Le Quotidien du 28 mars 2025 : Procédure civile

[Chronique] Panorama : un an de jurisprudence en procédure civile 2024-2025

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[Chronique] Panorama : un an de jurisprudence en procédure civile 2024-2025. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/117583308-chronique-panorama-un-an-de-jurisprudence-en-procedure-civile-20242025
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par Etienne Vergès, Professeur à l’Université Grenoble Alpes, directeur scientifique de l’ouvrage Lexbase « Procédure civile »

le 27 Mars 2025

Un an, et plus encore pourrait-on dire, puisque ce panorama couvre l’activité de la Cour de cassation depuis le début de l’année 2024 jusqu’au mois de février 2025. De cette sélection d’arrêts, il ressort que la jurisprudence fait surgir des situations toujours plus complexes, comme la problématique de l’application des délais Magendie lorsque le président de chambre tarde à orienter l’affaire. On observe également que la Cour de cassation utilise du plus en plus fréquemment l’article 6, § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme N° Lexbase : L7558AIR et le droit d’accès au juge pour adopter une interprétation souple des règles de procédure civile. On a ainsi le sentiment d’une rupture avec une période précédente ou le formalisme strict l’emportait souvent sur la finalité des règles. Ainsi, la Cour de cassation soulève-t-elle de sa propre initiative les risques liés à l’excès de formalisme, pour en corriger les effets. Dans le même esprit, elle opère un revirement net sur la péremption lorsque les parties n’ont aucune diligence à accomplir. Entre la très grande technicité de la matière et le respect des droits fondamentaux des parties, la jurisprudence semble chercher une voie médiane.


 

Sommaire

I. Principes directeurs du procès

  • Autorité de la chose jugée et principe de concentration

- Cass. civ. 1, 19 juin 2024, n° 19-23.298, FS-B

- Cass. civ. 2, 8 février 2024, n° 22-10.614, F-B

- Cass. civ. 3, 18 janvier 2024, n° 22-19.472, FS-B

  • Droit au juge et formalisme excessif des juridictions civiles

- CEDH, 21 novembre 2024, Req. 78664/17, Justine c/ France

- Cass. civ. 2, 12 décembre 2024, n° 22-11.816, F-B

- Cass. civ. 2, 3 octobre 2024, n° 22-16.223, F-B

  • Droit au juge et droit au recours

- Cass. civ. 2, 11 janvier 2024, n° 21-24.306, F-B

  • Principe du contradictoire et excès de pouvoir

- Cass. soc., 26 juin 2024, n° 22-19.432, F-B

II. Modes amiables de résolution des litiges

- Cass. civ. 2, 12 septembre 2024, n° 21-14.946, F-B

- Cass. soc., 24 avril 2024, n° 22-20.472, FS-B

III. Prescription civile

- Cass. civ. 3, 1er février 2024, n° 22-13.446, FS-B

- Cass. civ. 2, 3 octobre 2024, n° 22-10.329, F-B

IV. Mesures d’instruction in futurum

- Cass. civ. 2, 18 janvier 2024, n° 21-26.001, F-D

V. Incidents d’instance

- Cass. civ. 2, 7 mars 2024, n° 21-23.230, n° 21-20.719, n° 21-19.761, n° 21-19.475, FS-B

- Cass. civ. 2, 10 octobre 2024, n° 22-12.882, FP-B

- Cass. civ. 1, 14 novembre 2024, n° 22-23.185, F-B

VI. Mise en état

- Cass. com., 29 novembre 2023, n° 22-14.119, F-B

VII. Procédure orale et procédure orale/écrite

- Cass. civ. 2, 24 octobre 2024, n° 22-18.471, FP-B

- Cass. civ. 2, 24 octobre 2024, n° 22-15.908, FP-B

VIII. Procédure écrite – formalisme des écritures

- Cass. civ. 2, 28 novembre 2024, n° 22-16.664, F-B

- Cass. civ. 2, 16 janvier 2025, n° 22-17.956, F-B

IX. Délibéré – notes en délibéré

- Cass. civ. 2, 23 mai 2024, n° 22-23.735, F-B

- Cass. civ. 2, 7 mars 2024, n° 22-11.720, F-D

- Cass. civ. 2, 3 octobre 2024, n° 22-15.145, F-B

X. Appel

  • Droit d’appel

- Cass. civ. 1, 23 octobre 2024, n° 22-17.103, FS-B

- Cass. com., 2 mai 2024, n° 22-19.625, F-B

- Cass. civ. 2, 16 janvier 2025, n° 22-21.138, F-B

- Cass. civ. 2, 6 février 2025, n° 22-18.971, F-B

- Cass. civ. 2, 16 janvier 2025, n° 22-17.732, F-B

  • Formalisme de la déclaration d’appel

​​​​​​​- Cass. civ. 2, 24 octobre 2024, n° 23-12.176, F-B

- Cass. civ. 2, 7 mars 2024, n° 22-23.522 et n° 22-20.035, FS-B

- Cass. civ. 2, 12 décembre 2024, n° 22-17.581, F-B

  • Appel annulation et prétentions de l’appelant

​​​​​​​- Cass. civ. 2, 7 mars 2024, n° 22-11.804, F-B

  • Délais pour conclure en cas d’orientation tardive de l’affaire

- Cass. civ. 2, 13 juin 2024, n° 22-13.648, F-B​​​​​​​

  • Concentration des demandes dans les premières conclusions

​​​​​​​- Cass. civ. 2, 4 juillet 2024, n° 21-20.694, FS-B


I. Principes directeurs du procès

  • Autorité de la chose jugée et principe de concentration

Depuis l’arrêt Césaréo rendu par l’assemblée plénière en 2006, le principe de concentration poursuit son émancipation et la Cour de cassation tente, arrêt après arrêt d’en définir les contours. À cet égard, l’arrêt rendu le 19 juin 2024 constitue une étape importante puisqu’il exclut l’application du principe à l’égard des procédures conduites à l’étranger (Cass. civ. 1, 19 juin 2024, n° 19-23.298, FS-B N° Lexbase : A85945I7). En l’espèce, une société luxembourgeoise avait assigné son administrateur devant une juridiction de cet État à la suite de détournements d'actifs. L’action exercée sur le fondement de la responsabilité délictuelle avait été rejetée. La demanderesse décida alors d’agir en responsabilité contractuelle, mais cette fois, devant la juridiction française. En application du principe de concentration des moyens, ce changement de fondement juridique aurait dû être jugé inopérant et l’action de la société aurait dû être déclarée irrecevable en raison de l’autorité de la chose jugée au Luxembourg. Toutefois, la première chambre civile prend le contrepied de sa jurisprudence et elle juge que la « règle prétorienne de concentration des moyens » n’a pas lieu de s’appliquer « lorsque l'instance initiale se déroule devant une juridiction étrangère ». Elle explique ainsi qu’une application du principe de concentration des moyens à une procédure étrangère porterait une atteinte excessive au droit d’accès au juge. Elle ajoute que la règle n’est pas suffisamment prévisible et accessible. La solution se comprend aisément. En effet, la société luxembourgeoise n’avait aucune raison de penser qu’un principe de droit français trouverait à s’appliquer à une procédure conduite au Luxembourg. Elle trouve ainsi une deuxième chance devant les juridictions françaises.

