, que l'assignation doit contenir élection de domicile dans la ville où siège la juridiction saisie (Cass. civ. 2, 12 mai 1999, n° 97-12956, publié au bulletin N° Lexbase : A1770CHZ). En 2004, elle en tire les conséquences concrètes en reconnaissant que la simple mention d'un avocat postulant n'équivalait pas à l'élection de domicile telle qu'exigée par l'article 53 de la loi de 1881 (Cass. civ. 2, 10 juin 2004, n° 02-21.515, FS-P+B N° Lexbase : A7380DCC).

Désormais en charge du contentieux civil de presse, la première chambre civile de la Cour de cassation va adopter, en 2007, une position radicalement contraire en estimant que "l'indication dans l'assignation d'un avocat postulant au barreau du tribunal de grande instance de la ville où siégeait la juridiction saisie et dont le domicile professionnel en cette ville était indiqué, emportait élection de domicile des demandeurs au sens de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881" (Cass. civ. 1, 15 mai 2007, n° 06-10.464, FS-P+B N° Lexbase : A2531DWN). Même si l'élection de domicile a bien lieu en l'occurrence dans la ville de la juridiction saisie, cette élection n'est pas expresse, mais simplement inférée de la constitution d'avocat. Cet arrêt amorce, alors, un mouvement d'ampleur, qualifié de "reflux" (cf. E. Dreyer, Où va la Cour de cassation en matière de presse ?, JCP éd. G, 2010, 833), par lequel la première chambre civile va progressivement atténuer le parallélisme des formes entre procès pénal et civil pour simplifier l'introduction de l'instance devant la juridiction civile. Sur la seule question de l'élection de domicile, deux arrêts vont profondément marquer la distance vis-à-vis de la lettre de l'article 53 de la loi de 1881. Dans un arrêt du 24 septembre 2009, la première chambre civile admet que l'indication dans l'assignation d'un avocat dont le domicile professionnel se situe à Paris mais pouvant postuler, du fait de la multipostulation en région parisienne, devant le TGI de Nanterre, ville où siège la juridiction saisie, emporte élection de domicile au sens de l'article 53 de la loi de 1881 (Cass. civ. 1, 24 septembre 2009, n° 08-12.381, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A3174EL7). En l'espèce, l'élection de domicile est donc non seulement implicite, mais elle n'est pas faite dans la ville de la juridiction saisie. Cette interprétation contra legem n'a pas été réservée au cas particulier de la multipostulation. En 2011, la première chambre civile, tout en visant l'article 53 de la loi de 1881, s'en éloigne radicalement en affirmant que la constitution d'un avocat postulant devant le tribunal saisi de l'action en diffamation vaut élection de domicile au sens dudit article (Cass. civ. 1, 22 septembre 2011, n° 10-15.445, FS-P+B+I N° Lexbase : A9492HXT). En l'espèce, l'avocat était bien inscrit au barreau de la ville où siégeait la juridiction saisie mais avait son domicile professionnel dans une commune limitrophe.

Sans entrer dans le débat relatif à l'opportunité de la transposition du formalisme du droit processuel de la presse dans le procès civil, l'orientation prise par la jurisprudence depuis 2007 posait, tout de même, un problème en termes de cohérence et de sécurité juridique : si la règle de l'article 53 de la loi de 1881 est vidée de toute substance, à quoi bon maintenir l'ambiguïté en continuant de viser l'article ? Ne serait-il pas plus simple de reconnaître qu'il suffit d'appliquer, devant le juge civil, les règles du Code de procédure civile ?

