Le Quotidien du 23 avril 2025 : Propriété intellectuelle

[Questions à...] ChatGPT, version « Ghibli », une menace pour le droit d’auteur ? Questions à Vanessa Bouchara, avocate et spécialiste en propriété Intellectuelle

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[Questions à...] ChatGPT, version « Ghibli », une menace pour le droit d’auteur ? Questions à Vanessa Bouchara, avocate et spécialiste en propriété Intellectuelle. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/118388938-questions-a-chatgpt-version-ghibli-une-menace-pour-le-droit-dauteur-questions-a-vanessa-bouchara-avo
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le 18 Avril 2025

Mots clés : ChatGPT • Ghibli •  droit d’auteur • propriété Intellectuelle • intelligence artificielle

Intégrée à la dernière version de ChatGPT, une option permet aux utilisateurs de créer des images qui reprennent le style du studio de dessins animés japonais Ghibli, ce qui a provoqué un raz-de-marée sur les réseaux sociaux. Outre les dommages conséquents à l’environnement causés par des data centers en surchauffe, se pose la question de la violation des droits d’auteurs de cette entreprise, son cofondateur Hayao Miyazaki ayant d’ailleurs vertement critiqué cette avancée technologique. Pour en savoir plus sur cette nouvelle polémique, Lexbase a donc interrogé Vanessa Bouchara, avocate et spécialiste en propriété Intellectuelle*.


 

Lexbase : En créant des images inspirées du Studio Ghibli sans accord de licence, ChatGPT a déclenché une fronde parmi les auteurs. Pouvez-vous nous expliquer la polémique ?

Vanessa Bouchara : Le studio Ghibli est un studio d’animation japonais fondé par Hayao Miyazaki et Isao Takahata en 1985 qui produit des longs-métrages et des courts-métrages d’animation, ainsi que des téléfilms, séries et jeux vidéo.

Le Studio Ghibli est notamment connu pour ses longs-métrages dont plusieurs ont remporté des succès auprès de la critique et du public. Par exemple : Mon voisin Totoro (1988), Princesse Mononoké (1997) ou encore plus récemment Le Garçon et le Héron (2023).

Depuis le début de l’année 2025, OpenAI a ouvert au grand public une nouvelle fonctionnalité de génération d’images intégrée à ChatGPT permettant aux utilisateurs de transformer une photographie en image qui reprend les codes visuels et emblématiques du Studio Ghibli, sans autorisation.

Cette nouvelle fonctionnalité a suscité un engouement de la part du public et une fronde parmi les auteurs qui considèrent que cela n’est pas respectueux de la propriété intellectuelle.

Effectivement, si on devait considérer que les œuvres du Studio sont protégeables, les déclinaisons de ces œuvres seraient une atteinte aux œuvres premières. Une œuvre est originale lorsqu’elle porte l’empreinte de la personnalité de son auteur, ce qui signifie qu’on reconnaît une patte, un style spécifique.

Dans cet exemple, les images générées par ChatGPT reprennent des éléments stylistiques propres au Studio Ghibli (thèmes, personnages, univers visuel), qui sont reconnaissables, et la question qui se pose est celle de savoir si cela porte effectivement atteinte aux droits de propriété intellectuelle du Studio, voire si cela ne crée pas des agissements parasitaires déloyaux au préjudice du Studio.

Lexbase : OpenAI a justifié sa position en invoquant le style d'un studio, « plus large » que celui d'un artiste vivant

Vanessa Bouchara : Lorsque OpenAI invoque le style d’un studio « plus large » que celui d’un artiste vivant pour justifier la création des images inspirées du Studio Ghibli, elle semble laisser entendre que le Studio n’aurait pas de droits, et fait référence à sa politique de contenu qui ne lui permet pas de répondre favorablement à une demande visant à copier le style d’un artiste vivant.

En effetChatGPT ne permet pas de réalisation « dans le style de (nom d’un artiste contemporain) ». Par exemple, il ne sera pas possible de reprendre des œuvres de Liu Bolin.

En revanche, si vous demandez à ChatGPT de générer une image « dans le style du studio Ghibli », cela fonctionne.

Cette nuance entre artiste et studio pose question dans la mesure où derrière un style se cache en réalité un ou plusieurs artistes comme c’est le cas pour le Studio Ghibli dont Monsieur Hayao Miyazaki est l’artiste et l’âme du studio. Ce n’est pas parce que c’est le style d’un studio qu’il n’y a pas de droits de propriété intellectuelle.

Cette tentative d’OpenAI de procéder à un fonctionnement différent selon l’auteur est surprenante, et ne s’explique pas de manière très cohérente.

Lexbase : Les géants de la tech souhaitent de plus en plus entraîner leurs modèles sur des contenus protégés par les droits d'auteur. Est-ce un danger selon vous ?

Vanessa Bouchara : Le fait que les géants de la tech souhaitent de plus en plus entraîner leurs modèles sur des contenus protégés par les droits d’auteur constitue un danger pour les titulaires de droits.