Un autre arrêt aborde la notion de cause factuelle du litige. La Cour de cassation rappelle que l'autorité de la chose jugée ne peut être opposée lorsque des événements postérieurs sont venus modifier la situation reconnue antérieurement en justice (Cass. civ. 2, 8 février 2024, n° 22-10.614, F-B N° Lexbase : A91362KL). Cette solution n’est pas nouvelle (par ex. Cass. civ. 2, 6 mai 2002, n° 02-13.689, FS-P+B N° Lexbase : A1590DCU). Elle est ici appliquée à la réparation d’un préjudice aggravé. En l’espèce, une personne victime d’une sécheresse avait agi une première fois contre son assureur pour obtenir la réparation de ses préjudices (fissures), puis une seconde fois pour des privations de jouissance et des frais de démolition/construction qui constituaient des conséquences nouvelles de cette sécheresse. La Cour de cassation a jugé que l’autorité de la chose jugée ne s’imposait pas à ces préjudices nés d’événements postérieurs.

En suivant la même interprétation du principe, elle a jugé dans une autre affaire (Cass. civ. 3, 18 janvier 2024, n° 22-19.472, FS-B N° Lexbase : A43392EG) que l’autorité de la chose jugée ne s’appliquait pas à l’action intentée contre des associés à deux reprises, alors qu’était intervenue entre temps la liquidation judiciaire de la société. Cette liquidation a été considérée comme un événement nouveau qui modifie la cause factuelle du litige.  

  • Droit au juge et formalisme excessif des juridictions civiles

Le formalisme excessif est un concept juridique en pleine expansion. Il constitue une émanation du droit d’accès à un tribunal consacré par la Cour européenne des droits de l’homme et il a pour effet de sanctionner les débordements d’une procédure civile toujours plus complexe et formaliste. Il y a dix ans déjà, la CEDH condamnait la France pour avoir fait preuve d’excès de formalisme en déclarant irrecevable le pourvoi d’un père de famille, qui cherchait à obtenir le retour de ses enfants, en raison d’une erreur procédurale commise par le procureur de la République (CEDH, 5 novembre 2015, Req. 21444/11, Henrioud c/ France N° Lexbase : A7326NUU). Plus proche de nous, la CEDH vient à nouveau de condamner la France pour avoir déclaré irrecevable un pourvoi en cassation en raison de la production tardive de la décision rendue en première instance (CEDH, 21 novembre 2024, Req. 78664/17, Justine c/ France N° Lexbase : A91946ID). En l’espèce, l’avocat avait commis une confusion et avait communiqué la mauvaise décision de justice au greffe de la Cour de cassation. Sur demande du greffe, cette erreur avait été corrigée rapidement. La CEDH a jugé que l’interprétation de la règle de droit par la Cour de cassation avait été particulièrement rigoureuse et qu’elle n’était pas nécessaire à la bonne administration de la justice et à la sécurité juridique.

Cet arrêt est riche d’enseignements. La CEDH rappelle son attachement aux règles formelles de procédure civile qui permettent notamment « qu’un litige soit tranché et jugé de manière effective et dans un délai raisonnable ». Elle précise en outre que le droit d’accès à un tribunal « n’impose pas aux autorités judiciaires d’inviter les parties à régulariser la procédure chaque fois que la méconnaissance d’une formalité est constatée ». C’est donc bien sur les parties que repose la charge des diligences procédurales. Toutefois, en l’espèce, elle juge que « la règle procédurale a […] été appliquée comme une barrière empêchant de trancher une affaire pourtant prête à être jugée ». Elle en conclut que la charge procédurale supportée par la partie était excessive et elle constate une violation de l’article 6, § 1 de la Convention.

Depuis l’apparition du concept de formalisme excessif, la Cour de cassation est particulièrement visée par les sanctions venant de la CEDH. C’est la raison pour laquelle on voit apparaître, progressivement, une jurisprudence interne qui tente d’endiguer les excès de formalisme avant qu’advienne une condamnation européenne. Par exemple, dans un arrêt rendu le 12 décembre 2024 (Cass. civ. 2, 12 décembre 2024, n° 22-11.816, F-B N° Lexbase : A30226MU), la Cour de cassation avait à connaître d’une procédure d’appel sur la compétence, dans laquelle l’intimé avait soulevé et obtenu l’irrecevabilité de l’appel, car l’appelant avait joint à l’assignation à jour fixe une copie non signée de l’ordonnance du premier président qui fixait la date d’audience. Pour la Cour de cassation, c’était à la cour d’appel de vérifier que cette copie non signée était concordante avec celle signée qui figurait au dossier. Elle ajoute que l’appel ne peut être déclaré irrecevable que si la copie n’est pas intègre. Elle conclut enfin que « toute autre interprétation relèverait d'un formalisme excessif ». Cet arrêt illustre bien les limites du formalisme. L’ordonnance avait bien été signée, et seule la copie transmise à l’intimé ne l’était pas. Les juges du fond ne pouvaient s’en tenir à une interprétation littérale du formalisme, mais devaient rechercher la finalité de la règle. Ici, il s’agissait d’informer l’intimé de l’ordonnance fixant la date d’audience, et cette information avait bien été délivrée. L’irrecevabilité ne se justifiait donc pas.

Une autre illustration émane d’un arrêt rendu le 3 octobre 2024 (Cass. civ. 2, 3 octobre 2024, n° 22-16.223, F-B N° Lexbase : A936557Y). Dans cette affaire, l’appelant avait commis une erreur formelle dans le dispositif de ses conclusions. L’en-tête de ce dispositif mentionnait le tribunal de grande instance et non la cour d’appel. La juridiction du second degré en avait tiré la conséquence qu’elle n’était saisie d’aucune demande et que le jugement devait être confirmé. Au contraire, pour la Cour de cassation, cette mauvaise référence au tribunal relevait d’une « simple erreur matérielle affectant uniquement l'en-tête des conclusions et portant sur une mention non exigée par la loi ». Elle en déduit que les juges d’appel ont fait preuve d’un formalisme excessif.

  • Droit au juge et droit au recours

Le droit au juge permet, dans des cas très limités, d’ouvrir une voie de recours alors même que les textes excluent cette possibilité. Le cas de l’appel-nullité ouvert en cas d’excès de pouvoir est bien connu. Le recours contre les mesures d’administration judiciaire l’est moins. L’arrêt rendu le 11 janvier 2024 en est d’autant plus intéressant (Cass. civ. 2, 11 janvier 2024, n° 21-24.306, F-B N° Lexbase : A21002D7). Dans cet arrêt, la Cour de cassation affirme que « la décision de réouverture des débats est une mesure d'administration judiciaire qui ne peut faire l'objet d'aucun recours, sauf dans le cas d'une atteinte au droit à l'accès au juge ». Les faits de l’arrêt sont malheureusement peu clairs, de même que la possible atteinte au droit au juge dans cette affaire (le pourvoi est rejeté), mais la formulation choisie par la Cour de cassation laisse apparaître une exception qui prend l’allure d’un principe : à chaque fois qu’une atteinte au droit au juge est menacée, une voie de recours est ouverte.

  • Principe du contradictoire et excès de pouvoir

Le principe du contradictoire connaît de nouveaux développements à la faveur de l’immixtion dans le procès de personnes n’ayant pas la qualité de partie. Tel est le cas du défenseur des droits qui s’illustre dans l’arrêt rendu le 26 juin 2024 (Cass. soc., 26 juin 2024, n° 22-19.432, F-B N° Lexbase : A12315L8). En l’espèce, un salarié agissait contre son employeur devant le conseil des prud’hommes et il avait également saisi le défenseur des droits pour des faits de discriminations. Dans l’instance prud’homale, le défenseur des droits a présenté ses observations conformément à l’article 33 de la loi organique n° 2011-333, du 29 mars 2011 N° Lexbase : Z82440KZ. Le défendeur au procès a demandé aux juges du fond de déclarer son intervention irrecevable. La cour d’appel a répondu que le défenseur des droits n’était pas une partie au procès, analyse qui est confirmée par la Cour de cassation. Cette dernière reprend la jurisprudence élaborée à propos de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Cass. soc., 16 novembre 2010, n° 09-42.956, FS-D N° Lexbase : A5849GKT), à savoir que l’intervention de cette autorité ne méconnaît pas « les exigences du procès équitable et de l'égalité des armes dès lors que les parties sont en mesure de répliquer par écrit et oralement à ces observations, et que le juge apprécie la valeur probante des pièces qui lui sont fournies et qui ont été soumises au débat contradictoire ».