Une telle perspective a, cependant, été récemment anéantie par l'intervention de l'Assemblée plénière de la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 15 février 2013, affirme solennellement que l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 doit recevoir application devant la juridiction civile (Ass. plén., 15 février 2013, n° 11-14.637, FP+B+R+I N° Lexbase : A0096I83). Même si le problème soumis à la Haute assemblée ne concernait pas l'exigence d'élection de domicile, mais celle de qualification du fait incriminé, la formule choisie confère à la solution une portée générale et sonne comme un rappel à l'ordre. L'arrêt constitue, d'ailleurs, un désaveu cinglant de la solution retenue en la matière par la première chambre civile (Cass. civ. 1, 8 avril 2010, n° 09-14.399, F-P+B+I N° Lexbase : A5573EUX). A cela, il faut ajouter la réponse donnée par le Conseil constitutionnel à une QPC transmise par cette même chambre (Cass. QPC, 20 février 2013, n° 12-20.544, F-D N° Lexbase : A4390I84) et portant sur la conformité de l'article 53 à la Constitution. Par décision du 17 mai 2013, le Conseil constitutionnel estime qu'à travers les formalités de la citation, dont l'exigence d'élire domicile dans la ville où siège la juridiction saisie, "le législateur a entendu que le défendeur soit mis à même de préparer utilement sa défense" et que "la conciliation ainsi opérée entre, d'une part, le droit à un recours juridictionnel du demandeur et, d'autre part, la protection constitutionnelle de la liberté d'expression et le respect des droits de la défense ne revêt pas un caractère déséquilibré" (Cons. const., décision n° 2013-311 QPC, du 17 mai 2013 N° Lexbase : A5437KDQ).

Forcément attendue, la première réaction de la première chambre civile a été de revenir à une application stricte de l'article 53 de la loi de 1881. Dans un arrêt du 3 juillet 2013, reprenant la formule dégagée par l'Assemblée plénière, elle rappelle que, selon cet article qui "doit recevoir application devant la juridiction civile", l'assignation doit contenir élection de domicile dans la ville où siège la juridiction saisie et que ces dispositions l'emportent sur celles des articles 751 (N° Lexbase : L6967H78) et 752 (N° Lexbase : L6968H79) du Code de procédure civile (Cass. civ. 1, 3 juillet 2013, n° 11-28.907, FS-P+B+I N° Lexbase : A3958KIG). Elle approuve, en l'espèce, l'annulation d'une assignation mentionnant la constitution d'un avocat postulant devant le tribunal saisi de l'action mais domicilié dans une autre ville et abandonne, ainsi, la jurisprudence façonnée depuis 2009.

Est-ce à dire que la première chambre civile a définitivement renoncé à son entreprise d'assouplissement du formalisme de l'assignation dans les procès civils de presse ? Rien n'est moins sûr à la lecture de l'arrêt du 11 décembre 2013.

II - Le sens de la décision rendue par la première chambre civile de la Cour de cassation le 11 décembre 2013

Le problème posé à la Cour de cassation portait précisément sur l'exigence d'élection de domicile, les assignations ayant été annulées pour non-respect des prescriptions de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881. En substance, la Cour estime que la constitution d'une SCP d'avocats domiciliée dans la ville où siège la juridiction saisie vaut élection de domicile.

Que le demandeur puisse élire domicile au siège d'une société d'avocats n'apparaît pas, en soi, contestable. Il est admis de longue date, en matière pénale, que l'élection de domicile peut se faire chez toute personne physique ou morale, dès lors que ce choix n'est pas de nature à porter atteinte aux intérêts du prévenu (Cass. crim., 17 décembre 1981, n° 80-90875, publié au bulletin N° Lexbase : A9370CHI) et que cette personne est habilitée à recevoir des actes (Cass. crim., 14 mars 2006, n° 05-87.303, F-P+F N° Lexbase : A8114DNT). Et, si la Chambre criminelle a eu l'occasion d'approuver la nullité d'une citation mentionnant une domiciliation au sein d'une SCP d'avocats, c'est uniquement parce qu'en l'espèce aucune adresse précise n'était indiquée (Cass. crim., 7 juin 2005, n° 04-87.073, FS-P+F N° Lexbase : A7666DIR).

Sur cette dernière condition, la Cour de cassation se contente, ici, de noter qu'il n'est pas contesté que la SCP fût domiciliée dans la ville de la juridiction saisie. Cette précision marque néanmoins la volonté de respecter la lettre de l'article 53 qui fait référence à "la ville" et non au ressort de la juridiction saisie. Sur ce point, la décision s'inscrit dans le sillage de l'arrêt du 3 juillet 2013 (préc.) rompant avec la jurisprudence initiée en 2009.

