Réf. : CE, 7° ch., 25 février 2025, n° 490616, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A41716ZI
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par Laurent Bidault, avocat au barreau de Paris, Novlaw Avocats et Nicolas Machet, élève avocat
le 18 Mars 2025
Mots clés : marchés publics • résiliation du contrat • paiement des prestations • inexécution fautive • réparation du préjudice
La résiliation du contrat ne fait pas perdre à son titulaire son droit contractuel au paiement des prestations qu’il a exécutées avant cette résiliation, et cela même si cette résiliation a été prononcée à ses torts exclusifs.
I. Sur le contexte de l’affaire
À l’origine, la commune de La Croix-Valmer avait attribué le 20 mars 2018 à un groupement d’entreprises solidaire, dont la société Entreprise Rénovation et Génie civil (ERGC) était mandataire, un marché portant sur la conception-réalisation d’un parc de stationnement aérien.
Un an plus tard, le 21 mars 2019, le maire de la commune a décidé de résilier ce marché pour faute aux torts exclusifs du groupement.
La société ERGC, qui devait établir pendant la phase d’avant-projet un calendrier prévisionnel avec pour horizon l’achèvement des travaux en septembre 2019, a tardé à établir ce calendrier pour finalement proposer au pouvoir adjudicateur une version de ce calendrier dépourvue de dates correspondantes aux différentes étapes des travaux en vue de leur livraison pour septembre 2019, en méconnaissance des stipulations contractuelles.
Après mise en demeure, la société ERGC conditionnait le point de départ du calendrier à la validation par la commune d’une nouvelle décomposition du prix global et forfaitaire du marché.
Il est ainsi apparu que la société ERGC entendait exercer une pression sur la commune pour obtenir la validation d’un nouveau prix global et forfaitaire du marché, réhaussé de 64,1 %, afin de tenir compte de problématiques non anticipables.
À la suite de la notification de la décision de résilier du maire, la société ERGC a saisi le tribunal administratif de Toulon afin qu’il condamne la commune de La Croix-Valmer à lui payer la somme de 82 494 euros, correspondant au solde du décompte de résiliation et correspondant aux prestations réalisées avant la résiliation du contrat.
Après avoir validé le bien-fondé de la décision de résiliation au regard de la gravité de la faute commise, le tribunal administratif a fait droit à cette demande, tout en rejetant les demandes reconventionnelles présentées par la commune de La Croix-Valmer qui mettait en cause la responsabilité contractuelle de la société ERGC et qui invoquait des préjudices nés des retards et manquements de cette dernière.
Reconnaissant à son tour le bien-fondé de la décision de résiliation, la cour administrative de Marseille a néanmoins annulé le jugement du tribunal administratif de Toulon.
D’une part, elle a estimé que, lorsque les prestations exécutées par le titulaire du marché sont privées d’utilité en raison de la résiliation du contrat aux torts exclusifs du titulaire, ce dernier ne dispose pas du droit d’être rémunéré des prestations en cause, qui ont été rendues inutiles par sa seule faute.
Elle en a déduit que c’est à tort que le tribunal administratif avait fait droit à la demande la société ERGC, dont les prestations avaient été rendues inutiles par la résiliation à ses torts exclusifs.
D’autre part, elle a reconnu la responsabilité contractuelle de la société ERGC au regard des manquements commis et a condamné cette dernière à indemniser la commune de La Croix-Valmer des préjudices subis en raison de sa faute.
II. Sur l’apport de la décision du Conseil d’État
Saisi en cassation, le Conseil d’État n’a admis le 5 juin 2024 le pourvoi seulement en tant que la cour administrative d’appel de Marseille a annulé l’article du jugement du tribunal administratif de Toulon mettant à la charge de la commune de La Croix-Valmer la somme de 82 494 euros à verser à la société ERGC et a rejeté les conclusions présentées à ce titre par cette société.
Dit autrement, seul restait à trancher la question du droit à rémunération de la société ERGC pour les prestations accomplies avant la résiliation, cette dernière n’étant donc plus en débat.
A. L’utilité des prestations : un débat erroné
C’est en réalité le critère d’utilité des prestations réalisées par le titulaire résilié à ses torts exclusifs qui demeurait lui en débat.
Pour la cour, la rémunération du titulaire résilié à ses torts exclusifs était subordonnée à ce critère d’utilité.
Partant, privées d’utilité en raison de la faute du titulaire, les prestations qu’il a réalisées avant la mesure de résiliation ne pouvaient être payées par le pouvoir adjudicateur.
Or, le Conseil d’État relève que « en statuant ainsi, alors que la résiliation du contrat ne faisait pas perdre au titulaire son droit contractuel au paiement des prestations qu'il avait exécutées avant cette résiliation, fût-elle prononcée à ses torts exclusifs, le maître d'ouvrage ayant la faculté de rechercher par ailleurs, le cas échéant, la responsabilité contractuelle du titulaire s'il estime que ces prestations se sont révélées inutiles par sa faute, la cour administrative d'appel de Marseille a commis une erreur de droit ».
La Haute Juridiction refuse que soit exclue toute rémunération du titulaire résilié à ses torts exclusifs lorsque les prestations qu’il a réalisées se sont trouvées privées d’utilité par sa faute.