En d’autres termes, si le défenseur des droits n’est pas une partie au procès civil, il peut toutefois soumettre des pièces à la juridiction et présenter des observations. Réciproquement, les pièces et les observations doivent être soumises à un débat contradictoire. En l’espèce, devant la cour d’appel, le défenseur des droits avait informé les parties de son intention d’intervenir, et il avait développé la même argumentation que celle présentée devant le conseil des prud’hommes. Enfin, il avait pris soin de notifier ses pièces aux parties, de sorte que le principe du contradictoire a été respecté.

II. Modes amiables de résolution des litiges

Les clauses de règlement amiable continuent à poser des difficultés d’application alors même que la jurisprudence leur réserve un régime juridique précis [1] comme l’illustre l’arrêt rendu le 12 septembre 2024 (Cass. civ. 2, 12 septembre 2024, n° 21-14.946, F-B N° Lexbase : A77035YX). En l’espèce, le litige concernait l’exécution d’un contrat de cession de fonds de commerce qui comportait une clause de conciliation préalable. Cette clause prévoyait que tout litige relatif à l’interprétation et l’exécution du contrat devait, préalablement à toute instance, être soumis à des conciliateurs.

Après avoir vainement tenté une conciliation, les cédants ont d’abord assigné l’acquéreur en référé, mais ils ont été déboutés de leurs demandes. Ils ont alors agi au fond, mais cette action a été partiellement jugée irrecevable pour défaut de conciliation. La question se posait donc de savoir si la recherche de conciliation effectuée avant l’instance en référé pouvait également constituer le préalable obligatoire devant la juridiction du fond. La cour d’appel a jugé que l’action des cédants était irrecevable, car la demande présentée au fond était différente de celle présentée en référé. En particulier, elle a affirmé que « la tentative de conciliation mise en oeuvre avant le litige en référé avait des fondements, un contexte, des prétentions et des enjeux différents par rapport à l'instance » au fond, analyse qui fut contestée dans le pourvoi en cassation.

La deuxième chambre civile apporte une réponse ambiguë à la question posée. Elle relève que toutes les conditions de la fin de non-recevoir sont réunies : l’existence d’une clause de conciliation, un litige portant sur l’exécution du contrat et une fin de non-recevoir soulevée par les défendeurs. Elle en déduit que la cour d’appel a « par ces seuls motifs » légalement justifié sa décision. Toutefois, la Cour de cassation laisse en suspens la question essentielle posée par le litige, c'est-à-dire celle de savoir si la conciliation tentée à l’origine de la procédure (avant la saisine en référé) portait sur un litige identique à celui présenté devant les juges du fond. En ne répondant pas à cette question, l’arrêt peut être interprété de deux façons. D’un côté, il est possible d’imaginer que la tentative de conciliation préalable à l’instance en référé doit être réitérée avant la saisine de la juridiction au fond. Une telle interprétation est difficilement imaginable. Si les demandeurs ont tenté vainement une conciliation, cette tentative devrait satisfaire de façon générale au préalable imposé par la clause de conciliation. D’un autre côté, on peut penser que la deuxième chambre civile a livré, même implicitement, la même analyse que la cour d’appel et qu’elle a jugé que l’objet de la tentative de conciliation était différent de celui du litige porté devant la juridiction du fond. Après cet arrêt, le régime des clauses de règlement amiable des litiges comporte encore sa part d’ombre.

Lorsqu’un accord intervient entre les parties, il constitue lui-même un obstacle à l’exercice de l’action. Cet effet découle assez logiquement du fait que l’accord met fin au litige. La question se pose pourtant de savoir quelle est l’étendue du litige qui est couverte par l’accord. Cette difficulté est illustrée par l’arrêt rendu le 24 avril 2024 dans un litige relatif à un contrat de travail (Cass. soc., 24 avril 2024, n° 22-20.472, FS-B N° Lexbase : A7820287). En l’espèce, à l’occasion d’un licenciement, un salarié et son employeur ont conclu un accord devant le bureau de conciliation et d’orientation du conseil des prud’hommes, qui prévoyait le versement d’une indemnité globale et forfaitaire en raison de la rupture du contrat de travail. Par la suite, le salarié a agi en justice afin d’obtenir le paiement de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence. La question se posait donc de savoir si l’accord portant sur les indemnités de licenciement couvrait également les sommes dues au titre de la clause de non-concurrence. La réponse de la Cour de cassation est affirmative. Elle reprend les constatations de la cour d’appel selon lesquelles l’accord « valait renonciation à toutes réclamations et indemnités et entraînait désistement d'instance et d'action pour tout litige né ou à naître découlant du contrat de travail ». Elle en déduit que « les obligations réciproques des parties au titre d'une clause de non-concurrence étaient comprises dans l'objet de l'accord ». Cet arrêt doit attirer l’attention, car il montre que la généralité des termes de l’accord a une incidence sur les droits des parties. Ici, le salarié avait renoncé, probablement sans le savoir, à l’indemnité spécifique liée à la clause de non-concurrence. L’arrêt rappelle également, si cela était nécessaire, qu’un règlement amiable emporte renonciation à agir en justice, ce qui constitue à la fois son objet et son intérêt.

III. Prescription civile

Le point de départ de la prescription alimente un contentieux toujours plus fourni afin d’appliquer à des situations très diverses la notion de point de départ glissant. La prescription des actions en responsabilité pour manquement au devoir d’information et de conseil en est une bonne illustration. Dans une espèce ayant donné lieu à un arrêt du 1er février 2024 (Cass. civ. 3, 1er février 2024, n° 22-13.446, FS-B N° Lexbase : A01442I8), les acquéreurs d’un bien immobilier locatif agissaient contre la société qui avait servi d’intermédiaire et contre la banque qui avait accordé le prêt pour cette opération. Dans ce type d’opérations, les faits sont très similaires. Les biens acquis par des particuliers sont généralement surestimés, ainsi que la rentabilité de l’investissement locatif. À l’arrivée, ces investissements hasardeux, soutenus par des mesures de défiscalisation, s’avèrent souvent déficitaires et les gains promis se transforment en perte, notamment lorsque l’opération financière prévoit un remboursement différé du capital. Tel était le cas en l’espèce, puisque les emprunteurs avaient bénéficié d’un différé de dix années, mais à l’issue de cette période, il s’était avéré que la valeur de l’immeuble acquis était inférieure au montant du capital à rembourser. Le manquement au devoir d’information et de conseil portait ici sur le risque que représentait l’opération et le problème se posait de savoir à quel moment le délai de prescription de cinq ans commençait à courir en faveur des acquéreurs. Selon la cour d’appel, ce point de départ devait être fixé au jour de l’acquisition, car c’était à cette date que les acquéreurs avaient connaissance de la valeur du bien vendu. Prenant le contrepied de ce raisonnement, la Cour de cassation juge que « le point de départ de l'action en responsabilité engagée par l'acquéreur contre des professionnels pour manquement à leurs obligations respectives d'information, de conseil, ou de mise en garde, est le jour où le risque s'est réalisé ». Elle précise que ce jour est celui où l’acquéreur a appris que le prix de revente de l’immeuble était inférieur au capital dû à la banque. La solution est importante, car elle adopte une conception subjective du point de départ de la prescription. De façon objective et abstraite, le risque de l’opération est pris au moment de l’acquisition et le défaut d’information a lieu au même moment. Mais en réalité, c’est bien le défaut d’information qui vise à dissimuler le risque, de sorte que l’acquéreur mal informé a le sentiment que l’opération immobilière et financière n’est pas risquée au jour de l’acquisition. Ce sentiment de sécurité est renforcé par le fait que le remboursement du capital et reporté à une date très lointaine de l’acquisition. Dès lors, c’est simplement au moment où l’échéance de la dette se présente que l’acquéreur à qui on a caché le risque découvre que l’opération était effectivement risquée. C’est tout l’intérêt du point de départ glissant, que d’assurer la protection de celui qui a été tenu dans l’ignorance et donc dans une impossibilité d’agir d’ordre psychologique.

