Réf. : Cass. civ. 1, 4 décembre 2013, n° 12-26.161, FS-P+B+I (N° Lexbase : A5511KQ8)
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N0481BUD
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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux
le 30 Janvier 2014
I - La possibilité d'adopter un enfant recueilli en kafala ayant acquis la nationalité française
Dans l'arrêt du 4 décembre 2013, la Cour de cassation admet clairement que l'interdiction d'être adoptés frappant au départ les enfants recueillis en kafala (A), peut être levée lorsqu'ils acquièrent la nationalité française (B).
A - La prohibition de l'adoption d'un enfant recueilli en kafala
Article 370-3 du Code civil. Selon l'article 370-3, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L8428ASX), issu de la loi n° 2001-111 du 6 février 2001 (N° Lexbase : L5155A4P) (2), "l'adoption d'un mineur étranger ne peut être prononcée si sa loi personnelle prohibe cette institution, sauf si ce mineur est né et réside habituellement en France". Cette solution évite que soient prononcées en France des adoptions qui ne sont pas reconnues dans le pays d'origine de l'enfant. Elle aboutit toutefois à exclure l'adoption de la plupart des enfants originaires du Maghreb, à l'exception des enfants tunisiens, dès lors qu'ils ne sont pas nés en France, puisqu'en vertu du Coran (3), l'adoption est prohibée par le droit musulman. Cette règle explique la présence de plus en plus fréquente en France d'enfants recueillis par des personnes françaises dans le cadre d'une kafala.
Droits fondamentaux. L'article 3-1 de la Convention internationale des droits de l'enfant (N° Lexbase : L6807BHL) pourrait permettre au juge de passer outre la prohibition de l'article 370-3 du Code civil en considérant que l'intérêt supérieur de l'enfant recueilli en kafala exige que son adoption soit prononcée ; ce qui sera incontestablement le cas lorsque les liens du mineur avec son pays d'origine sont particulièrement ténus. Ce n'est cependant pas la position de la Cour de cassation qui dans plusieurs arrêts (4), considère que cette solution ne méconnaît pas l'intérêt primordial de l'enfant. Ce refus d'étendre à l'enfant bénéficiaire d'une kafala les règles de l'adoption, même s'il n'est pas né en France, a été conforté par l'arrêt "H. c/ France" du 4 octobre 2012 (5) de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Critiques. La kafala, même si elle constitue une mesure de protection reconnue par la Convention internationale des droits de l'enfant, s'apparente davantage à la tutelle ou à la délégation d'autorité parentale qu'à l'adoption, faute de création de lien de filiation (6). Elle prend fin à la majorité de l'enfant et n'a aucune incidence sur la filiation, même si les législations marocaine et algérienne prévoient désormais un droit de succession pour l'enfant recueilli en kafala, à certaines conditions. Les difficultés auxquelles sont confrontés les enfants et les personnes qui les recueillent dans la vie quotidienne, dans les relations avec les administrations ou les organismes sociaux, ont été reconnues par plusieurs rapports et études (7) qui s'inquiètent de l'avenir de ces enfants sans filiation (8). Ces enfants ne bénéficient ainsi pas des mêmes droits que les autres enfants résidant sur le territoire français.
La prohibition de l'adoption de l'enfant recueilli dans le cadre d'une kafala est d'autant plus sévère lorsqu'elle concerne un enfant né dans un pays qui prohibent l'adoption mais qui réside en France depuis son plus jeune âge (9). En effet, l'article 370-3 du Code civil ne connaît qu'une exception qui concerne l'enfant né en France. Il serait sans doute opportun de prévoir une seconde exception à la prohibition, lorsque l'enfant réside en France, dès lors qu'il est principalement rattaché à la France et que ses liens sont quasiment inexistants avec son pays d'origine. Une telle solution a été adoptée par plusieurs Etats européens : la Suisse, l'Espagne, l'Italie et la Belgique. En attendant une éventuelle évolution législative, l'enfant recueilli en kafala peut espérer bénéficier d'une adoption s'il acquiert la nationalité française.