En revanche, une application stricte de l'article 53 voudrait que l'assignation contienne une élection de domicile expresse et non déduite de la constitution d'avocat. C'est en ce sens que statuait la deuxième chambre civile en 2004. En affirmant que la constitution d'une SCP d'avocats "vaut" élection domicile, la première chambre civile maintient la position adoptée dans l'arrêt du 15 mai 2007 (préc.). Cette interprétation qui procède d'une lecture assouplie de l'exigence d'élection de domicile, au sens de l'article 53 de la loi de 1881, n'est pas sans rappeler la règle posée par l'article 751 du Code de procédure civile, relatif à la procédure devant le TGI énonçant que "la constitution de l'avocat emporte élection de domicile". Selon cette règle, l'élection de domicile n'est pas le fruit d'une volonté directement exprimée, mais présente au contraire un caractère automatique : elle est nécessairement attachée à la constitution d'avocat obligatoire devant le TGI. La règle posée par l'article 53 de la loi 1881 est toute différente puisque la citation doit contenir élection de domicile dans la ville où siège la juridiction saisie. L'élection de domicile est donc obligatoire et encadrée, mais elle ne présente pas de caractère automatique. Il s'agit donc d'une élection de domicile spéciale et expresse. Contrairement à ce que pouvait laisser présager l'arrêt du 3 juillet 2013 (préc.), la première chambre civile de la Cour de cassation ne renoue pas avec une stricte orthodoxie dans l'application du formalisme contraignant de l'article 53. Nul besoin d'une indication expresse d'élection de domicile ; celle-ci est implicitement contenue dans la constitution d'avocat. Rendu au seul visa de l'article 53, alinéa 2, de la loi de 1881, l'arrêt fait en réalité application de la règle tirée de l'article 751 du Code de procédure civile, du moins en partie puisqu'il prend tout de même soin de constater que l'avocat constitué est bien domicilié dans la ville où siège la juridiction saisie.

Mais, la motivation de la Cour peut également surprendre lorsqu'elle affirme, pour en déduire l'existence d'une élection de domicile, que "la régularité de la constitution comme avocat d'une SCP d'avocats n'est pas subordonnée à l'identification de l'avocat appartenant à cette SCP appelé à représenter la partie au nom de laquelle la constitution est effectuée". La formule laisse perplexe, car il est désormais acquis, en procédure civile, que l'absence d'indication dans l'assignation du nom de l'avocat par le ministère duquel postule la société d'avocats, constitue une irrégularité de forme (Cass. civ. 2, 1er février 2006, n° 05-17.742, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A6047DMW ; Cass. civ. 2, 30 avril 2009, n° 08-16.236, F-P+B N° Lexbase : A6552EGR ; Cass. civ. 2, 27 septembre 2012, n° 11-22.854, F-D N° Lexbase : A6319IT9). La première chambre civile ne cherche pas à prendre le contrepied de cette jurisprudence, mais la formule employée qui fait référence à la "régularité de la constitution" peut sembler ambigüe. En réalité, il y a bien, en l'espèce, constitution d'avocat puisque la SCP d'avocats représente valablement le demandeur. Il n'est donc pas possible de contester l'existence d'une constitution comme avocat d'une SCP au motif que l'avocat personne physique postulant n'est pas identifié. C'est en ce sens qu'il faut comprendre l'arrêt du 11 décembre 2013 qui, de l'existence d'une constitution d'avocat -incontestable-, déduit -de manière plus discutable- l'existence de l'élection domicile réfutée par les juges d'appel.

En revanche et malgré la formule employée dans l'arrêt, il aurait été possible pour le défendeur de contester, sur le fondement de l'article 752 du Code de procédure civile, la "régularité" de l'assignation qui, lorsqu'elle ne mentionne pas le nom de l'avocat et celui de la société dont il est associé, est affectée d'un vice de forme. Mais, il est très rare qu'en pratique cette irrégularité formelle entraîne la nullité de l'assignation tant le régime des exceptions de nullité pour vice de forme est strict et la condition tenant au grief quasiment impossible à démontrer dans ce cas de figure. Quoi qu'il en soit, la Cour de cassation ne se prononce pas sur ce point et casse l'arrêt d'appel au seul visa de l'article 53, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881, dont l'application dans les procès civils de presse n'a manifestement pas fini d'alimenter les commentaires.

Décision

Cass. civ. 1, 11 décembre 2013, n° 12-29.923, F-P+B (N° Lexbase : A3585KR9)

Cassation (CA Reims, 2 octobre 2012, n° 12/00162 N° Lexbase : A7248ITM)

Textes applicables : loi du 29 juillet 1881, art. 53 (N° Lexbase : L7589AIW)

Mots clés : constitution d'avocat ; élection de domicile ; SCP

Lien base : (N° Lexbase : E9724ETC)

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