Un autre arrêt rendu en 2024 tire les conséquences du caractère d’intérêt privé de la prescription (Cass. civ. 2, 3 octobre 2024, n° 22-10.329, F-B N° Lexbase : A935757P). La Cour de cassation y affirme que « le juge n'est pas tenu d'examiner d'office si des actes ont ou non un caractère interruptif de prescription, quand de tels actes n'ont pas été invoqués spécialement comme étant revêtus d'un tel effet interruptif ». En l’espèce, dans un litige particulièrement complexe, la cour d’appel avait déclaré l’action prescrite et il lui était reproché de n’avoir pas examiné si des assignations portant sur un litige connexe n’avaient pas eu pour effet d’interrompre la prescription. La Cour de cassation constate que ces actes n’avaient pas été « spécifiquement invoqués par les parties en vue d'un rejet d'une fin de non-recevoir tirée de la prescription » et elle ajoute que le juge n’avait pas à prendre en considération d’office ces éléments. La solution semble faire écho au caractère d’intérêt privé de la prescription et notamment le fait que « les juges ne peuvent pas suppléer d'office le moyen résultant de la prescription » (C. civ., art. 2247 N° Lexbase : L7175IAY). La solution apparaît comme le miroir de cette disposition en posant la règle selon laquelle le juge n’a pas à suppléer d’office le moyen tiré de l’interruption de la prescription. Toutefois, le raisonnement de la Cour de cassation est sensiblement différent. L’arrêt se fonde sur les articles 6 N° Lexbase : L1116H44 et 7 N° Lexbase : L1118H48 du Code de procédure civile, dont elle déduit que le juge n'est pas tenu d'examiner d'office des actes qui n'ont pas été spécifiquement invoqués par les parties. L’arrêt serait donc plus inspiré par le principe dispositif plutôt que par la nature privée des règles de prescription.

IV. Mesures d’instruction in futurum

Un arrêt retient particulièrement l’attention à propos des mesures d’instruction in futurum recherchées par la voie de l’ordonnance sur requête. Le requérant qui sollicite une ordonnance doit démontrer qu’il est fondé à ne pas appeler son adversaire à l’instance. Cette démonstration tient à la fois au risque de dissimulation ou de dépérissement des preuves et à la nécessité de ménager un effet de surprise (cf. not. Cass. com., 28 juin 2023, n° 22-11.752, F-B N° Lexbase : A268297H). À l’inverse, l’arrêt rendu le 18 juillet 2024 illustre une situation dans laquelle le requérant a, de son fait, anéanti l’effet de surprise (Cass. civ. 2, 18 janvier 2024, n° 21-26.001, F-D N° Lexbase : A41202GP). Dans cette affaire, les requérants invoquaient le risque que les preuves soient détruites par leurs adversaires à qui ils reprochaient des faits de concurrence déloyale. Toutefois, la Cour de cassation constate que plusieurs mois avant la requête, ces derniers avaient adressé à leur concurrent une mise en demeure dans laquelle les faits reprochés étaient détaillés, de sorte que l’effet de surprise ne pouvait plus être recherché. La demande fondée sur l’article 145 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1497H49 devait, dès lors, suivre la voie des référés.

V. Incidents d’instance

L’année 2024 a été marquée par l’important revirement de jurisprudence sur la péremption d’instance, lequel a, depuis les quatre arrêts du 7 mars 2024 (Cass. civ. 2, 7 mars 2024, n° 21-23.230 N° Lexbase : A41362SY, n° 21-20.719 N° Lexbase : A41312SS, n° 21-19.761 N° Lexbase : A41302SR, n° 21-19.475 N° Lexbase : A41372SZ, FS-B), fait l’objet de multiples applications. Ces quatre arrêts de principe concernent des procédures en appel dans lesquelles les parties avaient conclu en respectant les délais Magendie et demeuraient en attente de la suite de la procédure devant le conseiller de la mise en état. Avant ces arrêts, l’engorgement des rôles pouvait conduire à d’importants retards de fixation et, en l’absence de réaction judiciaire pendant deux années, le délai de péremption courrait. La Cour de cassation, dans sa position antérieure, avait jugé que l’absence de diligence des parties conduisait à la péremption. Pour éviter cette sanction, il incombait à ces dernières de prendre l’initiative de faire avancer l’instance ou de solliciter la fixation. La Haute juridiction est revenue sur cette jurisprudence qui imposait des sanctions aux parties alors que l’inertie était imputable à l’institution judiciaire. Elle affirme donc désormais que « lorsqu'elles ont accompli, conformément notamment aux dispositions de l'article 910-4 du code de procédure civile, l'ensemble des charges leur incombant dans les délais impartis, sans plus rien avoir à ajouter au soutien de leurs prétentions respectives, les parties n'ont plus de diligence utile à effectuer en vue de faire avancer l'affaire, la direction de la procédure leur échappant alors au profit du conseiller de la mise en état ». La Cour ajoute « qu'une fois que les parties ont accompli toutes les charges procédurales leur incombant, la péremption ne court plus à leur encontre, sauf si le conseiller de la mise en état fixe un calendrier ou leur enjoint d'accomplir une diligence particulière ». Ces quatre arrêts libèrent les parties d’un poids considérable, puisqu’une fois les formalités Magendie effectuées, ces dernières ne peuvent plus être victimes de l’encombrement du rôle et de l’inertie de l’institution judiciaire.

Dans un arrêt postérieur, la Cour de cassation a étendu cette solution à la procédure devant la Cour nationale de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des accidents du travail (aujourd’hui supprimée). Dans cet arrêt du 10 octobre 2024 (Cass. civ. 2, 10 octobre 2024, n° 22-12.882, FP-B N° Lexbase : A441859I), la deuxième chambre civile affirme de façon générale « à moins que les parties ne soient tenues d'accomplir une diligence particulière mise à leur charge par la juridiction, la direction de la procédure leur échappe » et elle ajoute qu’« [e]n particulier, il ne saurait leur être imposé de solliciter la fixation de l'affaire à une audience à la seule fin d'interrompre le cours de la péremption, laquelle ne peut leur être opposée pour ce motif ». Ce nouvel arrêt est intéressant, car il généralise la solution issue du revirement de jurisprudence, qui semble s’appliquer à toutes les juridictions et pas uniquement à la procédure devant la cour d’appel.

Enfin, un dernier arrêt intéressant vient compléter ce nouveau courant jurisprudentiel en précisant le point de départ du délai de péremption. La Cour de cassation pose la règle selon laquelle « en l'absence de délai imparti pour accomplir les diligences mises à leur charge, le délai de péremption court à compter de la date à laquelle les parties ont eu une connaissance effective de ces diligences » (Cass. civ. 1, 14 novembre 2024, n° 22-23.185, F-B N° Lexbase : A54316GA). Par exemple, dans cet arrêt, le délai a commencé à courir à la date de l’audience au cours de laquelle la juridiction a pris une décision de radiation, car les parties étaient présentes à cette audience. Elles avaient donc connaissance des diligences à accomplir pour la réinscription de l'affaire au rôle.