Ce critère mis en œuvre par la cour n’a en réalité pas de fondement juridique.
Le CCAG travaux de 2009 [1], applicable au marché de travaux en litige, ne prévoit en son article 47.2 aucun critère d’utilité quant au paiement des prestations exécutées par le cocontractant.
Ainsi, en vertu de cet article, figure notamment au crédit du titulaire dans le décompte de liquidation du marché « la valeur contractuelle des travaux exécutés », sans qu’un critère d’utilité des travaux exécutés ne soit précisé.
Aucune exception n’est à ce titre identifiée dans ces dispositions lorsque la résiliation du contrat est prononcée aux torts exclusifs du titulaire du marché.
Instaurer un critère d’utilité impliquerait pour l’administration de devoir trier au sein des prestations réalisées lesquelles méritent d’être payées ou non.
Or, cela aurait pour effet de dénaturer la force obligatoire du contrat.
À partir du moment où l’une des parties à un contrat a accompli une partie de ses obligations, elle doit pouvoir obtenir de son cocontractant l’exécution de ses obligations réciproques, et ce quand bien même ces prestations deviendraient inutiles en raison de l’intervention d’une décision de résilier le contrat.
B. Pas de principe d’exception d’inexécution au bénéfice de l’administration en cas d’inexécution fautive du titulaire
Par conséquent, le Conseil d’État relève à juste titre que la résiliation du contrat ne fait pas perdre au titulaire son droit contractuel au paiement des prestations qu’il avait exécutées avant cette résiliation, l’exécution de ces prestations n’ayant pas fait, au demeurant, l’objet de débats.
Autrement dit, le Conseil d’État refuse de consacrer une forme d’exception d’inexécution au bénéfice de la personne publique lorsque la faute de son cocontractant a privé d’utilité les prestations qu’il avait jusqu’ici exécutées.
En effet, ce n’est pas tant la faute du cocontractant qui a fait perdre son caractère d’utilité aux prestations réalisées mais plutôt la sanction qu’a entendu lui appliquer le pouvoir adjudicateur, à savoir la décision de résilier, laquelle met un terme à l’exécution du contrat.
Envisager que le titulaire résilié à ses torts exclusifs soit privé de rémunération si ses prestations se sont révélées inutiles reviendrait à créer une nouvelle sanction alors que celui-ci a déjà fait l’objet d’une résiliation, le cas échéant à ses frais et risques, et qu’il est susceptible de voir sa responsabilité contractuelle engagée.
Ainsi, non seulement le pouvoir adjudicateur peut décider de résilier aux frais et risques du titulaire le contrat en raison de sa faute [2] (ce que permet notamment l’article 48 du CCAG travaux de 2009), ce qui lui permettra de porter au décompte à son débit le supplément des dépenses résultant de la passation d’un nouveau marché (article 47.2 du CCAG travaux de 2009).
Tel n’a pas été le cas de la résiliation prononcée à l’encontre de la société ERCG, laquelle consistait dans une résiliation simple pour faute.
C. La faculté pour le maître d’ouvrage d’obtenir réparation de son préjudice
Mais, surtout et indépendamment de la possibilité d’infliger des pénalités, le pouvoir adjudicateur a la faculté d’obtenir réparation, sur le terrain de la responsabilité contractuelle, des éventuels préjudices que lui a causé la faute de son cocontractant, de sorte qu’il n’y a pas de sens à le priver de la rémunération à laquelle il a droit pour les prestations exécutées avant la résiliation, alors même qu’elles se seraient finalement révélées inutiles.
C’est ainsi que, dans l’affaire ici commentée, la commune de La Croix-Valmer a pu obtenir de la cour administrative d’appel de Marseille la condamnation de la société ERCG à lui restituer la part des acomptes correspondant à des prestations non exécutées ainsi qu’à rembourser la valeur des dépenses supplémentaires directement imputables à sa faute et exposées en pure perte par la commune.
Outre ces postes de préjudice, aurait également pu être sollicitée l’indemnisation du préjudice né du retard dans l’accomplissement des prestations, dans l’hypothèse où le parking n’aurait, en raison de la faute du titulaire, pas pu être livré à la date contractuellement prévue, exposant ainsi la commune à des pertes d’exploitation.
Dès lors, le Conseil d’État juge que la cour administrative d’appel de Marseille a commis une erreur de droit en subordonnant à un critère d’utilité la rémunération des prestations exécutées par le titulaire du marché avant sa résiliation.
Dans cette mesure, il annule l’arrêt de la cour administrative d’appel et lui renvoie l’affaire.
Par conséquent, priver le titulaire résilié à ses torts exclusifs de la rémunération à laquelle il a droit pour les prestations exécutées avant la résiliation ne figure pas parmi les possibilités offertes pour le sanctionner.
[1] Cahier des clauses administratives générales (CCAG) applicables aux marchés de travaux adopté par arrêté du 8 septembre 2009 N° Lexbase : L8345IES. À noter que s’applique désormais, pour les nouveaux marchés de travaux, le CCAG adopté par arrêté du 30 mars 2021.
[2] Voir CE, 9 novembre 2016, n° 388806 N° Lexbase : A0614SGT ; CE, 5 avril 2023, n° 463554 N° Lexbase : A10519NA.
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