La problématique de la violation du droit d’auteur ne se pose que pour l’intelligence artificielle générative, c’est-à-dire l’intelligence artificielle utilisée pour créer un nouveau contenu (texte, image), par opposition à l’intelligence artificielle prédictive qui permet de prévoir des tendances.

La phase d’entraînement de l’intelligence artificielle consiste à absorber des données, contenues dans des œuvres, qui sont copiées temporairement lors du traitement de l’œuvre par l’algorithme.

L’utilisation d’œuvres protégées pour l’entraînement d’algorithmes d’intelligence artificielle peut être considérée comme une violation du droit d’auteur si elle est effectuée sans l’autorisation préalable du titulaire de droits.

En effet, l’entraînement des modèles d'intelligence artificielle sur des contenus protégés par les droits d'auteur constitue un danger pour les titulaires de droits qui subissent une atteinte injustifiée de leurs droits.

Par ailleurs et en tout état de cause, la reproduction ou l’imitation d’une œuvre existante sans autorisation constitue une contrefaçon selon l’article L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle N° Lexbase : L3360ADS.

Outre les atteintes aux droits de propriété intellectuelle, ces usages non autorisés par le Studio pourraient injustement restreindre la possibilité pour le Studio Ghibli de développer sa propre intelligence artificielle qui générerait ses propres images, étant précisé que les modèles sur lesquelles cette potentielle IA s’entraineraît disposeraient des autorisations pour le faire.  

Lexbase : Comment protéger efficacement les droits d'auteur des œuvres cinématographiques et musicales de ces nouvelles technologies ?

Vanessa Bouchara : En Europe, l’utilisation d’œuvres protégées pour entraîner des IA est encadrée par la Directive (UE) n° 2019/790 du 17 avril 2019, sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les Directives 96/9/CE et 2001/29/CE (N° Lexbase : L3222LQE. Son article 4 autorise la fouille de données à des fins d’entraînement, y compris sur des contenus sous droit d’auteur, sauf si les ayants droit exercent leur droit d’opt-out (de s'y opposer).

Cette exception européenne a été transposée en droit français à l’article L. 122-5-3, III du Code de la propriété intellectuelle N° Lexbase : L5287L9P par l’ordonnance n° 2021-1518 du 24 novembre 2021 N° Lexbase : L7654MSB :

« I.-On entend par fouille de textes et de données, au sens du 10° de l'article L. 122-5, la mise en œuvre d'une technique d'analyse automatisée de textes et données sous forme numérique afin d'en dégager des informations, notamment des constantes, des tendances et des corrélations.

II.-Des copies ou reproductions numériques d'œuvres auxquelles il a été accédé de manière licite peuvent être réalisées sans autorisation des auteurs en vue de fouilles de textes et de données menées à bien aux seules fins de la recherche scientifique par les organismes de recherche, les bibliothèques accessibles au public, les musées, les services d'archives ou les institutions dépositaires du patrimoine cinématographique, audiovisuel ou sonore, ou pour leur compte et à leur demande par d'autres personnes, y compris dans le cadre d'un partenariat sans but lucratif avec des acteurs privés.



Les dispositions du précédent alinéa ne sont pas applicables lorsqu'une entreprise, actionnaire ou associée de l'organisme ou de l'institution diligentant les fouilles, dispose d'un accès privilégié à leurs résultats.


Les copies et reproductions numériques effectuées lors d'une fouille de textes et de données sont stockées avec un niveau de sécurité approprié et peuvent être conservées à des fins exclusives de recherche scientifique, y compris pour la vérification des résultats de la recherche.

Les titulaires de droits d'auteur peuvent mettre en œuvre des mesures proportionnées et nécessaires afin d'assurer la sécurité et l'intégrité des réseaux et des bases de données dans lesquels les œuvres sont hébergées.


Un accord conclu entre les organisations représentatives des titulaires de droits d'auteur et les organismes et institutions mentionnés au premier alinéa du présent II peut définir les bonnes pratiques relatives à la mise en œuvre de ses dispositions.


III.-Sans préjudice des dispositions du II, des copies ou reproductions numériques d'œuvres auxquelles il a été accédé de manière licite peuvent être réalisées en vue de fouilles de textes et de données menées à bien par toute personne, quelle que soit la finalité de la fouille, sauf si l'auteur s'y est opposé de manière appropriée, notamment par des procédés lisibles par machine pour les contenus mis à la disposition du public en ligne.

Les copies et reproductions sont stockées avec un niveau de sécurité approprié puis détruites à l'issue de la fouille de textes et de données ».

En d’autres termes, cet article précise que des copies ou reproductions numériques des œuvres peuvent être réalisées en vue de fouilles de textes et de données menées à bien par toute personne, quelle que soit la finalité de la fouille. Il ajoute toutefois que l’auteur peut s’y opposer, notamment par des procédés lisibles par machine pour les contenus mis en ligne à la disposition du public.

Pour OpenAI, cela signifie que l’entraînement de son modèle sur des œuvres de Ghibli pourrait être légal au regard du droit européen, en l’absence d’un opt-out explicite. En revanche, entraînement ne veut pas dire génération…

*Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public

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