VI. Mise en état

La compétence du juge de la mise en état (ou du conseiller de la mise en état) suscite des difficultés d’application. En particulier, il s’agit de savoir si cette compétence exclut celle des autres juridictions durant la phase de mise en état uniquement, ou si elle empêche les parties de saisir la juridiction de jugement après la clôture de l’instruction de demandes qui n’ont pas été soumises au JME ou au CME. Cette question, apparemment simple, n’appelle pas une réponse univoque. Par exemple, la deuxième chambre civile a déjà eu l’occasion d’affirmer que les parties qui n’ont pas soulevé les exceptions de procédure devant le JME sont irrecevables à les soulever ultérieurement devant la juridiction de jugement (Cass. civ. 2, 10 novembre 2010, n° 08-18.809, F-P+B N° Lexbase : A8960GGX). À l’inverse, lorsqu’un incident de péremption n’a pas été porté devant le CME, la formation de jugement de la cour d’appel a compétence pour statuer sur cette péremption (Cass. civ. 2, 12 juin 2003, n° 01-10.813, FS-P+B N° Lexbase : A7157C8L).

Dans un arrêt qui remonte à la fin de l’année 2023 (Cass. com., 29 novembre 2023, n° 22-14.119, F-B N° Lexbase : A926114R), la chambre commerciale se prononce cette fois sur une demande de production de pièce. Une telle demande n’avait pas été présentée devant le CME et la cour d’appel l’avait déclaré irrecevable au motif qu’elle relevait de la compétence exclusive du CME. L’arrêt est cassé et la Haute juridiction affirme clairement que « dans les procédures comportant une mise en état, une demande de production de pièces formée conformément aux dispositions des articles 138 et suivants du code de procédure civile peut être présentée devant la juridiction de jugement par une partie qui n'en a pas saisi le conseiller de la mise en état ».

L’arrêt est rendu au visa des anciens articles 771 N° Lexbase : L9313LT4 et 907 N° Lexbase : L2400MLH du Code de procédure civile et il s’agit probablement là d’une source de confusion qui a déjà été signalée [2]. La compétence du JME pour connaître de la communication, de l’obtention et de la production de pièces est prévue à l’article précédent (ancien article 770 N° Lexbase : L6995H79 et nouvel article 788 N° Lexbase : L9247LTN, puis 913-1 N° Lexbase : L2407MLQ pour le CME). Or, cette compétence du magistrat de la mise en état n’est pas exclusive. Elle peut donc être partagée avec la formation de jugement. En rectifiant le visa de l’arrêt (770, plutôt que 711), on pourrait comprendre la solution ainsi rendue. À l’égard des pièces, la formation de jugement exerce, dès lors qu’elle est saisie, la même compétence que celle du JME durant la mise en état. La question se pose de savoir si une solution différente s’appliquerait aux mesures d’instruction qui sont, elles, visées par l’article 771 du Code de procédure civile et relèvent donc de la compétence exclusive du juge de la mise en état.

VII. Procédure orale et procédure orale/écrite

La spécificité de la procédure orale soulève fréquemment des difficultés de mise en œuvre du principe du contradictoire. Ces difficultés se sont accentuées avec l’instauration de la dispense de présentation. Deux arrêts rendus le 24 octobre 2024 en témoignent. Dans le premier arrêt (Cass. civ. 2, 24 octobre 2024, n° 22-18.471, FP-B N° Lexbase : A80496BQ), un justiciable avait formé un recours devant le premier président de la cour d’appel pour une question relative à la contestation d’honoraire d’avocats. La procédure étant orale, le demandeur ne s’était pas présenté et le défendeur avait soulevé et obtenu que la demande soit jugée irrecevable. Le demandeur reprochait au premier président d’avoir, d’une part, retenu sans débat contradictoire le moyen d’irrecevabilité qui avait été présenté à l’audience, et d’autre part d’avoir refusé d’examiner les pièces que lui avait transmises le demandeur qui ne s’était pas présenté à l’audience. Cette affaire soulevait donc deux questions relatives au respect du contradictoire lorsqu’une partie ne s’est pas présentée à l’instance (sans avoir été dispensé de présentation). La réponse à la première question semble évidente. Le demandeur avait été régulièrement convoqué et il avait ainsi été mis en mesure de débattre contradictoirement des moyens invoqués à l’audience. Le juge pouvait donc retenir dans sa décision un moyen présenté par le défendeur à l’audience, malgré l’absence du demandeur. La réponse à la seconde question est plus délicate. Il s’agissait de savoir si le juge devait tenir compte des pièces communiquées par le demandeur malgré son absence à l’audience. Selon la Cour de cassation, le premier président de la cour d’appel « ne pouvait se fonder sur les pièces produites par le demandeur, absent lors de l'audience sans avoir été dispensé de comparaître ». La solution est classique. Dans une procédure orale, tout se passe à l’audience et le juge n’est saisi par les écritures ou les pièces des parties qu’à la condition que cette dernière se présente devant le juge pour les soutenir. En omettant de se présenter, le demandeur renonçait à comparaître et donc à se défendre.

Mais toute la finesse de la procédure orale consiste précisément à introduire une distinction entre la comparution et la présentation lorsque le juge dispense les parties (ou l’une d’entre elles) de se présenter. En cas de dispense de présentation, la partie peut comparaître, et donc se défendre, par écrit. Le régime de la procédure orale est alors très différent, comme le montre le second arrêt (Cass. civ. 2, 24 octobre 2024, n° 22-15.908, FP-B N° Lexbase : A80556BX). Cette affaire concernait une demande d’attribution d’une pension d’invalidité. En l’espèce, le demandeur ne s’était pas présenté à l’audience, car il en avait été dispensé par la juridiction. Au cours de l’audience, le juge avait soulevé d’office l’irrecevabilité de la demande sans avoir invité au préalable le demandeur à formuler ses observations. La Cour de cassation affirme alors qu’en procédure orale, il ne peut être présumé qu'un moyen relevé d'office par le juge a été débattu contradictoirement, dès lors qu'une partie n'était pas présente à l'audience. On constate ici que la solution adoptée par la deuxième chambre civile prend le contrepied de celle étudiée précédemment. En effet, le demandeur absent le jour de l’audience était bien comparant, puisqu’il avait été dispensé de se présenter. Le juge ne pouvait soulever un moyen d’office sans provoquer un débat contradictoire et ce débat ne pouvait avoir lieu oralement le jour de l’audience. À l’égard de la partie dispensée de présentation, le juge devait inviter celle-ci à formuler des observations par écrit. On mesure ici toute la finesse d’une procédure orale, qui devient mixte en raison de la dispense de présentation, et qui se pare alors des traits de la procédure écrite.