B - La possibilité d'adopter un enfant recueilli ayant acquis la nationalité française
Changement de loi personnelle. Dès lors que l'article 370-3 du Code civil vise la loi personnelle de l'enfant comme critère de la prohibition de l'adoption, il paraît logique que celle-ci devienne possible dès lors que l'enfant n'est plus soumis à cette loi. Le changement de loi personnelle de l'enfant recueilli en kafala depuis plus de cinq ans est rendu possible par l'article 21-12, 1° du Code civil qui lui permet de bénéficier de la nationalité française.
Résistance des juges du fond et du Parquet. Ce n'est pas pourtant la position adoptée par la cour d'appel de Nouméa, soutenue par le ministère public, dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt commenté. En effet, la cour d'appel affirme que "le statut de l'enfant, qui résulte du lien de filiation, demeure inchangé tant que son lien de filiation n'est pas rompu avec sa mère ; qu'ainsi, la règle qui prohibe l'adoption en vertu du statut personnel de la mère et de l'enfant s'impose encore à la date de la requête en adoption, quoique la nationalité de l'enfant ait entre-temps changé". En outre, elle reprend l'argument du Parquet selon lequel "c'est de manière unilatérale et sans y avoir été autorisée par les autorités marocaines que Mme X, se prévalant de ce qu'elle exerçait l'autorité parentale sur l'enfant, a souscrit en son nom, le 17 mars 2010, une déclaration de nationalité française, alors que dans le cadre du suivi des mesures de kafala, c'est au juge des tutelles du lieu de résidence de la personne assumant la kafala qu'il incombe de veiller à la situation de l'enfant en s'assurant que le kafil respecte les obligations mises à sa charge". Le raisonnement paraît doublement contestable. En effet, d'une part, la loi personnelle d'origine de l'enfant ne saurait continuer à s'appliquer alors même qu'il a acquis une autre nationalité et d'autre part, la kafala qui est l'équivalent d'une délégation de l'exercice de l'autorité parentale, confère à son bénéficiaire la compétence pour prendre les décisions relatives à l'identité de l'enfant, notamment à sa nationalité. Toutefois, cette position n'est pas isolée et traduit une certaine résistance des juges du fond et des parquets pour ne pas admettre ce qu'ils considèrent comme une manoeuvre frauduleuse.
Reconnaissance par la Cour de cassation de la possibilité d'adopter l'enfant ayant acquis la nationalité française. Dans l'arrêt du 4 décembre 2013, la Cour de cassation prend clairement le contrepied du raisonnement de la cour d'appel de Nouméa et admet clairement l'adoption d'un enfant qui relève à l'origine du statut prohibitif et qui a acquis la nationalité française. Elle affirme en effet que "les conditions de l'adoption de l'enfant devenu français sont régies par la loi française conformément à l'article 3 du Code civil". La Haute cour avait déjà admis cette solution mais de manière seulement implicite dans un avis du 17 décembre 2012 (10). Ainsi, la voie de l'acquisition de la nationalité française sur le fondement de l'article 21-12, 1° est désormais clairement ouverte aux enfants recueillis dans le cadre d'une kafala. Cet arrêt constitue une clarification bienvenue qui met fin à une ambigüité gênante.
Encore faut-il que la situation résultant de la kafala corresponde bien à un recueil tel que visé par l'article 21-12 du Code civil. Dans un arrêt antérieur, la Cour de cassation a affirmé que la kafala en elle-même ne suffisait pas pour remplir les conditions de recueil de l'article 21-12, alinéa 3, dans une hypothèse où le recueil de l'enfant était épisodique (11). Toutefois, lorsque l'enfant est réellement élevé dans le cadre de la kafala par des personnes de nationalité française, les conditions de l'acquisition de la nationalité sont réunies. Si le principe d'une adoption devient alors possible, la Cour de cassation rappelle dans l'arrêt du 4 décembre 2013 qu'elle doit satisfaire les conditions de fond, et particulièrement celles relatives au consentement des "parents d'origine" de l'enfant.