VIII. Procédure écrite – formalisme des écritures

Le formalisme des écritures grandit au fil des réformes, qu’il s’agisse de la procédure devant le tribunal judiciaire ou la cour d’appel. Ainsi, les articles 768 N° Lexbase : L9310LTY et 954 N° Lexbase : L2439MLW du Code de procédure civile prévoient qu’en procédure écrite « les conclusions d'appel doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées et de leur numérotation ». Ce formalisme des écritures dites « qualificatives » (car les faits doivent être juridiquement qualifiés) clarifie la ligne de défense des parties et facilite le travail du juge. Par exemple, ce dernier peut contrôler rapidement grâce à la numérotation des pièces que les faits allégués sont soutenus par des preuves pertinentes et fiables. En revanche, ces dispositions ne prévoient pas de sanction expresse, notamment dans l’hypothèse où les pièces produites et énumérées dans le bordereau récapitulatif ne sont pas visées dans les conclusions. Dans une affaire jugée le 28 novembre 2024 (Cass. civ. 2, 28 novembre 2024, n° 22-16.664, F-B N° Lexbase : A29446KA), la cour d’appel avait rejeté plusieurs prétentions d’une partie au motif que, dans les conclusions, cette dernière ne renvoyait pas aux nombreuses pièces (quatre-vingt-seize en tout) qui étaient visées dans le bordereau. Le juge du fond affirmait ainsi ne pas être en mesure de vérifier les calculs de l’appelant et les preuves des règlements qu’il prétendait avoir effectués. Le raisonnement est ici atypique, puisque le juge sanctionnait au fond, par le rejet de l’action, des obligations de nature procédurale. D’une certaine manière, la cour d’appel se comportait comme si elle n’était pas saisie des preuves qui avaient été communiquées, mais qui n’étaient pas visées dans les conclusions. L’arrêt est cassé. En se fondant sur l’article 6, § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme et sur le droit d’accès au tribunal, la deuxième chambre civile affirme que l’« absence de renvoi par les conclusions aux pièces produites, qui n'est assortie d'aucune sanction, ne dispensait pas [la cour d’appel] de son obligation d'examiner les pièces régulièrement versées aux débats et clairement identifiées dans les conclusions ». En définitive, le formalisme des articles 768 et 954 s’avère, par certains aspects, moins lourd qu’il n’y paraît. Le défaut de visa des pièces par leur numéro dans les conclusions des parties ne fait l’objet d’aucune sanction et ne dispense pas le juge d’examiner ces pièces.

Un autre arrêt aborde la délicate question de la distinction entre les moyens et les prétentions dans les conclusions, sachant que les prétentions doivent obligatoirement figurer dans le dispositif pour saisir le juge, alors que les moyens figurent uniquement dans les motifs. Dans un arrêt du 16 janvier 2025 (Cass. civ. 2, 16 janvier 2025, n° 22-17.956, F-B N° Lexbase : A51816QX) une caution qui tentait d’échapper à ses obligations invoquait la nullité du cautionnement, la nullité du prêt et la déchéance du droit aux intérêts. Dans le dispositif de ses conclusions, elle demandait à la cour d’appel de rejeter toutes les demandes et prétentions de la banque. Les juges du second degré avaient condamné la caution en considérant notamment qu’ils n’avaient pas été saisis de la demande d’annulation du cautionnement du prêt et de celle relative aux intérêts, puisque ces demandes ne figuraient pas dans le dispositif. La Cour de cassation affirme au contraire que « la société demandait, dans le dispositif de ses conclusions, notamment le rejet de toutes les demandes et prétentions de la banque » et qu’elle invoquait « dans les motifs de ses conclusions, les moyens de fond pris de la nullité du contrat de prêt, la nullité de l'acte de cautionnement, et le défaut d'information annuelle de la caution ». Elle en déduit que la cour d’appel devait examiner ces moyens invoqués au soutien des prétentions. L’arrêt est éclairant, car elle confirme la conception stricte, voire restrictive, de la notion de prétention retenue par la Haute juridiction [3]. La caution qui sollicite dans le dispositif de ses conclusions le rejet des demandes de la banque émet bien une prétention, qui est soutenue par des moyens figurant dans les motifs et visant la nullité du cautionnement ou la déchéance des intérêts.

IX. Délibéré – notes en délibéré

Plusieurs arrêts alimentent le régime des notes en délibéré qui est défini de façon trop succincte par l’article 445 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1119INR. Dans une première affaire (Cass. civ. 2, 23 mai 2024, n° 22-23.735, F-B N° Lexbase : A85995CH), la cour d’appel avait sollicité par message électronique la production d’une pièce qui avait un impact sur la solution du litige. Cet arrêt est cassé, car, après avoir sollicité cette pièce en délibéré, la cour aurait dû inviter les parties à formuler des observations en cours de délibéré ou rouvrir les débats. La solution est une application assez simple du principe du contradictoire dans le cadre de la procédure des notes en délibéré. À l’inverse, dans un autre arrêt (Cass. civ. 2, 7 mars 2024, n° 22-11.720, F-D N° Lexbase : A69932T8), les parties avaient été invitées par le greffe à présenter leurs observations, par note en délibéré. L’une des parties reprochait à la cour d’appel d’avoir retenu une note accompagnée de pièces qui ne répondaient pas à la question posée par la juridiction. Le pourvoi est néanmoins rejeté et la deuxième chambre civile précise qu’à partir du moment où toutes les parties ont été invitées à présenter leurs observations, la juridiction peut prendre en considération à la fois la note, mais également les pièces qui, en l’espèce, répondaient bien à la question posée et qui avaient été soumises à la discussion des parties. Le dernier arrêt rendu précise le sort des pièces qui sont produites à l’appui d’une note en délibéré (Cass. civ. 2, 3 octobre 2024, n° 22-15.145, F-B N° Lexbase : A936057S). Elle juge ainsi qu’une note « peut être accompagnée de pièces justifiant ce qu'elle énonce, à la condition que les parties soient mises en mesure d'en débattre contradictoirement ». Elle casse ainsi l’arrêt d’appel qui avait jugé que les parties avaient été autorisées uniquement à produire une note en délibéré, mais pas de nouvelles pièces. Implicitement, la Cour de cassation considère que l’invitation à produire une note implique nécessairement que les parties peuvent également produire des pièces qui soutiennent cette note. En revanche, la Cour de cassation reste mystérieuse sur la soumission de ces pièces au principe du contradictoire. On imagine qu’en application de ce principe, les pièces communiquées à la juridiction doivent l’être aux adversaires afin que ces derniers puissent les consulter et les discuter.

X. Appel

  • Droit d’appel

On oublie souvent que l’appel est un prolongement de l’action en justice et que le droit d’appel est soumis aux mêmes conditions que le droit d’exercer l’action en justice. Tel est le cas notamment de la condition d’intérêt à agir en appel. L’article 546 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6697H78 prévoit ainsi que le droit d’appel appartient à toute partie qui y a intérêt, cet intérêt étant conditionné par le fait que l’appelant a obtenu satisfaction ou a succombé en première instance [4]. L’arrêt rendu le 23 octobre 2024 en est une illustration (Cass. civ. 1, 23 octobre 2024, n° 22-17.103, FS-B N° Lexbase : A77016BT). La Cour de cassation affirme une nouvelle fois que « l'intérêt à interjeter appel a pour mesure la succombance, qui réside dans le fait de ne pas avoir obtenu satisfaction sur un ou plusieurs chefs de demande présentés en première instance ». Elle précise ensuite que l’intérêt à agir en appel doit être apprécié séparément pour chacun des chefs de jugement attaqué. En l’espèce, une épouse avait obtenu satisfaction en première instance sur l’ensemble de ses demandes, mais elle avait tout de même interjeté appel pour profiter de l’effet suspensif et faire perdurer le devoir de secours. Cette manœuvre détournait l’appel de sa finalité. La Cour de cassation juge « que le divorce avait été prononcé conformément aux prétentions de première instance de l'épouse, de sorte que son intérêt à former appel de ce chef ne pouvait s'entendre de l'intérêt à ce que, en vertu de l'effet suspensif de l'appel, le divorce n'acquière force de chose jugée qu'à la date à laquelle les conséquences du divorce acquièrent elles-mêmes force de chose jugée ». Par cette formule, la Haute juridiction considère que si l’appelant peut avoir un intérêt économique à bénéficier de l’effet suspensif de l’appel, son intérêt juridique à faire appel est uniquement déterminé par la satisfaction ou la succombance de ses prétentions au fond.

Plusieurs arrêts ont été rendus à propos du taux de ressort. Dans le premier (Cass. com., 2 mai 2024, n° 22-19.625, F-B N° Lexbase : A885829X), l’appelant sollicitait à titre principal la résolution d’un contrat et la restitution de son véhicule, et à titre subsidiaires, en cas d’impossibilité de restitution, le paiement d’une somme de 2 600 euros de dommages et intérêts correspondant à la valeur d’achat du véhicule. Le litige portait donc de façon générale sur un véhicule dont la valeur était inférieure au taux de ressort. Toutefois, la Cour de cassation juge que « la demande tendant à obtenir la résolution d'un contrat présente par nature un caractère indéterminé » et elle en conclut que le jugement rendu sur cette demande était susceptible d’appel. On comprend ici que le taux de ressort ne s’applique pas à l’évaluation économique de la demande, mais à la demande elle-même. Si cette demande ne porte pas directement sur une somme d’argent ou sur un bien, elle est indéterminée. Dans le second arrêt (Cass. civ. 2, 16 janvier 2025, n° 22-21.138, F-B N° Lexbase : A51866Q7), il est question des modalités de calcul du taux de ressort lorsqu’une créance principale (ici la restitution d’un dépôt de garantie) est majorée en raison du retard de paiement. La Cour de cassation juge alors que la valeur de la demande doit comprendre à la fois le principal et l’accessoire, c’est-à-dire la créance principale à laquelle s’ajoute la majoration légale. Pour cela, elle affirme que « la demande relative à la majoration légale constitue une demande accessoire à la demande principale, qui, par sa nature indemnitaire, concourt avec celle-ci à déterminer le taux du ressort ».

Le délai pour former un appel principal peut faire l’objet d’un calcul complexe, notamment lorsqu’un appel principal est interjeté par l’intimé. En effet, le principe est que le délai pour faire appel est d’un mois à compter de la notification de la décision attaquée (CPC, art. 538 N° Lexbase : L6688H7T). Toutefois, ce délai doit être combiné avec la règle selon laquelle « n'est plus recevable à former appel principal l'intimé auquel ont été régulièrement notifiées les conclusions de l'appelant et qui n'a pas formé un appel incident ou provoqué contre le jugement attaqué dans les délais impartis aux articles 906-2 et 909 » (CPC, art. 911-1 ancien N° Lexbase : L0414IGG et 916 nouveau N° Lexbase : L2426MLG). La Cour de cassation en déduit que « l'intimé peut former un appel principal contre un jugement qui ne lui a pas été notifié tant que les délais des articles [906-2] et 909 du code de procédure civile ne sont pas expirés » (Cass. civ. 2, 6 février 2025, n° 22-18.971, F-B N° Lexbase : A60426TX). Ainsi, l’intimé ne peut former son appel principal que dans le délai de trois mois à compter de la notification des conclusions de son adversaire (procédure avec mise en état, CPC, art. 909 N° Lexbase : L2402MLK) et de deux mois dans la procédure à bref délai (CPC, art. 906-2 nouveau N° Lexbase : L2389ML3). Cette solution trouve une application intéressante dans l’arrêt étudié, car en l’espèce, les conclusions du premier appelant n’avaient pas été notifiées, de sorte que le délai de trois mois n’avait pas commencé à courir.

Enfin, dans un dernier arrêt (Cass. civ. 2, 16 janvier 2025, n° 22-17.732, F-B N° Lexbase : A51886Q9) la Cour de cassation précise que « l'appel principal d'une partie ne lui interdit pas de former, de la même manière que le sont les demandes incidentes, un appel incident sur l'appel principal de la partie adverse et d'étendre ainsi sa critique du jugement ». Dans cette espèce, un salarié licencié avait formé un appel principal uniquement sur les aspects indemnitaires de son licenciement sans cause réelle et sérieuse. L’intimé avait formé de son côté un autre appel principal auquel le salarié a répondu par un appel incident qui visait cette fois la nullité du licenciement. La question se posait donc de savoir si une partie pouvait étendre la critique du jugement au moyen d’un appel incident. La réponse affirmative de la Cour de cassation permet ainsi aux parties de compléter un appel principal par un appel incident et d’étendre la dévolution du litige à de nouveaux chefs de jugements.

  • Formalisme de la déclaration d’appel

Malgré les nombreuses réformes du formalisme de la déclaration depuis 2017, l’objet de l’appel fait encore l’objet de débats et suscite de nouvelles questions. Dans l’affaire jugée le 24 octobre 2024 (Cass. civ. 2, 24 octobre 2024, n° 23-12.176, F-B N° Lexbase : A80526BT), l’appelant avait utilisé la mention « appel total » dans sa déclaration d’appel et il avait détaillé les chefs de jugements attaqués dans l’annexe. Toutefois, sa déclaration d’appel ne renvoyait pas expressément à l’annexe, de sorte que la cour d’appel a jugé que la déclaration n’avait pas opéré d’effet dévolutif et qu’elle n’était saisie d’aucune demande. La Cour de cassation casse cet arrêt et rappelle l’état de sa jurisprudence (Cass. civ. 2, 7 mars 2024, n° 22-23.522 N° Lexbase : A41322ST et n° 22-20.035 N° Lexbase : A41272SN, FS-B) selon laquelle le renvoi à l’annexe dans la déclaration d’appel ne constitue pas une formalité substantielle ou d’ordre public de sorte que l’omission de cette formalité ne donne pas lieu à la nullité de la déclaration d’appel. De plus, cette omission ne prive pas la déclaration d’appel de son effet dévolutif. Cette souplesse dans l’interprétation du formalisme de la déclaration d’appel est confirmée par l’arrêt du 24 octobre 2024 de sorte que l’on peut dire aujourd’hui que la déclaration d’appel fait corps avec l’annexe et que le juge d’appel est tenu d’examiner cette annexe dès lors qu’elle est communiquée dans les formes prescrites à l’article 4, alinéa 2 de l’arrêté du 20 mai 2020, relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d'appel N° Lexbase : L7281MZP.

Dans la procédure sans représentation obligatoire, on se souvient que la Cour de cassation avait fait preuve d’une grande souplesse en posant la règle selon laquelle « la déclaration d'appel qui mentionne que l'appel tend à la réformation de la décision déférée à la cour d'appel, en omettant d'indiquer les chefs du jugement critiqués, doit s'entendre comme déférant à la connaissance de la cour d'appel l'ensemble des chefs de ce jugement » (Cass. civ. 2, 30 juin 2022, n° 21-15.003, F-B N° Lexbase : A857378Z). Cette solution a été consacrée à l’article 933, 6° N° Lexbase : L2438MLU, par le décret n° 2023-1391, du 29 décembre 2023 N° Lexbase : L4949MYX. Dans un arrêt du 12 décembre 2024 (Cass. civ. 2, 12 décembre 2024, n° 22-17.581, F-B N° Lexbase : A30216MT), la Cour de cassation applique cette solution à la procédure de recours contre la décision du bâtonnier statuant en matière de différend entre avocats à l'occasion de leur exercice professionnel. Dans cette affaire, la cour d’appel avait cru pouvoir écarter la règle de l’appel général au motif que la procédure opposant deux professionnels du droit, ces derniers ne pouvaient être dispensés des charges procédurales liées au formalisme de la déclaration d’appel. En cassant l’arrêt, la Cour de cassation rappelle implicitement que la dispense de formalisme liée à l’appel général (ou pour le tout) tient au caractère oral de la procédure (ou sans représentation obligatoire) et non pas à la qualité des parties en cause.