II - L'exigence d'un consentement des "parents d'origine" de l'enfant recueilli en kafala
Exigence du consentement des parents. La Cour de cassation rappelle que, parmi les conditions de l'adoption résultant de la loi française, figurent les exigences de l'article 348-2 du Code civil (N° Lexbase : L2860ABK) selon lequel le consentement à l'adoption ne peut être donné par le conseil de famille que lorsque les père et mère de l'enfant sont décédés, dans l'impossibilité de manifester leur volonté ou s'ils ont perdu leurs droits d'autorité parentale ou encore lorsque la filiation de l'enfant n'est pas établie. Lorsque les parents sont vivants et qu'ils n'ont pas été déchus de leurs droits, ce sont eux qui doivent consentir à l'adoption de l'enfant et non le conseil de famille.
Absence de perte des droits parentaux. Or, en l'espèce, la filiation maternelle de l'enfant était établie, a priori sa mère était vivante et il n'était pas prouvé qu'elle était dans l'impossibilité de manifester sa volonté. La question était donc de savoir si elle avait été déchue de ses droits parentaux par le jugement marocain déclarant l'enfant délaissé par sa mère car cette dernière ne parvenait pas à subvenir à ses besoins. La Cour de cassation applique à la procédure marocaine de délaissement les conditions de la déclaration judiciaire d'abandon française fondée sur l'article 350 du Code civil (N° Lexbase : L8900G9I) et objet d'une interprétation restrictive pas la jurisprudence française validée par la Cour européenne des droits de l'Homme (12). Seul le désintérêt volontaire peut en effet permettre de prononcer l'abandon judiciaire de l'enfant (13), or ce désintérêt n'était pas établi en l'espèce. La Cour de cassation interprète cette décision comme ne privant pas la mère de ses prérogatives parentales. Elle déduit du fait que le délaissement n'a pas été motivé par un désintérêt volontaire de la mère à l'égard de l'enfant que la mère de l'enfant n'avait pas perdu ses droits d'autorité parentale. C'est donc bien elle, et non le conseil de famille qui aurait dû consentir à l'adoption de l'enfant. Sans le consentement de la mère l'adoption était logiquement exclue.
Exigence logique, difficulté pratique. Comme le fait remarquer un auteur (14) "la position de la Cour de cassation paraît cohérente. Il aurait été pour le moins surprenant que, pour des enfants provenant de pays qui prohibent l'adoption, un changement de nationalité les affranchisse de l'exigence du consentement à l'adoption, alors que dans toutes les situations d'adoption internationale, le prononcé d'une adoption plénière n'est possible que si le consentement du représentant légal a été éclairé sur les effets de l'adoption plénière française".
Il n'en reste pas moins qu'en pratique, cette exigence logique paraît difficile à satisfaire pour des enfants qui n'ont plus d'attache avec leur pays d'origine et dont les parents risquent de ne pas être joignables. Le consentement de ces derniers sera particulièrement difficile à obtenir, sauf à anticiper et le solliciter au moment du prononcé de la kafala. Il est probable que les seuls enfants recueillis en kafala qui pourront bénéficier de l'adoption après avoir acquis la nationalité française seront ceux dont les parents sont décédés ou clairement identifiés comme déchus de leurs droits parentaux. Il n'en reste pas moins qu'en admettant clairement cette possibilité, l'arrêt du 4 décembre 2013 constitue un progrès pour les enfants vivant en France dans le cadre d'une kafala...
Décision
Cass. civ. 1, 4 décembre 2013, n° 12-26.161, FS-P+B+I (N° Lexbase : A5511KQ8). Rejet (CA Nouméa, 25 juin 2012, n° 11/5792 N° Lexbase : A9539IQD). Lien base : (N° Lexbase : E4387EY7 et N° Lexbase : E4418EYB). |
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