  • Appel annulation et prétentions de l’appelant

L’appel annulation présente une simplicité trompeuse. Lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement, par principe, l’effet dévolutif s’opère pour le tout. L’appelant est donc dispensé de préciser dans la déclaration d’appel les chefs de jugement qu’il critique. Toutefois, si la cour d’appel annule le jugement, la question se pose de savoir quelle est l’étendue de sa saisine. Il faut alors distinguer deux situations : dans le premier cas, le jugement est annulé en raison de l'irrégularité de l'acte introductif d'instance. Si cet acte est annulé, la cour d’appel ne peut statuer au fond, et la partie qui a introduit cette instance doit saisir à nouveau la juridiction de première instance. Tout se passe comme si le procès n’avait pas eu lieu [5]. Dans le second cas, le jugement irrégulier est annulé et la cour d’appel est saisie de l’entier litige. Elle doit alors répondre aux prétentions des parties. Dans l’arrêt rendu le 7 mars 2024 (Cass. civ. 2, 7 mars 2024, n° 22-11.804, F-B N° Lexbase : A41282SP), l’appelant avait conclu à la nullité du jugement et à la réouverture des débats. La cour d’appel lui avait reproché de ne pas avoir présenté ses prétentions dès ses premières conclusions et avait confirmé le jugement. Dans son pourvoi, le justiciable prétendait que la cour d’appel était « entièrement saisie » du litige. La Cour de cassation rejette pourtant le pourvoi. Elle affirme que « l'appelant qui demande l'annulation du jugement, pour un autre motif que celui tiré de l'irrégularité de l'acte introductif d'instance, doit conclure subsidiairement au fond. À défaut, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement ». Cet arrêt souligne l’ambiguïté de la notion d’effet dévolutif de l’appel. En effet, lorsque la déclaration d’appel remet en cause l’ensemble des chefs de jugement, elle a pour effet d’anéantir la décision de première instance et de saisir la cour d’appel de l’entier litige. Toutefois, cette déclaration d’appel ne suffit pas. Une fois qu’elles ont obtenu l’anéantissement de la décision de première instance, les parties doivent encore émettre des prétentions devant la cour d’appel. Elles supportent la charge de rouvrir le débat et elles doivent le faire dès leurs premières conclusions, depuis que le principe de concentration des prétentions a été consacré en appel (CPC, art. 910-4 N° Lexbase : L9354LTM). En d’autres termes, la déclaration d’appel qui critique les chefs de jugement n’opère pas, à elle seule, effet dévolutif. Pour que la cour d’appel examine à nouveau le litige, les parties doivent la saisir de prétentions.

  • Délais pour conclure en cas d’orientation tardive de l’affaire

L’arrêt rendu le 13 juin 2024 (Cass. civ. 2, 13 juin 2024, n° 22-13.648, F-B N° Lexbase : A78945HT) soulève une question délicate relative à l’application des délais Magendie dans la circonstance où le président de la chambre n’oriente pas l’affaire ou l’oriente tardivement. Le Code de procédure civile ne prévoit pas cette situation qui s’avère pathologique et probablement due à un fort encombrement du rôle. Dans l’espèce étudiée, la déclaration d’appel datait du 9 février 2017 et l’appelant avait notifié ses conclusions à l’intimé le 14 septembre 2017. Par la suite seulement, soit le 12 octobre 2017, le président de la chambre avait orienté l’affaire vers la procédure à bref délai, puis fixé un calendrier de procédure. Près d’un an plus tard, le 10 septembre 2018, il avait annulé ce calendrier et désigné un conseiller de la mise en état. L’affaire avait donc attendu plus de huit mois pour être orientée et cette orientation avait été remise en cause onze mois plus tard. Pourtant, la décision d’orientation avait un impact direct sur les délais pour conclure. En effet, si l’affaire était orientée vers la procédure à bref délai, le délai pour conclure de l’appelant courrait à partir de l’avis de fixation. En l’espèce, les conclusions de l’appelant avaient été notifiées avant cette date et l’appel était donc consolidé par ces conclusions. À l’inverse, si la procédure était orientée vers la mise en état, le délai pour conclure courait de l’acte d’appel et les conclusions notifiées le 14 septembre 2017 étaient tardives, de sorte que l’appel était caduc. C’est d’ailleurs la solution qui a été retenue à la fois par le conseiller de la mise en état et par la cour d’appel saisie d’un déféré. Les juges du fond ont estimé qu’il appartenait à l’appelant, en l’absence de toute orientation, de respecter le « délai de droit commun prévu à l’article 908, applicable de droit à toute procédure ».

L’arrêt est cassé et la Cour de cassation raisonne en deux temps. Dans un premier temps, elle reproche à la cour d’appel d’avoir subordonné l’application de la procédure à bref délai à la condition que la fixation de l’affaire intervienne dans le délai de trois mois à compter de la déclaration d’appel (ce qui n’était pas le cas en l’espèce). La Haute juridiction a considéré que les juges du fond avaient ajouté à la loi une condition qu’elle ne comporte pas. Ce motif était peu éclairant, dans la mesure où il restait impossible de savoir si le justiciable était soumis aux délais de la procédure avec mise en état ou à ceux de la procédure à bref délai. C’est pour cette raison que, dans un second temps, elle décide de statuer au fond dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice et elle affirme que la déclaration d’appel n’est pas caduque. Dans son dispositif, elle dit n’y avoir lieu à renvoi et ajoute que l’affaire se poursuivra au fond devant la cour d’appel.

Cet arrêt est important, mais il ne résout pas toutes les difficultés liées au défaut d’orientation par le président de la chambre, lorsque l’appelant n’a pas conclu dans les trois mois de sa déclaration d’appel. Dans le cas le plus simple, si le président oriente tardivement l’affaire à bref délai, l’appelant bénéficie d’une seconde chance puisqu’il dispose (depuis le 1er septembre 2024) de deux mois à compter de l’avis de fixation. En revanche, et selon toute vraisemblance, si l’appelant n’a pas conclu dans les trois mois et que le président oriente, plus tardivement encore, l’affaire vers le conseiller de la mise en état, l’appelant tombe sous le coup du délai de l’article 908 du Code de procédure civile N° Lexbase : L2401MLI. Son appel est donc caduc puisque le délai de trois mois court depuis sa déclaration d’appel.

  • Concentration des demandes dans les premières conclusions

Nous signalons rapidement cet arrêt du 4 juillet 2024 (Cass. civ. 2, 4 juillet 2024, n° 21-20.694, FS-B N° Lexbase : A68345M3) pour l’importance de la solution qu’il dégage. La Cour de cassation affirme que le principe de concentration des prétentions dans les premières conclusions en appel (CPC, art. 915-2 nouveau N° Lexbase : L2423MLC) ne concerne que les prétentions sur le fond. Par conséquent, les fins de non-recevoir, qui tendent à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, ne sont pas des prétentions sur le fond et elles ne sont pas soumises à l’obligation de concentration.

 

[1] V. E. Vergès, ÉTUDE : Les modes alternatifs : procédures amiables, Les procédures amiables conventionnelles (à l’initiative des parties), in Procédure civile, Lexbase N° Lexbase : E52744ZD.

[2] Cf. M. Barba, Compétence pour connaître d'une demande de production de pièces (bis repetita), Dalloz actualité, 8 décembre 2023 [en ligne].

[3] V. par exemple, Cass. civ. 2, 2 février 2023, n° 21-18.382, F-B N° Lexbase : A26019BX et le commentaire d’E. Vergès, Chronique de procédure civile 2023-1 – Actualité des grandes notions de la procédure civile, Lexbase Droit privé, juillet 2023, n° 953 N° Lexbase : N6213BZ7.

[4] Cf. sur la notion de succombance, F. Seba, ÉTUDE : L’appel, Les conditions d’ouverture du droit d’appel, Les conditions de fond, L'intérêt à agir, in Procédure civile, Lexbase N° Lexbase : E113803K.

[5] F. Seba, ÉTUDE : L’appel, Les conditions d’ouverture du droit d’appel, Les conditions de forme, L’appel classique, La déclaration d’appel : mentions, Les chefs de jugement expressement critiqués, in Procédure civile, Lexbase N° Lexbase : E5191497.

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